1AU SORTIR DE la Première Guerre mondiale, le Moyen-Orient connaît une période d’importantes transformations sociopolitiques bien qu’on puisse observer certaines continuités entre l’Empire ottoman et l’ère mandataire : la survivance des « solidarités primordiales » basées sur la religion, la tribu ou le clan, ou encore la prééminence des relations de patronage entre les notables et les populations urbaines [Hourani, Khoury et Wilson 1993]. Ainsi, après plusieurs siècles de domination du sultan-calife ottoman, le Levant (Syrie, Liban, Palestine), la Jordanie et l’Irak se retrouvent sous la tutelle de pays européens. Par ailleurs, le tracé des frontières des nouveaux États fondés sur les décombres de l’Empire ottoman induit de nouvelles identités territoriales, sépare les tribus, entrave les réseaux religieux confrériques ainsi que les circuits économiques traditionnels. Les populations nomades, quant à elles, deviennent la cible des vigoureuses politiques de sédentarisation qu’avaient déjà initiées les autorités ottomanes.
2Si divers groupements ethniques et/ou religieux du Moyen-Orient sont touchés par ces changements [Bocco et Meier eds. 2005 ; Dakhli, Lemire et Rivet eds. 2009], les plus touchés sont les Kurdes, lesquels vivent en majorité dans les zones rurales et sont, depuis 1925, principalement répartis sur quatre États : l’Irak, l’Iran, la Syrie et la Turquie. Aussi, coupées d’une partie de leurs branches restées dans un État voisin, des confédérations tribales réorganisent leurs chefferies, et ce souvent de façon violente [van Bruinessen 1992]. Les différends frontaliers entre les nouveaux États désireux d’affermir leur autorité dans les territoires frontières ouvrent la voie à une instrumentalisation politique et militaire des tribus kurdes. Leur déplacement forcé et la destruction de leur habitat traditionnel sont lourds de conséquences. La montée des nationalismes, qui s’accompagne d’une catégorisation des sociétés moyen-orientales [Fuccaro 2004], fait des Kurdes une « minorité » ethnique aux yeux des nouvelles élites étatiques.
- 1 Les populations kurdes placées sous mandat français occupent, le long de la frontière turque, trois (...)
3La haute Djézireh syrienne, objet d’un vaste projet de colonisation politique entrepris par la France [Latron 1936] dans les années 1920-1930, est un singulier terrain d’observation des populations rurales kurdes1 dans l’entre-deux-guerres. D’abord parce que toutes les dynamiques susmentionnées (réorganisation, instrumentalisation, sédentarisation, minorisation) interagissent dans un territoire relativement restreint : l’extrémité nord-est de la Syrie. Ensuite parce que la dimension modeste de la haute Djézireh favorise les relations entre les petites villes et la campagne environnante. L’étude des interactions économiques, sociales et politiques entre ces deux milieux nous conduira à questionner, dans le sillage des travaux récents en histoire ottomane [Khoury 1997 ; Afifi et al. 2005] et en histoire mandataire [Méouchy 2004 ; Provence 2005], les idées reçues sur les communautés locales vivant en vase clos.
- 2 Venant des petites villes que sont Amouda, Andiwar, Derbessié, Derik, Hassaka, Qamichli et Ras al ’ (...)
4Dans cet article, nous rappellerons brièvement le contexte de la mise sous tutelle internationale de la Syrie et les enjeux tant géostratégiques qu’économiques dont la haute Djézireh a été l’objet. Partant des travaux incontournables de Christian Velud [1986, 1987, 1991, 1993 et 1995], nous nous intéresserons à la politique mandataire qui s’est traduite par la colonisation de la Djézireh et par la cooptation de notables urbains2 chrétiens et de « grands chefs » tribaux kurdes et arabes venant des campagnes alentour. Ce faisant, nous serons amené à nuancer la thèse de Christian Velud sur la suprématie de la ville.
- 3 Les Services spéciaux sont censés effectuer des missions de recherche et de renseignement pour le c (...)
5Sur une autre échelle [Revel 1996], l’analyse du mouvement autonomiste de la Djézireh (1936-1939) nous permettra de mieux saisir l’alliance kurdo-chrétienne qui a défié l’autorité du gouvernement syrien. À juste titre, les élites nationalistes de Damas ont accusé la France d’organiser ce mouvement fondé sur la cooptation, par les Services spéciaux3, de chefs kurdes et de notables chrétiens [Velud 1991 ; Mizrahi 2003a ; Tachjian 2004]. En ce sens, l’expérience de la haute Djézireh est comparable à celle d’autres territoires habités par des « minoritaires » (alaouites et druzes) vivant sous l’influence d’officiers français [Khoury 1987].
- 4 Si le terme « marge » recoupe en partie les notions de « confins » et de « marches », il ne se conf (...)
6Si le rôle de la France dans la formation d’un territoire de marge4 en haute Djézireh a été essentiel, les sociabilités anciennes et le nouveau contexte socio-économique ont contribué à faire émerger une région jouissant, dans la Syrie mandataire, d’une identité particulière.
- 5 Elle le fait d’abord sur la base des autonomies confessionnelles. Au début des années 1930, les Éta (...)
7Après la conférence de San Remo en avril 1920 réunissant les puissances alliées victorieuses, la Société des Nations mandate la France pour organiser le territoire de la Syrie5. Quelques mois plus tard, les autorités turques acceptent les termes du traité de Sèvres, signé le 10 août 1920, préconisant la création d’un État arménien et d’un État kurde dans l’est de la Turquie actuelle, tandis que les partisans de Mustafa Kemal organisent une révolte contre les puissances européennes qui occupent certaines parties du pays, dont le Sud-Est anatolien.
- 6 À l’époque ottomane, la Djézireh est le domaine où se rendent les tribus arabes nomades (Chammar, T (...)
8Si les troupes françaises occupent Damas sans trop de difficultés, elles rencontrent cependant, dans la région d’Alep [Mizrahi 2003b] et en haute Djézireh6, une importante résistance armée. La présence de forces turques dans la haute Djézireh fait obstacle au contrôle effectif de l’ensemble du territoire syrien. Voulant éviter une guerre avec les nouveaux maîtres de la Turquie, la France consent à une perte de territoires, dont la Cilicie, Mardin et Djézireh Ibn Omar, au moment de la signature de l’accord de paix d’Ankara de 1921 [Tachjian 2004]. Malgré sa victoire diplomatique à Ankara, la Turquie scelle des accords avec des chefs tribaux et des dirigeants de bandes armées en vue d’affaiblir l’autorité française le long de la frontière turco-syrienne [Méouchy 2004].
- 7 CADN (Centre des archives diplomatiques de Nantes), Fonds Beyrouth (FB), Cabinet politique (CP) 549 (...)
- 8 Les relations turco-britanniques entrent dans une phase critique au début des années 1920 à cause d (...)
9Durant les années 1920, la haute Djézireh se trouve de fait au centre de revendications territoriales impliquant trois acteurs : la France, la Grande-Bretagne (en tant que puissance mandataire en Irak) et la Turquie. La France souhaite contrôler une zone qui puisse lui assurer plusieurs voies de communication avec l’ancien vilayet de Mossoul. Du reste, certains officiers français considèrent comme opportun de conserver des positions près de la région du Kurdistan7, qui connaît une période très mouvementée [Bozarslan 1988 ; Olson 1989 ; Kieser 1998]. Pour la Grande-Bretagne, la présence de postes militaires turcs aux limites de la zone contestée de Mossoul est inquiétante8. En cas de guerre, la haute Djézireh pourrait être utilisée par la Turquie comme un deuxième front militaire. C’est pourquoi, entre 1920 et 1926, la Grande-Bretagne suit de très près les négociations franco-turques et se montre favorable à la France, espérant que le contrôle français de cette région assurera la stabilité de son mandat en Irak [Sluglett 2006].
- 9 SHAT (Service historique de l’armée de terre), 4H 91. Service des renseignements, bulletin no 289. (...)
10Lorsque la France réussit à s’allier certaines tribus kurdes de la haute Djézireh, le gouvernement d’Ankara montre un certain empressement à contrôler cette région, craignant la formation d’un foyer de rébellion9. Afin de parvenir à un accord, la Turquie et la France créent une commission d’abornement de la frontière turco-syrienne qui permet des réunions régulières jusqu’en 1929, date à laquelle les deux parties signent un protocole précisant en détail le tracé de la frontière entre Nissibin et Djézireh Ibn Omar.
11C’est dans ce contexte international tendu que le Haut-Commissariat français lance au début des années 1920 un programme de sédentarisation et de rentabilisation économique de la Djézireh avec deux objectifs principaux : stabiliser la frontière septentrionale de la Syrie et justifier sa tâche « civilisatrice » au Levant [Velud 1993]. Pour relever ce défi, le Haut-Commissariat envisage la mise en place d’une politique d’accueil et d’installation de réfugiés arméniens et syriaques de Turquie [Tachjian 2004]. Des irréguliers turcs, kurdes et arabes continuent toutefois de défier l’autorité française sur la Djézireh et menacent la sécurité des colons. En réponse, la France encourage l’établissement de milliers de Kurdes fuyant la répression du régime kémaliste à la suite de l’effondrement de la révolte de Cheikh Saïd en 1925 [Olson 1989].
12À côté de chefs tribaux kurdes, la Syrie mandataire accueille des intellectuels kurdes originaires de Turquie. Ces derniers forment en 1927 la ligue Khoyboun, comité nationaliste qui s’investit dans la (ré)ethnicisation de l’identité kurde en Syrie et qui a pour mission d’organiser une révolte armée contre le régime kémaliste [Tejel Gorgas 2007]. Les activités politiques de ce comité provoqueront par ailleurs des incidents diplomatiques entre la France et la Turquie tout au long des années 1930.
- 10 CADN, FB, CP 413 : « Rapport général de la reconnaissance foncière de la Djézireh », Beyrouth, avri (...)
13La politique d’accueil et de sédentarisation des populations chrétiennes et kurdes modifie profondément la structure du tissu social en haute Djézireh. Si, avant 1927, on comptait à peine 45 villages kurdes, en 1941, on en compte plus de 700, avec une population totale (141 390 habitants) qui se répartit comme suit : 57 999 Kurdes (semi-nomades et sédentaires), 34 945 chrétiens de divers rites et de diverses langues ainsi que 48 749 Arabes, bédouins et sédentaires10. Ces transformations démographiques s’accompagnent de projets socioéconomiques qui auront des répercussions durables durant le mandat français et au-delà. Ainsi, le Haut-Commissariat encourage l’urbanisation de la haute Djézireh, d’une part, et cherche à consolider des relais politiques en milieu rural et en milieu urbain, d’autre part.
- 11 Les contacts entre la France et les chefs bédouins sont assurés par le Contrôle bédouin et le Servi (...)
- 12 Pendant que la Syrie se prépare aux élections législatives d’octobre 1925, un mouvement insurrectio (...)
14Dans les steppes (bâdiyya), s’appuyant sur la politique initiée par la Sublime Porte et suivie par la Grande-Bretagne en Irak [Batatu 1978] et en Transjordanie [Bocco 1996], la France choisit de s’adresser directement aux chefs tribaux, faisant d’eux des interlocuteurs privilégiés afin d’assurer la sécurité du territoire et de restreindre les parcours des nomades11. La grande révolte syrienne des années 1925-192712 viendra conforter ce choix stratégique : en échange de leur soutien au Mandat, les chefs bédouins reçoivent, après quelques aménagements de la loi foncière, des subventions et des terres de l’État [Khoury 1988 ; Velud 1995].
15Selon le Code foncier ottoman de 1858, les terres de la zone steppique étaient inscrites comme « terres mortes » (mawwât) ou incultes, n’appartenant à personne. La mise en valeur de ces terres permettait d’accéder à un droit de possession (tasarruf), le terrain entrant alors dans le domaine des terres dites miri, c’est-à-dire propriété de l’État. Sous mandat, la grande majorité des terres de la Syrie étaient propriété de l’État, qui en cédait la possession. En plus de leur droit officiel à la possession, nouveauté par rapport à la loi ottomane, les grands chefs tribaux bénéficiaient d’autres avantages, qui pouvaient prendre la forme d’indemnités ou d’un pouvoir législatif et foncier. Peu familiers de la culture des terres, les chefs tribaux les confiaient à des métayers, généralement des paysans kurdes (fallahin).
16Si ces mesures présentent l’avantage de s’assurer la coopération des chefs tribaux, elles n’empêchent pas que des conflits éclatent autour de la propriété terrienne. Alors qu’en Transjordanie la politique mandataire de cadastrage et de remise de titres de propriété garantit une certaine paix sociale [Tell 1993], la Syrie voit se multiplier les litiges fonciers dans diverses régions, dont la haute Djézireh. Les raisons en sont multiples : imprécision de la législation et des usages en la matière ; absence d’enregistrement moderne des droits immobiliers ; non-délimitation du domaine privé de l’État ; le fait qu’il s’agisse d’un « pays neuf » ; carences des Services fonciers et domaniaux.
- 13 CADN, FB, CP 504 : « Note concernant les travaux de reconnaissance foncière à effectuer dans la Djé (...)
17Les litiges les plus courants concernent des terrains situés hors des zones de transhumance des tribus et qu’elles prétendent mettre en valeur. Selon la tradition bédouine, le fait de faire paître des troupeaux dans des pâturages confère une sorte de droit de propriété aux tribus. Les litiges intertribaux portent parfois sur des zones couvrant entre 15 000 et 20 000 hectares, comme c’est le cas dans la région de Tell Roumelan, où les fractions bédouines des Chammar s’opposent aux Tchitié, Kurdes sédentaires13.
- 14 CADN, FB, CP 504 : « Note de la sous-délégation de Djézireh pour le Lieutenant-Colonel Inspecteur g (...)
18Pour faire face à ces problèmes, l’administration mandataire, à quelques exceptions près, cantonne les agriculteurs (Kurdes) dans les terres fertiles du Nord et les pasteurs (Arabes bédouins) dans les steppes du Sud14. Si bien que progressivement on voit émerger une ligne de démarcation à la fois socioéconomique et ethnique, qui sépare la haute Djézireh, « territoire policé » (ma’âmura) composé de petites villes habitées par des chrétiens et entouré de centaines de villages agricoles à majorité kurde, et la basse Djézireh, domaine réservé aux Bédouins (bâdiyya).
- 15 Avec le murabâ, le propriétaire fournit le fonds, le cheptel et la semence. Le paysan n’apporte que (...)
19Cette ligne de partage ne doit cependant pas faire oublier les « frontières intérieures » de la Djézireh. Les types de contrats (murabâ et khammas15) passés entre les grands propriétaires et les métayers deviennent ainsi source de friction. Partout où la grande propriété domine, les métayers, qu’ils soient arabes ou kurdes, se trouvent dans l’impossibilité de rembourser leurs dettes, ce qui les lie à vie à leurs propriétaires et créanciers.
- 16 Les propriétés latifundiaires n’apparaîtront qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale avec les (...)
20Cette réalité n’est cependant pas celle de la majorité des paysans kurdes en haute Djézireh durant l’entre-deux-guerres. En effet, la plupart possèdent des propriétés moyennes [Gerber 1987]16. En outre, certaines tribus kurdes, comme les Mersinié d’Amouda, les Hassenan d’Andiwar et les Tchitié basés à l’est de Qamichli, jouissent d’un droit de propriété sur les terres qu’elles cultivent elles-mêmes, ce qui leur assure une certaine prospérité.
- 17 Archives dominicaines (AD), Haute Djézireh (HJ), D 45, vol. 1 : « Rapport général de reconnaissance (...)
21Dans les faits, les rapports entre paysans et propriétaires sont plus fluides que ce que certaines études laissent entendre [Latron 1936 ; Weulersse 1946]. Par exemple, entre 1936 et 1937, les Mersinié versent des redevances à Ahmed Jaddouh, chef de la fraction Bou Khattab de la tribu arabe Jabbour. Puis, contestant les droits de ce chef, ils revendiquent l’entière propriété de ces terrains17. De même, les Tchitié, possédant beaucoup de troupeaux de moutons et de terrains de culture, après avoir été inféodés quelques années aux Chammar Khorsa, s’autonomisent par les armes. Ainsi, si le nouveau sédentaire accepte, du moins temporairement, de payer le tribut qui lui est imposé, il tend à s’affranchir de son « propriétaire » dès qu’il le peut. Pour cela il cherche un « protecteur » – commerçant, chef de tribu ou fonctionnaire – susceptible de financer son exploitation naissante et de défendre efficacement ses droits auprès du gouvernement. S’il lui est impossible de s’affranchir, il part s’installer sur d’autres terres libres ou se contente de sa situation de métayer.
22Cette fluidité se retrouve également dans les relations entre les chrétiens citadins et les paysans kurdes. Comme l’a souligné Christian Velud, les interlocuteurs des officiers français en milieu urbain sont les notables chrétiens, notamment à Hassaka (chef-lieu de la haute Djézireh) et à Qamichli, véritable « capitale » économique de la région [Velud 1986]. Suivant en cela les analyses de Jacques Weulersse [1946], Christian Velud affirme la primauté de la ville sur la campagne « musulmane », et par là même, celle des chrétiens. Grâce à leurs contacts et à leur activité commerciale, les notables chrétiens peuvent pratiquer l’usure, créant un réseau d’alliance et de clientèle en milieu rural. Sur le plan militaire, l’armée française est représentée en Djézireh par le Huitième Bataillon du Levant, formé en 1930 et composé essentiellement de chrétiens locaux [Velud 1986].
23Les rapports entre la ville et la campagne, entre les chrétiens et les musulmans, ne sont cependant ni figés ni déséquilibrés. Christian Velud précise :
La prospérité de la ville dépend aussi de celle de la campagne [1986 : 89].
- 18 CADN, FB, CP 504 : « Sûreté générale, information no 3542 », Beyrouth, 20 juillet 1937.
- 19 Lors de la préparation des élections législatives de 1936, un foyer partisan des nationalistes syri (...)
24La sécurité même de la ville dépend des liens que les populations urbaines (chrétiennes et musulmanes) entretiennent avec les populations rurales. Ainsi, lorsque les notables urbains se sentent menacés par les Bédouins, ils se réfugient dans les villages environnants18. Le pouvoir politique des chrétiens, corollaire de leur suprématie économique et militaire, se révèle donc relatif. Les événements d’Amouda en 193719 montrent la fragilité de la cohabitation entre les différentes composantes de la société jazîriote et la nécessité pour les chrétiens d’être protégés par les Français et de s’allier avec les notables et chefs tribaux kurdes.
- 20 Ce traité, signé à Paris le 9 septembre 1936, reconnaît la Syrie comme État indépendant et souverai (...)
- 21 Chef de la confédération des Heverkan, qui avait coopéré avec les kémalistes lors de la révolte de (...)
- 22 CADN, FB, Bureau diplomatique (BD) 237 : « Le conseiller d’Ambassade (Damas) au délégué adjoint du (...)
25Qui plus est, la position des notables chrétiens se fragilise davantage encore à partir de 1938 lorsque le Haut-Commissariat s’emploie à étouffer le mouvement autonomiste de la haute Djézireh afin de faire respecter l’esprit du traité franco-syrien20. Se sentant menacés par le rôle politique croissant de notables kurdes, comme Hajo Agha21, certains chefs chrétiens vont jusqu’à dénoncer la « trahison » de leurs coreligionnaires kurdes, qui auraient utilisé leur alliance avec les chrétiens pour renforcer leur prééminence et créer en Djézireh un « centre kurde rattaché au Kurdistan [...] indépendant »22.
26Le caractère « neuf » de la haute Djézireh et la multiplicité, dans cette région, des pouvoirs en contact avec les élites locales – le Haut-Commissariat français, le gouvernement de Damas et les Services spéciaux – permettent aux divers acteurs de faire preuve d’un grand dynamisme dans la mise en place de stratégies individuelles et/ou collectives.
27Nous relèverons ici deux tendances : les « gagnants » du système implanté par les Français en Djézireh – les sédentaires et semi-sédentaires – deviennent pro-mandataires ; les « perdants » – nomades, pour la plupart – se montrent anti-mandataires. Cette division, latente depuis les années 1920, se traduit en 1936 dans des positions « autonomistes » et « nationalistes ». Autrement dit, les innombrables litiges intertribaux, dus en partie à des différences d’ordre social – à l’instar de ce qui se passait dans la vallée de l’Euphrate [Lange 2005] –, ainsi que les ambitions économiques et politiques de certaines élites locales vont se transporter sur le plan local, voire national.
- 23 Les trois principales revendications de la Djézireh sont : un statut spécial, garanti par la SDN, c (...)
28En effet, alors qu’en mars 1936 le traité franco-syrien est en discussion, plusieurs régions périphériques de la Syrie, dont la haute Djézireh, voient émerger des mouvements autonomistes qui réclament le maintien de la présence française sur leurs territoires respectifs. La conclusion du traité franco-syrien le 9 septembre 1936 est suivie d’une large victoire des nationalistes syriens du Bloc national aux élections de novembre, et de la formation d’un gouvernement dirigé par Jamil Mardam Bey. Or, votant pour les candidats autonomistes23 (Kaddour Bey, Khalil Bey Ibrahim Pacha et Saïd Ishak), la haute Djézireh échappe à la mainmise des nationalistes syriens.
- 24 Saïd Agha tantôt se rapproche tantôt s’éloigne des autorités françaises, recherchant une position q (...)
29Bien que la plupart des chefs kurdes se trouvent dans le camp autonomiste, le mouvement autonomiste de la Djézireh ne réunit pas tous les notables et chefs tribaux kurdes. Dans la région d’Amouda, Saïd Agha, chef des Dakkourié, représente l’option unitariste24. Le camp chrétien compte avec le soutien de notables et de chefs catholiques, qui jouissent de liens privilégiés avec certains milieux français favorables au maintien du Mandat. À l’opposé, les chefs syriaques orthodoxes et les chefs arméniens apostoliques, jaloux du pouvoir des religieux catholiques, tentent de dissuader les membres de leurs communautés de s’associer au mouvement [Tachjian 2004]. Certains Syriaques orthodoxes, comme Saïd Ishak, prennent toutefois des responsabilités importantes au sein du mouvement autonomiste.
- 25 CADN, FB, CP 503 : « Aperçu sur la situation politique dans les territoires de l’Euphrate », Beyrou (...)
30La plupart des tribus arabes de la Djézireh sont partagées entre les deux camps. L’origine de ces divisions réside principalement dans la lutte pour le pouvoir au sein de la tribu et dans la lutte pour le contrôle des terres. Le cas le plus emblématique est sans doute celui des Chammar : alors que, avec Daham al-Hadi, chef arabe du Bloc national, le clan Khorsa s’engage aux côtés de Damas, le clan Sinjara s’appuie, lui, sur un chef régionaliste, Cheikh Abd El-Karim Mohamed25.
31Les acteurs du mouvement autonomiste de la Djézireh n’agissent pas seuls : ils agissent avec la complicité d’acteurs « externes ». Comme nous l’avons indiqué, les Services spéciaux s’engagent pleinement dans le mouvement régionaliste de la Djézireh. Les dominicains français, installés en Djézireh depuis 1936 et jouissant du soutien financier et politique du Vatican, jouent aussi un rôle considérable dans le développement de ce mouvement.
32En dépit des divisions, la position autonomiste reste majoritaire dans les principales villes de la haute Djézireh – à l’exception d’Amouda – et dans les zones rurales – notamment dans le qaza du Tigre, où aucune tribu kurde ne s’allie au Bloc national. Certes, la défense des privilèges obtenus (terres, subventions, postes dans l’administration) peut expliquer les choix politiques de certains chefs tribaux et de certains notables. Toutefois la place centrale qu’occupent les chefs tribaux dans le système établi par les autorités mandataires dans les zones rurales syriennes mérite d’être nuancée [Batatu 1978 ; Dodge 2003].
33À la fin des années 1930, certains groupements kurdes – les Kikié, les Tchitié, les Dakkourié et les Hassenan – n’ont pas de chef unique. Dès lors, qu’elles soient pro-ou anti-mandat, pro-ou anti-autonomie, kurdo-chrétiennes ou kurdo-arabes, les options prises par les membres des clans tribaux ne peuvent pas toujours être analysées à l’aune des intérêts matériels et/ou symboliques des « grands chefs ».
34En outre, les paysans kurdes peuvent aussi choisir de défendre leurs intérêts particuliers (terres cultivées) avant toute autre considération (relations privilégiées avec le pouvoir ; liens ethniques, religieux et/ou tribaux). Ainsi, dans la région d’Amouda, des conflits intrakurdes (Mersinié contre Dakkourié) à propos des terres éclatent régulièrement. En même temps, l’introduction d’une certaine modernité économique en haute Djézireh ne va pas sans susciter quelques tensions, qui, avec la récurrence des litiges, tendent à se cristalliser sous la forme d’un clivage ethnique (Kurdes contre Arabes) et confessionnel (chrétiens contre musulmans).
35En effet, durant le Mandat, les Kurdes – semi-sédentaires et sédentaires – descendent vers la plaine et les espaces « vides » afin de trouver de nouveaux pâturages pour leurs troupeaux qui n’en ont plus suffisamment dans la région nord, entièrement cultivée, et afin de posséder ou d’occuper en métayage des terres libres pour y installer leur population en surnombre. De leur côté, les tribus bédouines arabes tentent d’affirmer leur droit de propriété sur ces terres ou de repousser l’avancée des Kurdes.
36Vers la fin du Mandat, les conflits entre Kurdes musulmans et chrétiens s’intensifient. Depuis le début des années 1930, la haute Djézireh est reliée à Alep par la voie ferrée. Il s’ensuit un développement notable du commerce à Qamichli et, pour cette région, un intérêt grandissant de la part de quelques commerçants chrétiens et arabes alépins. Ces derniers proposent à certains propriétaires chrétiens des crédits avantageux qu’ils investissent dans les premières pompes à eau et machines agricoles. L’introduction de ces machines a néanmoins des conséquences négatives pour les métayers kurdes, lesquels se voient contraints d’émigrer ou de travailler pour des propriétaires qui leur imposent des conditions souvent draconiennes.
- 26 CADN, FB, CP 505 : « Rapport du Lieutenant-Colonel René Marchand, inspecteur délégué du Haut-Commis (...)
- 1
37Dans ce contexte, quelques chefs arabes partisans du Bloc national, tel Daham al-Hadi, tentent de faire éclater le « bloc kurdo-chrétien » en propageant l’idée que les chrétiens de la Djézireh finiront par accaparer toutes les terres cultivables « après en avoir chassé les musulmans »26. Peu à peu, Daham al-Hadi arrive à convaincre des chefs et paysans kurdes que l’emploi massif de machines agricoles leur enlèvera tout travail. Le résultat ne tarde pas à se faire sentir : des mukhtars de la tribu des Kikiés s’associent à Daham al-Hadi pour protester contre les achats de terrains par des chrétiens et, en 1939, ont lieu les premières attaques contre des machines agricoles appartenant à des chrétiens27.
38Les populations locales peuvent donc changer facilement d’alliance. Dès lors, les concepts d’« identité » (ethnique et/ou religieuse) et d’« intérêt » doivent être constamment articulés pour comprendre l’engagement des acteurs dans le champ politique.
39En dépit des tensions latentes entre Kurdes et chrétiens à la fin des années 1930, le « bloc kurdo-chrétien » de la haute Djézireh repose sur des bases solides qui ne se limitent pas à son caractère stratégique [Velud 1986]. En ce sens, les subjectivités des acteurs impliqués ainsi que les sociabilités rurales et urbaines s’avèrent déterminantes dans la formation de l’alliance kurdo-chrétienne et dans celle d’une identité hybride propre aux territoires « de marge ».
40Tout d’abord, Kurdes et chrétiens (chefs tribaux, paysans et notables urbains) se considèrent comme « les véritables créateurs », avec l’aide de la France, de la haute Djézireh moderne :
[Les colons] ont fourni la main-d’œuvre nécessaire pour faire, de terres incultes et désertiques, des terrains productifs, riches et prospères [et estiment] par conséquent qu’[ils ont] le droit de s’autodéterminer en toute équité [Tachjian 2004 : 404].
41Un sentiment d’étrangeté vis-à-vis du gouvernement de Damas est perceptible dans le discours des autonomistes :
- 28 AD, HJ, D 45, vol. 2 : « Déclaration de Michel Dôme, président de la municipalité de Qamichli, à So (...)
La Djézireh relevait jadis du vilayet de Diyarbakir28.
42Les habitants de la Djézireh se sentent, en outre, discriminés – mauvaise qualité des routes, manque d’hôpitaux et d’écoles – par le centre politique à cause de leur fidélité à la puissance mandataire. À leurs yeux, la solution est la création d’une administration autonome dirigée par la population indigène.
- 29 AD, HJ, D 44 : « Lettre du Père Drapier au Père Padé du 15 avril 1936 ». Il faut rappeler que, tout (...)
- 30 Lors du recensement de 1933, Alexandrette (province du sud-est de la Turquie actuelle) comptait une (...)
43De surcroît, le discours autonomiste se nourrit d’appréhensions. Les chrétiens de la haute Djézireh craignent que la constitution d’un État-nation dominé par des musulmans ne s’accompagne d’une politique agressive à leur encontre, à l’instar de ce qui s’était produit en Turquie et en Irak29. Les réfugiés politiques kurdes, quant à eux, soupçonnent Ankara de vouloir occuper la Djézireh afin de faire taire les voix dissidentes des Kurdes exilés en Syrie et de régler ainsi « la question kurde ». L’exemple d’Alexandrette, sandjak syrien occupé par la Turquie en 1938, ne fait que renforcer les craintes des chefs et intellectuels kurdes réfugiés en Syrie30. Pour les premiers comme pour les seconds, seule la présence militaire de la France en Syrie peut garantir leur sécurité.
- 31 Selon certaines sources chrétiennes, ce chef participa lui-même aux massacres de chrétiens à Mardin (...)
44L’entente entre Kurdes et chrétiens trouve aussi ses origines dans les sociabilités préexistant à la période mandataire. Ainsi, la plupart des colons de la haute Djézireh étaient originaires de la région allant de Mardin à Djézireh Ibn Omar, en Turquie. S’il est vrai que les relations entre chrétiens et Kurdes avaient souffert des massacres perpétrés à l’encontre des premiers durant la Première Guerre mondiale [Ternon 2007], les chefs kurdes engagés dans le mouvement autonomiste en Djézireh, à l’exception de Khalil bey Ibrahim Pacha31, n’avaient pas participé aux pogroms antichrétiens :
- 32 SHAT, 7 N 4173, D 2 : « État-Major de l’Armée. Sections d’études au Levant. Compte rendu des déclar (...)
Pour ce qui est des Jacobites et des Syriens catholiques, ils se sont toujours bien entendus avec les Kurdes [...]. Nous n’avons qu’à nous louer de l’accord passé, durant la guerre, entre Syriens catholiques et Kurdes. C’est uniquement à cet accord que nous devons d’avoir échappé au massacre général des Arméniens32.
45Sous l’Empire ottoman, les chrétiens ruraux du Tour Abdin (foyer historique des Syriaques orthodoxes) avaient développé un mode de vie et une structure clanique semblables à ceux des Kurdes. Ainsi, des confédérations tribales kurdes, dont les Heverkan et les Kikié, comptaient des clans chrétiens dans leurs rangs. Ce qui explique que lors de la rébellion de Hajo Agha en 1926 contre les autorités turques « les villageois syriaques d’Azekh [aient] pris part à la révolte kurde » [Tachjian 2004 : 269]. Par ailleurs, avant 1925, des citadins musulmans, chrétiens et juifs cohabitaient dans des villes « turques » comme Midiat, Nissibin ou Djézireh ibn Omar. Et, afin de faciliter les échanges commerciaux en ville, la plupart des chrétiens de la haute Djézireh parlaient le kurde, langue devenue véhiculaire dans la région.
- 33 Revue de la presse libanaise et syrienne du 14 au 18 août 1938.
46Une fois constitué, le « bloc kurdo-chrétien » est nourri tantôt par une sociabilité recherchée – foires agricoles, cérémonies pluriconfessionnelles33, accueil d’enfants musulmans dans les écoles catholiques [Velud 1991], tentatives d’ouverture d’écoles kurdes chez les dominicains français [Tejel Gorgas 2007] – tantôt par des liens de simple cohabitation, notamment en milieu urbain – mariages mixtes, quartiers mixtes (notamment à Qamichli), relations professionnelles entre des fonctionnaires locaux issus de diverses composantes ethniques et religieuses.
47C’est ce microcosme singulier, traversé d’alliances anciennes et nouvelles, qui met en émoi les cercles nationalistes syriens :
- 34 CADN, FB, Petits Fonds (PF) 2314 : revue de la presse du 7 au 13 février 1938.
Nous avons été les seuls perdants, et les hommes de notre gendarmerie et de notre police ont été les seules victimes de la sédition34.
- 35 En 1937, après quelques incidents dans les villes de la haute Djézireh et une grande manifestation (...)
48Entre 1936-1938, en haute Djézireh, les maladresses des cadres du Bloc national35 ne font que rapprocher Kurdes et chrétiens, qui prennent conscience de leur caractère « minoritaire » [Khoury 1987 : 526-527], « réalité d’ordre qualitatif et différentiel et condition de dépendance, ou ressentie comme telle » [George 1984 : 5].
- 36 Voir les quotidiens Al-Kabas du 11 juillet 1937 et du 10 février 1938.
- 37 Le Parti communiste syrien, dont bon nombre de membres sont issus du quartier kurde de Damas, souli (...)
49Dès 1938, les erreurs commises par le gouvernement de Damas engendrent des actes de désobéissance. L’attitude défiante des « minoritaires » déclenche une réaction des milieux nationalistes de la capitale syrienne, lesquels incriminent ceux qui n’adhèrent pas à leur projet politique, à savoir une Syrie identifiée à l’arabité. Les articles parus dans la presse syrienne au sujet des Kurdes et des chrétiens sont particulièrement éloquents. Ainsi, les partisans de l’autonomie y sont traités de « réfugiés », de « traîtres »36 et d’« étrangers à la patrie syrienne »37. D’autres, plus radicaux, appellent même à attaquer ceux qu’ils considèrent comme déviants :
- 38 CADN, FB, CP 506 : tract signé par le parti Sûriyya al-Fatât (« Jeune Syrie »), Beyrouth, 2 mars 19 (...)
Terrassez les traîtres pour qu’ensuite vous puissiez affronter l’étranger [la France], unis, la tête haute et le cœur confiant38.
50Paradoxalement, la « minorisation » des groupes agissant en haute Djézireh va de pair avec une progressive « syriannisation » de la vie politique dans cette région. Les notables et une partie de la population jazîriote se répartissent entre, d’une part, les « pro-Damas » et, d’autre part, les « anti-Damas ». Les citadins de la haute Djézireh reproduisent les modes de mobilisation des autres villes syriennes : manifestations, fermeture de souks, grèves et organisation de groupes paramilitaires [Watenpaugh 2002 ; Tejel Gorgas 2009]. L’avenir de la haute Djézireh figure dans l’agenda politique du gouvernement de Damas, et ce après seize années d’un contrôle absolu des autorités mandataires.
51L’observation de la haute Djézireh sous mandat français révèle que les populations rurales kurdes de cette région « de marge » ont vécu des bouleversements comparables à ceux qu’ont vécu d’autres groupements ethniques et religieux du Moyen-Orient : réorganisation, instrumentalisation, sédentarisation, minorisation. Le tracé des nouvelles frontières étatiques et les projets de sédentarisation créent en effet un nouvel équilibre politique, social, économique, voire écologique.
52En étroite relation économique, politique et sociale avec les populations urbaines, les populations rurales n’ont pas subi ces changements de manière passive. Au contraire, elles en ont été acteurs à part entière. Nous avons cherché à restituer leur dynamisme, leurs stratégies parfois contradictoires et ambiguës d’adaptation ou de résistance face aux défis que leur ont posés les évolutions internationales (intervention accrue des puissances européennes), nationales (formation d’un nouveau centre politique et d’une nouvelle identité « nationale ») et locales (perte de la légitimité traditionnelle des chefs locaux au profit d’une relation privilégiée avec les nouveaux pouvoirs).
53Nous avons appréhendé les relations centre-périphérie à partir de la notion de « marge », dans un sens certes spatial mais aussi culturel, politique et social. Loin du « centre » et sous l’autorité directe de la France, la haute Djézireh se trouve dans un rapport à la fois d’autonomie et de dépendance vis-à-vis dudit centre. Elle est parcourue d’influences diverses : celle du « centre », du pouvoir mandataire mais aussi celle d’un ex-espace impérial encore riche de ses circuits économiques, de ses alliances tribales et de ses solidarités linguistiques et religieuses. Encouragées par des officiers français, les populations urbaines et rurales de la haute Djézireh ont contribué à superposer à l’identité d’un espace de transition une identité singulière. En ce sens, la haute Djézireh doit être vue davantage comme une zone hybride que comme un territoire autonome ou, au contraire, comme une marche subordonnée au « centre ».
54Une comparaison avec les transformations intervenues dans d’autres territoires de marge de la Syrie mandataire ou dans d’autres territoires sous mandat permettrait de mieux saisir les similarités et les singularités des diverses recompositions de l’espace rural dans l’entre-deux-guerres au Moyen-Orient.