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Comptes rendus

Rafe Blaufarb, Bonapartists in the Borderlands. French Exiles and Refugees on the Gulf Coast, 1815-1835

Tuscaloosa (Alabama), University of Alabama Press, 2005, 302 p.
Fabien Gaveau

Texte intégral

Rafe Blaufarb, Bonapartists in the Borderlands. French Exiles and Refugees on the Gulf Coast, 1815-1835. Tuscaloosa (Alabama), University of Alabama Press, 2005, 302 p.

1Spécialiste de l’armée française des années 1750 aux années 1830, Rafe Blaufarb présente ici une étude riche et précise de l’établissement d’une colonie agricole voté en 1817 par le Congrès des États-Unis d’Amérique. Cette colonie accueille des exilés français venus de Saint-Domingue après les révoltes des années 1790, et de France après la chute de l’Empire. Cet ouvrage mériterait d’être plus largement diffusé auprès du public francophone, par le biais notamment de la traduction.

2L’auteur situe cette initiative dans un double mouvement. En 1816, des Français exilés à Baltimore et Philadelphie espèrent obtenir des États-Unis le droit de fonder une colonie agricole dans l’ouest du pays. Même s’il est confus, leur projet répond à leur désir de reconstruire leur vie. Ils savent toutefois qu’ils rencontreront de grandes difficultés d’autant que les moyens leur manquent.

3Ils connaissent les mêmes déboires que ceux qui s’étaient lancés dans des entreprises du même ordre dès 1790 : le marquis de Lezay-Marnésia à Gallipolis, dans l’Ohio, en 1790 ; le vicomte de Noailles à Asylum, en Pennsylvanie, en 1793 ; des Suisses du canton de Vaud à Vevay, dans l’Indiana, en 1805.

4Les Français sollicitent alors le Congrès des États-Unis, faisant jouer toutes leurs relations, tels le marquis de La Fayette, Thomas Jefferson, James Madison ou encore James Monroe.

5Cependant, tout en répondant à leurs demandes de février et mars 1817, le Congrès se préoccupe moins de leur donner satisfaction qu’il ne saisit là l’occasion de réaliser un projet d’intérêt national. Il attribue aux demandeurs des terres récemment arrachées aux Indiens et situées à la confluence des rivières Tombigbee et Black Warrior en Alabama, nouveau territoire de la Fédération, confirmé par un acte du 3 mars 1817. En contrepartie, les Français s’engagent à planter des vignes et des oliviers sur les lots qu’ils reçoivent autour de leur nouvelle ville : Demopolis.

6Rafe Blaufarb présente les quelques bénéficiaires de l’opération. La liste, forte d’environ 400 personnes, provient d’un document de 1818 révisé en 1825. De grands noms y figurent comme celui de Joseph Bonaparte, du maréchal Emmanuel de Grouchy, du général Lefebvre-Desnouettes, de Joseph Lakanal, du général Clausel. Y figurent aussi nombre de militaires, d’hommes d’affaires et d’aventuriers.

7Rafe Blaufarb insère l’engagement du Congrès dans le contexte géopolitique de l’époque. En effet, cette région a montré sa faiblesse lors de la guerre contre les Anglais en 1812. De plus, les Indiens sont remuants et, face à une Floride espagnole, il importe de fixer des habitants qui défendront les confins de la Fédération. Les modalités qui président à la constitution et à la répartition des lots sont précisément décrites. Les cartes qui ont servi à ces diverses opérations sont publiées et commentées.

8Rafe Blaufarb n’occulte pas les difficultés auxquelles se heurte l’entreprise. Parmi ceux qui ont été bien lotis, beaucoup ne connaissent rien à l’agriculture. Quelques-uns ne verront d’ailleurs jamais leurs terres, préférant rester dans les grandes villes et y vivre en rentiers. En outre, beaucoup rêvent d’aventures plus glorieuses que celle qui consiste à mettre en valeur des zones marécageuses, insalubres et trop isolées. Les terres espagnoles que traversent des mouvements d’émancipation semblent plus riches de promesses que ces terres vierges.

9Ainsi, une expédition est organisée par le général Charles Lallemand. Ce dernier avait combattu en Italie, en Égypte, à Haïti, en Espagne, à Waterloo. En 1815, il avait, en vain, tenté sa chance en Perse. Depuis Boston, où il a rejoint son frère en mai 1817, il s’associe à un neveu de Danton pour rassembler quelque 150 hommes. Leur commandement est confié au Français Antoine Rigaud, en vue de conquérir des terres au Texas. L’opération est un désastre. D’autres Français rallient des généraux au Mexique, au Guatemala, au Pérou et aux Philippines.

10Les terres de Demopolis se doteront tout de même de plantations. Loin de produire du vin et des olives, elles produiront du coton, cultivé dans un système esclavagiste mené par une élite où se mêlent anciens planteurs de Saint-Domingue, marchands de la Nouvelle-Orléans et nouveaux propriétaires issus des États du sud de la Fédération.

11Certains Français parviendront cependant à faire fortune. Ainsi, Paul Tulane, dont une université de la Nouvelle-Orléans porte le nom, deviendra un riche marchand. Aimée Valcour, propriétaire de la plantation de sucre de Pointe-Coupée, surnommé « Prince des planteurs », Paul-Louis Bringier, dont la famille est venue de Guadeloupe, réussira à acquérir un territoire vaste au point de devenir le plus grand planteur de la Louisiane des années 1830.

12Quant aux anciens réfugiés de Saint-Domingue, ils constituent des domaines et des commerces qu’ils gèrent à la manière de leurs anciennes propriétés jadis florissantes sur « l’île à sucre » où les esclaves révoltés ont proclamé la République noire d’Haïti. Leur style de vie, toujours marqué par des habitudes aristocratiques françaises, alimente le stéréotype du « maître des plantations ». Cette image nourrira l’imaginaire jusqu’à influencer le cinéma américain des années 1930 et 1940, ce dont témoigne Autant en emporte le vent, qui paraîtra juste avant la Deuxième Guerre mondiale. L’ouvrage parvient ainsi à montrer comment les modèles de mise en valeur des espaces agricoles ont circulé dans l’espace caribéen et au-delà.

13Pour ceux qui pourront rentrer en France, Demopolis restera parfois une source d’inspiration. Ainsi, nommé en août 1830 général en chef de l’armée d’Afrique en Algérie, puis, en 1834, gouverneur général de ce territoire, Bertrand Clausel proposera d’y établir des colonies agricoles de vétérans pour en contrôler la gestion.

14En somme, par-delà l’étude d’un site et d’une entreprise publique de colonisation, la dernière de ce type aux États-Unis, l’auteur examine les modalités d’appropriation de nouvelles terres sur le sol américain tout en éclairant, sous un angle original, la circulation des idées et des pratiques économiques à travers la culture et les projets de marchands, d’aventuriers, de réfugiés et de planteurs.

15Ce travail creuse divers aspects de l’histoire occidentale. Il donne aux États-Unis du Sud la place qu’ils occupent dans la grande « révolution atlantique » qui se développe dans les dernières décennies du XVIIIe siècle. La circulation des modèles et des expériences économiques accompagne celle des hommes et des doctrines. En outre, la société esclavagiste qui, avec les réfugiés français, s’installe dans le Vieux Sud diffère de ce que les colons écossais, anglais ou allemands ont établi dans les Virginies et les Carolines. James Oakes avait attiré l’attention des chercheurs sur ce point, invitant, dès les années 1980, à ne pas considérer les propriétaires d’esclaves de manière uniforme1.

16La richesse du travail de Rafe Blaufarb apportera beaucoup aux chercheurs intéressés par l’histoire rurale et par l’histoire des idées de part et d’autre de l’Atlantique. Cet ouvrage est à lire, encore et encore.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Fabien Gaveau, « Rafe Blaufarb, Bonapartists in the Borderlands. French Exiles and Refugees on the Gulf Coast, 1815-1835 »Études rurales [En ligne], 186 | 2010, mis en ligne le 11 mars 2013, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/9339 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.9339

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Auteur

Fabien Gaveau

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