Politiques et institutions à l’appui des petites exploitations agricoles
Résumés
Résumé
Cet article défend l'idée que les petites exploitations agricoles doivent être placées au cœur du processus de développement, principalement dans les pays du Sud, notamment parce que la moitié des populations qui, dans le monde, souffrent de la faim, habitent des zones rurales et disposent de moins de 2 hectares, et parce que près de 2 milliards d'êtres humains dépendent de l'agriculture familiale. L'auteur, éminent représentant de la FAO, préconise l'insertion de la petite exploitation dans les circuits agro-industriels. Il s'agit de construire une politique différente, qui vise à rapprocher les petits agriculteurs des marchés en développant une chaîne de valeur (c'est-à-dire des arrangements contractuels au sein des chaînes de valeur agro-industrielles) et en proposant des stratégies de transition.
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1DEPUIS LA RÉVOLUTION VERTE, les politiques agricoles de développement mettent l'accent sur la petite agriculture, les petits exploitants étant souvent considérés comme le moteur de la croissance économique, de la réduction de la pauvreté et de la sécurité alimentaire. La récente flambée des prix des denrées alimentaires a renforcé cette tendance à placer les petits exploitants au cœur du processus de développement.
2En 2009, que ce soit au G8, qui s'est tenu à L'Aquila, ou au Sommet mondial de la FAO sur la sécurité alimentaire, qui s'est tenu à Rome, les dirigeants des grands pays ont souligné le rôle majeur que devaient jouer les petits agriculteurs dans la sécurité alimentaire mondiale et ont réclamé la mise en place d'un nouveau partenariat global pour améliorer la productivité et les revenus des petits exploitants.
3La flambée des prix des denrées alimentaires a révélé non seulement la vulnérabilité des petits exploitants mais aussi la difficulté qu'ils ont à tirer parti des possibilités qu'offre le marché et à s'adapter à une nouvelle conjoncture commerciale. L'accès aux marchés, modelés par la mondialisation, l'évolution des filières alimentaires, l'émergence de la grande distribution, l'adoption de nouvelles technologies et les réactions au changement climatique sont autant de facteurs qui entraînent des économies d'échelle. Tout en favorisant les opérations de grande envergure, ces facteurs sont susceptibles d'éroder les avantages acquis par la petite agriculture en matière de production.
4Les trois quarts de la population pauvre du monde vivent en zone rurale ; plus de 450 millions d'agriculteurs disposent de moins de 2 hectares ; et environ un tiers de la population mondiale dépend de l'agriculture familiale. Bon nombre de ces agriculteurs sont exposés à l'insécurité alimentaire, souffrent de malnutrition et d'un accès limité aux intrants et aux marchés.
5Les pays membres de la FAO reconnaissent la contribution de la petite agriculture à la croissance économique et à la sécurité alimentaire et nutritionnelle, ainsi que l'importance des systèmes des marchés agricoles pour dessiner les perspectives des petits exploitants. Soutenir les petits exploitants est l'une des priorités de la FAO. Toutefois, dans ce domaine, il existe toujours un écart entre l'approche théorique des politiques de développement et les options pratiques. Pour la FAO, l'un des grands défis à relever est la mise en œuvre des politiques de développement et leur renforcement institutionnel afin de favoriser la participation commerciale des petits exploitants au marché mondial et leur transition vers un stade supérieur de développement.
État et évolution de la petite agriculture
- 1 Voir par exemple N. Key et M. Roberts, « Measures of Trends in Farm Size Tell Differing Stories », (...)
6Les petits exploitants constituent la charpente du secteur agricole des pays en développement, et leur importance est presque équivalente dans tous les points du globe (figure 1 p. 66). Pour classifier les producteurs, on utilise souvent l'échelle mesurée en fonction de la taille de l'exploitation. En prenant pour seuil de référence les exploitations de taille moyenne, on tient compte des conditions spécifiques aux pays qui modèlent la taille des exploitations agricoles 1 . Au Guatemala, par exemple, une exploitation de taille moyenne couvre 42 hectares alors qu'au Vietnam elle ne couvre que 1, 2 hectare (figure 1). La densité de population et l'irrigation pratiquée dans les pays asiatiques déterminent les différences de répartition dans la taille des exploitations, alors que l'Amérique latine dépend, elle, de l'agriculture pluviale.
7Définir les petits agriculteurs en fonction de la taille de leur exploitation, c'est ignorer un certain nombre d'autres dimensions. Les agriculteurs dont la production et les rendements sont réduits, ceux dont le capital et le niveau d'éducation sont faibles, ceux qui ne sont pas assez compétitifs pour participer aux marchés, ceux qui produisent avant tout pour leur consommation propre et qui ont largement recours au travail familial peuvent, eux aussi, être définis comme des petits exploitants. Une autre dimension essentielle ressortit au genre. En effet, le potentiel productif et économique des femmes est entravé par les discriminations profondément ancrées qui affectent l'accès aux biens de production et aux ressources tels que les terres agricoles, la technologie, l'éducation et l'information. Pourtant, les revenus et les ressources contrôlés par les femmes ont un impact très positif sur la santé et l'alimentation des ménages. Il est donc impératif de lutter contre ces discriminations à l'égard des femmes dans le secteur agricole.
8La contribution des petits exploitants à l'économie rurale est significative. Dans les différents pays en développement, les petites exploitations génèrent 40 à 60 % du total des revenus ruraux en pratiquant des activités agricoles et non agricoles (figure 2 p. 67). Ce qui met en relief le rôle potentiel de la petite agriculture comme moteur de croissance. En règle générale, l'agriculture est étroitement liée au reste de l'économie du point de vue de la consommation. Augmenter les revenus des petits exploitants peut avoir pour conséquence d'accroître la demande en biens de consommation non agricoles, donc de stimuler la production dans tous les secteurs de l'économie.
9Si l'on s'attache à la contribution des divers types d'exploitations aux revenus ruraux globaux, on constate que, dans les pays en développement, les modèles de participation au marché des petits agriculteurs sont variables. Il arrive qu'ils ne vendent qu'une partie de leurs produits et consomment le reste. Ils trouvent aussi parfois des emplois saisonniers sur de plus grandes exploitations. Bien qu'il existe des différences entre les pays, les activités purement agricoles génèrent en moyenne moins de la moitié du total des revenus ruraux (figure 3 p. 68). Dans la plupart des pays, les petits exploitants tirent de la commercialisation de leurs produits une part relativement réduite de leurs revenus (figure 4 p. 69) en raison de leur accès limité aux marchés et de divers autres obstacles. Certaines données semblent indiquer que les revenus générés par la vente des récoltes varient d'un pays à l'autre.
10L'emploi hors du secteur agricole, les activités commerciales et les envois de fonds sont des sources de revenus fondamentales pour les petits exploitants. Néanmoins, malgré la part relativement élevée des revenus non agricoles, de nombreux petits agriculteurs souffrent de pauvreté (figure 5 p. 70). Ce que confirme l'expérience de la Révolution verte qu'a connue l'Asie : seule l'augmentation de la productivité agricole grâce aux technologies modernes y a réduit la pauvreté des petits exploitants, et non la diversification de leurs revenus.
11L'augmentation de la taille des exploitations est liée au processus de développement. Celui-ci se caractérise par une évolution structurelle de l'économie, par le déclin des populations rurales et par une baisse de la part de la production agricole dans le PIB. Le processus de développement dépend également d'une relation fructueuse entre la taille de l'exploitation et le PIB par habitant, à mesure que davantage de petits agriculteurs quittent le secteur agricole pour travailler dans d'autres activités. Au cours de ce processus, les exploitations se tournent de plus en plus vers le marché. Cette expansion des exploitations varie, elle aussi, selon les pays (figure 6 p. 71).
- 2 Voir « Awakening Africa's Sleeping Giant ». Rapport publié en 2009 par la FAO et la Banque mondiale
12Ce sont, entre autres, les avancées technologiques, l'accroissement de la population et les politiques mises en œuvre qui façonnent ce processus. L'adoption, en Asie, pendant la Révolution verte, de variétés à haut rendement, d'engrais et de techniques d'irrigation a donné lieu à des exploitations plus petites mais plus axées sur le marché. Par ailleurs, au Brésil, les politiques qui ont favorisé l'exploitation à grande échelle ont conduit à une commercialisation réussie du secteur agricole, et ce par le biais de nouvelles technologies, de nouveaux financements et de l'intégration des exploitations aux filières d'approvisionnement internationales 2 . À en juger par ces exemples, il existerait de multiples processus de commercialisation, et la transition vers le développement agricole pourrait aussi bien être le fait des petits exploitants que des grands agriculteurs. Dans de nombreux pays en développement, on constate que l'agriculture reste dominée par les petites exploitations et que la productivité demeure statique.
13Des stratégies favorables aux plus démunis s'avèrent indispensables pour intégrer les petits exploitants aux marchés ou renforcer l'emploi non agricole là où cette intégration n'est pas réalisable.
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Figure 1. Répartition de la population dans les zones rurales
La taille moyenne des exploitations figure entre parenthèses (en hectares)
La participation des petits exploitants aux systèmes des marchés
- 3 Voir « The Transformation of Agri-Food Systems ». Rapport de E. McCullough, P. Pingali et K. Stamou (...)
14Dans les pays en développement, la commercialisation, le traitement et la vente au détail des produits agricoles ont connu d'importants changements 3 . Parallèlement à l'urbanisation, la libéralisation du commerce a entraîné une augmentation des investissements privés dans l'industrie agroalimentaire, à la fois au niveau national et international. Les techniques d'achat des produits agricoles ont aussi évolué et, de manière générale, les marchés sont devenus plus concurrentiels. Les systèmes d'achat modernes, notamment en ce qui concerne les produits frais importés, se caractérisent par un transfert des marchés de gros traditionnels vers des filières d'approvisionnement coordonnées verticalement. Ces types de filières donnent lieu à des contrats explicites entre agriculteurs et négociants, l'achat des produits étant souvent lié à la fourniture d'intrants.
15Du fait de ce transfert, les transactions s'appuient de plus en plus sur des normes privées complexes. Les marchés nationaux se modernisent eux aussi, et certains pays commencent à se calquer, pour leurs marchés d'exportation, sur les normes de leurs filières d'approvisionnement. Cependant, la transformation de la commercialisation n'est pas homogène et est liée au niveau de développement du secteur agroalimentaire de chaque pays, aux produits achetés et aux infrastructures de soutien.
16Pour pouvoir être compétitifs sur les marchés modernes, les petits exploitants doivent surmonter des obstacles considérables. L'approche des entreprises qui s'approvisionnent auprès d'eux dépend des caractéristiques des produits et de la nature du marché auquel ils sont destinés. Les produits en vrac et périssables comme le thé, le palmier à huile et le sucre nécessitent un conditionnement après récolte presque immédiat, généralement à grande échelle. S'agissant de ces produits, il existe des arrangements contractuels entre les acheteurs et les agriculteurs, comprenant souvent la fourniture d'intrants et de services de vulgarisation. Toutefois les bénéfices des agriculteurs peuvent être pondérés par les risques que représentent « les spécificités des biens de production », notamment lorsqu'il s'agit d'arboriculture et qu'un seul transformateur entre en jeu. Les produits moins périssables, tels que le café et le cacao, présentent moins de risques car ils font généralement intervenir plusieurs acheteurs. Dans le même temps, les agriculteurs ont besoin d'accéder au crédit afin de pouvoir investir largement dans l'arboriculture, dont les bénéfices se réalisent sur le long terme. La culture des céréales de base est la moins risquée : elle fait intervenir plusieurs acheteurs, et, en général, les récoltes ne sont pas périssables et ne nécessitent pas d'investissements particuliers.
17Les ventes effectuées par le biais de filières plus complexes, comme la grande distribution, réclament davantage de compétences en matière de gestion et de logistique. Il faut également pouvoir assurer un approvisionnement régulier et répondre à des normes de sécurité alimentaire et de qualité plus contraignantes. Faute de quoi, on risque de perdre le marché. Par conséquent, il est très difficile pour les petits agriculteurs d'approvisionner la grande distribution. Dans certains cas, ils travaillent en groupe ; dans d'autres cas, ils font appel à des intermédiaires spécialisés. Ces systèmes modernes de commercialisation constituent un nouveau défi pour les petits exploitants. Les contraintes de quantité, de qualité, de sécurité et de temps favorisent les grandes exploitations, mieux à même de remplir ces critères.
18En raison du coût du transport, les petits exploitants vivant dans les zones reculées ont du mal à exister sur les marchés. Le secteur privé ne s'approvisionne pas auprès d'eux ou exige des marges importantes pour rentrer dans ses frais. L'approvisionnement dispersé ou discontinu coûte cher à l'entreprise acquéreuse, sauf lorsque les agriculteurs rassemblent leur production dans des coopératives ou dans des groupes informels. L'échelle opérationnelle est alors plus vaste, et le coût des activités liées au transport, à la commercialisation et à l'achat d'intrants se trouve ainsi réduit.
19Pour investir, il est indispensable de disposer de capitaux ou d'un crédit. Les infrastructures d'irrigation sont nécessaires pour pouvoir satisfaire les exigences de qualité et de régularité. De même, l'entreposage et le conditionnement ou encore les installations de transformation sont essentiels pour tirer le meilleur parti du marché moderne. En ce qui concerne l'accès au crédit, les grandes exploitations sont plus avantagées que les petites en ce qu'elles peuvent apporter des garanties, fournir les informations nécessaires aux banques et faire valoir leurs activités commerciales et institutionnelles. Les institutions financières sont souvent réticentes à accorder des prêts aux petits exploitants à cause du manque de garanties. Les femmes travaillant sur de petites exploitations sont dans une situation plus difficile que les hommes car leur accès au capital financier et social, aux informations ayant trait aux marchés et aux ressources productives est encore plus limité que le leur.
20Pour obéir strictement aux réglementations (respect des normes, certification, traçabilité), mais aussi pour adopter les nouvelles technologies, il convient de disposer d'un certain niveau d'éducation et de réelles facultés d'apprentissage. Les technologies modernes requièrent des capacités telles que les petites exploitations sont souvent tenues à l'écart de ces innovations.
21Les moyens de subsistance des petits exploitants dépendent fortement des systèmes de production et des écosystèmes qui les sous-tendent. La dégradation des ressources naturelles et le changement climatique modifient de plus en plus la surface cultivable, la durée des campagnes agricoles et le rendement de nombreuses cultures. Les risques de mauvaise récolte et de maladies animales augmentent. L'adaptation au changement climatique exige de nouvelles méthodes de production, des intrants de plus en plus résistants à la chaleur et à la sécheresse, et une utilisation plus étendue des techniques agroécologiques intensives, comme l'agriculture de conservation. Les petits exploitants pourraient ne pas survivre à ces dangers environnementaux par manque de ressources humaines, sociales et financières et par manque d'informations.
- 4 S. Fan et C. Chan-Kang, « Is Small Beautiful ? Farm Size, Productivity, and Poverty in Asian Agricu (...)
22Les petits exploitants sont plus performants que les grands agriculteurs dans la production des denrées alimentaires de base. En effet, la production par unité de surface des petites exploitations est plus élevée que celle des grandes exploitations 4 grâce à une utilisation plus intensive d'intrants et grâce à l'efficacité du travail familial, ce qui se répercute de façon positive sur la sécurité alimentaire. En règle générale, le travail familial autorise une souplesse dont ne disposent pas les exploitations plus grandes, tributaires de la main-d'œuvre salariée. Les petites exploitations sont également mieux adaptées aux produits à fort coefficient de main-d'œuvre, tels que les légumes qui nécessitent d'être transplantés et récoltés à la main. Elles sont également mieux adaptées aux produits qui réclament une grande minutie.
23Les excédents saisonniers, le taux élevé des pertes après récolte et la faible transformation des produits posent de graves problèmes. Les entreprises rurales de transformation ne traitent les surplus saisonniers que lorsqu'il existe une demande pour le produit transformé. La transformation des produits agricoles primaires représente également un moyen de subsistance pour les populations rurales. Il faudra donc développer de grandes filières commerciales pour les produits alimentaires locaux.
24Ce qui a été présenté ci-dessus donne à penser que les effets d'échelle comptent beaucoup dans l'environnement commercial actuel. Aussi les petits exploitants devront-ils saisir les occasions qui leur seront offertes de participer aux marchés en expansion. À cette fin, il est nécessaire de développer des politiques et des institutions qui les soutiennent dans la production, dans les activités de transformation et dans la participation au marché. En outre, ces politiques devront tenir compte des considérations de parité homme-femme et d'équité.
Approches politiques et interventions
25L'intervention du secteur public est fondamentale pour aider les petits exploitants à augmenter leur productivité, à participer aux marchés agricoles et à avoir des revenus leur assurant la sécurité alimentaire. Traditionnellement, on a tendance à considérer que les politiques tarifaires et commerciales garantissent cette sécurité. Or, même dans les situations où les marchés locaux sont bien intégrés aux marchés internationaux, ces mesures tendent à favoriser les plus grandes exploitations, lesquelles sont capables de générer d'importants surplus commercialisables.
26Grâce à la mise en place d'un « environnement propice », les petits exploitants pourront mieux s'intégrer au marché. Une meillleure infrastructure (routes, entrepôts, marchés au comptant, services de communication) réduira le coût des transactions et leur permettra d'accéder aux marchés. Des interventions leur garantissant l'occupation des sols, ainsi que des normes de sécurité et de protection de leurs droits de propriété encourageront les petits agriculteurs à investir dans leurs terres. L'accès à l'enseignement dans les zones rurales est primordial pour être à même de négocier au sein de filières complexes. Il est également impératif que les politiques remédient aux inégalités homme-femme et aux injustices liées aux ressources afin que les conditions de vie des femmes et de leurs familles s'améliorent.
27Modeler un environnement favorable aux petits exploitants agricoles est essentiel mais c'est là une approche du développement relativement passive. Pour se montrer plus actif, le secteur public pourrait proposer des mécanismes destinés à solliciter une plus grande participation du secteur privé dans le développement des chaînes de valeur, et ce au profit des petits exploitants. Ces mécanismes pourraient élargir les activités commerciales des petits agriculteurs, réduire le coût des transactions et établir une relation de confiance entre eux, les négociants et les transformateurs. Les interventions doivent être variées pour mieux s'adapter aux caractéristiques des différentes filières de production, à leur niveau de développement, à l'hétérogénéité des petits agriculteurs et aux obstacles auxquels ils doivent faire face.
28De nombreux mécanismes innovants, qui allègent les coûts de participation au marché, mettent l'accent sur la nécessité, pour les petits exploitants, de s'organiser en groupements, formels et informels. Toutefois, malgré le soutien considérable de donateurs, les coopératives et les associations d'agriculteurs ont du mal à s'imposer et à créer des liens entre leurs membres et les marchés, même s'il existe de nombreux exemples d'expériences réussies. Une partie du problème réside dans le fait que ces organisations n'ont souvent pas été en mesure de concentrer leurs efforts sur la fourniture de services commerciaux à leurs adhérents. Pour remédier aux faiblesses du passé, il serait nécessaire qu'existent des organisations commerciales gérées par des professionnels qui seraient au service des agriculteurs. Le secteur public doit également s'attacher à réduire les risques que courent les investisseurs privés, et ce en renforçant le facteur confiance. Des instances délibératives, où le secteur public jouerait un rôle de modérateur, pourraient être utilisées pour mener les parties prenantes à une action conjointe. Citons en exemple les ateliers qui réunissent toutes les parties concernées, les tables rondes organisées sur les chaînes de valeur, et les associations interprofessionnelles axées sur les produits.
29Les gouvernements ont un rôle majeur à jouer dans la promotion de la participation des petits exploitants aux marchés des produits et des intrants. Cela implique une meilleure fourniture des biens et des services qui ne sont pas assurés de façon satisfaisante par le secteur privé, comme la recherche et le développement, la vulgarisation, l'information ayant trait aux marchés et aux nouvelles technologies. Même si ces services peuvent être fournis par le secteur privé, ils devront être financés par le secteur public pour que les petits exploitants puissent y accéder de façon permanente.
30Les gouvernements peuvent apporter un véritable soutien aux petites exploitations en développant par exemple une recherche axée sur les besoins des petits agriculteurs et des consommateurs, en partenariat avec le secteur privé quand cela est possible. Les services de vulgarisation gouvernementaux ont eu tendance à privilégier le conseil alors que les questions de commercialisation, de sécurité alimentaire et de liens avec l'industrie agroalimentaire restaient secondaires. Toutefois, les ministères de l'Agriculture reconnaissent désormais la nécessité de soutenir les petits exploitants en adoptant une approche plus centrée sur les marchés. Ce qui exige la formation d'un personnel chargé de la vulgarisation et du développement de supports éducatifs destinés aux agriculteurs. On pourrait également envisager la promotion de services commerciaux de vulgarisation susceptibles de prendre la suite des départements gouvernementaux.
31Les pratiques agricoles des petites exploitations qui s'adaptent au changement climatique devraient être encouragées. Le défi consiste à concevoir des mécanismes de financement qui incitent les petits exploitants à une bonne gestion de l'environnement. Plus largement, ces mécanismes devraient garantir les services destinés à la protection des écosystèmes, comme l'entretien des bassins versants, la fixation du carbone et la protection de la biodiversité.
32Les agriculteurs ont besoin d'informations rapides et fiables sur les marchés. Outre les informations qui ont trait aux prix, ils doivent pouvoir identifier les acheteurs et connaître les conditions à remplir pour nouer telle ou telle relation commerciale. Les services d'information pêchent souvent par leur manque de rapidité. Les nouvelles technologies permettent d'y remédier, en particulier grâce au téléphone portable, très répandu dans les pays en développement.
33Les gouvernements vont désormais devoir faire face aux restrictions de participation aux marchés dues à un capital de départ trop faible ou à des technologies insuffisantes. Au cours des deux dernières décennies, en de nombreux points du globe, le financement agricole gouvernemental destiné aux petits exploitants a fortement décliné. Dans certains cas, le fossé a été comblé par des coopératives de crédit, des institutions de microfinance, des banques commerciales, voire par des accords contractuels visant à promouvoir la chaîne de valeur. Toutefois, l'accès des petits exploitants aux services financiers demeure très limité.
34Des allègements fiscaux accordés aux institutions financières, telle la réduction des taxes sur les transactions commerciales, se sont parfois avérés efficaces pour renforcer la fourniture de services financiers aux petits exploitants. Le secteur bancaire et les gouvernements devront collaborer étroitement pour concevoir des mécanismes de crédit susceptibles d'accroître les investissements des ménages ruraux. Des procédures simplifiées, un calendrier de remboursement adapté aux flux des revenus des emprunteurs, et de nouvelles offres s'appuyant sur l'épargne ou sur l'appartenance au groupe professionnel pourraient améliorer l'accès au crédit des agriculteurs.
35Partout où l'accès aux intrants est limité en raison du manque d'informations ou de la perception des risques, des mesures facilitant l'adoption des nouvelles technologies peuvent contribuer à renforcer la production, la sécurité alimentaire et la commercialisation. Des « kits de démarrage » ou des programmes de subvention d'intrants bien ciblés peuvent aider les petits exploitants sans entraîner de distorsions du marché. Il conviendrait d'établir ensuite les modalités adéquates pour que ces derniers puissent se désengager progressivement de ces programmes de subvention ciblés.
- 5 Voir http://www.fao.org/ag/ags/subjects/en/agmarket/ linkages/index.html
- 6 Voir http://www.fao.org/ag/ags/contract-farming/index-cf/en/
36L'une des priorités de la FAO est de faciliter la participation des petits exploitants aux marchés. L'Organisation a travaillé en lien étroit avec plusieurs pays afin de concevoir des supports de formation et de vulgarisation axés sur le marché. Elle a également mis en place des ateliers dans les différentes régions pour discuter de la question des liens commerciaux et a compilé un ensemble d'études de cas 5 . Au cours des deux prochains exercices biennaux, une série d'ateliers sous-régionaux et régionaux est prévue pour discuter plus avant du concept d'une vulgarisation axée sur le marché et développer de nouveaux projets nationaux de formation. La FAO contribue à une plus grande participation des petits exploitants par le biais de l'agriculture contractuelle, lien spécifique entre les exploitations et les marchés. Après la publication, en 2001, du bulletin « Agriculture contractuelle, partenariats pour la croissance », qui a connu un fort retentissement, la FAO a mis en place un site, le Centre de ressources sur l'agriculture contractuelle 6 , qui rassemble tous les renseignements sur les contrats et propose une « Foire aux questions ». Un atelier sur l'agriculture contractuelle en Afrique s'est tenu à Johannesburg en 2009. Une publication donnant des conseils sur l'élaboration de programmes de ce type sera éditée, ainsi que plusieurs guides plus concis. L'accent sera mis sur des liens incluant les petits exploitants les plus démunis.
- 7 Le groupe de travail interdépartemental de la FAO sur la mise en place d'institutions de développem (...)
37Une attention particulière est accordée au rôle que jouent les associations d'agriculteurs et les coopératives dans les relations entre leurs membres et les marchés 7 . Tout un matériau de soutien est en préparation, dont des publications concernant les filières commerciales spécifiques, comme les produits biologiques et les produits à indication géographique protégée. On souligne également la nécessité d'établir des liens étroits avec le secteur privé et de développer des stratégies privilégiant les produits durables en promouvant les associations de chaîne de valeur. Plusieurs ateliers régionaux portant sur le développement institutionnel ont été organisés dans le cadre du programme « Tous ACP » relatif aux produits agricoles de base (AAACP), programme lancé par l'Union européenne en 2007. Ces ateliers visaient à identifier les initiatives pratiques pour encourager leur multiplication.
38La FAO entreprend par ailleurs une évaluation analytique et politique afin d'affiner les approches visant à intégrer les petits exploitants dans des structures organisationnelles commerciales et à faciliter leur transition vers un stade supérieur de développement. Une série d'études précises est en cours sur les obstacles que rencontrent les petits exploitants dans leur participation au marché. Le choix d'une politique s'appuiera sur une approche globale conçue pour mieux appréhender, d'une part, la dynamique entre la taille des exploitations et le développement et, d'autre part, la contribution des petits agriculteurs à la sécurité alimentaire et nutritionnelle et à une plus forte croissance économique.
39Le projet vise également à évaluer les points forts et les points faibles des petits exploitants dans le contexte des systèmes de marché agricoles afin d'énoncer des recommandations pour développer la chaîne de valeur et proposer des stratégies de transition. Les autres objectifs tendent à renforcer les capacités des parties prenantes à mettre en œuvre des politiques en faveur de la petite agriculture dans le but de promouvoir une croissance durable, d'améliorer les moyens de subsistance en milieu rural, de diversifier les approvisionnements alimentaires et de faciliter la transition des petits exploitants en réduisant leur vulnérabilité.
Notes
1 Voir par exemple N. Key et M. Roberts, « Measures of Trends in Farm Size Tell Differing Stories », 2007. Dans ce document, on a utilisé la moyenne pondérée des hectares pour classer les exploitants entre petits et grands. La moyenne pondérée est calculée en classant les exploitations de la plus petite à la plus grande et en situant le seuil à mi-chemin. La moyenne pondérée des hectares d'un pays est censée mieux refléter les opérations où se déroule la majeure partie de la production.
2 Voir « Awakening Africa's Sleeping Giant ». Rapport publié en 2009 par la FAO et la Banque mondiale.
3 Voir « The Transformation of Agri-Food Systems ». Rapport de E. McCullough, P. Pingali et K. Stamoulis, publié en 2008 par la FAO.
4 S. Fan et C. Chan-Kang, « Is Small Beautiful ? Farm Size, Productivity, and Poverty in Asian Agriculture », Agricultural Economics 32, p. 135.
5 Voir http://www.fao.org/ag/ags/subjects/en/agmarket/ linkages/index.html
6 Voir http://www.fao.org/ag/ags/contract-farming/index-cf/en/
7 Le groupe de travail interdépartemental de la FAO sur la mise en place d'institutions de développement agricole a publié en 2010 un document intitulé « Comment mobiliser les petits producteurs et parvenir à la sécurité alimentaire. Tirer les leçons des bonnes pratiques dans la mise en place d'institutions de développement agricole et rural ».
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Référence papier
Hafez Ghanem, « Politiques et institutions à l’appui des petites exploitations agricoles », Études rurales, 187 | 2011, 63-78.
Référence électronique
Hafez Ghanem, « Politiques et institutions à l’appui des petites exploitations agricoles », Études rurales [En ligne], 187 | 2011, mis en ligne le 01 janvier 2011, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/9376 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.9376
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