Florent Quellier et Georges Provost eds., Du ciel à la terre. Clergé et agriculture, XVIe-XIXe siècle
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Florent Quellier et Georges Provost eds., Du ciel à la terre. Clergé et agriculture, XVIe-XIXe siècle. Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, 365 p.
1Actes d’un colloque international tenu en septembre 2006 à l’Université de Rennes, Du ciel à la terre rassemble, sous la direction de Florent Quellier et Georges Provost, les contributions de 25 historiens sur les relations entre le clergé et l’agriculture à l’époque moderne (XVIe-XIXe siècle). Il serait donc vain d’y chercher des articles traitant du rôle capital de la JAC (Jeunesse agricole catholique) dans la modernisation de l’agriculture durant les Trente Glorieuses. Comment résumer cette somme de contributions érudites ?
2L’ouvrage propose un parcours en quatre temps. Le premier porte sur le jardin dans l’univers matériel et spirituel des ecclésiastiques de l’Ancien Régime, principalement en Bretagne. Le deuxième prend pour axe un XVIIIe siècle européen « agromaniaque », où le clergé s’investit dans les progrès de l’agriculture. Le troisième temps s’intéresse aux dynamiques relationnelles entre le clergé et la terre, tant en France qu’en Angleterre ou au Liban. Le dernier temps, enfin, analyse les réactions des Églises chrétiennes en France et au Québec au moment où l’agriculture est repensée à travers la question sociale.
3L’ouvrage débute par la description, que nous fait Clément Gurvil, des jardins des ecclésiastiques parisiens du XVIe siècle, époque où ces derniers ont de grandes compétences en matière d’horticulture et d’arboriculture. Ces religieux, s’ils embauchent des paysans pour les multiples travaux d’entretiens, n’en exercent pas moins une pointilleuse surveillance sur ces espaces privilégiés. Comme le note Florent Quellier, le jardin revêt alors de multiples fonctions : symbole de la résidence et de la stabilité d’une vie locale ; lieu de loisir décent ; espace de méditation, retiré du monde mais au cœur des villages. Le jardinage est alors un véritable habitus pour le clergé tridentin, qu’il soit régulier ou séculier. Georges Provost constate que le tracé du jardin, la netteté des bordures, la claire répartition des espaces récréatifs, médicinaux ou productifs, la dissémination opportune des oratoires créent un espace de pieux exercices dont l’ordonnancement soigné renvoie à la régularité, à la dignité et à la sobriété de l’Église voire, comme le précise la règle des ursulines de Vannes, « au soin amoureux dont nostre Seigneur prend de cultiver les âmes ». Reste que la pratique du jardinage demeure relative et qu’elle doit être nuancée, ce qu’Olivier Charles montre très bien pour ce qui concerne les chanoines bretons du XVIIIe siècle. Ces derniers, outre un intérêt variable pour le jardinage, ne se distinguent pas nécessairement du milieu aristocratique urbain auquel ils appartiennent. L’agronomie fait alors partie du bagage de l’homme cultivé, et le jardinage est un loisir distingué, non spécifique des seuls ecclésiastiques.
4La deuxième partie de l’ouvrage est marquée par un net changement d’échelle et d’attitude. Guy Lemeunier décrit l’entreprise de colonisation agricole du Sud-Est espagnol menée par le cardinal Luis de Belluga y Moncada au XVIIIe siècle. Ces terres lui permettent de doter ses fondations religieuses de revenus stables et d’en soutenir l’essor. L’Église n’est plus alors la bénéficiaire passive du produit des récoltes : elle investit ses revenus dans la production et dans l’aménagement des terres. Danilo Gasparini, Jean-Michel Boelher et Alain Contis relatent également l’engagement des clercs dans les progrès de l’agriculture et dans la formation de la classe paysanne, à Venise, en Alsace ou en Aquitaine. L’investissement est certes philanthropique mais il peut aussi être ambigu quand il est mû par une quête de productivité, sans aucune autre justification que l’« agronomania », comme dans le cas du pasteur Schroeder. Cet investissement peut aussi se solder par un échec, ce que montre Alain Contis au sujet de l’Aquitaine. Toutefois l’agronomie s’affirme comme un élément important de la culture ecclésiastique au XVIIIe siècle. Exhumant des archives les journaux d’exil de prêtres normands réfractaires à la Constitution civile du clergé de 1790, Bernard Bodinier s’en fait le témoin. Ces prêtres ont profité de leur voyage forcé pour comparer les différents modes d’exploitation agricole des pays qu’ils traversaient.
5Moins centrée sur des personnages et davantage sur des organisations religieuses, la troisième partie de l’ouvrage décrit l’extrême complexité du rapport que les Églises entretiennent avec la terre. Stéphane Gomis, pour les fraternités de prêtres sous l’Ancien Régime, et Frédéric Schwindt, pour les confréries, montrent comment celles-ci interviennent dans l’essor de l’agriculture locale, entre autres par les mécanismes de crédit qu’elles mettent en place. Ces structures en faveur de la paysannerie ont pour contrepartie une intégration plus étroite du clergé dans la vie de la société : il participe aux stratégies patrimoniales des familles, christianisant plus profondément encore la population. L’inverse existe aussi. Fabrice Poncet rappelle que, dans le diocèse de Bayeux, la perception de la dîme de l’herbe par le clergé suscite de fréquents conflits avec les paysans. Ce qui met un frein aux progrès de l’élevage et entraîne une certaine indifférence religieuse.
6Jean Morin et John Broad consacrent leurs contributions au cas particulier du clergé anglais. Ce dernier, pris dans un processus de gentrification, se démarque progressivement de la société rurale et délaisse l’exploitation directe de ses terres pour se contenter d’une rente. La contribution de Mathieu Kalyntschuk porte ensuite sur les anabaptistes mennonites dans le pays de Montbéliard au XIXe siècle. Ces derniers, qui vivent en communauté isolée, développent une maîtrise performante des techniques de l’élevage qui n’est pas sans évoquer l’entrepreneur calviniste décrit par Max Weber. Toutefois la comparaison avec les agriculteurs catholiques relativise cet idéal-type. Cette contribution décrit par ailleurs de façon très intéressante les processus d’assimilation des anabaptistes mennonites à la société locale.
7La troisième partie s’achève sur le rôle joué par les monastères dans la mise en valeur des terres agricoles de la montagne libanaise, entre le XVIIe et le XIXe siècle, et que rapporte Sabine Mohasseb Saliba. Il apparaît que les monastères bénéficiaient du soutien de personnalités locales, favorables à la prise en charge des terres par des communautés organisées et disciplinées. Les monastères spécialisés dans la culture du mûrier vont, grâce aux débouchés commerciaux importants de la soie, mener une solide politique d’acquisition de terres. Leurs exploitations souffriront de l’ouverture du canal de Suez, en 1869, qui permettra l’importation massive de soies japonaises et chinoises. Aujourd’hui encore, ces monastères sont les principaux exploitants des terres de la montagne libanaise.
8La dernière partie de l’ouvrage est caractérisée par une grande unité chronologique : le XIXe siècle, intense période de modernisation de l’agriculture sur fond de transformation de la société rurale et d’essor du capitalisme. L’agromanie n’a pas quitté le clergé depuis le XVIIIe siècle, et bien des prêtres sont devenus d’efficaces praticiens, comme le montre Samuel Gicquel en évoquant Honoré Carré qui a mis en culture 200 hectares de landes. En Dordogne, rappelle Corinne Marache, le comice agricole de la Double invitera des trappistes à venir s’implanter pour soutenir l’assainissement et le désenclavement de son territoire. Cette agronomanie ecclésiastique prend des dimensions nouvelles : la modernisation de l’agriculture, écrit Serj Le Maléfan, est promue par des catholiques soucieux de la question sociale, et les clercs sont des relais indispensables pour transmettre leurs idées à la population. Les prêtres doivent devenir des militants actifs au service du bonheur terrestre de leurs ouailles. L’enseignement de l’agriculture et l’organisation des agriculteurs seront deux axes privilégiés de l’action ecclésiastique : Marcel Launay le montre avec les frères de l’Instruction chrétienne, Vincent Petit avec la création des caisses rurales en Franche-Comté. Ce catholicisme social émergent n’est encore que partiellement détaché du politique. Ainsi, rapporte Yann Lagadec, en Haute-Bretagne, la participation ou non du clergé aux comices agricoles dépend de la couleur politique de ceux qui les président. Si l’aristocratie terrienne traditionnelle en est écartée, les prêtres choisissent de dédaigner ces structures. Dans leurs contributions respectives, Normand Perron, Benoît Grenier et Jean Roy observent qu’au Québec l’engagement du clergé répond aux mêmes critères.
9Les conclusions croisées de Régis Bertrand et Jean-Marc Moriceau soulignent la richesse des communications présentées lors du colloque. Le rôle du clergé dans l’agriculture apparaît plus complexe et nuancé qu’on aurait pu le croire de prime abord. Toutefois, pour apprécier ce rôle avec plus de finesse encore, il est nécessaire de pousser plus avant une comparaison entre le monde agricole et le reste de la société.
10Dans une perspective de sociologie historique des religions attentive au processus de rationalisation de la religion mené par les clercs, il serait opportun d’étudier l’évolution de la relation du clergé rural aux rites et superstitions du monde paysan. Il aurait toutefois été intéressant d’avoir une contribution sur les usages, par le clergé, de cérémonies agrestes, comme les rogations ou certains pèlerinages très liés aux récoltes – le pardon du beurre de Saint-Herbot dans le Finistère par exemple. Peut-être pourrait-on y repérer des stratégies d’encadrement des croyances et de christianisation des pratiques propres au monde rural. Dans la même veine, il aurait été intéressant de comparer la mise en sens des calamités naturelles par le clergé à différentes époques. Les spécificités des curés de campagne, les contraintes et les ressources de leur fonction au sein du monde agricole restent encore en partie à explorer. En définitive, même si Du ciel à la terre enrichit l’étude de la relation du clergé avec le monde agricole, il ne fait qu’ouvrir une voie en ce qui concerne le rapport de la pratique religieuse à l’agriculture. Ce n’est pas un reproche car ce n’est déjà plus le même sujet : c’est un encouragement. On attend une suite...
Pour citer cet article
Référence électronique
Yann Raison du Cleuziou, « Florent Quellier et Georges Provost eds., Du ciel à la terre. Clergé et agriculture, XVIe-XIXe siècle », Études rurales [En ligne], 185 | 2010, mis en ligne le 13 août 2012, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/9196 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.9196
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