Peter Benson Tobacco, Capitalism. Growers, Migrant Workers, and the Changing Face of a Global Industry
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Peter Benson, Tobacco Capitalism. Growers, Migrant Workers, and the Changing Face of a Global Industry. Princeton, Princeton University Press, 2012, 323 p.
1Assistant professeur à l’Université Washington de Saint-Louis (Missouri), Peter Benson envisage les mutations de la culture du tabac aux États-Unis à partir de l’exemple de la Caroline du Nord. L’impact des politiques anti-tabac est au cœur du propos, sous l’angle de la redéfinition des identités rurales en particulier.
2En filigrane de l’ouvrage, le lecteur suivra avec intérêt comment l’agriculture du tabac s’est développée au XVIIe siècle, encouragée par la couronne britannique. Le comté de Wilson a été l’un des premiers producteurs du pays. L’esclavage lui a procuré une abondante main-d’œuvre et a installé un fonctionnement social fondé sur la ségrégation. Au XIXe siècle, c’est dans l’essor des grandes villes de l’Est que la production trouve un important débouché. Après la guerre de Sécession, l’industrie du tabac donne du travail à la main-d’œuvre libérée de l’esclavage, et les familles de petits cultivateurs se multiplient. L’invention des machines à rouler les cigarettes accroît la production des industriels et agit sur le marché du tabac. À partir des années 1920, les efforts marketing assurent de juteux débouchés aux grandes compagnies qui se dessaisissent de leurs fermes pour se concentrer sur la commercialisation des produits issus du tabac.
3La prohibition et la crise des années 1930 ouvrent une période particulièrement difficile pour les agriculteurs du secteur. Pour les aider sont votés des quotas et des aides à la production. Les exploitations sont modernisées en empruntant aux grands propriétaires. Dans les années 1960, l’endettement des paysans devient tel qu’il les conduit souvent à la faillite. En raison de la surproduction, les prix chutent, phénomène qui s’accentuera dans les années 1980 avec le développement d’un marché mondial du tabac. Dans le même temps, la part des fumeurs dans la population américaine diminue tandis que le marché des cigarettes s’envole dans les pays émergents.
4Cette évolution éclaire les stratégies mises en œuvre. Elle montre également comment la monoculture du tabac a engendré une société dotée de ses propres codes.
5Peter Benson s’intéresse ensuite aux réponses que les pouvoirs publics et les cigarettiers apportent aux lobbies hostiles au tabac. Tout en essayant de valoriser le milieu agricole qui produit le tabac et en utilisant les difficultés pour obtenir des aides financières, les groupes changent de stratégie de communication et font de nouveaux choix industriels pour sauver leurs bénéfices. Ainsi, depuis une quinzaine d’années, les cigarettiers ont admis les dangers de la cigarette et ont fait du consommateur le seul responsable de sa santé. Cette stratégie succède au déni des années 1950, puis à l’idée d’indemniser les malades qui portent plainte. Par ailleurs, certains groupes se réorientent dans l’agro-alimentaire pour sauver des profits menacés en Occident. Le lobbying s’intensifie pour limiter les évolutions législatives concernant le tabac.
6De leur côté, les producteurs de tabac s’enfoncent dans les difficultés. Les ouragans de 1996 en Caroline ajoutent leurs effets désastreux à une économie en crise structurelle. La production très élevée de 1997 amplifie la mévente des feuilles et la chute des prix. L’équilibre social dans le milieu agricole est remis en cause. La crise touche exploitants, ouvriers agricoles et migrants, souvent hispaniques. Elle débouche sur une crise identitaire des producteurs, qui souffrent d’être accusés d’être des pourvoyeurs de mort.
7Si les lobbies anti-tabac insistent sur l’égale responsabilité de tous les acteurs de la filière dans les problèmes de santé publique, de leur côté, les agriculteurs ont construit leur identité sur la fierté qui est la leur de produire un tabac de qualité, sans envisager néanmoins le devenir du produit comme étant de leur fait. De même, le travail des ouvriers agricoles est parfois décrit comme aussi pénible que celui des anciens esclaves. Le passé est instrumentalisé pour que l’État fédéral retire tout soutien au secteur. Ainsi s’installe une véritable dépression sociale dans les milieux agricoles du tabac.
8Au-delà de l’exemple du tabac, cette étude permet de réfléchir à l’usage qui est fait de la stigmatisation de catégories de producteurs pour obtenir le recul d’une production. L’actualité fourmille d’exemples. Pour aller plus loin, donnons-en deux autres, pour le moins comparables.
9Au nom de la lutte contre les narcotrafiquants d’Amérique latine, des campagnes de destruction des champs de coca ont été menées par les armées nationales soutenues par les États-Unis. Le paysan a été désigné comme le premier soutien d’une activité criminogène. Or, chacun se souvient de la manière dont le président Evo Morales a affirmé que la coca était identitaire pour sa population et que les Boliviens ne devaient pas être montrés du doigt au simple motif qu’ils produisaient une plante dont ils mâchent les feuilles.
10A contrario, l’huile de palme est une culture dont la prolifération porterait atteinte à l’environnement et à la société. C’est d’ailleurs le cœur de l’argumentation récemment développée au Parlement en France pour faire adopter une taxe sur l’usage de l’huile de palme dans l’agro-alimentaire. Dans ce cas, la production est le fait de grandes plantations et d’une agriculture financiarisée. Les groupes qui produisent cette huile sont considérés comme coupables de privilégier leurs revenus aux dépens des écosystèmes locaux et, plus généralement, de la santé des consommateurs. Ici, l’hostilité de l’opinion publique vise de grandes fortunes accusées d’exploiter une main-d’œuvre locale détournée d’occupations vivrières plus respectueuses des traditions.
11En somme, l’approche de Peter Benson mérite tout l’intérêt des chercheurs, et pas seulement sous l’angle du seul secteur du tabac. Soulignons que ce travail soulève la question de la difficile reconversion des régions de monoculture en montrant combien, derrière une plante, c’est toute une société, une culture, qui est en jeu.
Pour citer cet article
Référence électronique
Fabien Gaveau, « Peter Benson Tobacco, Capitalism. Growers, Migrant Workers, and the Changing Face of a Global Industry », Études rurales [En ligne], 191 | 2013, mis en ligne le 12 juillet 2015, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/9868 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.9868
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