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Comptes rendus

Silvia Pérez-Vitoria, La riposte des paysans. Essai

Arles, Actes Sud, 2010, 292 p.
Fabien Gaveau

Texte intégral

Silvia Pérez-Vitoria, La riposte des paysans. Essai. Arles, Actes Sud, 2010, 292 p.

1Prolongeant la réflexion qu'elle a ouverte avec Les paysans sont de retour, ouvrage publié en 2005 chez le même éditeur, l'auteure, économiste et sociologue, commence par exposer les impostures de l'agriculture industrielle avant de présenter les caractères de l'agriculture paysanne et les formes de sa résistance face à l'agrobusiness. D'emblée, le propos est militant.

2L'agriculture productiviste alimente une forte critique, désormais classique, mais elle est ici présentée sous l'angle des atteintes à l'environnement et aux sociétés rurales traditionnelles. Encouragée par les politiques publiques, dominée par quelques grands groupes industriels, portée par la mécanisation et la chimie, cette agriculture pense la nature comme un simple facteur de production. Silvia Pérez-Vitoria note toutefois que cette agriculture n'est pas parvenue à régler le problème que constitue la faim, et ce malgré la libéralisation des marchés agricoles à l'échelle mondiale.

3Conscients de ces critiques, les partisans de l'agrobusiness prônent, depuis le début des années 1990, ce qu'ils appellent une « agriculture raisonnée ». De son côté, la FAO milite pour une « révolution doublement verte » qui inscrirait la modernisation agricole dans le développement durable. L'agriculture biologique elle-même devient un enjeu de marketing. De nombreuses régions agricoles des pays du Sud ont ainsi été intégrées dans des rouages commerciaux prétendument équitables mais qui, dans la réalité, ne sont organisés que par et pour les marchés des pays riches.

4Pourtant, très diverses, les agricultures paysannes continuent d'exister. Fondées sur l'exploitation maximale de toutes les ressources d'un espace, elles sont caractérisées par l'importance d'un travail familial très varié, auquel concourt souvent une véritable entraide de voisinage. L'autosuffisance est la première des priorités, et le surplus, s'il en est, finira sur le marché local.

5La « rationalité écologique » l'emporte ici sur la « rationalité économique ». Disant cela, Silvia Pérez-Vitoria souligne que les paysans s'inscrivent dans les potentialités d'un milieu dont les cycles sont préservés au mieux. D'ailleurs, très souvent, ils ne conçoivent pas la terre comme un capital susceptible d'appropriation. Dotée d'une fonction sociale, symbolique et religieuse, la terre est un bien commun qui porte les usages indispensables à la vie quotidienne.

6Cette petite paysannerie est parfois très dynamique. En Bolivie, elle s'est mobilisée en faveur d'Evo Morales, qui, en retour, s'en est fait le défenseur. Loin de disparaître, comme le pensaient Henri Mendras ou Bertrand Hervieu, les paysans de la planète font preuve d'une grande vitalité pour conserver leurs modes de vie et leurs savoirs, et dans des pays autres que les pays en voie de développement. Thème que l'auteure développe largement dans la troisième partie de son ouvrage.

7Partout, des mouvements paysans se sont structurés pour s'élever contre les leaders de l'agrobusiness et leurs soutiens politiques. De leur côté, ces derniers dénoncent les archaïsmes paysans au nom d'un « progrès » qui ne saurait être interrogé. Finalement, au cœur des affrontements se trouvent deux façons radicalement différentes de penser les relations des sociétés avec le monde. Ainsi, lutter contre « le brevetage du vivant » revient à contester l'appropriation, par quelques groupes, d'un patrimoine naturel mondial que nul ne devrait pouvoir confisquer.

8L'occupation de terres, l'arrachage de plants OGM, la destruction de produits dangereux ou les grandes manifestations semblent légitimes pour défendre ce que les paysans estiment être leurs droits. Face à eux, les États invoquent des traités internationaux conclus au nom de ressortissants qui, en réalité, n'ont jamais été consultés. Parfois même, afin d'étouffer toute rébellion, des leaders paysans ont été physiquement éliminés.

9Solidement argumentée, cette publication participe du débat sur le devenir des agricultures mondiales. Les développements traitant de l'usage qui est fait de la terre et de la nature sont stimulants. Rares, en effet, sont les ouvrages qui insistent sur le fait que la propriété privée n'est pas un invariant anthropologique mais une construction culturelle en grande partie issue de traditions juridiques européennes.

10L'auteure, certes, exagère certains phénomènes, comme la responsabilité de l'agriculture industrielle dans l'urbanisation mondiale et l'incapacité de l'agrobusiness à nourrir la planète. Ainsi, la persistance de la malnutrition doit moins à la Révolution verte qu'à la désorganisation des rouages commerciaux et aux désordres politiques. La libéralisation des marchés agricoles est-elle en soi préjudiciable ou serait-il plus juste d'incriminer les formes que prend cette libéralisation ?

11De même, la question se résume-t-elle au choc entre une agriculture productiviste responsable de tous les maux et une agriculture paysanne parée de toutes les vertus ? En effet, derrière les propos de l'auteure se lisent des idées très anciennes et qui, par certains aspects, rappellent l'idéal que l'aristocrate athénien, Xénophon, proposait au ive siècle avant notre ère dans L'Économique. Il décrivait un couple dont le premier impératif était de pourvoir à ses propres besoins. Dans un tout autre contexte, l'idéal d'autoconsommation, qui caractérise les exploitants sous la Troisième République, repose sur la valorisation de la cellule familiale contre le marché. Cet idéal pourrait-il permettre de résoudre le problème de la faim dans un monde de plus en plus urbanisé ? Les petits producteurs sont-ils en mesure de construire une agriculture qui puisse nourrir la planète ?

12En effet, Silvia Pérez-Vitoria ne tient pas compte des changements d'échelle et de contexte qui affectent la planète. Il s'agit de satisfaire les besoins de plus de 6,5 milliards d'êtres humains, dont la moitié ne produit plus aucun bien alimentaire et n'a plus aucun rapport avec la terre. En outre, des milliards d'habitants aspirent à autre chose qu'à une vie de labeur dans les champs. Certaines puissances émergentes entendent d'ailleurs promouvoir les industries et les services, et réduire leur secteur agricole. Alors, quel avenir attend une paysannerie passablement transformée depuis les années 1960 ?

13Cet essai est réussi parce qu'il touche le lecteur en proposant un regard argumenté sur une question dont on mesure l'importance et parce qu'il invite au débat. Puisse-t-il faire écho.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Fabien Gaveau, « Silvia Pérez-Vitoria, La riposte des paysans. Essai »Études rurales [En ligne], 187 | 2011, mis en ligne le 01 janvier 2011, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/9463 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.9463

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Auteur

Fabien Gaveau

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