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Investissement minier et développement

L'exploitation de l'Ilménite dans la région de Tolagnaro (Fort-Dauphin)
Jean-Pierre Revéret
p. 213-228

Résumés

Résumé
Dans la région de Tolagnaro, au sud-est de Madagascar, un projet minier de grande envergure, en gestation depuis 1986, vient, en 2006, d'entamer la phase de construction de ses infrastructures. À partir d'un regard combinant l'économie politique et l'analyse environnementale,l'auteur fait le portrait de l'activité minière et de ses principaux impacts attendus ainsi que de la toile de fond multidimensionnelle sur laquelle s'est développé ce projet. Il explore ensuite les conditions dans lesquelles cet investissement pourrait contribuer, non seulement à la croissance économique et aux exportations mais, surtout et avant tout, au développement local et régional.

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Texte intégral

  • * QIT est le sigle de « Quebec Iron and Titanium ».
  • 1 Nous utiliserons l'appellation malgache officielle, à savoir Tolagnaro, tout en précisant qu'au niv (...)

1EN 1986, la compagnie canadienne QIT Fer et Titane*, filiale de Rio Tinto Plc, débuta une campagne d'exploration minière de la région de Tolagnaro1, dans l'Anosy, au sud-est de Madagascar. Cette campagne visait l'exploitation de l'ilménite, un sable minéralisé, recherché pour le bioxyde de titane qu'il contient et qui sert essentiellement de base à la production de pigments blancs utilisés dans les peintures et colorants.

2En août 2005, après avoir obtenu les autorisations préalables, la Compagnie prit la décision d'investir. Durant près de vingt ans, de multiples études, négociations et décisions avaient alimenté la chronique, autant locale, nationale qu'internationale, autour du rôle de ce projet minier de grande envergure. Celui-ci était, selon les points de vue, soit la source d'une dégradation irréversible d'un environnement ­ lire « biodiversité » ­ déjà mis à mal, soit le moteur d'un développement régional pouvant contribuer à régler la question de la pauvreté dans le sud-est du pays.

3Nous voulons montrer comment, au-delà de l'exploitation de l'ilménite, les questions de la conservation de la biodiversité et de la lutte contre la pauvreté sont devenues partie intégrante de ce projet, le plaçant ainsi au c ur des enjeux du développement de cette région. Nous voulons aussi utiliser ce projet pour nous interroger sur les conditions dans lesquelles l'investissement privé peut contribuer, effectivement, au développement. En effet, bien que les investissements directs étrangers augmentent en valeur, tant à Madagascar qu'en Afrique, leurs retombées au niveau local sont encore souvent minimales.

4Nous allons tout d'abord faire le portrait du projet lui-même, d'un point de vue essentiellement technique. Puis nous explorerons les différentes dimensions de la toile de fond sur laquelle ce projet se développe et nous intéresserons aux acteurs impliqués. Nous aborderons ensuite les impacts et les enjeux principaux qui sont ressortis de l'évaluation sociale et environnementale. Et, pour finir, nous reviendrons sur les conditions dans lesquelles cet investissement peut contribuer au développement régional et améliorer les conditions de vie des communautés locales plutôt que de ne leur laisser que des « externalités négatives », pour reprendre le vocabulaire de l'économiste.

Le projet minier2

  • 2 La description du projet est tirée de QIT Madagascar Minerals SA (QMM), 2001, « Projet ilménite. Ét (...)

5Les sables minéralisés recherchés, l'ilménite et le zircon, sont surnommés « sables noirs » du fait de leur couleur, et ils sont mélangés au sable de silice, blanc, qui compose les plages. Ils se présentent, entre la côte et une chaîne de montagnes, dans trois zones distinctes qui totalisent une superficie 6 000 hectares. Celles-ci contiennent respectivement 400, 600 et 700 millions de tonnes de sable, dont 5 % en moyenne sont de l'ilménite. On trouve ce sable jusqu'à une profondeur qui varie de 12 à 20 mètres. Son extraction se fait donc à ciel ouvert, suivant une technique utilisée depuis une cinquantaine d'année en Australie.

6Après avoir retiré le couvert végétal, on creuse un bassin de 500 mètres de long sur 300 mètres de large et environ 15 mètres de profondeur. Une drague et une usine de séparation flottantes y avancent lentement en aspirant tout le sable à l'avant du bassin, selon un tracé prédéterminé. Lorsqu'est séparé le minerai utile de la silice sans valeur économique, celle-ci est redéposée derrière le bassin d'extraction, qui avance ainsi de quelques mètres par jour. La topographie des lieux est restaurée après le passage du bassin et de son équipement, et différentes stratégies de réhabilitation par la plantation de végétaux sont mises en place. Ce n'est donc qu'un faible pourcentage de la superficie totale qui se trouve en exploitation à un moment donné.

7Le minerai est ensuite transporté vers une deuxième usine de séparation, située sur le site minier, qui sépare l'ilménite, le zircon et la monazite. Sans valeur économique, la monazite, légèrement radioactive, est remise en place dans le milieu d'où elle a été extraite. Le minerai trié est acheminé en camion par une nouvelle route jusqu'à un port dont la construction est prévue au sud de la ville de Tolagnaro. Ce port multi-usages sera disponible vingt jours par mois à d'autres usagers que ceux des bateaux minéraliers.

8Le projet prévoit l'exploitation successive de trois zones, à commencer par celle de Mandena, la plus proche de la ville de Tolagnaro, que suivra, dans une vingtaine d'années, la zone de Petricky, à quelques kilomètres au sud de Tolagnaro, et, enfin, la zone de Sainte-Luce, à vingt kilomètres au nord de la ville.

La toile de fond

LA PLACE DU PRIVÉ DANS LA RHÉTORIQUE SUR LE DÉVELOPPEMENT À MADAGASCAR

  • 3 Voir l'article de Sophie Goedefroit dans ce numéro.

9Avec 70 % de la population malgache en dessous du seuil de pauvreté défini par la Banque mondiale, la lutte contre la pauvreté est une priorité pour le gouvernement et les bailleurs. On peut considérer le « Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté [dans la] République de Madagascar » (2002) comme une des dernières formulations des approches gouvernementales malgaches en matière de développement. Y figurent les stratégies envisagées pour atteindre ce qui est qualifié de développement « rapide et durable », définition témoignant d'une aspiration politique claire mais porteuse de contradictions potentielles3.

10Ces stratégies sont structurées autour de trois axes principaux :

111)amélioration des performances économiques en faisant participer les pauvres, et se traduisant par une croissance économique forte et durable qui leur est profitable ;

122)développement des services de base (santé, éducation et eau potable) et élargissement des filets de service de bien-être, sécurité au bénéfice des couches sociales les plus pauvres ;

133)mise en place d'un cadre institutionnel favorable, renforcement des capacités par le développement des provinces autonomes et l'amélioration de la gestion des affaires publiques.

14D'emblée, la notion de partenariat public-privé est annoncée comme devant être centrale, au niveau institutionnel, afin que soit atteint l'objectif qui est de réduire la pauvreté de moitié, et ce en dix ans. Ce qui doit s'accompagner d'une stratégie d'émergence et de dynamisation de pôles de développement visant à concrétiser et fédérer l'ensemble des politiques et programmes de développement. Notons que la Banque mondiale a, dans cette foulée, appuyé trois pôles intégrés de croissance (PIC) : à Nosy Be, sur l'axe Antananarivo-Antsirabe, et dans la région de Tolagnaro. Dans ce dernier cas, ce sont la présence du projet minier et celle, surtout, du port qui lui est lié, qui ont été déterminantes lors du choix de la région.

15On évoque, à ce propos, le cadre référentiel qu'est le Programme national d'appui au secteur privé (PNSP) qui vise à développer et à dynamiser ce secteur. Dans les programmes de mise en place de la stratégie, mentionnons l'amélioration du cadre des affaires et du cadre institutionnel, grâce à un renforcement des supports juridiques, réglementaires et judiciaires permettant d'offrir un environnement « sécurisant et attrayant » aux investisseurs.

LE SECTEUR MINIER

  • 4 Nous ne traiterons pas ici de l'exploitation minière à petite échelle. Comme le montre V. Rakotonom (...)

16Deuxième élément de la toile de fond : une volonté claire du gouvernement d'accroître la contribution du secteur minier à l'économie nationale. Plus précisément, on vise une augmentation de la valeur annuelle des investissements : de 10 millions de dollars en 2002 à 60 millions en 2006. Rappelons qu'en 2005, la valeur ajoutée par ce secteur ne représentait que 4 % du PIB. Le souhait de développer ce secteur dans sa dimension artisanale4, mais aussi et surtout au niveau des mines industrielles, a pris plusieurs formes depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. La réforme du code minier et le décret sur la mise en conformité des investissements à l'environnement (MECIE) comptent parmi les formes les plus tangibles.

17Cette réforme, datant de 1999, s'intègre dans un mouvement qui a touché toute l'Afrique et a redéfini en profondeur le rôle de l'État. Bonnie Campbell [2003], sur la base d'une étude de cas comparative, a identifié trois générations distinctes de réformes.

18La première génération, celle des années quatre-vingt, peut être illustrée par le cas du Ghana. Une déréglementation importante, une privatisation des activités minières ainsi qu'une redéfinition du rôle de l'État ont fortement stimulé le développement du secteur. Mais cela ne s'est accompagné ni d'emplois ni d'effets d'entraînement contribuant au développement local.

19La deuxième génération de réformes, celle des années quatre-vingt-dix, peut être illustrée par le cas de la Guinée. Elle s'est caractérisée par une déréglementation si forte qu'elle est allée jusqu'à nuire au développement même du secteur. L'accent a été mis sur les conditions qui allaient créer un environnement favorable à l'investissement et sur les mesures de redistribution de la richesse créée. Mais la protection de l'environnement a, elle, été largement oubliée.

20C'est un peu en réponse à ce constat d'un balancier qui était allé trop loin que l'on peut identifier l'émergence d'une troisième génération de codes miniers, vers la fin des années quatre-vingt, et qu'illustrent les cas du Mali, de la Tanzanie et de Madagascar. La Banque mondiale avait recommandé que, dans les processus de consultation, on implique les populations affectées par les projets ainsi que les ONG. La dimension environnementale avait pris sa place essentiellement sous la forme d'études d'impact environnemental qui étaient alors codifiées, au-delà de la législation proprement environnementale en vigueur. En ce qui concerne le nouveau code minier à Madagascar, Bruno Sarrasin [2006] considère qu'il s'agit d'une révision majeure du rôle de l'État et de son retrait, au-delà de l'ajout d'une composante « développement social », tel que le font valoir les analystes de la Banque mondiale.

21Dans ce contexte d'ouverture, on note l'aboutissement de projets en préparation depuis longtemps et l'arrivée de plusieurs autres nouveaux projets. Dans la première catégorie figure bien sûr celui de Rio Tinto. Le second projet a été initié par la société américaine Phelps Dodge et est aujourd'hui la propriété d'une joint-venture entre la société canadienne Dynatec (45 %), Sumitomo Corporation (27,5 %) et Korea Resources Corporation (27,5 %).

  • 5 Pour plus d'informations, consulter www. dynatec. ca/ press/ Press_20061204. pdf.
  • 6 Pour mémoire et en sachant que cette comparaison a ses limites, rappelons que le flux annuel de l'a (...)

22Ce projet se situe à Ambatovy, à 80 kilomètres à l'est d'Antananarivo. Il s'agit d'exploiter, par an, 60 000 tonnes de nickel, 5 600 tonnes de cobalt et 190 000 tonnes de sulfate d'ammonium. L'autorisation environnementale de l'Office national de l'environnement (ONE) ayant été délivrée en décembre 2006, la construction des infrastructures devrait débuter avant la fin de l'année 20075. Un investissement de l'ordre de 2,5 milliards de dollars6 en fait le plus gros projet minier à Madagascar, loin devant celui de Rio Tinto, qui est de l'ordre de 580 millions de dollars.

23Dans le sud-ouest du pays, Kumba Resources et Ticor Ltd. d'Australie ont créé une joint-venture pour entreprendre une étude de faisabilité de l'exploitation des sables minéralisés de la région de Toliara. Plusieurs autres projets sont annoncés, dans le domaine de l'uranium et du saphir en particulier, au niveau de mines industrielles ou de mines artisanales.

24Plusieurs projets importants vont donc voir le jour. Mais, comme l'a indiqué Bonnie Campbell [2006], alors que, sur le papier, Madagascar affiche nombre de lois et de règlements visant à gouverner ce secteur, le manque de ressources humaines et financières nécessaires au contrôle et à la mise en application de cette législation constitue toujours un réel problème, notamment pour ce qui est de la protection environnementale. Après plus de vingt années d'ajustements structurels, la capacité institutionnelle du gouvernement est affaiblie et aboutit à la situation paradoxale qui veut que le gouvernement lui-même ne soit pas en mesure d'appliquer sa propre législation.

25On constate donc que, dans les prochaines décennies, le secteur minier industriel prendra place parmi les acteurs significatifs de la vie économique malgache, et que les questions de sa contribution au développement social et de sa relation à l'environnement, entre destruction et conservation, ne seront plus une interrogation théorique.

LA CONSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ

  • 7 Cet aspect a été abordé en détail dans plusieurs articles de ce numéro et nous n'y reviendrons pas.

26La troisième dimension de la toile de fond sur laquelle va se structurer ce projet est celle de la conservation de la biodiversité. Un certain nombre de caractéristiques, dont un taux d'endémisme très élevé, mais aussi plusieurs espèces emblématiques, sont devenues quasiment des clichés, qui font que Madagascar, très souvent, est vu au travers du prisme de la biodiversité qu'il faut conserver7.

27La protection de cette biodiversité est au c ur d'une série de plans d'action environnementale qui, depuis 1989, ont mobilisé les fonds de nombreux programmes d'aide et ont impliqué de façon croissante diverses grandes ONG internationales telles WWF (World Wide Fund for Nature) et CI (Conservation International). Elle est aussi au c ur du modèle de développement proposé par la Banque mondiale et par des agences d'aide bilatérale.

28Depuis quelques années déjà, l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) pilote des groupes de travail visant à affiner les méthodes pour que soient effectivement pris en compte, lors des études d'impact environnemental, les effets des grands projets industriels ou d'infrastructures qui se répercutent sur la biodiversité. Au-delà de l'importance objective de la biodiversité, des ressources qu'elle fournit aux populations locales et du potentiel qu'elle représente pour l'industrie pharmaceutique (essentiellement étrangère) et celle des huiles essentielles, la question de sa conservation est souvent érigée en valeur absolue, et le fait de contribuer à cette conservation est perçu comme une mission d'ordre supérieur. Cela conduit parfois, comme l'a montré Janice Harper [2002], à un impossible dialogue puisque ces valeurs conservationnistes ne poussent pas à se mettre à l'écoute d'arguments moins éco- ou biocentrés.

Secteur minier et développement durable

29Dans les dernières décennies, le secteur minier, dans son ensemble, n'a obtenu de bonnes notes ni pour ses performances dans le domaine de l'environnement ni pour ses relations avec les communautés locales. Les engagements pris à Rio par les leaders du secteur privé, et reformulés à Johannesburg lors des grands sommets des Nations unies, se devaient d'être accompagnés d'une réflexion sur les nécessaires changements à apporter pour devenir socialement et « environnementalement » responsables.

  • 8 Voir www. iied. org.
  • 9 Voir www. icmm. com/ .

30En 1998, les PDG de neuf des plus grosses compagnies minières lancèrent le « Global Mining Initiative », un groupe de travail dirigé par l'Institut international pour l'environnement et le développement, de Londres8. Leurs travaux allaient aboutir à la création du Conseil international des mines et des métaux (CIMM)9 et à l'adoption d'un cadre stratégique concernant le développement durable. Les principes que l'on y retrouve déclinent, au niveau de ce secteur, les grands credo du développement durable ­ bonne gouvernance, transparence, équité, intégrité des écosystèmes, etc. ­ dans le souci de les rendre opérationnels.

31Rio Tinto ayant joué un rôle majeur dans ce groupe de travail, il est important, pour celle-ci, de pouvoir mettre cette dynamique en application à une grande échelle. Le projet « ilménite » de Madagascar a toutes les caractéristiques nécessaires à une approche intégrant les trois dimensions du développement durable, comme l'atteste sa présentation par la Compagnie :

  • 10 Voir wwww. riotinto. com/ SustainableReview/ CaseStudies/ Landaccess/ Mining. aspx.

32The Madagascar programme represents one of the most far reaching engagement efforts that Rio Tinto has pursued, from the point of view of the complex interconnections between mining operations, environmental conditions, and the social and economic situation. Along the way, Rio Tinto is learning many new ways of working with partners in the region and learning how mining can facilitate a more sustainable environment10.

  • 11 Cf. Lightening the Lode. A guide to Responsible Large-Scale Mining. CI, Washington.

33Dans la même mouvance et dans la perspective d'un dialogue avec le secteur minier, Conservation International, une des ONG très présentes à Madagascar, a publié, en 2000, un « guide pour une industrie minière responsable »11. Dans cet ouvrage sont explorés les enjeux de nature non seulement environnementale mais aussi sociale, et sont exposés des recommandations destinées aux dirigeants des entreprises du secteur minier afin que la libéralisation des échanges et la multiplication des projets qui en découlent n'aient pas, sur les écosystèmes et les populations, les effets dévastateurs que l'on peut redouter.

34On peut donc affirmer que, pour Rio Tinto, le projet minier de Tolagnaro sert à tester une nouvelle approche, et ce en grandeur nature, et que les succès et les échecs de cette expérience porteront bien au-delà du sud-est malgache.

La région de l'Anosy12

  • 12 QMM, 2001, « Projet ilménite... », vol. 1, chapitre 2, pp. 17 sqq.

35La toile de fond ne saurait être complète sans un portrait de la région dans laquelle le projet minier va s'implanter, à savoir l'Anosy. Cette région de la province de Toliara couvre une superficie de près de 6 000 km2. Elle est bordée, au sud et à l'ouest, par la région de l'Androy, au nord, par la province de Fianarantsoa. Elle s'étend entre l'océan Indien à l'est, et deux impressionnantes chaînes de montagnes, les Vohimenas et les Anosyennes, à l'ouest. Tolagnaro, avec 50 000 habitants environ, est la seule ville à proximité immédiate du projet.

36Le milieu naturel de l'Anosy regroupe, proches les uns des autres, quantité de paysages, d'écosystèmes et d'espèces animales et végétales, ce qui en fait l'une des régions les plus diversifiées de Madagascar et explique l'intérêt que lui porteront les organisations de conservation. Ses habitants, les Antanosy, sont l'un des dix-huit groupes de populations qui constituent le peuple malgache.

37La région de l'Anosy est d'une très grande pauvreté et les indicateurs de développement humain y sont inférieurs à ceux de la moyenne nationale. Les activités économiques de la région reposent, d'une part sur la culture et la transformation du sisal (Algave robusta), un végétal dont on fait de la ficelle ; d'autre part, sur un tourisme en développement et sur les différents services de l'État.

38Le sisal est cultivé dans la partie sèche de l'Anosy. Les plantations appartiennent à cinq compagnies, présentes dans la région depuis les années vingt, et qui comptent plus de 6 000 employés. La fibre est d'abord extraite sur place, à partir de la feuille de sisal, puis expédiée par camion à Tolagnaro, où on en transforme une partie en corde avant d'en exporter le reste, sous forme de fibre brute, sur le marché international, principalement en Europe.

39Dans la région, le tourisme, encore limité, est en plein essor. La beauté des paysages, les plages, l'accueil des habitants, le climat, la faune et la flore, sans oublier l'histoire locale, sont autant de facteurs qui confèrent à l'Anosy un potentiel touristique de premier ordre. La question de la comptabilité entre tourisme et exploitation minière jouera donc un rôle déterminant dans le succès ou non du développement de ce secteur.

40Les activités liées à la pêche, dont la préparation et l'exportation de la langouste et autres produits de la mer (les algues, par exemple), sont importantes pour les villages côtiers de l'Anosy et, bien sûr, pour Tolagnaro. Les villageois pratiquent aussi une pêche de subsistance. Toutes ces activités se font à petite échelle, et, par ailleurs, on ne connaît pas vraiment le potentiel de développement de la pêche industrielle, absente dans la région.

41L'un des secteurs les plus dynamiques à Tolagnaro ces dernières années est celui des ONG. Alors que 4 seulement étaient actives en 1989, elles étaient 36 en 2000. Quel que soit leur mandat (développement, santé, protection de l'environnement), les ONG constituent une source d'emploi et un facteur de dynamisme local non négligeable. La grande majorité d'entre elles ont été créées après le milieu des années 1990, et le démarrage éventuel du projet minier n'y est pas étranger.

42En milieu rural, pour ceux et celles qui ne sont pas liés aux activités économiques évoquées ci-dessus, la pauvreté est plus grande encore qu'elle ne l'est en milieu urbain. La population dépend d'une agriculture de subsistance, complétée par des activités de collecte (bois, plantes médicinales, etc.) et de tressage. Dans certains villages on pratique aussi la pêche, plus rémunératrice, nous l'avons dit, dans le cas de la langouste. Mais la plupart du temps, ces activités ne permettent pas d'avoir une quantité de nourriture suffisante, et le riz, aliment de base préféré, doit souvent être remplacé par le manioc, moins cher :

  • 13 QMM, 2001, « Projet ilménite... », vol. 1 : 3-43.

La pauvreté, individuelle et collective, constitue donc l'un des traits les plus marquants de la vie en milieu rural. Cette réalité est à l'opposé de la vision idéalisée que l'on se fait d'une famille villageoise vivant dans une sorte de paradis, en harmonie avec la nature environnante. Dans ce contexte de pauvreté se présentent des moments que l'on peut qualifier de crises, où des débours sont nécessaires et où des stratégies de survie encore plus rudes doivent être mises en  uvre13.

Les impacts et les enjeux du projet

UN LONG PROCESSUS

  • 14 C'est dans ce contexte que j'ai, pour la première fois, été en contact direct avec ce projet, le gr (...)

43Après que l'exploration minière a attesté de concentrations économiquement rentables, dès 1989 une première série d'études environnementales et sociales ont été entreprises, qui ont duré jusqu'en 1991. Dans la tradition des évaluations environnementales qui prévalaient alors, des équipes disciplinaires et relativement peu intégrées ont abordé les multiples dimensions des impacts possibles (sur le sol, l'hydrologie, sur le milieu aquatique, la faune, la flore, et sur les aspects socioéconomiques)14.

44Cette première série d'études a été menée à un moment où la législation malgache en matière d'évaluation environnementale était en cours d'élaboration et non encore adaptée à des projets d'envergure, inexistants dans le secteur minier. Dès 1992, Rio Tinto a entrepris une longue négociation avec l'État malgache, par ailleurs son partenaire dans la joint-venture, et celle-ci allait aboutir, en 1998, à la création de QIT Madagascar Minerals SA (QMM SA).

  • 15 Voir l'analyse de Philippe Karpe dans ce numéro.

45L'Assemblée nationale de Madagascar a ratifié une « convention d'établissement » déterminant l'encadrement juridique et fiscal du projet. Cette Convention a été promulguée en février 1998 et rendue publique avec sa parution au JO. Bien que le JO ne soit pas un document largement distribué15, le fait qu'il soit accessible à tous est, au moins, un gage de transparence quant aux caractéristiques fiscales du projet. Et en l'absence d'un cadre réglementaire adapté au niveau environnemental, c'est dans cette convention qu'apparaissent les obligations spécifiques concernant les études sociales et environnementales qu'il convient d'effectuer.

Une approche interdisciplinaire intégrée

46Pendant que se négociait le statut final de la Compagnie, les enjeux multiples qui avaient été exposés lors de la première phase d'études conduisaient les gestionnaires du projet à mettre en place une équipe multidisciplinaire au sein de l'entreprise, et ce dès 1995. On peut avancer qu'il s'agissait là d'une décision stratégique dans la mesure où la présence de professionnels représentant des expertises locales allait éviter que la compréhension des enjeux environnementaux et sociaux ne dépende que de la contribution de l'équipe d'experts étrangers. Cela permettrait aussi de maintenir dans l'entreprise, en période d'opération, une compréhension des logiques sociales et environnementales, et de constituer la base d'une mémoire institutionnelle qu'un rapport externe ne fournit pas.

47Cette équipe a entrepris des études pour approfondir les connaissances sur les écosystèmes concernés par le projet et collaborer avec des universitaires malgaches et étrangers. Elle a, en particulier, effectué des expériences de simulation de reboisement, de restauration écologique et de conservation des écosystèmes de la zone côtière. Rapidement, la même démarche ayant prévalu au niveau socioéconomique, des sociologues, des anthropologues et des géographes malgaches ont rejoint l'équipe.

  • 16 L'appellation initiale de QIT Fer avait été rapidement malgachisée dans les villages, sous la forme (...)

48Les nombreuses recherches entreprises sur le terrain ont alors contribué à associer le projet « kitifera »16 à une ONG environnementale ­ quel paradoxe ­, en tout cas à lui donner, auprès de nombre d'acteurs locaux, l'image d'une entreprise soucieuse des dimensions environnementales de ses activités. Dans la même période, QMM contribuait activement à la remise en état d'écoles dans plusieurs villages et intervenait dans la réhabilitation de centres de soins.

49QMM revendique une approche « ouverte » de son projet minier, approche intégrée au milieu d'accueil et en opposition à la démarche « en enclave » qui dominait les approches des industries extractives jusqu'à la dernière décennie. En ce sens, QMM s'est, dès 1999, impliquée dans le processus de planification régionale de l'Anosy, au sein d'une démarche multi-acteurs qui s'insérait dans le volet régional du Programme d'appui à la gestion décentralisée des infrastructures, du ministère de l'Aménagement du territoire et de la ville, appuyé par la Banque mondiale. La première étape a été la mise en place du Comité régional de développement de l'Anosy (CRD). Défini comme une plate-forme de concertation, le CRD, qui réunit tous les acteurs pertinents (élus, administrations, sociétés civiles), s'est mandaté pour élaborer un schéma de développement régional (SDR).

L'ÉVALUATION DES IMPACTS

  • 17 QMM, 2001, « Projet ilménite... », annexe 6.

50L'évaluation de l'impact environnemental et social, telle qu'elle a été prévue dans la convention d'établissement, a débuté, en 1998, par une consultation des groupes affectés et intéressés par le projet aux niveaux local, régional et national. Il s'agissait de s'assurer que leurs points de vue et leurs interrogations contribuent, avec les questions soulevées par les experts de chaque domaine, à définir les termes de références de l'étude d'impact. Le document produit allait être soumis à l'ONE pour ajustement et approbation17.

51Cette consultation menée au niveau des villages concernés a permis d'établir un mécanisme d'échange entre la Compagnie et la population. Cette consultation des groupes affectés s'inscrit dans une approche récente en matière d'études d'impact environnemental, laquelle part du constat que, traditionnellement, ces mêmes groupes étaient impliqués trop tard dans les processus, à savoir qu'on ne leur demandait leur avis que sur le rapport final de l'étude [André et al. 2004].

  • 18 La politique générale d'intervention de QMM, en vertu de laquelle la société va entreprendre différ (...)

52Rio Tinto a ainsi posé les bases initiales d'une connaissance réciproque avec les habitants de la région, fondement du respect mutuel, qui est une des caractéristiques de sa politique d'intervention auprès des communautés18. Ce processus de consultation a, par ailleurs, fait l'objet de critiques de la part d'ONG qui considèrent qu'il n'a pas véritablement permis de colliger les points de vue de la population locale et de les intégrer dans les termes de références de l'étude.

53De nombreuses interrogations soulevées lors des rencontres visaient à cerner les espaces d'opportunité créés par l'activité minière, en matière d'emploi bien sûr, mais, surtout, en matière d'amélioration des conditions de vie (santé, éducation, transport, etc.). Dans tous les villages, une question revenait de façon systématique et portait sur la disponibilité, après l'exploitation minière, du mahampy, une plante locale. Cette question mérite d'être explorée plus avant.

54Le mahampy pousse dans les lieux marécageux. Ce roseau revêt une double signification, à la fois économique et culturelle. Économique, parce que les objets que les femmes fabriquent à partir de cette plante (chapeaux, paniers, nattes, etc.) représentent une de leurs seules ressources financières, indispensable en période de soudure. Culturelle, parce que, mieux que toute autre ressource du site, celle-ci symbolise la nature du rapport complexe qu'entretiennent les villageois avec l'espace exploité non habité. Culturelle aussi car, au-delà des usages marchands, le mahampy sert à tresser la natte qui servira de linceul.

55La dimension sacrée qu'il acquiert alors est ainsi liée à la représentation que les villageois se font du mahampy, à savoir qu'il est un don de Dieu. Il n'appartient donc pas à la catégorie de ce que l'on plante, comme le riz, le manioc ou les patates douces, ce qui explique la totale incrédulité initiale des villageois face au discours du biologiste. En effet, pour les biologistes il n'y a là pas d'enjeu particulier car il est avéré que la reproduction de cette plante est bien maîtrisée ; celle-ci pourra donc être mise en culture après l'exploitation minière.

56Il ne s'agit donc pas simplement de transférer un savoir afin de transplanter ce roseau dans les meilleures conditions, mais il s'agit aussi d'ouvrir un dialogue portant sur les représentations respectives. Ce dialogue aura, dans ce cas, permis de bien distinguer l'usage économique et l'usage culturel que l'on fait de la plante, et d'initier ainsi des programmes d'essai de transplantation grandeur nature, avec une participation active des femmes qui la collectent et la tressent.

57Le roseau, qui a été transplanté, convient pleinement au tressage d'objets à usage domestique ou commercial mais la natte destinée au linceul doit, elle, être tressée à partir d'un mahampy naturel. Il faut donc s'assurer que l'on va trouver celui-ci en quantité suffisante dans des zones non exploitées. Cet enjeu illustre bien, à lui seul, la distance initiale entre les deux mondes qui vont cohabiter sur ce même espace.

58Au tout début du projet, les enjeux de la biodiversité semblaient centraux. Une portion de forêt de 230 hectares, moins dégradés et hébergeant une vingtaine d'espèces végétales endémiques au site minier de Mandena, a été rapidement soustraite à l'exploitation, et identifiée par la Compagnie comme zone de conservation. Cette décision s'est accompagnée d'un message récurrent chez QMM et dont le propos est que, sans ce projet, cette zone forestière disparaîtra, dans les décennies à venir, sous la pression des villageois et face à la demande urbaine en bois d'énergie.

59Cette zone représente 10 % de la superficie et 8 % des 35 millions de tonnes d'ilménite disponibles sur le site de Mandena. Pour paraphraser les économistes de l'environnement, on peut dire que ces 2,8 millions de tonnes, évaluées au prix du marché, représentent « le consentement à payer » pour la conservation.

  • 19 Voir en particulier les articles de Sophie Goedefroit et de Philippe Karpe dans ce numéro.

60En collaboration avec plusieurs acteurs locaux et nationaux, des zones de conservation ont été établies dans les deux autres sites, et une pépinière pouvant produire 170 000 arbres par an a mis ses arbres à la disposition de la communauté. Cela a permis de tester, avant même le début de l'exploitation, la faisabilité de certaines opérations de reboisement, du point de vue technique et quant à la gestion du processus avec les groupes concernés. Toute cette démarche s'est d'ailleurs développée dans l'esprit de la Gelose et plusieurs ententes avec les villageois se sont formalisées dans des dina19.

  • 20 QMM, 2001, « Projet ilménite... », vol. 2, pp. 6-9.

61Sur le plan des impacts économiques, les emplois directs connaissent un pic lors de la période de construction mais il s'agit essentiellement de main-d' uvre étrangère, avec donc peu d'effets structurants. En période de fonctionnement, QMM évoque environ 600 emplois directs et 1 100 emplois induits, nombre relativement faible par rapport à la population de la zone20.

  • 21 QMM, 2001, « Projet ilménite... », vol. 2, pp. 6-12.

62Le chiffre d'affaires annuel de 69 millions de dollars devrait rapporter 7 à 9 millions de dollars à l'économie malgache, au début de l'exploitation, et atteindre, par la suite, 26 millions de dollars par an21.

  • 22 QMM, 2001, « Projet ilménite... », vol. 2, pp. 6-14.

63Le Trésor public pourra compter sur des montants de l'ordre de 7 à 15 millions de dollars par an sous la forme de taxes, de droits de douane et de redevances minières, lorsque l'exploitation aura atteint sa vitesse de croisière de 750 000 tonnes par an. La répartition de ces montants figure dans l'article 238 du décret d'application du code minier, lequel prévoit que 70 % des redevances minières (évaluées dans l'étude environnementale à 1,4 million de dollars) doivent retourner aux provinces autonomes. À moins de dispositions contraires de la province22, le tiers de cette part sera redistribué aux communes où se trouve le site de l'exploitation.

64On voit donc que ce sont des montants, bien au-delà des disponibilités actuelles des communes, qui vont alimenter leur budget. Plus important encore, c'est la régularité de ces paiements, année après année, qui peut permettre un effet structurant au niveau des infrastructures locales.

  • 23 Contrairement à l'étude d'impact environnemental sur laquelle on s'appuie pour analyser les impacts (...)

65Dans ce projet, si les conditions sont réunies, certains éléments peuvent avoir un effet structurant au niveau de la région et dépasser ainsi l'extraction et l'exportation d'ilménite. L'existence du port et sa destination à des usages multiples, à laquelle s'ajoute la modification du réseau routier local, font que cet ensemble doit être considéré dans une perspective de développement régional, laquelle ressort davantage de l'évaluation environnementale stratégique23 que de l'étude d'impact de projet.

  • 24 Voir wwww. pic. mg/ docs / EIES_Tolagnaro_Final_Vol1_20 juin 2005. pdf.

66C'est ainsi qu'en complément de l'étude des impacts du projet lui-même était entreprise, en 2004-2005, pour le gouvernement malgache et pour la Banque mondiale, une évaluation stratégique du pôle intégré de croissance de la région de Tolagnaro24. Cette étude concluait au rôle moteur potentiel de l'activité minière pour le développement régional.

67À côté des enjeux environnementaux et des retombées économiques, les questions principales soulevées par l'étude d'impact touchent les changements accélérés des valeurs et des relations sociales, changements dus, entre autres, à une place accrue du salariat et à la confrontation, dans des temps relativement courts, de deux « mondes » aux logiques et aux valeurs différentes. Par ailleurs, les aspects liés à la santé publique prennent de plus en plus d'importance. Comment être sûr, particulièrement durant la phase initiale de construction, que la présence temporaire d'une main-d' uvre étrangère masculine ne contribue pas à la propagation du virus HIV ?

Le feu vert donné au projet

68C'est donc dans ce contexte que le gouvernement accorde, en 2001, l'autorisation environnementale. Du point de vue de l'État, non seulement le climat est favorable mais le projet d'exploitation de l'ilménite vient donner un contenu tangible à des souhaits qui pourraient rester v ux pieux dans le langage du développement souhaité par les organisations internationales. Dans Le Quotidien daté du 6 août 2005, à la suite de la décision d'investissement, l'enthousiasme des élus est patent :

Une nouvelle page [...] s'ouvrira pour la commune urbaine (Tolagnaro), visiblement en régression continue en matière d'infrastructures urbaines... En effet, QMM SA interviendra pour qu'elle puisse remonter la pente. Une bonne partie des rues, actuellement en très mauvais état, seront réhabilitées et bitumées. Cette ville, capitale de troisième destination touristique de l'île, est toujours sujette aux mesures de délestage. D'ici peu, tout sera fini. Des terminaux électriques ravitailleront les différentes installations industrielles du port moderne à Ehoala et au centre de développement socioécologique de Mandena. La capitale d'Anosy bénéficiera aussi d'une partie de cette électrification rurale.

  • 25 L'Express de Madagascar, La Gazette, Les Nouvelles, Le Quotidien, Telonohorefy, Madagascar Tribune.
  • 26 Voir wwww. foe. co. uk/ resource/ press_releases/ rio_tintos_madagascar_mine_03082005.htm.

69De nombreuses autres interventions vont dans le même sens, comme en témoignent les principaux journaux de cette période lorsqu'ils annoncent le démarrage du projet25. Ce à quoi le directeur exécutif de Friends of the Earth, Tony Juniper, réplique26 :

This is a very sad day and very bad news for the people of Madagascar. This mine will not solve the terrible problems of poverty on the island, but will damage its precious biodiversity. Rio Tinto is exploiting natural resources in the developing world and once again, it is the local people who will pay the price. It is time international laws were introduced to protect the interests of people and the environment. It is clear that companies cannot be trusted to do so.

  • 27 IUCN et ICMM, « Integrating Mining and Biodiversity Conservation : Case Studies from around the Wor (...)

70On peut constater que les ONG environnementales n'arrivent pas à s'entendre sur l'exploitation de l'ilménite avec les conséquences qui s'ensuivront, et sur les stratégies qu'adopte QMM concernant cette exploitation. En effet, dans le même temps, dans une série d'études de cas qu'elle publie et qui portent sur le domaine minier et sur la conservation de la biodiversité, l'UICN27 présente, de façon très positive, l'expérience de QMM.

Conclusion

71Le projet de QMM à Tolagnaro veut préfigurer une nouvelle approche de l'exploitation minière, en rupture avec des pratiques largement dénoncées. Il s'inscrit dans un modèle de développement plus intégré mais dans lequel le rôle de l'État est réduit. L'exploitant minier se trouve ainsi investi de deux rôles supplémentaires, qu'il n'a pas coutume d'assumer mais qu'il revendique pleinement : partenaire d'ONG, voire maître d' uvre de programme de conservation de la biodiversité et gestionnaire de ressources renouvelables, et, également, acteur explicite de la lutte contre la pauvreté.

72Dans ces domaines, des actions concrètes sont mises en  uvre, mais la pauvreté ne sera toutefois pas résolue via la simple croissance du PIB régional que génèrerait la mine. Les emplois directs et indirects ne résoudront pas non plus ce problème et il faudra veiller à ce que ne soit pas accentuée la disparité qui sépare les riches des pauvres, ceux qui bénéficient des retombées de QMM et les exclus.

73Il peut être utile ici de revenir sur la notion de pauvreté. Au-delà des définitions monétaires classiques, il est préférable de considérer cette notion comme l'absence de maîtrise du lendemain et, dans ce sens, « lutter contre la pauvreté revient à restituer aux plus pauvres les éléments de contrôle de leur présent pour qu'il leur soit à nouveau possible de se construire des futurs » [Weber 2005 : 44]. L'inquiétude face à l'éventuelle disparition des mahampy n'est donc pas de l'ordre de l'anecdote et elle exprime de façon très concrète ce propos de Partha Dasgupta :

Les actifs naturels localement disponibles sont de la plus haute importance pour le monde des pauvres [...] il n'y a pour eux aucune source de biens de nécessité alternative à leurs ressources naturelles locales [cité par Weber 2005 : 42].

74Il est donc important que QMM, en partenariat avec les acteurs locaux, s'assure que les villageois aient au moins accès à des ressources naturelles renouvelables équivalentes à celles que le projet va faire disparaître. Un réel progrès pour leurs conditions de vie serait d'améliorer ce capital naturel renouvelable de façon continue. De fait, ce type d'intervention s'inscrit pleinement dans la nature même de la contribution du secteur minier au développement durable, qui doit conjuguer « ressource non renouvelable » et « durabilité ».

75Il est clair que l'exploitation minière voit sa fin programmée quasiment dès sa conception. C'est donc bien dans l'utilisation pertinente de la rente minière que se concrétisera le rôle moteur de ce secteur. Cette rente devra être investie pour permettre aux habitants des zones rurales touchées par le projet d'améliorer leurs conditions de vie à moyen et à long terme, eux qui ne maîtrisent pas même leur présent. Elle devra aussi contribuer à la mise en place des conditions d'émergence d'autres activités économiques, fondées, elles, sur des ressources renouvelables ou pérennes, tels le tourisme, l'artisanat et d'autres encore.

76Les conditions semblent donc toutes réunies pour que l'opération minière soit économiquement rentable et les retombées, au niveau du Trésor public en terme de croissance, ne font aucun doute. Les stratégies de conservation, de réhabilitation du site et de plantation seront évaluées à l'aune de la déforestation, qui n'aurait pas manqué de se poursuivre sans l'exploitation minière : une bonne note est donc assurée. La dimension la plus incertaine reste à l'interface entre la mine et la population rurale pauvre chez laquelle se fera l'exploitation, et dont la voix n'est pas aussi claire et forte que celle de la plupart des autres groupes.

77Le projet de QMM est le premier d'une série annoncée. Ce qui se passera à Tolagnaro et dans la région sera riche d'enseignement pour les autres projets, à Madagascar, bien sûr, mais aussi sur le continent africain. Les sciences naturelles, les sciences humaines et les sciences sociales peuvent trouver là matière à une collaboration interdisciplinaire réelle, non seulement pour porter le regard critique nécessaire mais, surtout, pour être au c ur d'une réflexion intégrée concernant la recherche pour le développement.

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Bibliographie

André, P., C. Delisle, J.-P. Revéret. — 2004, « L'évaluation des impacts sur l'environnement : processus, acteurs et pratiques pour un développement durable ». Montréal, Presses internationales Polytechnique.

Campbell, B. — 2006, « Bonne gouvernance, enjeux de sécurité et activités minières en Afrique ». Communication présentée à la conférence « Looking Back and Moving Forward » organisée par Ingénieurs sans Frontières (20 janvier 2006, Ottawa).

Campbell, B. ed. — 2003, « Factoring in Governance Is Not Enough : Mining Codes in Africa, Policy Reform and Corporate Responsibility », Mineral and Energy, Raw Materials Report 18 (3) : 2-13.

Harper, J. — 2002, Endangered Species. Health, Illness and Death among Madagascar's People of the Forest. Durham, Carolina Academic Press.

Rakotonomenjanahary, V. — 2004, « De la mine artisanale à une gestion publique des mines informelles », CESMAT 64 : 2-13.

Sarrasin, B. — 2004, « Madagascar : A Mining Industry Caught between Environment and Development », in B. Campbell ed., Regulating Mining in Africa : For Whose Benefit ? Discussion Paper 26, Uppsala, Nordiska Afrikainstitutet. — 2006, « The Mining Industry and the Regulatory Framework in Madagascar : Some Developmental and Environmental Issues », Journal of Cleaner Production 14 (3-4) : 388-396.

Weber, J. — 2005, « Environnement : les pauvres ne sont pas coupables », Sciences humaines 49 (Les enjeux sociaux de l'environnement) : 40-45.

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Notes

* QIT est le sigle de « Quebec Iron and Titanium ».

1 Nous utiliserons l'appellation malgache officielle, à savoir Tolagnaro, tout en précisant qu'au niveau national comme au niveau local, l'appellation « Fort-Dauphin » est très répandue.

2 La description du projet est tirée de QIT Madagascar Minerals SA (QMM), 2001, « Projet ilménite. Étude d'impact social et environnemental ». Rapport déposé auprès de l'ONE (Office national de l'environnement), comprenant 2 volumes, 1 résumé, 17 annexes, 25 documents d'appui.

3 Voir l'article de Sophie Goedefroit dans ce numéro.

4 Nous ne traiterons pas ici de l'exploitation minière à petite échelle. Comme le montre V. Rakotonomenjanahary [2004], cette activité s'exerce souvent dans l'illégalité, et l'État n'a pas les moyens d'intervenir efficacement, du fait du très grand nombre d'intervenants (plus de 200 000 orpailleurs, par exemple).

5 Pour plus d'informations, consulter www. dynatec. ca/ press/ Press_20061204. pdf.

6 Pour mémoire et en sachant que cette comparaison a ses limites, rappelons que le flux annuel de l'aide internationale à Madagascar était de l'ordre d'une centaine de millions de dollars en 2001 et de seulement 48 millions en 2005.

7 Cet aspect a été abordé en détail dans plusieurs articles de ce numéro et nous n'y reviendrons pas.

8 Voir www. iied. org.

9 Voir www. icmm. com/ .

10 Voir wwww. riotinto. com/ SustainableReview/ CaseStudies/ Landaccess/ Mining. aspx.

11 Cf. Lightening the Lode. A guide to Responsible Large-Scale Mining. CI, Washington.

12 QMM, 2001, « Projet ilménite... », vol. 1, chapitre 2, pp. 17 sqq.

13 QMM, 2001, « Projet ilménite... », vol. 1 : 3-43.

14 C'est dans ce contexte que j'ai, pour la première fois, été en contact direct avec ce projet, le groupe de recherche de l'université du Québec à Montréal, dont j'étais alors codirecteur, ayant eu la responsabilité de réaliser, en partenariat avec des collègues français et malgaches, l'étude portant sur le volet socioéconomique des impacts, et financée, comme le prévoit la législation, par la Compagnie. Voir QMM, 2001, « Projet ilménite... », document d'appui no 7.

15 Voir l'analyse de Philippe Karpe dans ce numéro.

16 L'appellation initiale de QIT Fer avait été rapidement malgachisée dans les villages, sous la forme de « kitifera ».

17 QMM, 2001, « Projet ilménite... », annexe 6.

18 La politique générale d'intervention de QMM, en vertu de laquelle la société va entreprendre différentes actions, se fonde sur le document de Rio Tinto intitulé « Comment nous travaillons : nos principes de gestion ». Ce document traite des éléments suivants : gestion et responsabilité d'entreprise, santé, sécurité et environnement, communautés, droits de l'homme, accès aux terrains. Voir QMM, 2001, « Projet ilménite... », annexe 14.

19 Voir en particulier les articles de Sophie Goedefroit et de Philippe Karpe dans ce numéro.

20 QMM, 2001, « Projet ilménite... », vol. 2, pp. 6-9.

21 QMM, 2001, « Projet ilménite... », vol. 2, pp. 6-12.

22 QMM, 2001, « Projet ilménite... », vol. 2, pp. 6-14.

23 Contrairement à l'étude d'impact environnemental sur laquelle on s'appuie pour analyser les impacts d'un projet, l'évaluation environnementale stratégique (EES) sert plutôt à aborder les impacts de politiques, de plans ou de programmes, nécessairement plus complexes. L'EES permet de porter un regard plus macroscopique sur une région ou sur un secteur dans son ensemble. Notons que chacune de ces approches est censée être la meilleure manière de savoir si un projet ou un programme contribue au « développement durable ». Voir P. André et al. [2004].

24 Voir wwww. pic. mg/ docs / EIES_Tolagnaro_Final_Vol1_20 juin 2005. pdf.

25 L'Express de Madagascar, La Gazette, Les Nouvelles, Le Quotidien, Telonohorefy, Madagascar Tribune.

26 Voir wwww. foe. co. uk/ resource/ press_releases/ rio_tintos_madagascar_mine_03082005.htm.

27 IUCN et ICMM, « Integrating Mining and Biodiversity Conservation : Case Studies from around the World », Gland, 2004.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Pierre Revéret, « Investissement minier et développement »Études rurales, 178 | 2006, 213-228.

Référence électronique

Jean-Pierre Revéret, « Investissement minier et développement »Études rurales [En ligne], 178 | 2006, mis en ligne le 01 janvier 2006, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/8394 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.8394

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Jean-Pierre Revéret

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