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Comptes rendus

Walden Bello, La fabrique de la famine. Les paysans face à la mondialisation

Paris, Carnets Nord. Traduit de l’anglais par Françoise et Paul Chemla, 2012, 221 p.
Fabien Gaveau

Texte intégral

Walden Bello, La fabrique de la famine. Les paysans face à la mondialisation. Paris, Carnets Nord. Traduit de l’anglais par Françoise et Paul Chemla, 2012, 221 p.

1Professeur de sociologie engagé, Walden Bello milite pour une agriculture familiale contre celle que promeuvent les multinationales, les politiques publiques et la financiarisation de l’économie.

2L’agriculture est un enjeu mondial. L’auteur note que la crise alimentaire de 2008 traduit une tension structurelle sur les ressources alimentaires. Il en rappelle les principaux aspects : le recul des subventions publiques à la production sous l’effet des politiques libérales promues par les organisations mondiales ; les limites productives de certains écosystèmes ; les aléas dus aux changements météorologiques ; la réorientation de millions d’hectares vers la nourriture animale et les biocarburants.

3Après avoir montré comment le capitalisme mondialisé érode l’agriculture familiale, l’auteur présente le système agro-alimentaire lié au marché mondial des biens agricoles et à la puissance des firmes transnationales. Des études de cas étayent son propos. Foyer de domestication du maïs, le Mexique a réorienté sa production vers les agrocarburants. Le prix du maïs alimentaire a augmenté, et le pays doit désormais en importer. Par ailleurs, la résolution du problème de la dette a favorisé une politique d’ajustement structurel qui a conduit au désengagement de l’État dans le domaine agricole. Les coopératives paysannes (ejidos) ont été réformées pour développer la propriété paysanne. Après 1994, 15 millions de paysans ont été évincés de la terre. En outre, les plus pauvres n’ont pas pu s’adapter aux nouvelles conditions productives en agriculture et beaucoup ont gagné les bidonvilles du pays ou les États-Unis. Enfin, l’ALENA (North American Free Trade Agreement) a ouvert le Mexique aux grandes firmes nord-américaines et aux exportations agricoles subventionnées par le gouvernement des États-Unis. Loin de sortir de la crise, le Mexique s’enfonce dans des difficultés sociales et politiques durables.

4De même, la restructuration néolibérale de la riziculture fragilise les Philippines. Le pays est devenu le plus gros importateur mondial de riz, lui qui était encore exportateur net de produits alimentaires en 1993. La politique d’ajustement structurel menée après 1993 pour solder la dictature Marcos a coupé dans les dépenses agricoles. Des cultures d’exportation ont été encouragées pour faire rentrer des devises. La libéralisation a privé le budget de l’État des recettes de douane, ce qui limite sa capacité à équiper le pays pour attirer des investisseurs étrangers. C’est dans ce contexte que se développent les mouvements contestataires et révolutionnaires.

5L’Afrique fournit un autre exemple. Le continent importe 25 % de son alimentation. Pourtant le secteur agricole a fait l’objet d’investissements importants depuis les indépendances, les États le considérant comme prioritaire. Là encore, l’endettement généralisé a soumis les États à l’ajustement structurel. Cette politique n’a pas compensé les lourdes pertes subies par le secteur agricole. Pire, la crise agricole a handicapé l’essor économique, comme au Ghana. En outre, les produits alimentaires importés sont largement subventionnés par les pays riches qui les produisent. Face à ce constat, certains États en sont revenus des politiques libérales. Ainsi, dans les années 2000, le Malawi est revenu à l’autosuffisance alimentaire grâce à un programme public de modernisation agricole. Tout en reconnaissant ses erreurs, la Banque mondiale soutient désormais le développement d’une agriculture de firme présentée comme le remède à des décennies de marasme.

6La Chine, en revanche, est jusqu’en 2008 exportateur net de denrées alimentaires. Mais le fait que les Chinois consomment désormais de la viande accroît les importations et réoriente le commerce mondial de la viande, notamment à partir de l’Amérique latine. En outre, les limites des écosystèmes posent un grave défi au pays. De surcroît, le soutien massif de l’État à l’industrie et aux villes se traduit par un net recul des investissements dans le secteur agricole. Les mouvements de protestation des ruraux deviennent si puissants qu’ils obligent le parti communiste à engager des réformes pour promouvoir la propriété privée et condamner les cadres qui confisquent à leur profit les terres et les ressources.

7L’essor des agrocarburants a aggravé la volatilité des prix. Produire de l’éthanol en profitant des aides publiques prévues pour sortir du « tout-pétrole » est une option retenue par de vastes pans de l’agriculture mondiale, y compris aux États-Unis et en Europe. Les terres sont donc converties sous la pression des investissements du Nord et de l’OMC. Le Brésil devient la superpuissance des agrocarburants. Toutefois, partout où leur culture se développe, les plantations industrielles ont un lourd impact sur les sociétés et sur les écosystèmes.

8Est-ce à dire que tout est joué ? Pas sûr. Walden Bello montre dans un dernier chapitre combien les milieux agricoles sont mobilisés et combien ils bénéficient de l’appui de très nombreuses ONG. Via Campesina est significative de ce mouvement. Cependant des difficultés internes divisent ces organisations, opposant les partisans de la réforme agraire à ceux qui défendent simplement l’agriculture familiale et la souveraineté alimentaire.

9N’est-il pas temps de soutenir que l’alimentation humaine n’est pas un secteur comme les autres ? Comment expliquer que ce qui avait été admissible en matière de culture dans les discussions du GATT en 1993 ne puisse pas être admis en matière de nourriture ?

  • 1 Paris, Actes Sud-Errance, 2012, 248 p.

10L’auteur aurait sans doute dû accorder une place plus conséquente aux stratégies financières développées dans le secteur agricole. De nombreuses firmes s’établissent désormais sur des terres supposées vacantes pour produire de nouveaux biens. L’ouvrage récent de Gérard Chouquer intitulé Terres porteuses. Entre faim de terres et appétit d’espace fournira un utile complément à ceux qui veulent en savoir plus sur cette question1.

11Par ailleurs, Walden Bello a sans doute exagéré les résultats des politiques de développement agricole dans l’Afrique postcoloniale. Si des essais ont été soutenus, comme au Sénégal ou en Côte d’Ivoire, le plus souvent, le secteur primaire a été mis à contribution pour alimenter les exportations nationales via les plantations.

12Sur le fond toutefois, le lecteur note une fois de plus combien l’ajustement structurel tel qu’il a été pratiqué a amplifié les difficultés de nombre d’États en désorganisant les sociétés et la production primaire. Cela devrait tout de même conduire les grandes organisations mondiales à réfléchir moins théoriquement aux voies du développement et à être plus pragmatiques en considérant les populations non comme un bout de la chaîne mais comme un élément central des politiques.

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Notes

1 Paris, Actes Sud-Errance, 2012, 248 p.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Fabien Gaveau, « Walden Bello, La fabrique de la famine. Les paysans face à la mondialisation »Études rurales [En ligne], 191 | 2013, mis en ligne le 12 juillet 2015, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/9866 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.9866

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Auteur

Fabien Gaveau

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