- 1 Les auteurs tiennent à remercier Isabelle Landry-Deron pour les commentaires et suggestions dont el (...)
1CET ARTICLE porte sur la mobilisation politique qu'a connue le village de Dazhai, situé dans la province du Shanxi, à l'est de la Chine1. Cette mobilisation rendra ce village célèbre à travers toute la Chine et, dès 1964, les paysans chinois seront encouragés à le prendre comme modèle.
2Le village de Dazhai jouissait déjà d'une certaine renommée en raison de l'organisation de sa production avant même l'accession au pouvoir du parti communiste chinois en 1949. Sa renommée s'est affirmée avec, en 1955, la mise en place des coopératives rurales, et n'a fait que croître durant toute l'ère des communes populaires, c'est-à-dire entre 1958 et 1979. En effet, Dazhai est apparu comme la réalisation la plus aboutie de la « ligne des masses », à l'échelle de la province du Shanxi tout d'abord, à l'échelle nationale ensuite ; ce qui a confirmé le bien-fondé du projet collectiviste.
3Situé dans le district de Xiyang, Dazhai est un hameau montagneux d'un peu plus de 300 habitants. Dirigé d'une main de fer par Chen Yonggui, secrétaire du Parti de Dazhai depuis 1952, ce village a été choisi en 1964 par Mao Zedong pour incarner le succès des orientations politiques adoptées après l'échec du grand bond en avant et des premières communes populaires (1958-1960).
4Bien que de dimension modeste et relativement éloigné des autres villages, Dazhai constituait alors non pas une équipe de production mais une brigade de production, échelon qui, à l'époque, représentait la propriété, la gestion, et le contrôle politique.
5En 1964, lors du moment du mouvement d'éducation socialiste, qui visait à modifier, de façon irréversible, les organisations et les techniques, et ce en mettant l'accent sur l'idéologie et la morale révolutionnaire, Dazhai a fait, à Pékin, l'objet d'une exposition. On y montrait comment les membres de cette brigade de production avaient, grâce à d'impressionnants travaux de terrassement, réussi à obtenir des rendements extraordinaires sur des terres de qualité médiocre et, de surcroît, situées à flanc de montagne. Cette exposition a donné lieu à une campagne nationale, connue sous l'appellation « Imiter Dazhai ». Cette campagne, qualifiée de « mouvement », touchera le pays tout entier et ne prendra fin qu'en 1979, bien après la mort de Mao.
6Le mouvement « Imiter Dazhai » a été particulièrement long puisqu'il s'est étendu sur une quinzaine d'années. Il a connu deux étapes, distinctes quoique indissociables : d'un côté, l'expérience du village de Dazhai à proprement parler ; de l'autre, la manière dont cette expérience a été diffusée dans toute la Chine et a influencé le fonctionnement des communes populaires. Nous ne nous intéresserons toutefois qu'à la première de ces deux étapes.
7L'histoire de Dazhai montre comment, en les adaptant plus qu'en les transformant, la collectivisation a affecté les techniques de mobilisation politique expérimentées au cours des premières années du régime communiste. Cette histoire montre également comment ont alors été réduites, et sur la durée, les manières d'imaginer le réel, c'est-à-dire les manières disponibles pour interpréter et juger ; étaient réduites aussi les voies d'action que les paysans pouvaient envisager, les choix possibles pour fonder et orienter la réalisation de projets personnels.
8Cas extrême de mobilisation politique, l'expérience de Dazhai révèle également les limites du projet totalitaire, cette réalité sociale imposée, qui brouillait les distinctions entre « ce qui est » et « ce qui doit être », ayant finalement été mise à l'épreuve et démentie par l'expérience individuelle, concrète et physique, des paysans chinois.
9Contrairement à ce que l'on a longtemps prétendu, pour devenir le Dazhai que l'on sait, le village a bénéficié d'une aide spécifique de l'État chinois. Selon certaines estimations, quelque 844 565 yuans auraient été versés à la brigade de production, c'est-à-dire 10 000 yuans par foyer, et 1 750 yuans par personne [Sun et Xiong 1990 : 220]. De plus, comme l'attestent de nombreux témoignages, pour ce qui est de la production, les chiffres étaient régulièrement gonflés. Il faut donc les appréhender avec prudence. Il n'en demeure pas moins que la somme de travail qu'ont exigée les réalisations de Dazhai reste impressionnante.
10Pour permettre la culture de rizières en terrasses, on a construit plusieurs centaines de murs de pierres, hauts de 2 à 3 mètres. Ces murets délimitent des parcelles de terre très étroites qui se succèdent en grimpant le long des flancs escarpés de la montagne.
- 2 Entretien avec ZE, Xiyang (Shanxi), 21 juin 2005.
11On ne peut qu'admirer l'endurance et le courage des dizaines d'hommes et de femmes qui ont réalisé cet ouvrage. Mais on ne peut passer outre le prix que celui-ci aura coûté. Et qui se manifeste par l'état de santé déplorable et les malformations diverses qui sont, aujourd'hui, le lot des anciens paysans modèles de Dazhai. Ces derniers souffrent de douleurs permanentes aux jambes et aux reins, se déplacent souvent avec difficulté et leurs visages traduisent ce qu'ils doivent endurer. Il est à noter aussi que quantité de ces travailleurs sont morts très jeunes2. Ce sont là les conséquences de la mise en application du slogan « Travailler beaucoup, travailler dur » (Dagan, kugan), slogan qui prévaudra pendant plus de dix ans.
12Les documents officiels reconnaissent que les problèmes de santé observés aujourd'hui et spécifiques de Dazhai sont « le résultat du port régulier de charges trop importantes qui, de diverses manières, ont détérioré les squelettes » [Tan 1999 : 86].
13Les archives du village de Dazhai rendent compte de 4 martyrs, à savoir des paysans morts d'épuisement à l'époque où la brigade de production exploitait les flancs de la
Constructions en terrasses à Dazhai
montagne. Sans parler des quelque 80 personnes qui constituaient alors la main-d' uvre du village [Wang 2003 : 252] et qui ont, toutes, souffert de blessures multiples.
14Les habitants de Dazhai accomplissaient un travail physique qui dépassait les limites du supportable. Peu avant de mourir, Chen Yonggui, le principal responsable politique local, s'est excusé d'avoir imposé aux paysans des travaux surhumains [Ying 1996 : 294]. Pourquoi les membres de cette brigade de production travaillaient-ils si dur ? Et, surtout, les habitants de Dazhai avaient-ils le choix ? Pouvaient-ils refuser ce travail si pénible ?
15Approuvée par Mao et jugée digne d'être étendue à l'ensemble du pays, l'expérience de Dazhai est à porter au crédit de Chen Yonggui, le secrétaire local du Parti. Tout entière résumée dans la formule officielle « Procéder à une critique intense pour promouvoir un travail intense » (Dapi cu dagan) [Sun et Xiong 1990 : 228], cette expérience traduit la conviction de Mao selon laquelle une mobilisation politique exceptionnelle peut pousser les individus à se surpasser, leur permettant ainsi de l'emporter sur des techniques de production arriérées. Avec pareille mobilisation, tout devient possible.
16Cette mobilisation s'appuie sur, d'un côté, la « critique intense », qui porte sur le capitalisme et sur le révisionnisme, de l'autre, le « travail intense », nécessaire à l'édification du socialisme. À Dazhai, la « critique intense » se traduit par l'utilisation systématique du principe de la lutte des classes et par un incessant travail d'éducation idéologique, et le « travail intense » se concrétise par l'extension des surfaces cultivées en dépit d'un relief très défavorable.
17Dans le village de Dazhai, comme dans le reste du pays, la lutte des classes ouvre la voie au travail idéologique. Ce qu'explique un dirigeant de la province du Shanxi :
- 3 « Comment se familiariser avec l'expérience de Dazhai ? » (Zenyang cai neng ba Dazhai jingyan xue d (...)
En ce qui concerne le mouvement « Imiter Dazhai », l'essentiel c'est la lutte des classes : le reste est secondaire3.
18Et, dans un éditorial du Quotidien du Peuple, le principal organe de presse chinois, on peut lire :
- 4 Le Quotidien du Peuple (Renmin ribao), 1er novembre 1965.
L'esprit de Dazhai repose essentiellement sur la pensée de Mao Zedong : il s'agit d'un esprit radicalement révolutionnaire, et la lutte des classes en est le principe directeur4.
19Évoquant l'expérience de Dazhai, Chen Yonggui avoue :
Notre réussite ne vient pas de nos efforts dans le domaine de la production mais du fait que nous avons pu recourir à la lutte des classes [Sun et Xiong 1990 : 138].
20Et il précise :
Nous étions des cadres : il fallait donc que les propriétaires fonciers, les paysans riches, les contre-révolutionnaires et les « mauvais éléments » aient peur de nous. C'est seulement comme ça que nous pouvions partager un même c ur avec les paysans pauvres et moyens pauvres [id.].
21En d'autres termes, la lutte des classes semait la terreur, et c'est cette terreur qui permettait que, en apparence, les masses et les cadres soient soudés.
22Les données que nous avons recueillies à Dazhai confirment les propos de Chen Yonggui. Devenu le principal dirigeant du village bien avant que ne soit lancé le mouvement « Imiter Dazhai », Chen Yonggui s'est, pendant plus de quinze ans, servi de la lutte des classes, critiquant et sanctionnant sans relâche les villageois.
23Pour illustrer notre propos, nous présentons quelques cas, extraits d'une liste bien trop longue pour être citée in extenso.
- 5 « Le soleil rouge a illuminé la voie triomphale de Dazhai » (Hong taiyang zhaoliang le Dazhai qiian (...)
24Lorsque, à Dazhai, on a mis en place une coopérative, les habitants étaient plutôt mécontents mais personne n'a osé le dire en public. Un certain Li Erhuo s'est pourtant permis de critiquer ouvertement la manière dont était organisée la production au sein de la coopérative. Ce villageois a aussitôt dû subir une « séance de lutte », c'est-à-dire une séance au cours de laquelle la personne incriminée est, publiquement, accusée et malmenée. Après quoi Li Erhuo a dû se rendre dans chacun des 60 foyers du village pour demander qu'on lui pardonne les propos qu'il avait tenus. Il a été condamné à trois années d'emprisonnement5. Une fois sorti de prison, il a été placé sous surveillance, et ce pour une durée de vingt ans parce qu'il était, désormais, considéré comme « contre-révolutionnaire historique ».
25La raison pour laquelle Chen Yonggui qualifie d'« historiques » les problèmes rencontrés
par Li Erhuo, c'est que, arrêté lors de la guerre sino-japonaise (1936-1946), ce dernier avait servi les soldats japonais. En revanche, on passait sous silence le fait que Li Erhuo avait été blessé alors qu'il tentait de rejoindre les troupes armées du PCC. Au début des années 1980, après l'accession au pouvoir de Deng Xiaoping, Li Erhuo a été réhabilité. Son innocence étant reconnue, il peut enfin percevoir une pension militaire d'invalidité [Tan 1998 : 43].
26Le manque d'expérience des dirigeants de la coopérative de Dazhai en matière de gestion a vite mécontenté nombre de paysans. L'un d'entre eux, Jia Zhenyuan, a osé critiquer une répartition du travail qu'il trouvait injuste. Chen Yonggui l'a fait arrêter sous prétexte que Jia Zhenyuan était un ennemi du socialisme. S'opposer au chef de la coopérative, en l'occurrence Chen Yonggui, c'était s'opposer au système des coopératives ; et, surtout, s'opposer au système des coopératives, c'était s'opposer au socialisme. Après de nombreuses « séances de lutte », et après avoir été obligé de travailler malgré un très mauvais état de santé, à l'été 1958, Jia Zhengyuan a fini par se suicider [Sun et Xiong 1990 : 145].
27Mais les choses n'allaient pas en rester là. Pendant plusieurs années, son fils, Huaiheng, qui travaillait à l'extérieur de la coopérative, n'a pas osé revenir au village, craignant que Chen Yonggui ne le prenne à partie. De fait, en 1977, ce dernier l'a accusé de « s'opposer à Dazhai » et fait incarcérer pendant cinq mois. À son tour, au début de l'année 1978, Huaiheng a mis fin à ses jours.
28Après ce suicide, le second au sein de la famille, le frère cadet de Huaiheng, qui vit toujours à Dazhai, a été, pendant plus d'un an, privé de ses « points-travail », ces points gagnés pour récompenser le travail accompli au sein de la brigade de production. On l'accusait d'avoir transmis à son frère aîné des informations permettant à ce dernier de « répandre des rumeurs préjudiciables à Dazhai ».
- 6 « Discours du camarade Chen Yonggui devant les cadres des deux niveaux supérieurs des communes popu (...)
29Après avoir, en 1957, encouragé les intellectuels à prendre la parole pour proposer des idées, faire des suggestions et exprimer des critiques, Mao, surpris par ce que cette initiative révélait d'hostilité, a lancé un mouvement de répression « anti-droitier ». La même année, Chen Yonggui a proposé aux autorités de Dazhai d'encourager les habitants du village à critiquer et commenter le travail du chef de brigade, c'est-à-dire son propre travail. Ce qui, là encore, a mis en évidence l'insatisfaction des paysans. Zhao Qifu, l'un de leurs porte-parole les plus virulents, était un ancien militaire, membre du Parti. Lorsque Chen Yonggui a lancé des représailles contre ses opposants, Zhao Qifu a été accusé de « suivre la voie capitaliste »6 et exclu du Parti.
30À l'époque, le discours officiel insistait sur la nécessité de plonger dans la terreur ceux qui étaient marqués d'une « mauvaise étiquette de classe », à savoir les propriétaires fonciers et les paysans riches, ce qui unirait les individus bénéficiant d'une « bonne étiquette de classe ». Pourtant, à Dazhai, les individus victimes de la lutte des classes étaient tous des paysans pauvres : faisant, à l'origine, partie des masses populaires, aucun ne s'était vu attribuer de mauvais statut de classe.
31La porosité entre les corps constitués par le peuple, d'une part, et les ennemis du peuple, d'autre part, était entretenue par l'usage qui était fait du concept de classe. L'appartenance à une classe relevait à la fois des conditions matérielles dont jouissaient les individus avant 1949 et de leur comportement politique après cette date. La véritable cible de la mobilisation politique, c'était celui qui, tout en faisant partie du peuple, pouvait manifester quelque réticence vis-à-vis de la politique décidée par les instances supérieures. Ce qu'il était donc essentiel d'obtenir, c'était moins l'intégrité [Lefort 1981 : 166] du peuple que son contrôle. Il convient de noter qu'aucune des personnnes accusées n'avait commis d'acte contre-révolutionnaire autre que verbal. Ce qui est assez loin de la lutte des classes marxiste telle qu'on la connaît habituellement.
32Chaque fois qu'un villageois était pris à partie et sanctionné, on voyait diminuer le nombre des voix qui s'élevaient pour défendre l'intérêt des foyers. De fait, après que Zhao Qifu a été exclu du Parti, plus personne n'a osé prendre la parole au nom des habitants de Dazhai. Les sanctions infligées aux accusés qui n'avaient pourtant pas commis de réels délits contribuaient à répandre un climat de terreur. Ce que souhaitaient véritablement les dirigeants des affaires villageoises :
Pour procéder à la lutte des classes, il faut être inébranlable et frapper sans faillir : comme cela, ceux qui suivent la voie capitaliste trembleront de tous leurs membres ; il faut aussi ne laisser aucune porte de sortie aux opportunistes capitalistes [Sun Qitai et Xiong Zhiyong 1990 : 188].
33Dazhai a bel et bien répondu à cette attente. Tous ceux que nous avons pu interroger et qui n'étaient, alors, coupables d'aucun crime, ont décrit combien ils pouvaient être terrifiés par les actions orchestrées sous prétexte de lutte des classes :
- 7 En l'occurrence, en chinois, on utilise l'expression « lutter quelqu'un » et non « lutter contre qu (...)
À l'époque, le slogan de Chen Yonggui était « Il faut lutter sans relâche ». Il répétait tous les jours qu'il fallait « lutter les ennemis de classes »7.
- 8 Entretien avec HDG, Xiyang (Shanxi), 20 juillet 2005.
34Dès qu'il prononçait le mot « lutte », on avait peur8.
- 9 Entretien avec HDG, Xiyang (Shanxi), 16 juillet 2005.
35Chen Yonggui ne cessait d'évoquer la lutte des classes. On avait tous peur de dire un mot de travers. On pouvait être critiqué pour un mot qui laissait entendre que, dans le village, certains avaient du pouvoir sur les autres. Les masses, les paysans pauvres, personne n'osait rien dire. On aurait aussitôt été accusés d'être manipulés par les ennemis de classe9.
36Guo Fenglian, la jeune femme qui a succédé à Chen Yonggui en tant que secrétaire du Parti, a dépeint la même réalité :
Petite, j'avais très peur de Chen. Un jour je l'ai croisé sur un chemin, il m'a posé une question très simple et je me suis mise à pleurer. Et c'était pareil pour tous mes amis. Chez nous, quand un enfant n'était pas sage, ses parents menaçaient d'appeler l'oncle Chen [Tan 1998 : 7].
- 10 On pourrait utiliser ici le vocabulaire d'A. Schütz [1998] et parler des actions limitées qui, à l' (...)
37Chaque campagne politique s'accompagnait d'un climat de terreur relayé par les activistes, dont le pouvoir avait augmenté avec la collectivisation sous-tendue par un travail d'éducation idéologique. À Dazhai, c'est l'intensité de cette terreur qui a contraint les paysans à accomplir les travaux démesurés grâce auxquels le village a atteint sa notoriété. C'est également cette terreur qui permettra d'imposer un répertoire très limité de mots, d'actions, de motifs, de critères d'appréciation, d'évaluations morales10.
38À la différence du tonggou tongxiao (« système d'achat et de ravitaillement unifié » mis en place par le gouvernement en 1953), l'expérience de Dazhai a été tentée au cours de la période collectiviste, qui a vu la création des coopératives rurales et, plus tard, celle des communes populaires, dont la vocation était à la fois économique, politique, administrative et sociale.
39Les échanges singuliers et répétés grâce auxquels, pendant les premières années du régime, les activistes s'efforçaient de convaincre des paysans isolés, propriétaires privés de leurs terres, d'agir dans le sens qui leur convenait, n'ont plus été de mise. Le travail de mobilisation s'effectuait désormais lors de réunions dont le but était de convaincre, cette fois, les membres de la collectivité de faire ce que l'on attendait d'eux ; mais le but aussi de ces réunions était de faire en sorte que soient considérés comme allant de soi, et seuls pertinents, certains modes d'expression et d'interprétation : finalement un monde commun très appauvri.
40Il ne s'agissait plus de contraindre les foyers à se conformer à une action précise telle que vendre leurs grains à l'État : les réunions organisées à Dazhai pendant plus d'une décennie visaient à réduire, en amont, les possibilités d'action des paysans, à restreindre les choix pouvant être publiquement identifiés et expérimentés par ces derniers, et à modifier la manière dont ceux-ci percevaient et voyaient la réalité qui les entourait.
41À Dazhai, ce travail de transformation idéologique a pris appui à la fois sur la « grande critique », celle qui réfute la pensée dite ancienne, et sur les « études politiques », celles qui sont censées diffuser une nouvelle pensée.
42Aujourd'hui, quand ils évoquent les « séances de grande critique », les habitants de Dazhai les classent en deux catégories : celles au cours desquelles on dénonçait d'anciens dirigeants du Comité central, et celles au cours desquelles on dénonçait des habitants du village.
- 11 Entretien avec TMZ, Xiyang (Shanxi), 14 juillet 2005.
43Les « séances de grande critique » qui concernaient les habitants du village étaient liées à la lutte des classes et se présentaient parfois sous la forme de ces « séances de lutte » répandues sur l'ensemble du territoire chinois. Elles portaient toujours sur des actions ou sur des propos jugés incorrects. Les accusés n'avaient pas droit à la parole ou à quelque forme de défense que ce soit : ils ne pouvaient que reconnaître leurs fautes. Contrairement à ce qui se passait lors des « séances de lutte », les accusés n'étaient pas pris à partie physiquement11. Néanmoins, dès qu'ils essayaient de protester ou de se défendre, on considérait qu'ils « ne marchaient pas droit » et la « séance de critique » devenait « séance de lutte » :
- 12 Entretien avec GCX et GM, Xiyang (Shanxi), 18 mars 2004.
Si on continuait à avoir une attitude soi-disant mauvaise, on vous obligeait à monter sur une table, puis on vous en faisait tomber, et tous venaient vous frapper à tour de rôle12.
44Tous les habitants du village devaient participer à ces séances ; ils devaient aussi crier les slogans en vigueur, prouvant ainsi qu'ils s'élevaient contre les mauvaises actions :
- 13 Entretien avec GCX, Xiyang (Shanxi), 18 mars 2004.
Si tu ne participais pas de façon assez active, la fois d'après c'est toi qui étais critiqué13.
- 14 « Rapport de synthèse concernant la conférence convoquée au district de Ganmeng pour échanger à pro (...)
45Comme la plupart des dénonciations étaient anonymes, chacun se demandait s'il n'allait pas soudain faire l'objet d'une « séance de critique ». Un document interne au Parti indique que, une fois par mois, les membres du Parti se devaient de rapporter « trois faits concernant ceux qui vivaient auprès d'eux »14.
46Après avoir terminé ses études secondaires, un paysan est revenu à Dazhai. Il raconte la « séance de critique » à laquelle il a été soumis à son retour :
- 15 Entretien avec ZE, Xiyang (Shanxi), 21 juin 2005.
Je venais tout juste de rentrer au village et je ne pouvais absolument pas prévoir ce qui allait arriver. J'étais en train de me rouler une cigarette quand, tout à coup, j'ai entendu mon nom. On m'a obligé à me mettre au premier rang et le vieux Chen a pris la parole pour me critiquer. Tout le monde l'a suivi : ils s'en prenaient à moi les uns après les autres. Puis Chen m'a demandé de reconnaître mes torts. Ce que j'ai fait. Ce jour-là, la séance s'est terminée vers 22 h 30. J'avais été critiqué pendant plus de trois heures. J'ai attendu que tout le monde soit parti avant de rentrer chez moi. C'est alors que j'ai réalisé que j'étais en eau de la tête aux pieds. Cette séance de critique venait de ce que, au cours de la journée, j'avais écouté des vieux paysans qui, pendant une pause, évoquaient la vie pénible des années d'avant 1949 et se félicitaient d'avoir survécu à ces temps difficiles. Un jeune diplômé avait dit : « Moi aussi je m'en serais sorti si j'avais vécu à cette époque. » Le jour même, ces propos avaient été rapportés à Chen Yonggui, qui avait aussitôt organisé une séance de critique. À cette époque, il y avait une expression qui disait : « Le travail idéologique ne peut pas être remis à demain. » Voilà ce que cela voulait dire. Je n'avais pas respecté les vieux paysans pauvres : j'avais pensé que j'aurais pu faire la même expérience et avoir la même endurance. J'avais « suivi une autre voie », je m'étais donc opposé au Comité du Parti15.
47Un autre paysan, cadre de Dazhai à la même époque, explique aujourd'hui :
- 16 Entretien avec HZM, Xiyang (Shanxi), 20 mars 2005.
Si les séances de grande critique étaient si efficaces, c'est tout simplement parce que les paysans ne voulaient pas « perdre la face ». Ils ne voulaient pas, pendant des heures, devant tous et par tous, être accusés d'avoir mal agi16.
48En Chine, dans un village surtout, quand selon l'expression consacrée on « perdait la face », on perdait aussi le soutien des autres et leur collaboration, ce qui rendait la vie plus difficile ; et la vie devenait plus difficile encore lorsque, à la perte d'estime, donc de protection du groupe, s'ajoutaient des menaces politiques. Le fait que les « séances de critique » soient publiques affectait profondément l'individu, même celui-ci n'avait pas été désigné comme « ennemi de classe ».
- 17 Entretien avec GCH, Xiyang (Shanxi), 16 juillet 2005.
49Les « séances de critique » étaient très fréquentes. Un journaliste de l'agence de presse Xinhua rapporte que, entre 1966 et 1968, soit en trois ans, les 300 habitants de Dazhai ont participé à plus de 300 « séances de critique » [Sun et Xiong 1990 : 117]. Il affirme qu'on avait droit à une « séance de critique » tous les trois ou quatre jours en moyenne. Ces chiffres sont difficiles à vérifier mais correspondent parfaitement aux données que nous avons recueillies lors de nos entretiens : en effet, les personnes que nous avons interrogées à Dazhai nous ont confirmé qu'au plus fort du mouvement « il y avait une séance de “grande critique” tous les trois jours environ »17.
50Guo Fenglian a expliqué pourquoi ces séances étaient si nombreuses :
La pensée capitaliste est obstinée : elle se propage depuis les marchés libres jusqu'à nos petits villages de montagne pour y trouver un endroit où s'implanter ; chassée des villages, elle se réfugie dans les cours intérieures des maisons et, là, transforme les biens collectifs en biens privés [Sun et Xiong 1990 : 188].
51Mais, à Dazhai, les réunions les plus fréquentes sont les « séances d'études politiques » ; quotidiennes, elles sont d'une tout autre nature. Un membre du Parti a raconté :
- 18 Entretien avec HZM, Xiyang (Shanxi), 20 mars 2004.
Tous les jours on travaillait dans les champs jusqu'à ce que la nuit tombe et qu'on n'y voit plus assez clair. Puis on rentrait au village et on avait une première réunion d'études politiques. Après le dîner, on en avait une autre. Toute la journée on travaillait tous énormément et, malgré ça, on avait pas une soirée sans réunion. Le travail physique était très dur, bien sûr, mais les études politiques étaient, elles aussi, très lourdes. Pendant le mouvement « Imiter Dazhai » on se réunissait tous les soirs, on lisait les journaux, les uvres de Mao. Pendant les pauses on s'installait sur les parcelles et on y lisait les uvres de Mao18.
52Une paysanne, qui, à l'époque, n'était membre ni du Parti ni de la Ligue de la jeunesse communiste, a décrit ce qu'étaient ces réunions :
- 19 Entretien avec GCH, Xiyang (Shanxi), 16 juillet 2005.
Aya ! À l'époque, tous les jours on avait une réunion. Et c'était pas seulement pour les membres du Parti ou du Comité : nous autres, les gens ordinaires du village, on devait nous aussi aller à ces réunions. Ils faisaient tout le temps du travail idéologique, même au moment des pauses. Là où on travaillait, ils organisaient des séances de lecture. C'était dur pour les hommes, mais c'était encore plus dur pour les femmes parce qu'il nous restait très peu de temps pour tout ce qu'il fallait faire à la maison19.
53Ces réunions se déroulaient toujours de la même manière :
- 20 Entretien avec JNZ, Xiyang (Shanxi), 20 mars 2004.
D'abord, c'était la s ur Fenglian (la secrétaire du Comité du Parti) qui prenait la parole. Puis c'était au tour des membres du Parti, juste avant ceux de la Ligue de la jeunesse communiste. Chacun tenait à prendre la parole sur le sujet du jour. Beaucoup de personnes s'exprimaient parce que tout le monde devait parler. Les paysans âgés parlaient, ceux d'âge moyen parlaient, et les jeunes devaient parler encore plus parce qu'ils étaient plus cultivés que les autres20.
54Un ancien chef adjoint d'une équipe de production a précisé :
- 21 Entretien avec GKM, Xiyang (Shanxi), 18 mars 2004.
Il fallait parler, et, surtout, ce qu'il fallait, c'était prendre la tête du mouvement. Il fallait parler de façon claire, en présentant des faits pertinents par rapport au sujet traité. On ne pouvait pas dire n'importe quoi ou se contenter de deux phrases pour donner son point de vue. Il fallait évoquer la pensée de Mao Zedong, la citer de façon appropriée. Chaque jour on lisait ses uvres. Il fallait tout faire pour être de ceux qui parlaient les premiers ; il fallait que nous soyons un modèle pour les autres21.
55D'où ces témoignages proviennent-ils si ceux qui relataient une expérience ou étaient le fruit d'une réflexion personnelle n'étaient pas considérés comme valides ? Le fait est que les réunions au cours desquelles les personnes pouvaient s'exprimer étaient précédées d'autres réunions :
- 22 Entretien avec GKM, Xiyang (Shanxi), 22 mars 2005.
À l'époque, les études politiques étaient très importantes. Dès que le Comité central publiait un nouveau texte, il y avait des réunions pour l'étudier et le comprendre, des réunions destinées surtout aux membres du Parti et à ceux de la Ligue22.
56Ce sont les paysans ordinaires qui prenaient la parole en dernier. Généralement, pour que la réunion puisse être levée, tout le monde devait s'être exprimé. Il s'agissait essentiellement, pour les uns et les autres, de reprendre les formules utilisées par les membres du Parti et ceux de la Ligue :
- 23 Entretien avec GCX et GM, Xiyang (Shanxi), 18 mars 2004.
Même ceux qui ne savaient pas trop parler en public pouvaient s'en sortir en répétant à peu près les phrases des membres du Parti ou de la Ligue. Ce n'était pas trop difficile. Au fond de soi, on pouvait penser différemment mais les mots que l'on prononçait étaient toujours les mêmes23.
57Le fait de ne pas se rendre à ces réunions était sanctionné. Un paysan nous l'a confirmé :
- 24 Entretien avec JM, Xiyang (Shanxi), 21 mars 2004.
Tout le monde y allait. Comment pouvait-on ne pas y aller ? Personne n'osait ne pas y aller. Si tu n'y allais pas, le lendemain, c'est toi qui allais être au centre de la séance de critique24.
58Les « séances d'études politiques » devaient également permettre que soient mis en lumière les intérêts particuliers et égoïstes que nourrissait chaque individu et contre lesquels il fallait lutter. C'est là qu'intervenaient les réunions baptisées « séances de lutte contre l'égoïsme ».
- 25 Entretien avec JNE, Xiyang (Shanxi), 20 mars 2004.
Pendant ces séances, il nous fallait dire tout haut nos pensées, nos pensées égoïstes. Il fallait dire par exemple : « Aujourd'hui, chez moi, il y avait encore des choses à faire alors que je devais aller travailler avec les autres à 8 heures. Comme je voulais en avoir fini avant avec mes propres affaires, je suis arrivé en retard. J'ai donc nui à la production en me montrant égoïste. » Il fallait lutter contre cette façon de penser, dire qu'on ne recommencerait plus, qu'on essaierait de se défaire de ce genre d'attitude. C'était ça, la lutte contre l'égoïsme. Il fallait aussi lutter contre ce qu'on avait eu l'intention de faire même si on ne l'avait pas fait. Par exemple, si un matin tu t'étais senti vraiment trop fatigué pour aller travailler et que tu avais essayé de trouver un prétexte pour ne pas y aller. Ça aussi, c'était de l'égoïsme même si, en fin de compte, tu n'étais pas resté chez toi25.
59Il s'agissait donc non seulement de reconnaître ses fautes mais aussi de livrer au public un espace privé : le domaine des intentions. Pourtant, on ne peut parler de confession puisque ces révélations répondaient à des injonctions et ne devaient rien à un quelconque « jaillissement naturel de la vérité autobiographique » [Dulong 2001 : 8].
60« Séances de critique », « séances d'études politiques », « séances de lutte contre l'égoïsme » : ces rassemblements au cours desquels étaient prononcées des paroles publiques analyses, commentaires, récits, accusations, aveux, confessions ne pouvaient qu'affecter les décisions et les actions des individus. Collectifs et répétés, ces moments influençaient la manière dont les individus comprenaient et évaluaient le monde qui les entourait, le sens de la réalité sociale qui se mettait en place.
61À Dazhai, comme dans les autres villages que Mao érigeait en modèles, le nombre des activistes était particulièrement élevé. Si bien que le rapport de force, lors des réunions, était plus que défavorable aux paysans ordinaires. En 1956, à Dazhai toujours, sur une population active de 62 personnes, 13 étaient membres du Parti, nombre auquel il faut ajouter les membres de la Ligue et divers autres activistes [Wang 2003 : 26, 128]. De surcroît, en 1964,
est apparu, dans le village, le groupe des « jeunes filles en fer », un groupe d'activistes de 23 personnes, dont 16 sont devenues membres de la Ligue, 3 membres du Parti.
62L'importance numérique de ces activistes a joué un rôle décisif sur le contrôle social et politique qui s'exerçait sur les individus. Ce qui a permis à Guo Fenglian de brosser le tableau suivant :
- 26 Spécifique du nord de la Chine, le kang est un lit chauffé qui peut également servir de support à d (...)
- 27 « Utiliser la pensée de Mao Zedong pour édifier la première génération d'un nouveau type de paysan (...)
Dans les champs, au moment des repas, autour des kang26, tous les propos, tous les actes qui n'étaient pas conformes à la pensée de Mao Zedong devaient être soumis à la critique. C'était comme ça tous les jours, et pour tout. C'est pourquoi les membres du village disaient que le capitalisme ne pourrait jamais s'implanter à Dazhai. Cela ne voulait pas dire que nous étions plus sages que les autres ; cela voulait simplement dire que plusieurs centaines d'yeux et de bouches repéraient toutes les mauvaises conduites, toutes les mauvaises personnes. Comment tous ces gens-là auraient pu constituer une force ?27
63Les paysans ordinaires ne pouvaient manifester la moindre opposition lors des réunions, d'autant plus qu'ils dépendaient des dirigeants locaux d'un point de vue non seulement politique mais aussi matériel. Un paysan a confié :
- 28 Entretien avec GCX et GM, Xiyang (Shanxi), 18 mars 2004.
À l'époque, on connaissait trois peurs. Un, la peur de ne pas avoir assez à manger puisqu'ils contrôlaient la quantité de grains distribuée à chaque foyer. Deux, la peur de ne pas gagner assez puisqu'ils contrôlaient les points-travail, ceux qu'on avait en échange du travail réalisé. Trois, la peur d'être lutté. Qui donc ne connaissait pas ces trois peurs ?28
64La distribution des points-travail et des rations de céréales obéissait au système de la « déclaration personnelle soumise à discussion publique ». La discussion permettait d'exprimer toutes sortes d'appréciations et, quand une personne avait fait l'objet d'une critique, les revenus de son foyer étaient réduits. Restait, toutefois, une dernière peur : celle de se voir attribuer une mauvaise étiquette de classe. Ce qu'a confirmé une ancienne « jeune fille en fer » :
- 29 Entretien avec JNE, Xiyang (Shanxi), 20 mars 2004.
C'est la situation de l'époque qui a créé une génération comme la nôtre. On ne pouvait pas aller contre ce qu'on nous demandait sinon on nous mettait une mauvaise étiquette de classe. On disait que vous étiez « droitier » ou autre chose. Et on y pouvait rien29.
65Ces nombreuses réunions étaient quotidiennes et, surtout, elles se tenaient pendant ou après les heures de travail. De plus, elles réduisaient les rares moments au cours desquels les individus pouvaient échapper à l'observation d'autrui et n'avaient pas à tenir compte des diverses injonctions qui leur étaient faites.
66Ce qui caractérise le projet totalitaire chinois des premières années du régime communiste, c'est non seulement le fait que certaines conduites étaient imposées mais le fait aussi que l'éventail des comportements valides, celui du vocabulaire pertinent pour désigner les choses et les individus, et celui des modalités d'appréciation des situations et des personnes était, en amont, considérablement réduit. Sous l'effet d'une mobilisation politique qui, depuis des années, envahissait la vie quotidienne, le répertoire au sein duquel les individus pouvaient puiser se trouvait considérablement rétréci.
67Plus que toute autre, c'est la forme symbolique, donc la médiation que constitue le langage, que visait cette entreprise de réduction. Les paysans pouvaient tenir certains propos, d'autres étaient indicibles, d'autres devaient absolument être tenus. Lors des « séances de critique » ou des « séances de lutte », ceux qui prenaient la parole avaient seuls le droit de juger du sens et de la validité de la parole d'autrui. Les accusés n'avaient pas même le droit de se défendre. Pourtant, les « séances de critique » et autres réunions du même ordre exigeaient que tous, même les paysans ordinaires, prennent la parole publiquement. Ce que confirme un document interne au Comité du Parti local :
- 30 Voir le document intitulé « Il faut lutter pour que notre district s'embrase rapidement aux couleur (...)
Le gouvernement démocratique repose sur le gouvernement de tous et non sur celui d'une minorité. Il faut donc mobiliser de manière à ce que chacun ait la parole30.
- 31 Document officiel numéro 11 de la préfecture de ZD (Shanxi), 19 janvier 1954.
68Mais, en réalité, ce que l'on voulait, c'était que la population se familiarise avec les termes officiels de sorte que ces termes « deviennent spontanément ceux des masses populaires »31. D'où ces réunions dont le but était de faire acquérir un langage d'autant plus légitime qu'il était partagé par tous.
69Dans le cas, cité plus haut, du jeune paysan critiqué pour avoir « suivi une autre voie », il s'agissait simplement de faire savoir que les propos tenus par ce garçon n'allaient pas dans le sens du Parti. Quand les paysans devaient évoquer les souffrances du passé, la pratique voulait en effet que l'on insiste sur le fait que jamais on oublierait les « souffrances de classe », que l'on avait pleinement conscience de ce que la situation présente était douce et qu'il fallait en remercier le Parti. Il fallait ajouter qu'on donnerait tout à l'entreprise révolutionnaire, et surtout, ne pas dire que l'on aurait pu faire face à une même situation s'il l'avait fallu.
70Le cas du jeune paysan montre aussi la rapidité avec laquelle fonctionnait le processus de dénonciation :
- 32 Entretien avec ZE, Xiyang (Shanxi), 21 juin 2005.
Après, j'ai fait très attention à ce que je disais et en présence de qui je le disais32.
71Il confirmait combien il regrettait de ne pas avoir appliqué le principe de prudence qu'il convenait alors de respecter :
Le village observe les autres villages, le foyer observe les autres foyers, et les habitants ordinaires observent les cadres33.
72D'autres témoins ont rappelé :
Un mot de travers, et on était bon pour une séance. Ceux qui assistaient à ces séances avaient peur. On ne savait jamais quand notre tour viendrait. Chacun était sur le qui-vive [Sun et Xiong 1990 : 150].
73En matière de réduction du vocabulaire, le cas de Dazhai est exemplaire. En effet, dans le langage quotidien, quantité de mots étaient bannis, et Chen Yonggui allait interdire les mots « fatigue », « souffrance », « pénible », termes associés à une attitude capitaliste.
74Un cadre de la brigade de production ayant omis de critiquer un ouvrier qui venait d'évoquer devant lui le caractère pénible et épuisant de son travail a été immédiatement convoqué à une « séance de critique », Chen Yonggui lui reprochant de « ne pas avoir critiqué une mauvaise attitude » [Wu 2004 : 14].
75Contrôlant ainsi le langage, les dirigeants de Dazhai contrôlaient l'expression des sentiments, des émotions et des expériences. Ils se posaient en censeurs :
- 34 Le Quotidien du Peuple (Renmin ribao), 10 février 1964.
Qui a peur de faire un effort au travail ? Cela ne fait peur qu'aux propriétaires fonciers34.
76Si on avait peur de l'effort on devenait un « ennemi de classe » :
- 35 « Plan du rapport de Chen Yonggui présenté à la conférence sur l'agriculture de la région de Pékin (...)
Ceux qui uvrent pour la révolution ne trouvent pas lourd le fardeau le plus lourd ; quel qu'il soit, même si le travail est pénible, ils le trouvent léger35.
77Ne pas ressentir de fatigue confirmait l'attitude révolutionnaire. L'épuisement étant le propre des ennemis du peuple, les paysans ne pouvaient s'opposer aux cadences imposées. D'ailleurs, à Dazhai, il n'y avait pas de jour de repos, et les horaires fixés par Chen Yonggui faisaient débuter la journée de travail au lever du soleil pour ne s'achever qu'à la tombée de la nuit. Les repas étaient pris dans les champs. Chen Yonggui lui-même clamait haut et fort, et avec fierté, que les gens de sa brigade travaillaient quatorze à quinze heures par jour [Sun et Xiong 1990 : 196].
- 36 Entretiens avec HZM, Xiyang (Shanxi), 20 mars 2004 ; ZEM, Xiyang (Shanxi), 21 juin 2005 ; GCX et GM (...)
78Les paysans racontent qu'il était normal de travailler 340 jours par an. Les travaux collectifs ne s'interrompaient que lorsque le temps était vraiment trop mauvais36. Certains paysans ont calculé qu'ils avaient travaillé entre 4 760 et 5 100 heures par an, et ce pendant plusieurs années, reconnaissant toutefois que, à cette époque, ils étaient absolument épuisés. Ce que nul n'osait alors avouer, de crainte de se voir infliger une « séance de critique ». Mais, comme dit aussi un paysan :
- 37 Entretien avec ZE, Xiyang (Shanxi), 21 juin 2005.
Je n'aurais de toute façon pas su trouver les mots pour parler de mon état37.
- 38 Entretien avec HZM, Xiyang (Shanxi), 20 avril 2004.
79De fait, si le langage était contraint, était également contrainte la manière dont étaient jugés le comportement et l'engagement des individus. Seules les actions dont les autorités de Dazhai estimaient avoir besoin étaient parées d'une haute valeur morale. Chen Yonggui, par exemple, parvenait à obtenir des paysans la somme de travail requise en multipliant « séances de critique » et « séances de lutte », certes, mais aussi en martelant qu'il était légitime de critiquer et de lutter. Lors des assemblées, il répétait volontiers des slogans tels « Lutter est la source de toutes les choses positives », « La révolution c'est la lutte », « Ne pas lutter c'est s'arrêter, c'est revenir en arrière, c'est mourir », « Ne pas lutter, c'est renoncer à la révolution » [Sun et Xiong 1990 : 139]. De fait, à Dazhai, le seul critère pour devenir membre du Parti, membre de la Ligue ou activiste était d'oser « lutter autrui »38. Si on ne le faisait pas on ne pouvait être reconnu, par le Comité du Parti, comme un « bon » élément. Ce qui pouvait donner lieu à des appréciations comme celle qu'avait livrée Chen Yonggui :
- 39 « Discours de Chen Yonggui à la conférence nationale sur les productions de coton, huile et sucre » (...)
La « jeune fille en fer », Jia Cunsuo, a beaucoup de qualités sur le plan de la production mais elle n'aime pas lutter les autres membres de la brigade. Du coup, au village, des personnes âgées disent d'elle qu'elle est une « bonne » fille. Mais le Comité du Parti sait que le qualificatif « bonne » n'est pas utilisé dans le sens du prolétariat. Une « bonne » fille révolutionnaire doit oser parler, oser lutter39.
80Pour combattre cette interprétation du qualificatif « bonne », qu'il jugeait erronée, Chen Yonggui avait, à plusieurs reprises, convoqué des assemblées plénières et « procédé à de grands débats critiquant de vieilles valeurs morales ». Selon lui, les habitants de Dazhai devaient, au terme « lutte », associer un sentiment de fierté. Chen Yonggui allait d'ailleurs expliquer que, après beaucoup d'efforts, il avait réussi à complètement transformer la « jeune fille en fer » trop douce en une personne qui comprenait désormais qu'il était nécessaire de dénoncer et de « lutter autrui ». Grâce à ces nouveaux acquis, elle pouvait devenir membre du Parti40.
81Le fait de contraindre le vocabulaire contraignait aussi les concepts. Nombre de termes n'avaient que le sens qui leur était spécifiquement attribué. Ainsi, le mot « démocratie », qui revenait régulièrement dans les documents officiels du parti communiste chinois, comme dans l'expression « gouvernement démocratique », semblait vouloir dire « chacun peut prendre la parole ». Mais « prendre la parole » signifiait en réalité tenir le discours convenu et, surtout, se garder de la parole interdite. D'où la difficulté de comprendre les textes officiels publiés à l'époque et qui, en apparence, mais en apparence seulement, libéraient la parole et promouvaient les débats publics.
82De la même manière, lorsqu'il y avait vote, les scrutins ne servaient qu'à valider les propositions du Comité du Parti. Les possibilités étaient rares de proposer des plans d'action diversifiés. À Dazhai, comme partout en Chine, c'est le Parti qui proposait et décidait : les projets collectifs ne pouvaient être définis que par le Comité du Parti local. Il était impossible aux paysans d'avoir des initiatives ou de faire des choix différents de ceux du Parti.
83À Dazhai, Chen Yonggui et le Comité du Parti avaient instauré les pratiques de vote suivantes : ceux qui soutenaient la proposition exprimée lors d'une réunion applaudissaient ; ceux qui n'étaient pas d'accord se mettaient debout et levaient la main [Ying 1996 : 85, 86]. Mais avec un tel procédé, même s'ils ne souhaitaient pas avaliser une décision, les paysans évitaient d'exprimer leur désaccord. En effet, face à des individus qui détenaient un pouvoir de sanction élevé, ils se mettaient en danger. Dans l'histoire de Dazhai, peu nombreux sont ceux qui osèrent se lever. Un paysan raconte :
- 41 Entretien avec ZA, Xiyang (Shanxi), 21 juin 2005.
Qui osait lever la main ? Montrer son désaccord avec une décision du Comité du Parti, c'était tout faire pour être accusé « d'opposition publique au Parti ». Le chapeau que l'on vous aurait fait porter alors n'aurait été ni trop petit ni trop grand, juste à la bonne taille41.
84Un journaliste qui a eu l'occasion d'assister à des assemblées de ce genre confirme :
Chen disait : « Ceux qui ne sont pas d'accord, levez la main. » Mais personne ne bougeait. Même ceux qui étaient contre n'osaient pas bouger [Ying 1996 : 85, 86].
85Aucun des paysans interrogés n'a le souvenir d'une réunion où des objections ont été exprimées. Même lorsque Chen avait proposé que les foyers remettent à la collectivité leurs lopins de terre privés, une demande non seulement contraire aux intérêts des paysans mais aussi contraire à la politique du Comité central, personne n'avait émis la moindre objection. C'est d'ailleurs ce qui explique le plaisir que Chen avait à organiser des votes, surtout lorsque la proposition était susceptible de rencontrer l'hostilité des foyers. Il expliquait alors :
- 42 « Discours de Chen Yonggui prononcé lors du rapport portant sur les exploits de Dazhai et présenté (...)
C'est la démocratie ! La minorité doit suivre la majorité, votons !42
86S'il est vrai que ces pratiques étaient monnaie courante partout en Chine, à Dazhai, on y a particulièrement eu recours pour imposer aux paysans un travail d'une ampleur démesurée. Guo Fenglian a d'ailleurs précisé :
- 43 Entretien avec Guo Fenglian, Xiyang (Shanxi), 19 février 2003.
À Dazhai on n'a rien fait de nouveau sur le plan politique. La « ligne générale » était la même que partout ailleurs : celle du Comité central43.
87Avec l'exercice de ces différents contrôles, l'éventail des choix et des possibilités d'actions individuelles avait donc été réduit de façon drastique. Contrairement à ce que l'on imagine volontiers, les actions des individus étaient moins fondées sur des motifs, des intérêts engagés ou des représentations collectives : elles procédaient surtout d'une mobilisation et d'une organisation politiques extrêmement efficaces qui avaient réduit le monde commun à des paires d'oppositions simplificatrices.
- 44 Sur la distinction entre « sens du réel » et « sens de la réalité sociale », voir l'article de A. C (...)
- 45 Vive la pensée de Mao Zedong (Maosi wansui), Hong-Kong, Po Wen Book, 1969, p. 384.
88Mao n'avait pas une haute opinion du mode de gouvernement mis en place par Staline, qu'il tenait pour un politique peu habile45. Sa principale critique était que le régime soviétique ne faisait pas grand cas du travail idéologique et du rôle des masses. Ces remarques laissent entendre que Mao se croyait plus clairvoyant que Staline, mais aussi qu'il avait, de l'expérience soviétique, tiré quelques conclusions et fait quelques constats.
89Ce qui explique pourquoi Mao s'est toujours servi de slogans tels « Il faut s'en tenir à la ligne des masses », « Il faut faire confiance aux masses, prendre appui sur les masses ». Ces formules ont séduit nombre d'observateurs qui ignoraient combien l'espace dont disposaient les individus pour décider d'une action était limité. Du fait, notamment, du sens particulier que l'on attribuait à des termes aussi ordinaires que « masses », « parole », « participation », ou à des termes moins ordinaires, comme « droit » ou « démocratie ». Du fait, aussi, que ces termes étaient utilisés comme des moyens, non comme des fins, et désignaient des actions parées d'une légitimité officielle mais constituant autant de menaces pour le peuple. Un cadre de Dazhai le confirme :
- 46 Entretien avec JNX, Yuci (Shanxi), 8 février 2004.
Refuser de participer, à l'époque, c'était perdre tout droit en tant qu'être humain46.
90Si les masses agissaient comme une entité unique, c'est bien parce que personne ne pouvait faire différemment des autres et que chacun se justifiait en disant « tout le monde fait pareil ». Mais c'est aussi parce que des formes de connaissance, apparemment objectives et anonymes, s'étaient imposées comme communes à tous. Ceux qui ne se conduisaient pas comme prévu devaient, seuls, faire face, lors des « séances de critique » et des « séances de lutte », à l'hostilité du groupe qui représentait la société, ses attentes et ses valeurs. Ils se sentaient ostracisés, abandonnés, une situation à laquelle peu parvenaient à résister.
91C'est cette participation apparemment unanime de l'ensemble de la population qui explique pourquoi il est difficile aujourd'hui d'analyser cette période. L'usage d'un langage commun conduisait les individus à se sentir responsables de leurs choix, même si l'éventail des actions et des mots disponibles était réduit. A priori, ils avaient la possibilité de s'opposer, de ne pas obéir. Mais tous savaient que cette possibilité théorique aurait eu, pour eux et leurs proches, des conséquences dramatiques.
92Ces choix apparents entraînaient des obligations et oblitéraient toute manifestation publique de résistance. La réussite des autorités était complète : toute la société tenant le même langage et partageant le même point du vue, il s'exerçait, sur chaque individu, une force dissuasive et répressive. Chacun était confronté à des dirigeants locaux qui, avec la morale de leur côté, exigeaient que les actes soient conformes à leurs engagements. D'où l'importance de ces manifestations rituelles publiques dont s'accompagnaient les soi-disant décisions.
93La manière dont l'éventail des choix a été réduit a eu des conséquences tangibles. Il serait vain de n'appréhender la réduction que sous l'angle de la contrainte ou d'une distinction entre ce que les individus pensaient et ce qu'ils osaient montrer. Si ses effets sont malaisés à saisir et ont évolué dans le temps, la contrainte a bel et bien affecté le sens de la réalité sociale partagé par tous à cette époque.
94Mais l'expérience chinoise montre que ce mode de gouvernement souffre d'une grave faiblesse : son efficacité ne cesse de diminuer au fil du temps. Ce qui explique que, au cours des dernières années de la vie de Mao, on a, et de plus en plus souvent, eu recours à la violence physique. Certains avancent que si les techniques de mobilisation qui étaient utilisées en Chine n'ont été efficaces qu'un temps, c'est que le climat de terreur a fini par s'essouffler.
95À cette analyse nous semble devoir s'ajouter une expérience qui se passe de mots : l'expérience physique ressentie par les uns et les autres. Même si les dirigeants de Dazhai avaient interdit l'emploi du mot « fatigue », les membres de la brigade de production n'en étaient pas exempts. Et, physiquement, individuellement, de façon directe et quotidienne, il y avait contradiction entre les mots et le vécu. Les mots se voyaient démentis, suscitant un questionnement qui a profondément contribué à ébranler le projet totalitaire dans les campagnes chinoises.
96Le mouvement « Imiter Dazhai » constitue sans doute l'épisode le plus à même de révéler l'importance de cette dimension physique. En effet, quelles qu'aient été ses phases successives et son rôle politique, ce mouvement impliquait que, pour réussir et pour que le village de Dazhai reste un modèle, les paysans fournissent un travail et un effort physique d'une rare intensité. Or, malgré l'absence de mots, l'épuisement physique était réel et c'est cette usure qui a fait que les dirigeants locaux n'ont pu faire travailler, autant qu'ils l'auraient souhaité, les membres de la brigade de production. Cette charge de travail a été interrompue faute de ressources physiques mobilisables, mais aussi parce qu'elle a fini par être désavouée. Le contrôle exercé par les différentes armes du « travail idéologique » a alors commencé à progressivement diminuer :
- 47 Entretien avec GYL, Xiyang (Shanxi), 21 mars 2004.
Le corps, ce n'est quand même pas du fer. Parfois, j'étais tellement épuisé que je faisais semblant d'être malade pour ne pas aller travailler avec les autres47.
97Si les cadres du Parti devaient eux aussi écouter leur corps, qu'en était-il des paysans ordinaires ? D'autant que le mouvement durait depuis des années, que toute une génération y avait participé, et que ceux qui étaient dans la force de l'âge dans les années 1950 étaient devenus, dans les années 1970, des hommes et des femmes âgés de 50 à 60 ans. Quand on les voyait marcher, on devinait que leurs corps avaient été sollicités au-delà du supportable. Un vieux paysan, qui se déplace difficilement aujourd'hui, explique :
- 48 Entretien avec ZEM, Xiyang (Shanxi), 21 juin 2005.
J'ai les maladies héritées de ces années où il fallait « travailler dur ». Notre génération a payé le prix fort. Mais il n'était pas question de sacrifier aussi nos enfants48.
98L'expérience physique des membres de la coopérative de Dazhai a donc amené ces paysans à faire tout ce qu'ils pouvaient pour épargner aux plus jeunes les mêmes souffrances. C'est bien cette expérience des corps qui, sans les mots pour le dire, a contribué à amoindrir le contrôle exercé sur les paroles et les actions.
99Malgré tout ce qui a été investi pour que Dazhai devienne Dazhai, la main-d' uvre active s'est peu a peu désengagée. S'il en a été ainsi à Dazhai, on peut imaginer ce qui s'est passé dans le reste de la Chine.
100Quel que soit le contrôle qu'il a exercé sur les discours et les actions, le gouvernement chinois n'a pu dissimuler ce que les paysans ont vécu. Après des années de malnutrition et de fatigue, l'usure des corps ne pouvait que révéler au grand jour combien étaient mensongères les paroles et la réalité sociale à laquelle on tentait de leur faire croire. Ce que disait une chanson de l'époque, considérée alors comme réactionnaire [Wu 2004 : 23] :
On espère chaque année que l'an prochain sera meilleur ; mais l'an prochain est là et on porte les mêmes vêtements déchirés ; seize ou dix-sept ans ont passé et on continue à nous faire dire à tous que le communisme est bon.
101De nombreux documents confirment que, vers la fin du mouvement « Imiter Dazhai », il s'est imposé une réalité dont un journaliste du Quotidien des paysans dit :
Huit cent millions de paysans en font le moins possible.
102Les paysans ne se livraient à aucune résistance ouverte, ils ne prenaient pas non plus la parole pour tenir des propos dissidents ; en revanche, ils avaient adopté une attitude qui consistait à « aller sur leur lieu de travail sans dépenser de force physique » [ibid. : 31]. Désespérés, ils avaient cessé de participer, de s'impliquer dans les projets.
103Face à cette situation sans issue, Deng Xiaoping a dû faire des concessions : il a mis fin à la lutte des classes et distribué des forfaits d'exploitation aux foyers. Le mouvement « Imiter Dazhai » s'arrêtait là. Les paysans retrouvèrent une marge de man uvre, et, sans qu'il ait fallu recourir à un quelconque contrôle idéologique, accrurent leur production et leur productivité.
104À Dazhai, en 1981, un an après que des forfaits d'exploitation des terres collectives eurent été confiés aux foyers, la production de grains atteignait le chiffre record de 1 million de livres [Sun et Xiong 1990].