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Le nouveau commerce triangulaire mondial. Ou les analogies du foncier contemporain

Gérard Chouquer
p. 95-130

Résumés

Résumé
Les situations foncières contemporaines, qui prennent souvent la forme d'appropriations massives internationales, sont en pleine mutation. Elles sont peu étudiées : on ne s'est pas suffisamment intéressé aux formes très diverses de la domanialité. Parallèlement aux négociations et acquisitions de terres à grande échelle et à la sanctuarisation d'espaces protégés émerge l'utopie d'un monde dans lequel les relations seraient entièrement fiduciarisées. Dans cette utopie, un contrat global lierait ceux qui ont des besoins alimentaires, ceux qui ont des potentialités (des terres à exploiter ou des milieux à protéger) et ceux qui ont le pouvoir ou la fonction de financer ou de garantir. Il s'agit là d'un nouveau commerce triangulaire mondial, qui reposerait sur la délocalisation des fonctions et prendrait des formes analogues à celles du trust, de l'oisiveté ou de la vacance des terres. L'auteur analyse cette relation, évoque les alternatives et conclut qu'il faut travailler à récuser le mythe des terres vacantes qui fonde cette vision.

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Texte intégral

1LA TERRE A TOUJOURS FAIT L'OBJET de convoitises et d'appropriations. Mais il semble que ce qui se produit depuis quelques années, à savoir un accroissement de la pression commerciale sur les terres de nombreux pays considérés comme vides d'occupation, soit un phénomène assez récent, dont on a pris conscience de façon brutale en 2008-2009. Au cours de ces deux années, la crise alimentaire mondiale s'est conjuguée à la crise financière, posant de façon très aiguë le problème de la sécurité alimentaire. Dans le même temps, des négociations concernant des superficies considérables de terres ont été médiatisées, et, bien que le phénomène ne soit, là encore, pas récent, il est apparu comme tel. Depuis, les conséquences politiques n'ont cessé de se multiplier – dont la très emblématique crise malgache –, provoquant une mobilisation sans précédent.

2Qu'est-ce qui est en jeu ? S'il y a de telles négociations autour des terres et du foncier, c'est principalement en raison du problème que constitue la sécurité alimentaire pour les pays à très forte population mais disposant de réserves financières importantes (Chine, Corée du Sud, Inde), et pour les pays qui, dépourvus de terres agricoles, doivent presque tout importer, tout en disposant, eux aussi, d'avoirs financiers considérables (Arabie Saoudite).

3Comment procéder ? En louant des terres dans d'autres pays. L'insécurité alimentaire contribue à la hausse des prix agricoles et conduit les responsables de la FAO et de la Banque mondiale à lancer de plus en plus de signaux d'alerte. Ce qui motive également la pression exercée sur les terres, c'est le souci de la sécurité énergétique et de la production de biocarburants. On développe des projets agro-industriels réellement ambitieux autour de l'huile de palme, du jatropha, de la canne à sucre, etc. Des pays comme le Brésil, le Liberia ou l'Indonésie, pour ne citer qu'eux, font l'objet d'investissements considérables portant sur des superficies de plusieurs centaines de milliers d'hectares.

4Cette politique d'acquisition de terres se répercute de façon concrète, à commencer par la vie des populations locales, qu'on oublie assez régulièrement de consulter. Celles-ci font valoir leurs droits, reçoivent le soutien de militants actifs et peuvent, ici ou là, limiter voire inverser les processus. Mais comment, face aux pressions commerciales, appliquer les nouveaux principes qui apparaissent dans le droit international, et dans certains droits nationaux, au sujet des peuples autochtones et des communautés locales ? À cette pression s'ajoute, et aux antipodes, une autre forme de pression : celle des défenseurs de la forêt et de l'environnement qui luttent contre l'extension des fronts pionniers et des formes spéculatives.

5Cet article tente de dégager les aspects nouveaux qui sont apparus à côté de situations commerciales et financières plus classiques. Ce qui domine, et ce de façon assez générale, c'est la perte du lien géographique. Certains investissements directs étrangers adoptent des formes fondées sur la délocalisation et même sur la « dys-localisation » complète. J'emploie le terme « dys-localisation » au sens de « dysfonctionnement de la localisation », c'est-à-dire quelque chose qui n'est pas logique eu égard à la géographie sociale et écologique, et à ses contraintes. Effectuer sur des terres étrangères les récoltes dont a besoin un pays fortement peuplé ou dépourvu de terres, et le faire via un montage qui implique de dissocier les gouvernements et les populations des pays hôtes, est une idée véritablement nouvelle par les conséquences foncières qu'elle induit. Ce qui est troublant, c'est que, même dans le montage de projets opposés quant à leur objectif – comme le projet Yasuni-ITT, où il s'agit de protéger un espace amazonien et de renoncer à une exploitation pétrolière –, on voit se mettre en place un même type de schéma délocalisé et fiduciaire, le foncier devenant alors un élément placé sous garantie internationale. La mondialisation prend ainsi des formes agéographiques, qui ne sont pas sans soulever quelques interrogations. En effet, que l'on soit investisseur ou défenseur de l'environnement, on met en œuvre un montage qui conduit chacun à participer au contrôle et au destin d'un espace local dont on ignore à peu près tout et où on ne se rendra probablement jamais.

6Pour représenter ce schéma émergent, je me suis servi de la figure du triangle, ayant observé que ses formes empruntaient à une gamme déjà existante d'analogies, qu'il s'agisse d'imaginer les montages (le trust fund en est un exemple) ou de développer des rhétoriques (comme celle sur l'oisiveté et la vacance des terres). Il convient donc de rechercher des analogies grâce auxquelles on peut appréhender ce qui est en train de se passer. La théorie des charter cities offre une base utopique et conceptuelle permettant de rendre compte de la trilogie « source-hôte-garant ». Elle fournit les termes d'un paradigme qu'après analyse on peut qualifier de « néocolonial ».

7Avec cette fiduciarisation des relations, ne se dirige-t-on pas vers une forme de déresponsabilisation de fait, due aux effets de la délocalisation ? Lorsqu'on fait supporter ses propres récoltes à un pays d'un autre continent, on n'a pas de conséquences sociales et environnementales à gérer. Certains l'acceptent, et il serait dramatique que ce soit précisément ce qui l'emporte à l'avenir. Ainsi, lorsqu'on se porte garant de la protection de l'espace équatorien et même lorsque cette protection est financée par des gouvernements étrangers ou des ONG internationales, on considère que certaines questions ne sont plus du ressort des habitants et des pays souverains mais bel et bien du ressort mondial. Qu'on « accapare » pour investir ou qu'on « sanctuarise » pour protéger, cela revient à décider que certaines formes juridiques d'appropriation doivent être transférées à des niveaux plus globaux. En outre, on ne pourrait pas aussi aisément mener à bien de tels projet si la terre était subdivisée en une multitude de propriétés privées, garanties par un titre ou un certificat et soigneusement enregistrées. La souveraineté foncière, si tant est que ce concept existe réellement, est vraiment mise à mal.

8Cet article énonce quelques-uns des éléments qui pourraient contribuer à faire émerger le paradigme du foncier contemporain : la délocalisation de plus en plus poussée du rapport à la terre dans une forme agéographique et asociale du rapport foncier ; l'importance et le renouvellement du concept de « domanialité », lequel permet les négociations en bloc et les jeux de pouvoir ; la contradiction profonde entre les différents intervenants puisque les investisseurs agissent pour résoudre un problème bien réel de sécurité alimentaire ou énergétique mais sont, ce faisant, à l'origine de troubles aux conséquences encore incalculables ; enfin, la réévaluation et le nécessaire déplacement de l'analyse vers des formes jusqu'ici dédaignées ou insuffisamment développées, à savoir le réel, le géographique (au sens cartographique et morphologique du terme et non au sens géopolitique), l'individuel, le local.

9Dans ces conditions, les débats récents ou actuels semblent encore trop occupés à liquider des situations issues du passé colonial et postcolonial. On a, certes, eu raison de souligner combien la conception exclusive et européenne de la propriété privée avait été à contre-emploi dans le reste du monde. On a eu raison aussi de dénoncer l'usage des divisions géométriques et des formes cadastrales correspondantes lorsqu'il s'agissait, au xixe et au xxe siècle, de s'approprier des espaces coloniaux. Mais, aujourd'hui, la reproduction de ces débats retarde l'analyse de ce qui est en train de se produire et qui n'est pas la reproduction à l'identique des situations coloniales. Ainsi, sur le plan juridique, le bon combat n'est plus de contester la propriété privée exclusive puisque le concept lui-même a évolué face au nombre des restrictions de droit public : c'est désormais d'analyser l'usage que l'on fait aujourd'hui de la domanialité. Sur le plan géographique, le bon combat c'est moins de théoriser l'espace que de rénover la pratique de l'observation et l'analyse des formes, seules à même de cartographier des espaces qu'on dit vacants et qui ne le sont pas.

La domanialité aujourd'hui ? Le chapitre manquant

Au-delà de la domanialité publique classique...

10Le domaine public, dans l'acception la plus courante du terme, c'est le régime des biens qui appartiennent aux personnes publiques. Selon cette stricte définition, il s'agit là d'un grand « progrès » dans la mesure où cela signifie que les États créent des conditions économiques et sociales permettant de mettre en place des services destinés à tous. Or, ce n'est pas exactement ce qui se produit, ou s'est produit il n'y a pas si longtemps dans de nombreux pays du Sud. La notion de domanialité a, en effet, fait l'objet de constructions sociales et juridiques très diverses et très différentes de celles du domaine public : ces constructions vont davantage dans le sens de la souveraineté et du pouvoir au profit des possédants, comme si, du dominium, on retenait surtout l'affirmation du pouvoir que ce concept inclut. Il en ressort que, par sa fonction collectrice, la notion de domanialité est un piège car on peut y rencontrer des définitions des plus contradictoires si on ne soumet pas le concept à l'analyse des significations qu'il renferme.

11Ce texte n'est pas le lieu d'une chronique historique. Retenons simplement que, dans le passé des pays d'Europe et dans leurs anciennes colonies, la domanialité a revêtu diverses formes en fonction de la nature des droits que détenait l'autorité publique : le domaine public des Romains était typiquement colonial ; le dominium privé du droit civil romain typiquement communautaire ; la domanialité médiévale était seigneuriale ; la domanialité est devenue coloniale à partir des grandes découvertes. Toutes ces formes n'avaient rien à voir avec ce que, dans les démocraties occidentales, on appelle aujourd'hui « domaine public ». Or, la dynamique de cette typologie historique, bien que particulièrement étudiée dans ses nombreux aspects, n'est pas encore un fil conducteur de l'histoire du foncier. Cela ôte au paradigme foncier un élément axial de son propre récit et rend plus difficile la compréhension de ce qui se passe dans différentes parties du monde, notamment en Afrique, où l'on voit émerger de nouveaux emplois de la notion de domanialité, qui rendent une clarification plus nécessaire encore.

  • 1 Comme me l'a fait remarquer André Teyssier, que je remercie de cette annotation, la plupart des tex (...)
  • 2 Parmi les auteurs qui ont récemment attiré l'attention sur la signification de cette conception dom (...)

12Bien entendu, dans de nombreux États, y compris africains, il existe un « domaine public » tel que l'entendent les démocraties occidentales. Mais les États d'Afrique 1 ne semblent pas se satisfaire de la typologie classique entre « domaine public », « domaine privé de l'État et des collectivités publiques », et « domaine privé des particuliers ». Ils ont en effet inventé de nouveaux concepts domaniaux 2 . C'est le cas notamment de la notion de « domaine national ».

... La notion de domaine foncier national

13L'apparition, dès le milieu des années 1960, de la notion de « domaine national » ou de « domaine foncier national » dans de nombreuses législations africaines est une innovation majeure, certes, mais non homogène. Le domaine national est l'expression d'un monopole foncier de l'État, ou, mieux, de la Nation, détentrice de toutes les terres ou d'une partie des terres.

14En général, le domaine national s'accompagne d'un régime de concessions ou de droits d'usage destinés à organiser la mise à disposition des terres, au profit notamment de particuliers qui pourront ainsi les utiliser à leur gré et les exploiter pour leur propre compte.

15On distingue deux cas de figure.

16Certains pays ont opté pour la domanialité globale des terres. En comparant divers États nous pouvons constater toute l'ambiguïté du concept de « domaine national ». En Guinée Bissau, la terre est « propriété de l'État et patrimoine commun de tout le peuple ». Pour permettre la réalisation des activités productives et sociales sur la terre, l'État peut accorder aux particuliers des droits d'usage privatifs, notamment via l'usage commun ou la concession. Au Mali, le Code domanial et foncier de 2000 stipule que le domaine national inclut la totalité des terres, c'est à-dire les domaines public et privé de l'État, les domaines public et privé des collectivités territoriales, et le patrimoine foncier des personnes, physiques et morales. Comme au Mali, au Mozambique le domaine national, exprimé à travers le Fundo estatal de terras, constitue une catégorie plus large que celle du domaine public (domínio público). Il ne faut donc pas confondre : il existe une domanialité globale et constitutionnelle clairement revendiquée, et, au sein de cette domanialité étatique globale, un domaine public qui, lui, n'est pas fondamentalement différent de celui qui existe dans de nombreux autres pays du monde.

17Mais, dans un certain nombre d'autres pays, un « domaine foncier national » ou « domaine national » a la particularité de ne pas concerner la totalité des terres du pays et de ne pas se confondre avec les domaines public ou privé de l'État. Constitué de terres non immatriculées et, de ce fait, présumées vacantes et sans maître, ce domaine national ou « monopole foncier partiel de l'État » existe au Sénégal, au Togo, au Cameroun, au Gabon, entre autres. Reprenant des principes de gestion foncière coutumière, il vise à constituer des sortes de réserves foncières nationales en intégrant, dans un domaine national destiné à de grandes opérations de développement rural, des terres coutumières inexploitées ou que l'État juge insuffisamment mises en valeur. La notion de « mise en valeur » doit être soulignée car c'est elle qui permet de passer du « domanial » au « privé ». Sauf que l'on n'a jamais très bien su où était la frontière entre ce qui est mis en valeur et ce qui ne l'est pas (situation des pâturages, des agroforêts, et de tout ce qui ressemble à des formes mixtes d'exploitation agricole entrant difficilement dans les typologies géographiques et agronomiques habituelles).

18Au Sénégal, premier pays ouest-africain à avoir introduit ce concept dans la loi de 1964, ce domaine national inclut de plein droit « toutes les terres non classées dans le domaine public, non immatriculées ou dont la propriété n'a pas été inscrite à la Conservation des hypothèques... » au moment où la loi est entrée en vigueur. Le domaine national sénégalais comprend donc les terres anciennement détenues par les populations locales en vertu des principes coutumiers et que l'État détient désormais au nom de la nation en vue d'« assurer leur utilisation et leur mise en valeur rationnelles conformément aux plans de développement ». Au Togo, le domaine national comprend toutes les terres autres que les terres appropriées par les particuliers, et comprend aussi celles qui entrent dans les domaines public et privé de l'État. Concrètement, le domaine national est envisagé comme une catégorie résiduelle constituée de fait par les terres relevant anciennement de la coutume (terres non immatriculées de l'État ou des particuliers).

19L'utilisation du terme « domaine » pour qualifier toutes ces situations nous place devant un terme collecteur et nous conduit à nous interroger sur les non-dits qui se cachent derrière le concept de « monopole foncier de l'État ». D'ailleurs, Hubert Ouedraogo écrit :

Sortis des indépendances avec des rêves d'un décollage du développement économique fondé sur l'agriculture, les États de la sous-région [ouest-africaine] ont préféré avoir entre leurs mains les cartes foncières, afin d'opérer une redistribution aux acteurs jugés capables d'entreprendre l'exploitation agricole avec des méthodes modernes de production [2009].

Au cœur du concept, la fiction des terres vacantes

20À l'origine du concept, la domanialité était unilatérale en ce sens qu'avec la notion de « terres vacantes » le pouvoir avait seul le droit de décider de leur sort. Le constat de la vacance et l'intégration dans le domaine national permettait d'éviter les très contraignantes procédures d'expropriation pour cause d'utilité publique. Bien entendu, ce sont là des séquelles des processus coloniaux : le raisonnement se fonde sur le régime colonial de l'immatriculation, source de la légalité foncière. Tout se passe comme si l'ancien pouvoir colonial avait réglé le statut des terres ordinairement occupées, les autres étant considérées comme libres et vacantes. Il est dit que si les populations qui exercent des droits coutumiers pouvaient présenter des titres, les choses seraient différentes. Mais puisqu'elles ne le peuvent pas – l'immatriculation lancée à l'époque coloniale ayant été un échec sévère – les gouvernements peuvent, par défaut, appliquer le raisonnement suivant, à savoir que toute terre non immatriculée appartient à l'État. Cependant, la reconnaissance des droits coutumiers commence à faire son chemin dans divers pays.

21La constatation du vide, réel ou supposé, est l'argument qui aboutit à l'appropriation sous la forme de la domanialité nationale. La domanialité est un statut attribué à des terres qu'on observe ou se contente de croire inoccupées. Il y a donc présomption de domanialité parce qu'il y a, d'abord, une sorte de présomption de vacuité, qui repose assez souvent sur une manipulation du réel géographique et social. L'emploi de la notion de domaine ou de domanialité s'avère donc très délicat.

  • 3 Il est intéressant d'écouter son intervention du 13 octobre 2009 intitulée « Le droit international (...)

22Doit-on en rester là ? Dire qu'on se trouve en présence de séquelles postcoloniales ne suffit pas. On peut se demander si l'émergence d'une espèce de domanialité à étages dans les pays d'Afrique n'a pas signifié la recherche, tâtonnante, d'une façon de créer la souveraineté et de la maintenir entre la mondialisation et la localisation. Les États actuels – dont les institutions démocratiques sont en cours de constitution et non encore stabilisées – doivent répondre à cette question particulièrement sensible, au moment précis où les pays jadis dominateurs donnent l'image de pays dont l'évolution tend vers un peu moins d'État, ou vers un État d'une autre forme et avec d'autres institutions. Il est donc très probable que la domanialité, dans la gamme des emplois qu'on vient de rappeler et malgré les diverses origines du phénomène (liées tant à l'histoire coloniale qu'à des épisodes « socialistes » dans tel ou tel pays, ou à des projets de réforme agraire, comme en Amérique latine), constitue pour eux l'invention d'une façon de penser une carte du monde où l'Afrique, l'Amérique latine et une grande partie de l'Asie seraient, cette fois, au centre de la projection [Santos 2004]. On peut, sur le plan de l'histoire et des principes, estimer que cette réponse est maladroite et que les gouvernements seront, ici ou là, tentés, dans la contradiction la plus absolue, par des pratiques inconciliables avec cette affirmation, comme on va le voir avec Madagascar. Ce point est incontestable et on peut adhérer au constat que fait Monique Chemillier-Gendreau lorsqu'elle explique que la souveraineté n'est malheureusement pas un bon outil juridique pour les États faibles 3 .

23C'est néanmoins une réponse que l'on peut apporter au risque de mainmise. Dans les États africains le nationalisme est latent et il sert tant à légitimer des choix domaniaux spécifiques qu'à récuser – cette fois de la part des opposants aux projets – les tentatives de manipulation de la terre. À Madagascar, par exemple, les opposants aux projets Daewoo et Varun ont estimé que l'État bradait le patrimoine et brisait un tabou en cédant le tanindrazana (ou terre des ancêtres) aux étrangers.

Manipulations du concept

24Cet exemple récent a prouvé que la conception domaniale de la souveraineté politique, en confondant le pouvoir et la base foncière de la richesse nationale, pouvait déboucher sur des ambiguïtés et des crises.

25On se souvient de la déclaration du président Ravalomanana à la conférence de Durban en 2003. Il entendait qu'à Madagascar la surface des aires protégées passe de 1,7 million d'hectares à 6 millions en cinq ans. L'objectif, bien qu'irréaliste [Carrière-Buchsenschutz 2006], était vertueux. C'est ce même président qui a envisagé, quelques années plus tard, de céder aux entreprises Daewoo et Varun des surfaces considérables, ce qui a aggravé la crise politique et a fini par provoquer sa chute. Pourtant, c'est le gouvernement Ravalomanana qui avait lancé une réforme foncière basée sur la décentralisation des compétences en matière de gestion des terres, de façon à permettre une reconnaissance massive des droits des occupants des « propriétés privées non titrées », soit un grand pourcentage de l'espace malgache. Les terrains repérés par Daewoo Logistics avec l'aide de l'administration malgache recouvraient en partie des espaces relevant de « propriétés privés non titrées » en passe d'être certifiées par des « guichets fonciers communaux », institutions souples mises en place pour assurer la sécurisation foncière locale sans passer par de lourdes procédures d'immatriculation ou de délivrance de titres.

  • 4 André Teyssier me fait observer qu'avec les diverses tentatives de « recentralisation » de la polit (...)

26On doit, bien entendu, relever la contradiction flagrante qui existe entre les trois projets, le premier cherchant à sanctuariser des surfaces immenses, le deuxième à développer l'agro-industrie en mettant sur le marché foncier des superficies considérables, le troisième cherchant à sécuriser le foncier par le biais des guichets communaux. Il faut cependant préciser un point : les deux premières décisions, au-delà des contradictions entre leurs objectifs et l'objectif de la troisième, montrent combien les gouvernants considèrent la terre malgache comme un espace domanial dont ils peuvent librement disposer. Et ces gouvernements ont autant de contradictions à gérer que n'importe quel autre gouvernement. On peut se demander pourquoi le pouvoir malgache n'a pas fait pleinement confiance à la politique foncière que, par ailleurs, il mettait en œuvre 4 .

Ne pas se tromper d'argumentation

27À propos des « terres convoitées de l'Afrique », l'hebdomadaire Politis du 17 janvier 2011 publie ces lignes de Patrick Piro :

Les États concessionnaires, qui s'octroient la maîtrise des transactions, profitent des failles législatives quand ils ne les créent pas. En général, il s'agit d'opposer un droit « moderne », fondé sur des titres de propriété forgés pour la circonstance, à des communautés paysannes qui se réfèrent souvent à un droit collectif non écrit.

28Cette présentation, en laissant entendre que l'adoption du droit moderne de la propriété privée serait la cause du problème, pose mal l'argumentation. Pour les États concessionnaires, il s'agit au contraire d'exploiter une théorie coloniale de la domanialité qui refuse aux habitants des titres « modernes », permettant à ces États de disposer d'une base légale et de passer outre les populations locales. Je crois que le fait de continuer à envisager la question juridique comme si ce phénomène s'expliquait par le recours à un droit écrit de la propriété qui viendrait s'opposer à un droit coutumier et collectif est insuffisant et peut même devenir une véritable erreur.

29Si les États avaient face à eux des populations dont les droits collectifs et individuels étaient mieux établis et mieux certifiés, ils ne pourraient pas aussi facilement agir à la place des occupants et s'appuyer sur le discours incriminant la vacuité. Les États ou entreprises concessionnaires devraient alors négocier avec des milliers voire des dizaines de milliers de propriétaires, ce qui les obligerait à prendre en compte la complexité des situations locales. Cela relocaliserait les projets en imposant la réalité de la relation foncière dans sa double dimension, sociale et géographique.

  • 5 Voir Un Droit inviolable et sacré : la propriété. Paris, Éditions ADEF, 1991, 362 p.

30Il est d'ailleurs temps de rappeler que la perception du droit de propriété a changé 5 . Comme, depuis peu, la communauté intellectuelle s'est lancée dans la critique de notions et d'objets considérés comme allant de soi, ceux-ci sont devenus plus que délicats à manier. Cette critique a pris la forme d'une « archéologie » des bases juridiques de la notion de propriété afin de contester la qualité des édifices élaborés par la modernité. Aussi, que reste-t-il de la propriété privée la plus absolue ? Plus grand-chose vu le nombre croissant des restrictions de droit public.

31Les contradictions entre les pays européens et leurs espaces coloniaux sont également plus apparentes. On sait désormais jusqu'où les puissances coloniales, française et anglaise en particulier, ont appliqué dans les colonies ce qu'elles n'auraient jamais toléré sur leur propre territoire. Dans des pays comme la France et l'Angleterre, la propriété se fabrique « par le bas », pour reprendre la très claire et très utile image de Joseph Comby [1995], c'est-à-dire qu'elle est ce dont les parties privées conviennent, et devant notaire. L'État central a, tout au plus, organisé un enregistrement des hypothèques, mais en aucun cas il n'y a eu de délivrance de titre par un service central (sauf, pour des raisons historiques, en Alsace et dans une partie de la Lorraine, où a été imposé le livre foncier d'origine germanique). Pour compléter ce rappel, ajoutons que le cadastre, en France, n'a pas valeur de titre de propriété, contrairement aux idées reçues.

  • 6 Je me demande d'ailleurs si cette présentation n'est pas elle-même à revoir. Ne devrait-on pas dire (...)

32Pour gérer leurs colonies, ces États européens ont eu recours au principe de fabrication du titre foncier « par le haut », avec la procédure dite de l'immatriculation (qu'on résume souvent en se référant au système de Torrens). On sait que cette procédure a été un échec puisque, après un demi-siècle ou plus de colonisation, le pourcentage des terres immatriculées est dérisoire 6 .

33Il faut donc insister sur le fait que les métropoles ont employé dans leurs colonies d'Afrique ou d'Asie des modes d'inscription qui n'existaient pas chez elles. La contradiction ne doit pas dissimuler la logique de l'époque. Si, dans les pays coloniaux, ce qui prévalait c'était la perception d'impôts, dans les colonies, il fallait, afin de pouvoir mettre en œuvre les programmes de développement, trouver des moyens juridiquement acceptables aux yeux de la communauté internationale pour échapper à d'éventuelles revendications de droits. La contradiction demeure et on ne peut que s'étonner de voir que des nations « neuves », indépendantes, avec parfois une expérience « socialiste », maintiennent ces réglementations fondamentales imposées par ce colonisateur tant honni...

  • 7 J'emprunte cette notion d'« expropriations massives de terres » à l'article de Sam Moyo [2010].

34Les États colonisateurs (France, Angleterre, Belgique, etc.) sont donc revenus à une théorie domaniale et seigneuriale de l'Ancien Régime, selon laquelle le pouvoir est maître des terres. C'est déjà sur l'argument des « terres vacantes et sans maître » que tout s'était joué. Cependant, comme l'histoire et les traditions foncières ne sont pas les mêmes d'un pays à l'autre, il convient de sérieusement nuancer le propos. En quelques mots : avant les appropriations massives de terres, les pouvoirs coloniaux ont pratiqué les expropriations massives de terres 7 .

Foncier et rapport d'analogies

35Avant de publier une carte sur un sujet sensible, il convient de réfléchir longuement à sa fonction, à son orientation (métaphorique), et à l'usage qui en sera fait.

Cartographier le foncier

36Alors, comment cartographier le foncier ? Je propose de partir d'une carte intéressante dessinée par Stig Enemark (figure 1 p. 113), de réfléchir à ce qu'elle nous apprend, puis de penser une autre projection du foncier.

  • 8 Il faut en effet distinguer ce que l'on confond aisément : le régime juridique de l'appropriation d (...)

37Sa carte portant sur les systèmes d'enregistrement de la terre, il ne faut pas la lire comme une carte des familles de droit 8 . En jaune, l'auteur représente les systèmes fondés sur l'enregistrement notarial de la propriété : ces systèmes ont cours dans les pays latins qui adoptent le droit civil et ont cours aussi aux États-Unis. En rouge, Stig Enemark représente les pays qui ont adopté la propriété selon le droit anglais et qui ont, dans les colonies, développé le système Torrens. Enfin, en bleu, il représente les pays qui ont adopté le droit germanique fondé sur le livre foncier.

38Un coup d'œil suffit : l'auteur ne peut pas faire autrement que de représenter la plus grande partie du monde hors de sa légende, c'est-à-dire en utilisant des diagonales pour représenter les systèmes qu'il nomme « mixtes ». À l'échelle mondiale, cette carte devient difficile, même impossible à réaliser dès lors qu'on souhaite représenter le monde dans toute sa pluralité. Ou alors il aurait fallu passer un temps considérable à établir et discuter la légende en la développant à l'extrême. Le tableau que propose la carte de Stig Enemark, est, de ce fait, voué à évoluer rapidement. En utilisant exclusivement un classement national (une seule couleur pour l'ensemble d'un pays), l'auteur s'expose à d'inévitables simplifications.

39Imaginons maintenant une carte des types de droit foncier où on tiendrait compte des réalités que l'on vient d'évoquer pour l'Afrique et pour d'autres parties du monde où s'imposent des conceptions originales de la domanialité (figure 2 p. 114). Imaginons qu'on y introduise aussi le droit musulman, les droits des communautés autochtones – dont on sait qu'ils sont désormais reconnus dans de nombreux pays [Deroche 2008] –, la propriété privée, les particularités orientales, etc. À coup sûr, la carte serait sensiblement différente.

40Il faut donc inventer des cartes à plusieurs systèmes de projections, – au sens métaphorique du terme, tel que l'utilise Boaventura de Sousa Santos [2004] – afin de publier des cartes avec plusieurs centres possibles, et qui ne réduisent pas les réalités à un seul et unique discours.

41Bien entendu, ma tentative n'est en rien plus universelle que celle de Stig Enemark [2010]. Mais, en restituant le chapitre majeur de la conception domaniale, je souhaite expliquer pourquoi dans la carte de Stig Enemark apparaissent principalement des formes mixtes. L'enregistrement n'est pas la bonne entrée typologique pour les très nombreux pays où l'on s'efforce de ne pas enregistrer les terres afin de pouvoir en disposer comme on l'entend.

Du monde comme un contrat néolibéral ?

  • 9 Cette dernière appellation vient de Bertrand Hervieu et François Purseigle et elle a été employée p (...)

42L'originalité de la période actuelle tient aux formes que prend la globalisation en matière de foncier. Les négociations et les projets d'investissement intercontinentaux (« appropriations à grande échelle », land grabs, « agriculture de firme » 9 ) sont d'assez bons exemples dans la mesure où certains projets ne sont pas seulement des projets agro-industriels et financiers à l'échelle mondiale mais sont également sous-tendus par une vision du monde sur laquelle il convient de s'interroger. Nous assistons, en effet, à l'émergence de nouvelles formes de spécialisation de localisation, qui sont, finalement, des visions du monde communautarisées et particularisées, en parfaite contradiction avec les formes mondialisées.

Les facettes du phénomène

  • 10 Pour étudier ce phénomène, outre les sites des ONG militantes souvent très riches (GRAIN, ILC, Agte (...)

43Avant de présenter ces tendances, caractérisons rapidement le phénomène 10 . D'après les chiffres de la Banque mondiale, l'expansion des terres réservées aux cultures agricoles n'est pas récente. Entre 1990 et 2005, la superficie mondiale des terres cultivées a augmenté de 2,7 millions d'hectares par an ; elle est d'environ 1,5 milliard d'hectares pour l'ensemble de la planète. La réduction des surfaces cultivées dans les pays industrialisés et dans les pays en transition (respectivement 0,9 et 2 millions d'hectares par an) a été largement compensée par un accroissement de 5,5 millions d'hectares par an dans les pays en voie de développement.

  • 11 Voir P. Lavigne-Delville [2010a et b]. Voir également le site du MCA-Bénin : http://www.mcabenin. b (...)

Qu'est-ce qu'un compact du MCC ?
On nomme ainsi le contenu du contrat que le Millenium Challenge Corporation (agence des États-Unis) passe avec un pays en développement retenu pour sa bonne gouvernance. L'objectif est de financer sa croissance économique. Il s'agit de préparer les conditions des investissements à venir en équipant le pays et en le stabilisant. Trois axes sont privilégiés : gouverner avec justice (ruling justly) ; investir dans le peuple (investing in people) ; promouvoir la liberté économique (promote economic freedom). Les politiques foncières (land rigths and access) font partie de l'axe « liberté économique » de chaque compact.
Le contrat donne naissance à un organisme national, le Millenium Challenge Account (MCA), chargé en principe d'élaborer la politique d'aide en collaboration avec le gouvernement du pays. À Madagascar et au Bénin, le foncier est un des axes forts de l'aide. Par exemple, le volet foncier du MCA-Bénin, signé en 2006, porte sur la transformation, en titres fonciers, de 30 000 permis d'habiter urbains et sur la réalisation de 300 plans fonciers ruraux concernant environ 83 000 certificats fonciers, destinés à devenir des titres fonciers pour une partie d'entre eux. Pour réaliser cette politique foncière, le MCA-Bénin peut se reposer sur le ministère compétent (MUHRFLEC), sur une entreprise américaine de garantie fiduciaire des patrimoines immobiliers (Steward) et sur des professionnels locaux, notaires et géomètres 111 .

44Cette expansion s'est concentrée sur l'Afrique subsaharienne, l'Amérique latine et l'Asie du Sud. Il est peu probable qu'on assiste à un ralentissement de ce processus.

45La liste des pays auxquels s'intéressent les investisseurs comprend des pays où la terre est supposée abondante et des pays où, parallèlement, la gouvernance foncière est supposée faible. Selon la presse, au cours de l'année 2009 les investisseurs se seraient intéressés à quelque 42 millions d'hectares, dont plus de 75 % (32 millions d'hectares) se situent en Afrique subsaharienne.

  • 12 À Madagascar, la crise due à l'instabilité politique et au caractère non démocratique du pays a mis (...)

46Dans les cas de Madagascar et du Bénin, le compact du MCC (voir encart ci-contre) a été proposé à des pays engagés dans une politique foncière originale, notamment une politique de reconnaissance des droits locaux et de sécurisation par le biais de procédés plus souples que l'immatriculation 12 . Il n'est donc pas toujours juste de prétendre que les investissements ne visent que des pays sans gouvernance foncière parce que ceux-ci feraient de meilleures cibles (targeted countries). Les investisseurs ont, au contraire, tout intérêt à investir dans des pays stables, là où leur intervention ne risque pas de donner naissance à une contestation potentiellement ruineuse. Toutefois, les prises de risques inconsidérées sont nombreuses.

47Les investissements peuvent viser quatre grands objectifs : créer des infrastructures sociales ; créer des emplois ; permettre aux producteurs locaux d'accéder aux marchés et aux technologies ; accroître les recettes fiscales, locales ou nationales. L'impact social de ces démarches dépend non seulement des montants alloués à la population mais aussi des différentes façons de les répartir.

48Toutefois, de nombreux observateurs s'inquiètent des risques associés aux investissements à grande échelle : une gouvernance foncière aléatoire ; une incapacité de compenser la perte des droits fonciers des communautés locales ; un manque de clarté dans les accords ; des investissements incompatibles avec la réalité locale ; des conflits pour l'accès aux ressources ; un accroissement des inégalités.

Les trois pôles

49Je souhaite ici attirer l'attention sur un aspect fondamental de cette expansion des terres, à savoir la rupture avec la cohérence géographique et la polarisation originale des fonctions, et souligner également que des argumentaires commencent à théoriser ce phénomène.

50Les affaires de Daewoo et de Varun à Madagascar [Andrianirina Ratsialonana et Teyssier 2010 ; Burnod et al. 2010 ; Teyssier et al. 2010] sont particulièrement révélatrices de ce concept émergent. Il s'agissait d'installer dans un pays ce que, jadis, on aurait appelé un comptoir ou une tête de pont et qu'on nomme aujourd'hui gateway city (ou cité-portail). À l'instar d'un terminal d'aéroport, ce point d'impact diffuserait, partout dans le pays, les principes et les pratiques profitables à l'économie mondialisée, mettant en relation « des terres sans hommes et des hommes sans terre », comme cela figurait jadis dans les programmes de colonisation de l'intérieur du Brésil.

51J'évoquerai plus loin le cas très différent du projet Yasuni et montrerai que le fait de privilégier la protection de l'environnement n'interdit pas de recourir à un schéma triangulaire du même type que celui qui s'applique au projet malgache.

  • 13 Cet aspect contractuel a été très bien souligné dans le document du Comité technique « Foncier et D (...)

52Le concept émergent est l'emploi d'un montage reposant sur une isomorphie d'origine juridique en ce qu'il a l'apparence d'un contrat passé entre trois parties, lesquelles ne sont pas à armes égales et ne sont, en outre, pas soumises à un « droit » qui les contraindrait 13 . La nouvelle conception de l'urbanisation et de l'investissement dans la terre repose en effet sur l'association de trois fonctions : la fonction « hôte » que constitue la terre vacante ; la fonction « source » que représentent la population et les actifs financiers là où ils sont concentrés ; et la fonction « garantie » de bonne application du contrat que prennent en charge les pays développés, et ce par le biais de diverses institutions, voire de financements et d'assurances.

53Or, ces fonctions, désormais pensées à l'échelle mondiale, s'appuient sur des disparités dans la répartition de la population mondiale et dans la répartition des richesses entre les pays. À partir d'une estimation de la densité de la population, que l'on visualise très bien sur la carte nocturne du monde (figure 3 p. 115) et où quantité de pays du Sud apparaissent en effet bien sombres, et à partir de la « vacance » des terres, on peut proposer un contrat « volontaire », garanti par un pays institutionnellement avancé et financièrement autonome, ce qui réduit à un petit nombre la liste des pays à même d'exercer cette fonction. Le MCC, par le biais de ses compacts, joue préventivement ce rôle de garant.

54Le schéma ne peut être mis en œuvre que si les gouvernements agissent au nom de leur population car il ne saurait être question, sur le terrain de la réalité foncière, de s'engager dans des négociations individuelles. La domanialité, dans sa version du Sud, a de beaux jours devant elle. Il faut donc cesser de n'y voir qu'une séquelle du passé colonial (ce qu'elle a été, bien entendu), pour y voir également une anticipation du monde de demain.

55Le concept de « charter cities » (voir encart p. 112) insiste sur le caractère volontaire de la démarche. Je le présente ici en raison de la typologie triangulaire qu'il établit entre les pays : host (hôte, fonction d'accueil), source (source, origine, réservoir de population) et guarantor (garant). Je ne porte aucun jugement quant aux réalisations éventuelles de ce projet. Mais la typologie est, elle, parfaitement explicite dans sa façon de séparer les fonctions selon un zonage géographique global. Dès lors, par analogie, je transpose directement ces notions aux négociations des terres à l'échelle mondiale et constate que ce schéma s'adapte (presque) parfaitement, même si les trois zones ne sont pas toujours géographiquement aussi distinctes et même si, dans ces négociations, il n'est pas question de déplacements de populations (figure 3 p. 115).

56Enfin, pour dire comment cette analogie m'est vraiment venue à l'esprit, j'ajoute que c'est à l'emploi du concept de « gateway city » dans l'exposé portant sur Madagascar que je dois d'avoir fait le lien entre la théorie utopique des charter cities et le phénomène des appropriations massives de terres. Sous la plume de André Teyssier et de ses collègues, on peut lire :

Les projets de Daewoo et de Varun ne sont que les parties immergées d'un modèle de développement particulièrement ambitieux. Ils s'inscrivent dans une vision plus large, inspirée de travaux d'économistes, qui privilégiait la création de « cités-portail » dans une aire extraterritoriale, administrées par une autorité internationale et supposées concentrer l'investissement étranger grâce à des régimes fiscaux et législatifs peu contraignants. À l'image de Hong-Kong, présenté (avec Dubaï...) comme un modèle, le développement d'une ville nouvelle au sein d'une zone internationale créée ex nihilo va entraîner une dynamique économique. Des projets d'agrobusiness seront initiés dans l'hinterland de ce pôle qui consommera et exportera la production agricole [2010 : 58].

57La conception triangulaire – source-hôte-garant –, si elle devait se généraliser à l'échelle du monde, ne pourrait évidemment pas respecter les volontés des habitants et, du contrat on passerait très vite au rapport de force, ce qui est en train de se produire dans nombre de cas. Comment, en effet, concilier une conception pensée à l'échelle planétaire et en fonction des besoins de pays riches et/ou peuplés avec la réalité des situations locales et de leurs aspirations ? En outre, une pensée mondialisée éteint inexorablement les perspectives écouménales et écologiques [Berque 2000], car, en séparant géographiquement les logiques de sujet (comme les contraintes des terres dites vacantes et qui ne le sont pas) et les logiques de prédicat (la dynamique des sources et des garants), on dilue les responsabilités. En restant dans son propre pays, la population bénéficiaire de l'appropriation est dégagée de la responsabilité et de la gestion de lieux, sur lesquels elle pèse pourtant lourdement. La population locale, en revanche, ne peut s'y soustraire et n'a pas les moyens de les maîtriser. Elle subit les contraintes d'un lieu dont elle exploite les avantages au profit de tiers.

Une conception fiduciaire du foncier ?

58Je suggère de procéder à une analogie avec le droit pour comprendre ce rapport triangulaire qui se met en place sous nos yeux dans une typologie qui reste à établir. Dans le droit civil continental, avec la notion d'universalité (au sens technique juridique), mais plus encore dans le droit anglais, avec le fund ou le trust, nous connaissons des formes triangulaires de relations qui fonctionnent sur un rapport fiduciaire et impliquent un intermédiaire. Dans le droit anglais sur les biens [Papandréou-Deterville 2004], on connaît l'ancien use, ou encore feoffment, remplacé par le trust, qui, chaque fois, fait intervenir :

59• un initiateur : feoffor ou settlor ;

60• un bénéficiaire de l'initiative : cestui que use, ou cestui que trust, et qu'il faut comprendre à la voie passive, celui pour qui on use ou pour qui on trust ;

61• enfin, un garant : l'intermédiaire sur qui repose le montage, feoffee to use ou trustee, et dont on sait qu'il est investi du bien.

  • 14 On trouve en effet : donor, donee ; bailor, bailee ; assignor, assignee ; covenantor, covenantee ; (...)

62D'ailleurs, le droit anglais abonde en mots à désinence en -or ou en -ee, qui désignent les deux plus actifs des trois pôles du montage fiduciaire 14 . Ce point n'attirerait pas outre mesure l'attention s'il ne s'agissait de mots qui, dans toutes les langues et dans tous les systèmes juridiques, s'appliquent à des contrats entre deux personnes. Précisons que, dans le trust anglais, le trustee n'est pas le bénéficiaire final du montage mais l'intermédiaire qui en garantit l'exécution. Rappelons également que si le but initial de ces montages était d'échapper aux rigidités et inconséquences du common law, ils permettaient, dans le même temps, de se soustraire aux charges et de contourner les lois sur les successions et sur la transmission des biens [Papandréou-Deterville 2004].

63Transposant, par analogie, la nature particulière de cette relation triangulaire à la question foncière, il me semble que l'on peut parler, à propos de ce qui se passe actuellement, de l'espoir utopique d'une fiduciarisation complète des rapports fonciers à l'échelle mondiale, avec une fonction « source » (désinence en -or), une fonction « garantie » (désinence en -ee), et une fonction « hôte » (au détriment duquel se fait le montage car il se fait sans son accord). Me permettant de jouer avec les langues, j'ajoute que, pour ce qui est du projet, le triangle associe l'investor (le pays source initiateur), l'investee (le pays garant), et « l'investi » (le pays hôte). Pour ce qui est de la fiduciarisation, il associe le guarantor (le pays garant), le guarantee (le bénéficiaire de l'opération : le pays source), et le « sans garantie » (le pays hôte).

64L'usage que l'on fait des situations de droit explique cette zonation à l'échelle globale. C'est-à-dire qu'il existe dans le droit occidental libéral des formes dont le cadre se prête à ce type de montage, et que, dans les pays présumés vides, il existe une situation domaniale de fait, héritée de l'histoire, et qui, dès lors, constitue un risque majeur. Les pays émergents espéraient jouer de cette domanialité pour asseoir leur souveraineté et, par la même occasion, le niveau national. Or, comme l'exemple de Madagascar le montre, la domanialité peut tout aussi bien être le portail par lequel peut pénétrer la nouvelle forme des rapports fonciers. La rencontre entre ces deux formes juridiques est particulièrement dangereuse, et cette conception mondiale s'avère être une utopie.

65En s'appuyant sur la typologie qu'ont proposée Bertrand Hervieu et François Purseigle pour l'agriculture de firme [2009], on peut dessiner deux types de schémas triangulaires. Le premier est réellement international par la multiplication des sources de financements et par la fiduciarisation de l'investissement, lui-même garanti par des fonds constitués en réplique du montage initial. Le second est binational, et le schéma triangulaire existe quand, au sein du pays hôte, existe une dualité entre la fonction d'accueil (souvent combattue localement) et la fonction de garantie. Ce qu'illustre le projet argentin que je vais évoquer plus loin.

66La triangularisation peut aussi se faire du côté du pays source lorsque le pays agit par l'intermédiaire d'une entreprise et/ ou d'un fonds. C'est le cas avec l'exploitation par l'Arabie Saoudite (via le groupe Bin Laden) de 500 000 hectares de rizières situées en Indonésie, le groupe Bin Laden agissant pour le compte du groupe d'investisseurs saoudiens Middle East Foodstuff Consortium, qui étend ses activités au Moyen-Orient et à l'Afrique du Nord, en lien avec des fonds indonésiens qui n'ont pas toujours de rapport avec l'agriculture (figure 4 p. 116).

67Il existe aussi une contradiction de fond entre la forme contractuelle et l'ambition d'universalité sous-jacente. La mondialisation du foncier conduit les pays et entreprises investisseurs à réclamer des exemptions fiscales et légales afin de ne pas être soumis aux lois nationales si, d'aventure, ces lois devaient nuire à leurs projets agro-industriels. Comme les lois qui limitent les exportations et peuvent porter préjudice aux investissements étrangers directs (point délicat des négociations entre le Pakistan et les États Arabes Unis).

  • 15 Voir note 3.

68Monique Chemillier-Gendreau 15 fait observer qu'à l'instar des bonnes théories civilistes, le contrat ne vaut que pour ceux qui l'ont signé. On ne peut donc parvenir à une forme satisfaisante par cette seule et unique voie. Au cas où un conflit surviendrait alors qu'un contrat a été passé entre un pays source (ou plus exactement une entreprise dudit pays), un pays hôte (ou une de ses régions) et un pays (ou une institution) garant, quel droit faudrait-il appliquer ? Qui serait habilité à juger ? Quelle serait l'instance régulatrice ? Imagine-t-on les agriculteurs mozambicains ou malgaches contestant le montage saisir les tribunaux de leur pays, sachant qu'ils risquent d'être déboutés parce qu'ils n'apparaissent pas nominalement dans le contrat ? L'expérience prouve que l'absence de régulation par le droit est contrebalancée par la contestation des accords, qui s'appuie sur un autre aspect de la mondialisation, à savoir le réseau des ONG militantes, internet et les diasporas, qui agissent comme relais des informations.

69Cette conception est aussi un recul. En effet, face aux réalités qui viennent d'être évoquées (les formes intercontinentales d'appropriation, de contrôle ou de maîtrise de la production et de la base foncière et sociale de la production) et face aux utopies qui les justifient (répartissant caricaturalement le monde entre terres, ressources humaines et garanties), on risque de revenir à des sortes d'ontologies géographiques bricolées. Dans ces visions du monde, nous assistons à une triangularisation des relations sur la base de rapports déterministes dictés par la géographie (figure 5 p. 117).

  • 16 Voir http://www.chartercities.org/home

Extrait du site « Charter cities » 16
The concept is very flexible, but three elements are common to all charter cities :
• An uninhabited piece of city-sized land, provided voluntarily by a host government ;
• A charter that specifies the rules that will govern the new city ;
• The freedom for would-be charter city residents to move in or out of the reform zone.
Charter cities are based entirely on voluntary actions – no person, employer, investor, or country can be coerced into participating. Only countries that want to charter new cities will free up the land to do so. The use of unoccupied land ensures that only the people who want to live and work under the new rules will move to the reform zone.
The charter itself is a foundational legal document, not an exhaustive city plan. The charter will set forth the process by which rules and regulations will be established in the city. The charter might also initiate a legal framework on which the city can grow and prosper, establishing some early rules to foster long term investment and ensure the safety and security of residents. The residents, employers, and investors will follow, attracted by the chance to work together under the rules of the charter.
There are three basic roles that countries can assume when chartering a new city in a special reform zone :
• Land comes from a host country ;
• People come from a source country ;
• The assurance that the charter will be respected comes from guarantor country.

Figure 1. Les systèmes d'enregistrement foncier selon Stig Enemark

Figure 2. Une autre projection du foncier : la domanialité

Figure 3. Le principe utopique du nouveau commerce triangulaire

Figure 4. Schéma triangulaire de l'accord entre l'Arabie Saoudite et l'Indonésie

Figure 5. L'utopie d'un monde entièrement fiduciarisé

Figure 6. Double schéma triangulaire entre la Chine et l'Argentine

Figure 7. Le double schéma triangulaire du projet Yasuni-ITT

70« Voyez, nous dit-on, le déséquilibre du monde : ici, des terres vides sans projets sérieux ; là, des réservoirs immenses de population ; ailleurs, des concentrations de moyens financiers. » Nous nous trouvons face à une répartition géographique tranchée entre ces trois termes, donc face à la nécessité d'organiser la circulation entre ces trois espaces géoÍgraphiques. Il suffit d'un pas pour passer de l'évidence (« Voyez sur la carte les inégalités du monde ») à l'idéologie (« Vous voyez bien que des régions du monde ont, pour les unes, vocation à être exploitées pour nourrir ; pour les autres, vocation à être nourries ; pour les dernières, vocation à garantir »). On assiste probablement à la tentative de créer de nouvelles et prétendues situations déterministes qui peuvent en venir à remodeler le monde.

Identifier les pôles et analyser la délocalisation

71Un des aspects les plus troublants des pressions qui s'exercent sur les terres est lié au fait qu'elles se produisent parce qu'elles peuvent, en plus des pressions internationales, exploiter les tensions entre l'État et la région. C'est-à-dire que, pour qu'un schéma triangulaire puisse se réaliser, les parties doivent identifier qui, dans la zone d'accueil, peut avoir intérêt à entrer dans le schéma. Ce qui se fait quelquefois par l'exploitation des contradictions internes aux pays d'accueil.

72L'exemple de la Chine est troublant car il existe une certaine analogie entre ce qui se passe à l'intérieur de ce pays et ce qui se passe lorsque ce pays investit à l'étranger.

73Sur le territoire chinois, la pression sur les terres passe par un processus de réquisitions massives qui consiste à mettre en réserve de très nombreuses terres afin de disposer de sols pour l'urbanisation et l'industrialisation, mais, dans le même temps, à faire de ces réserves une source de profits par le biais de pratiques spéculatives [Bochuan 2007]. Des millions de paysans sont laissés pour compte, totalement dépossédés, ce qui provoque des émeutes, parfois très violemment réprimées. Or, il existe une contradiction entre l'État central, qui, ayant manifestement pris conscience de l'importance et de la gravité de ce phénomène de réquisitions, cherche à le contrôler et à l'enrayer (via des lois et des recommandations), et les autorités régionales et locales qui développent et gèrent ce phénomène.

74En juin 2004, on compte 6 741 projets de réquisitions sur l'ensemble du territoire chinois (la Mongolie mise à part), dont 52 seulement ont été approuvés au niveau de l'État central. Ces milliers de projets couvrent une superficie de 3 750 000 hectares, qui n'entrent pas dans les statistiques concernant les pressions commerciales sur les terres puisqu'il s'agit de projets internes, non d'investissements étrangers. En outre, la spéculation sur les terres obéit à un motif plus grave encore : c'est un des moyens que les autorités régionales et locales ont trouvé pour disposer du budget de fonctionnement qu'une fiscalité foncière ordinaire devrait normalement leur fournir [Bochuan 2007 ; Feizhou 2007].

75La pression sur les terres et les mouvements qui s'ensuivent sont donc des éléments profondément désorganisateurs qui affectent jusqu'à l'équilibre interne des États souverains.

76Aujourd'hui, on peut citer divers investissements directs chinois à l'étranger, qui profitent de ce même type de contradiction entre le niveau national et le niveau régional (figure 6 p. 118). Je prendrai pour exemple un cas d'investissement en Argentine [Montenegro 2010]. Ainsi, par le biais d'un groupe chinois, Beidahuang, spécialisé dans la culture et le commerce du soja, la Chine intervient dans l'équilibre interne argentin : en effet, ce groupe relaie les volontés du gouvernement provincial de Rio Negro. Précisons que, pour agir localement, Beidahuang passe par une société relais appelée Strong Energy SA. La province de Rio Negro entend faire payer au groupe chinois des investissements d'irrigation que le gouvernement argentin ne peut ou ne veut pas financer. L'accord, rendu public fin 2010 après signature, comporte des clauses qui intéressent notre propos. Le gouvernement régional se porte garant du processus, accorde la gratuité pour la mise à disposition des « terres non cultivées équipées de canaux d'irrigation », accorde l'exemption des impôts, et autorise la création d'un terminal portuaire, point d'entrée et de sortie des matières premières agricoles. Sont concernés tout d'abord 2 000 hectares de terres, puis 20 000 hectares, et, à terme, 320 000 hectares.

77Garant de la base légale de la cession des terres, ce qui implique un fondement juridique domanial, le gouvernement régional sera-t-il aussi garant du maintien de l'ordre au sein des populations ? Car il semble que les populations locales n'aient pas été consultées et qu'elles aient fermement l'intention de s'opposer au projet. De surcroît, on n'a manifestement pas l'intention de les tenir informées : l'accord n'a toujours pas été traduit en espagnol...

Le double schéma triangulaire du projet Yasuni

78Avec le projet Yasuni, on quitte le terrain des investissements directs étrangers destinés à l'agro-industrie pour entrer dans un cas de figure différent, et qui, d'ailleurs, sur le plan social et écologique, est même à l'opposé des acquisitions massives de terres à but agro-industriel. Cependant, le schéma « triangulaire » fonctionne de la même manière, offrant une analogie supplémentaire dans une gamme qui s'étoffe de jour en jour.

79L'Équateur pourrait, pour obtenir des devises, exploiter l'important gisement pétrolier (et de charbon) situé à l'est du pays, dans la zone de trois forages, respectivement Ishpingo, Tambococha et Tiputini. Le projet Yasuni-ITT pourrait concerner une réserve de 850 millions de barils et rapporter 7 milliards de dollars. Mais le fait que ce gisement se trouve dans le Parc amazonien Yasuni, où se trouve aussi une réserve naturelle riche d'une très grande biodiversité, pose un sérieux problème. Exploiter le pétrole signifierait contribuer au réchauffement climatique et porter fortement atteinte à la biodiversité. Après en avoir débattu, les autorités politiques du pays ont fait savoir que, corresponsable de l'environnement, l'Équateur pourrait renoncer à cette exploitation, mais à condition que la communauté internationale offre une compensation financière à hauteur de 50 % de ce que le pays perdra en n'exploitant pas le pétrole.

80La situation actuelle est la suivante : le gouvernement se donne jusqu'à fin 2011 pour rassembler les contributions, faute de quoi il procédera à la mise en exploitation du gisement.

81Matthieu Le Quang [2010], spécialiste de ce projet, décrit fort bien l'idéologie qui sous-tend ce projet :

Avec le projet ITT, le gouvernement équatorien veut montrer le nouveau modèle de développement que doit suivre le pays. Ce modèle est basé sur le respect des droits de la nature (reconnus dans la nouvelle Constitution de 2008), l'équité sociale et l'utilisation de manière soutenable des ressources. Cette nouvelle vision implique de rompre avec la vision anthropocentrée du développement et s'appuie sur des concepts qui viennent principalement du mouvement indigène : le « Sumak Kawsay » ou « Buen vivir » (« Vivre bien »). Le 3 août dernier [2010], une étape cruciale a été franchie afin que l'Initiative Yasuni-ITT puisse être mise en œuvre : la signature, entre le gouvernement équatorien et le PNUD, du fonds financier chargé de collecter l'argent qui permettra à cette utopie de devenir réalité. Le capital du Fonds Yasuni-ITT sera investi exclusivement dans le développement de sources renouvelables d'énergie hydraulique, géothermique, éolienne ou solaire avec comme objectif un changement de la matrice d'offre énergétique et productive réduisant l'utilisation des combustibles fossiles. Les intérêts du Fonds seront, eux, destinés principalement aux projets suivants : éviter la déforestation et conserver de manière effective 44 aires protégées qui correspondent à 4,8 millions d'hectares soit 20 % du territoire équatorien ; la reforestation et la régénération naturelle d'un million d'hectares de forêt dont les sols sont actuellement menacés par la dégradation (réduisant le taux de déforestation de l'Équateur, un des plus hauts d'Amérique du Sud) ; le développement social des zones d'influence de l'Initiative avec l'investissement dans l'éducation, la santé, l'habitat et dans la création d'emplois dans des activités soutenables comme l'écotourisme ; dans la recherche et le développement en science et technologies avec comme objectif, à moyen/long terme, un changement de modèle de développement pour aller vers une société de la bioconnaissance.

82Au moment où cet article est rédigé, le fonds international de garantie peut compter sur la participation financière du Chili, de l'Espagne, de la Wallonie (Belgique) et de la Fondation latino-américaine Avina. D'autres pays manifestent leur intérêt : le Japon, la Norvège, le Portugal, le Canada, l'Allemagne, l'Italie, le Pérou, la Turquie et les Émirats Arabes Unis. Le PNUD apporte sa garantie.

83La fiduciarisation dont ce projet est porteur se traduit par une double triangularisation des relations (figure 7 p. 119). Le premier triangle reproduit le schéma « source-hôte-garant ». La source, c'est la pression multiforme (internationale et nationale) visant à faire respecter à la fois les droits des populations autochtones, la protection de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique. L'hôte, c'est évidemment l'espace du Parc Yasuni, objet de la pression internationale et que le gouvernement équatorien exploite avec intelligence en faisant valoir le caractère alternatif de la solution qu'il propose. Enfin, les garants sont les États et ONG qui s'engagent financièrement afin de constituer le fonds dont l'Équateur a fixé le montant.

84Mais, en parallèle, se constitue un second triangle : la garantie de la garantie. Il fait intervenir les bailleurs de fonds (lesquels, dans ce nouveau triangle, représentent la source), le fonds pour l'utilisation de cette somme en Équateur (l'hôte, dans ce nouveau triangle) et le PNUD (le garant), qui offre sa caution à la suite de l'accord qu'il a passé avec le gouvernement équatorien.

Une autre analogie : l'oisiveté

85On se souvient de la manière dont la jachère a été instrumentalisée en Europe aux xviiie et xixe siècles pour soutenir l'idée de division et de partage des communaux [Morlon et Sigaut 2008]. La jachère, dans les systèmes traditionnels, c'était l'année consacrée à préparer la terre à un nouveau cycle, qui imposait notamment plusieurs labours. Jachérer la terre signifiait la travailler, non la laisser reposer, et était encore moins, pour l'agriculteur, synonyme de repos. On sait que la polémisation a réussi à inverser le sens de ce terme puisque, aujourd'hui, jachère signifie repos. On aura eu besoin de cette idéologisation d'une réalité rurale pour la combattre.

86C'est également ce qui se produit en ce moment avec l'emploi de la notion de « terres oisives » ou de « friches » dans les continents réputés vides. « Idle land » (littéralement : terre « paresseuse » ou « oisive ») est une expression qui, au-delà de réalités qui doivent être cartographiées pour être reconnues, comporte une part de dénonciation non innocente des terres dites « vacantes et sans maître ». C'est ainsi qu'on justifie le fait de les accaparer. Avec cette notion, et à l'échelle du monde, on reproduit un processus de disqualification sociale et géographique que l'on a déjà rencontré dans le passé.

Quelles alternatives ?

  • 17 J'ai souligné dans ma chronique (Études rurales 184-186) combien l'opinion des chercheurs avait, et (...)

87Y a-t-il des alternatives ? Il y en a mais elles sont compliquées. La difficulté vient de ce que la gestion décentralisée du foncier, solution largement expérimentée dans diverses parties du monde, doit tenir compte de la pluralité juridique et le plus souvent se faire dans une relation ambiguë avec l'État, c'est-à-dire à la fois grâce à lui (lois de décentralisation) et contre lui (vu la corruption et le mésusage des bases foncières) 17 .

88S'agissant de la pluralité, il est nécessaire de rappeler, comme le fait Joseph Comby, que le verrou de la propriété « exclusive » a sauté :

La propriété foncière est en effet une illusion (ou, pour le moins, une simplification). On ne peut pas être propriétaire d'un terrain comme on est propriétaire d'un chapeau ou d'un tracteur. Dans aucun pays, le propriétaire n'a tous les droits sur sa terre comme il a tous les droits sur son tracteur. Il existe toujours, au minimum, le droit de la collectivité nationale qui se superpose au droit du propriétaire (voir, en France, l'article d'ouverture du Code de l'urbanisme qui pose que « le territoire est le patrimoine commun de toute la nation » ; voir, dans d'autre pays, les notions de « propriété éminente », etc.). La Chine l'a fort bien compris, qui crée la propriété privée sous forme de baux temporaires, puis illimités, sans avoir besoin de toucher au tabou de la « propriété socialiste » : quelle différence existe-t-il entre une ville qui loue un terrain en percevant des loyers et une ville qui perçoit un impôt sur des terrains privés ? [2008 : 2]

89Dans ces conditions, la reconnaissance de la pluralité des droits n'est plus une difficulté intellectuelle.

  • 18 Voir le rapport du Comité technique « Foncier et Développement » intitulé « Gouvernance foncière et (...)

90Il faut, par ailleurs, noter que la gestion décentralisée du foncier est une des réponses les plus intéressantes que l'on peut apporter actuellement 18 . Ce concept est particulièrement riche de sens. Ce qui importe dans cette expérience ce n'est pas seulement l'échelle géographique (locale) et l'échelle administrative (bon échelon de la décentralisation), mais aussi l'échelle de l'expérimentation et des contenus. Des expressions comme « gestion expérimentale » ou « gestion participative du foncier » conduisent à dégager les isomorphismes utiles à la reconstruction du paradigme foncier que nous recherchons, à plusieurs échelles géographiques, dont l'échelle locale, et à plusieurs échelles ou niveaux de contenus. Mais ce concept doit encore intégrer de façon systématique une dimension cartographique, géographique autant que métaphorique afin de remplir complètement sa fonction de paradigme. Inévitablement, la gestion décentralisée du foncier est une projection parmi d'autres.

91Selon Michel Merlet et Clara Jamart [2009], pour reconnaître la situation de pluralité des droits, la solution serait d'utiliser la structure du trust. Ce que ces deux auteurs suggèrent compte tenu du fait que le trust, comme l'expliquent les juristes, peut être un facteur d'opacité et permettre de contourner la législation. Mais la fiduciarisation conduit à des transferts géographiques et sociaux des responsabilités et des profits, à des schémas triangulaires, et même à des montages encore plus complexes qui diluent les intérêts et déplacent les responsabilités. Cette délocalisation – dys-localisation, au sens de « trouble ou anomalie de la localisation » –, en dispersant géographiquement des éléments qui normalement constituent un tout, est l'aspect le plus critique de la situation actuelle.

  • 19 Mieux vaut relever, comme on peut le voir dans un CD­Rom de la FAO [Mathieu 2007], l'intérêt de la (...)

92On déplore le caractère réducteur du titre foncier, surtout lorsqu'il procède d'une conception exclusive de la propriété, sous prétexte qu'il n'est pas adapté aux situations de pluralité. C'est un fait 19 . Mais on arrive, ici, à ce qui me semble être le cœur de la réflexion : ce qui importe c'est de proposer une solution géographiquement cohérente, non déterritorialisée et dématérialisée à l'extrême. La solution se trouve moins dans la forme du montage (universalité, trust ou fiducie) et moins dans une compétition (ou une substitution) entre les conceptions civiliste et anglaise du droit que dans la cohérence territoriale, donc dans la production d'outils cartographiques, géographiques et géosystémiques. La solution ce n'est pas le trust mais un système d'information sur le foncier ; c'est moins tel ou tel type de droit que l'association locale des maîtrises foncières et usufruitières. Le trust ne résout pas le problème : il risque plutôt de l'accroître. La cohérence territoriale oblige à passer par une géographie de la rematérialisation des faits.

93Cela suppose des niveaux plus généraux de cohérence, à même de préserver de la fluidité excessive et de l'inégalité fondamentale entre les partenaires du contrat. L'action des uns et des autres peut ainsi être définie. Les ordres et organismes professionnels (magistrats, notaires, géomètres-experts, membres du service public, etc.), les gouvernements en quête d'un État de droit et d'une cohérence territoriale, les associations et ONG qui promeuvent un juste échelon d'expérimentation, les organismes d'expérimentations diverses, tous peuvent faire contrepoids. Chacun est porteur d'une part de la réalité ; chacun est porteur d'une part de la logique géographique et sociale.

94Le mode de fonctionnement actuel de nombreux États, qui n'existent que par le régime de l'aide internationale, est déjà problématique. Avec la mondialisation, le choc des échelles devient caricatural (le sort du moindre guichet foncier local malgache se décide à Washington, dans une réunion du Board of Directors du MCC que préside Hillary Clinton !). Le risque majeur n'est-il pas de s'accoutumer à l'absence de l'État ?

Connaître et reconnaître la terre

95Mal connaître la surface de la terre conduit à réaliser des évaluations imparfaites sur lesquelles on s'appuie pour justifier des choix discutables. Le dernier axe proposé ici porte sur ce point.

96Je souhaiterais, cependant, bien situer le problème. La méfiance que suscitent les formes d'immatriculation et leur support cadastral fait qu'on minimise souvent l'approche cartographique. Mais rechercher, comme le font UN Habitat, l'organisme des Nations Unies chargé de l'habitat, et la Fédération internationale des géomètres, des formes allégées d'établissement de plans parcellaires est une chose, c'en est une autre de ne pas développer la connaissance géographique et cartographique, laissant ainsi la porte ouverte à la manipulation d'une prétendue vacance de la terre.

97Cette connaissance passe par des portails d'information géographique et par des portails qui aident à les lire et à les interpréter. Parmi les bénéfices que l'on peut attendre de ces observatoires, il en est un particulièrement important. On a vu que les gouvernements qui spéculent sur les investissements à très large échelle s'appuient sur la présomption de vacuité. Or, celle-ci, comme l'a montré l'exemple de Madagascar, repose sur un échafaudage contestable. Ainsi les données de la FAO concernant les terres malgaches ont-elles pu être exploitées par les promoteurs des projets d'investissement parce que les statistiques faisaient état de 5 à 8 % à peine des terres arables effectivement mises en culture, ce qui suppose un taux de vacance de 92 à 95 %.

98Pourtant, comme le notent André Teyssier, Landry Ramarojohn et Rivo Andrianirina Ratsialonana [2010], l'observation des paysages ruraux témoigne de la capacité qu'ont les sociétés locales à occuper et mettre en valeur l'espace géographique, et les chiffres cités ci-dessus traduisent à la fois un flou dans les concepts et une réelle insuffisance dans la caractérisation de la réalité agraire. D'ailleurs, dans le volet Varun de la crise malgache, la société indienne a dû reconnaître que les trois quarts des 232 000 hectares convoités étaient déjà occupés et qu'il faudrait négocier avec les agriculteurs. Cependant, l'entreprise Varun n'envisageait pas de négociations individuelles mais des négociations globales avec les structures territoriales appelées « plaines », au nombre de 13, dont les présidents devaient s'engager au nom de tous les autres habitants. On imagine aisément les effets d'une telle proposition : la formation immédiate d'un groupe intermédiaire composé des responsables locaux de la nouvelle structure sociofoncière. Comment ne pas voir là une nouvelle façon d'exister, la personne comptant moins pour ce qu'elle est que pour ce qu'on attend d'elle ? Comment ne pas voir, dès lors, que toute forme de comptabilisation et de cartographie de la réalité parcellaire et sociale peut aider à échapper à ces raccourcis dangereux ?

Quelques conclusions

99Les analyses du foncier fondées sur la connaissance des droits locaux sont indispensables pour pénétrer la complexité sociale et foncière des situations et dire la pluralité du foncier. Elles sont, hélas, ignorées, parce que les nouvelles relations triangulaires passent outre le réel sociofoncier, outre les situations géographiques locales, outre les personnes, pour ne viser que des entités. Il faut développer l'analyse au niveau du problème, et penser à plusieurs échelles.

100Dans le même temps, les défenseurs des questions environnementales et les peuples autochtones luttent pour la reconnaissance des droits collectifs au profit d'entités et de groupes, et non plus de personnes. Il y a là, au-delà des différences radicales dans les objectifs poursuivis, un isomorphisme majeur avec la forme, également collective, des négociations de terres à grande échelle et avec la forme des projets de développement conçus hors du lieu concerné.

101On ne doit pas négliger ce qui contribue à développer et garantir les droits de la personne, même si, et surtout si les restrictions s'accumulent et limitent chaque jour un peu plus la propriété individuelle, et même s'il faut continuer de défendre les droits collectifs locaux. C'est le rôle que peuvent jouer les formes de « sécurisation » dont on entoure la libre propriété. En outre, la propriété privée est devenue un outil (non unique, non exclusif) fabriquant des contre-pouvoirs locaux permettant de lutter contre ceux qui ont les moyens de jouer sur la souplesse des formes de la contractualisation globale.

102Une contradiction doit être soulignée. Alors que le nouveau commerce triangulaire dont le foncier fait l'objet repose sur une conception néolibérale, les entreprises qui pratiquent cette forme de commerce s'appuient sur les pouvoirs domaniaux que les autorités politiques détiennent en matière de foncier, pourtant contraires au libéralisme. Loin de toute idéologie, celles-ci s'accommodent très bien de l'appropriation collective et de la domanialité dès lors qu'il s'agit de négocier des contrats avantageux qui leur évitent d'avoir à négocier directement avec les populations.

103Malheureusement, comme le montrent amplement les réquisitions des terres en Chine [Thireau et Linshan eds. 2007], il existe, au-delà des oppositions idéologiques, une convergence d'intérêts entre les spéculateurs et les dirigeants, qui utilisent la domanialité pour réquisitionner la terre, la vendre aux entreprises après l'avoir déjà vendue à des marchands de biens. Mais, toujours à partir de l'exemple chinois, au-delà de la spéculation et des malversations, il est également navrant de voir que la réquisition des terres est aussi le moyen que les autorités administratives locales ont trouvé pour disposer d'un budget.

104Je conclurai sur les deux idées principales qui sous-tendent ce texte. La première est qu'aucun projet ne peut être pensé, monté et conduit hors de la région concernée, sauf à produire des formes que l'on peut, cette fois, qualifier de « néocoloniales ». La seconde est qu'il faut passer par la connaissance du monde pour pouvoir au mythe de la vacance des terres opposer la réalité géographique.

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Site « Foncier et Développement » du Comité technique du MAEE et de l'AFD. Voir http://www. foncierdeveloppement.org/

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Notes

1 Comme me l'a fait remarquer André Teyssier, que je remercie de cette annotation, la plupart des textes régissant les différents types de domaines en Afrique ont été rédigés au lendemain des indépendances, époque où une partie des serviteurs de l'État étaient encore des ressortissants des pays ex-colonisateurs. La responsabilité de ces textes relève bien entendu des États, qui ont toutefois été (ou sont toujours) largement influencés par des idées développées ailleurs. Le domaine national étant une sorte de boîte constituée par défaut, on peut poser qu'il est né de l'imagination de juristes français en poste sous les Tropiques et qui ne savaient où ranger ces terres occupées sans être totalement appropriées, utilisées parfois de façon temporaire, parfois partagées, ayant différents droits d'usage, etc. Le domaine national pourrait avoir été un fourre-tout révélateur de la méconnaissance (ou de la négation) des cadres postcoloniaux quant à la subtilité des droits sur les ressources auxquels étaient soumis les pays dans lesquels ils étaient affectés. Une autre hypothèse est évidemment celle de l'influence socialiste de pays ayant connu des régimes marxistes.

2 Parmi les auteurs qui ont récemment attiré l'attention sur la signification de cette conception domaniale du foncier, citons Jean-Louis Halpérin [2008], Hubert Ouedraogo [2009], Joseph Comby [1995 et 2008], Alain Rochegude et Caroline Plançon [2009].

3 Il est intéressant d'écouter son intervention du 13 octobre 2009 intitulée « Le droit international peut-il contribuer à une société mondiale plus équitable ? », à l'invitation de l'association Agter. Voir http://www. agter.asso.fr/article292_fr.html

4 André Teyssier me fait observer qu'avec les diverses tentatives de « recentralisation » de la politique foncière, on voit combien, pour un gouvernement comme celui de Madagascar, il est difficile d'envisager de « perdre » sa capacité à régenter le sol par le biais de la notion de « domaine », même si, à l'évidence, ses services administratifs ne sont plus en mesure de gérer efficacement l'accès à la terre et son usage.

5 Voir Un Droit inviolable et sacré : la propriété. Paris, Éditions ADEF, 1991, 362 p.

6 Je me demande d'ailleurs si cette présentation n'est pas elle-même à revoir. Ne devrait-on pas dire que l'immatriculation a été un succès, puisque, du point de vue de l'État colonial, elle a considérablement limité les cas de certification de la propriété en les réservant aux appropriations coloniales, laissant en revanche d'immenses espaces dans un flou qui permet toutes les réquisitions, présentes ou à venir. Parler d'un échec de l'immatriculation, c'est encore prêter aux colons de nobles intentions, comme s'ils avaient réellement songé à accorder aux populations locales un titre équivalent à celui qu'ils accordaient aux élites coloniales et aux sociétés concessionnaires.

7 J'emprunte cette notion d'« expropriations massives de terres » à l'article de Sam Moyo [2010].

8 Il faut en effet distinguer ce que l'on confond aisément : le régime juridique de l'appropriation du sol (droit civil, common law, systèmes mixtes, droits locaux, droits individuels ou collectifs) ; le mode d'enregistrement des droits (systèmes d'actes notariés sans immatriculation par l'État, deed systems, systèmes administrés, immatriculation ou title systems, livre foncier, modes d'enregistrement dérivé, telles les hypothèques) ; le mode cadastral (présence ou absence de cadastre, cadastre graphique, cadastre informatique, cadastre des restrictions de droit public comme le CRDDPF en Suisse) ; les finalités du cadastre (fixer des limites, fiscaliser, sécuriser, immatriculer, contrôler et gérer l'usage du sol, cadastre parcellaire et cadastre global) ; enfin, le mode de division originaire du sol (mode traditionnel hérité de l'histoire ou modes coloniaux ou planifiés du type « rang » canadien, township, trames coloniales diverses).

9 Cette dernière appellation vient de Bertrand Hervieu et François Purseigle et elle a été employée pour qualifier une forme d'agriculture hautement capitalistique qui constitue des fonds pour le développement des investissements à l'étranger et qui « répond à des logiques purement financières, spéculatives et commerciales » [2009].

10 Pour étudier ce phénomène, outre les sites des ONG militantes souvent très riches (GRAIN, ILC, Agter, Hub rural), on dispose de plusieurs études ou rapports à caractère général. Voir, par exemple, celui de la Banque mondiale (« Rising Global Interest », 2011), celui du rapporteur spécial des Nations Unies, Olivier de Schutter, intitulé « Le droit à l'alimentation », consultable sur http://www.srfood.org/images/stories/pdf/officialreports/ 20101021_access-to-land-report_fr.pdf Voir également l'étude du Comité technique « Foncier et Développement », consultable sur http://www.foncier-developpement. org/vie-des-reseaux/le-projet-appui-a-lelaboration-des-politiques-foncieres/les-appropriations-de-terres-a-grande-echelle-analyse-du-phenomene-et-propositions-dorientations. Voir aussi celle du Ministère fédéral allemand de la coopération économique (« Development Policy », 2009). Ajoutons à cela l'ouvrage coordonné par Laurent Delcourt [2010] et les diverses présentations de Paul Mathieu, expert auprès de la FAO [2007, 2009].

11 Voir P. Lavigne-Delville [2010a et b]. Voir également le site du MCA-Bénin : http://www.mcabenin. bj/projet/foncier et le site du MCC : http://www.mcc.gov/

12 À Madagascar, la crise due à l'instabilité politique et au caractère non démocratique du pays a mis un terme à ce processus d'aide en juillet 2009. À cette date, 40 000 certificats ou titres fonciers avaient été restaurés. Voir http://www.mcc.gov/pages/press/release/release-051909-mccboardauthorizes

13 Cet aspect contractuel a été très bien souligné dans le document du Comité technique « Foncier et Développement » : « Les appropriations de terres à grande échelle prennent la forme de contrats, censés être acceptés par les parties signataires. Puisqu'elles sont fondées sur des relations contractuelles (souvent marchandes), elles semblent inattaquables et elles se présentent comme étant en phase avec un développement qui passe par une libéralisation croissante des échanges. » Voir http:// www.foncier-developpement.org/vie-des-reseaux/ le-projet-appui-a-lelaboration-des-politiques-foncieres/les-appropriations-de-terres-a-grande-echelle-analyse-du-phenomene-et-propositions-dorientations

14 On trouve en effet : donor, donee ; bailor, bailee ; assignor, assignee ; covenantor, covenantee ; feoffor, feoffee ; grantor, grantee ; lessor, lessee ; pledgor, pledgee ; settlor, settlee ; trustor, trustee. D'après le glossaire de Marie-France Papandréou-Deterveille [2004].

15 Voir note 3.

16 Voir http://www.chartercities.org/home

17 J'ai souligné dans ma chronique (Études rurales 184-186) combien l'opinion des chercheurs avait, et c'est compréhensible, pu être fluctuante, tantôt rappelant que rien ne se ferait sans l'État, tantôt tenant l'État prudemment à distance.

18 Voir le rapport du Comité technique « Foncier et Développement » intitulé « Gouvernance foncière et sécurisation des droits dans les pays du Sud. Livre blanc des acteurs français de la Coopération » et publié en juin 2009.

19 Mieux vaut relever, comme on peut le voir dans un CD­Rom de la FAO [Mathieu 2007], l'intérêt de la démarche.

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Table des illustrations

Légende Figure 1. Les systèmes d'enregistrement foncier selon Stig Enemark
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/9398/img-1.jpg
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Légende Figure 2. Une autre projection du foncier : la domanialité
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/9398/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 114k
Légende Figure 3. Le principe utopique du nouveau commerce triangulaire
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/9398/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 63k
Légende Figure 4. Schéma triangulaire de l'accord entre l'Arabie Saoudite et l'Indonésie
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/9398/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 60k
Légende Figure 5. L'utopie d'un monde entièrement fiduciarisé
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/9398/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 100k
Légende Figure 6. Double schéma triangulaire entre la Chine et l'Argentine
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/9398/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 76k
Légende Figure 7. Le double schéma triangulaire du projet Yasuni-ITT
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/9398/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 74k
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Pour citer cet article

Référence papier

Gérard Chouquer, « Le nouveau commerce triangulaire mondial. Ou les analogies du foncier contemporain »Études rurales, 187 | 2011, 95-130.

Référence électronique

Gérard Chouquer, « Le nouveau commerce triangulaire mondial. Ou les analogies du foncier contemporain »Études rurales [En ligne], 187 | 2011, mis en ligne le 01 janvier 2011, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/9398 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.9398

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Gérard Chouquer

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