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L'urgence d'une confirmation par la science du rôle écologique du corridor forestier de Fianarantsoa

Stéphanie Carrière-Buchsenschutz
p. 181-196

Résumés

Résumé
L'urgence des actions de conservation à Madagascar s'inscrit dans le sillage post-Durban : le président de la République a déclaré qu'il allait, en cinq ans, faire plus que tripler la surface des aires protégées. L'approche en termes de « corridor », lequel n'est pas toujours scientifiquement justifié, constitue l'un des maîtres mots de la politique environnementale. Une analyse de la littérature portant sur le corridor forestier de Fianarantsoa (sud-est de l'île) révèle un décalage important entre le discours des ONG conservationnistes et la réalité du terrain. Il serait pourtant primordial de prendre en compte ce décalage dans la délimitation des aires protégées. Cet article tente de mettre en lumière les flous qu'entretiennent, au nom du principe de précaution, les acteurs de la conservation.

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Texte intégral

1À MADAGASCAR, comme dans de nombreux pays en développement dotés d'un riche patrimoine biologique, négliger les réalités paysannes, les savoirs et les modes de vie locaux conduit inéluctablement à l'échec des actions de conservation. Ne pas prendre en compte les connaissances scientifiques est un cas tout aussi fréquent quoique moins dénoncé. Celles-ci représentent pourtant un élément déterminant dans la réussite de la planification des actions de conservation.

2Il faut reconnaître que, bien souvent, ces savoirs manquent ou sont largement insuffisants et laissent la place à l'expertise scientifique, laquelle, dans l'urgence, se fonde sur une approche globale des phénomènes et tire des conclusions a priori raisonnées pour que des décisions soient prises dans les plus brefs délais. Encore faut-il que ces expertises soient menées par de véritables experts.

  • 1 Un « site de conservation » se définit comme une aire délimitée, qui dispose d'un statut légal et d (...)

3À Madagascar, une poignée d'experts issus de quelques ONG dominantes dans les milieux conservationnistes délimitent l'essentiel des « sites de conservation »1 qui seront prochainement créés. Les populations locales, quant à elles, sont rapidement consultées sans être vraiment impliquées dans les processus de zonage qui aboutissent à la création des aires protégées.

4Le couloir forestier de Fianarantsoa (Hautes Terres malgaches) relie les parcs nationaux de Ranomafana et de l'Andringitra à la réserve spéciale du pic d'Ivohibe, plus au sud. Les enjeux de conservation de ce couloir sont considérables aux yeux des naturalistes : il « assurerait » une fonction de pont écologique pour les espèces, primordiale pour la préservation de la biodiversité dans ces trois aires protégées, ce qui lui vaut l'appellation de « corridor écologique ». Un survol de la littérature récente sur le sujet laisse apparaître qu'il n'existe à ce jour aucune publication attestant ce rôle écologique. Cependant maints travaux sont en cours, et la plupart des acteurs de la conservation s'accordent à dire qu'« il est raisonnable de penser que le rôle de ce corridor est bien réel et [...] les études futures le prouveront » (sic).

5Nombre de chercheurs, naturalistes, conservationnistes et gestionnaires de l'environnement à Madagascar, s'obligent à employer le conditionnel lorsqu'ils évoquent le rôle de ce couloir forestier tandis que d'autres, moins scrupuleux, en parlent à l'indicatif comme s'il existait des preuves irréfutables. Ce raccourci ne serait pas si grave s'il n'était utilisé qu'à l'intérieur d'une communauté scientifique avertie. Or, bien souvent, le détournement de la valeur de ce couloir se produit devant les communautés locales, les gestionnaires, les bailleurs de fonds et les instances politiques pour faire passer le bien-fondé de l'urgence des opérations à entreprendre. L'emploi systématique du conditionnel par la plupart des chercheurs et quelques acteurs de la conservation nous conduit à penser que le fondement de cette démarche de conservation relève exclusivement du principe de précaution. Ce principe serait absolument louable et entièrement justifié s'il n'était assorti d'un contexte complexe de pauvreté, dans lequel s'inscrit le développement des populations malgaches.

L'urgence de toutes les actions de conservation post-Durban

6Le souci de préservation des écosystèmes et, plus particulièrement, des forêts, dans le monde et à Madagascar, ne date pas d'hier. Cette prise de conscience ne coïncide donc pas nécessairement avec les avancées scientifiques et les découvertes biologiques. Les premières actions de conservation relevaient tout simplement du bon sens et s'appuyaient sur des chiffres relatifs à l'étendue des zones dégradées et menacées. Madagascar est l'un des premiers pays au monde à avoir décrété le statut d'aire protégée en créant, en 1927, la première réserve naturelle intégrale, qui couvrait, à l'époque, plus de 500 000 hectares. Une nouvelle vague de création de réserves spéciales a eu lieu dans les années 1950-1960 [Randrianandianina et al. 2003].

7Ce n'est qu'à la suite du Sommet de la terre, qui s'est tenu à Rio en 1992, que les mouvements conservationnistes ont commencé à multiplier leurs actions dans la zone intertropicale. À Madagascar, toutefois, dès les années quatre-vingt, à la faveur de réunions internationales, les liens entre le gouvernement, les scientifiques et les grandes ONG environnementalistes, aussi bien d'Europe que des États-Unis, s'étaient resserrés. Les rencontres entre d'éminents scientifiques et les ministres malgaches, au cours de quelques voyages organisés dans ce but, étaient parvenues à persuader le gouvernement malgache de l'intérêt de sa flore et de sa faune. C'est ainsi qu'avait été initié le Plan national d'action environnementale (PNAE), sous l'égide de l'Office national de l'environnement. Ce plan comprend trois phases. La phase I (1991-1995) a été majoritairement subventionnée par des bailleurs américains telle la United States Agency for International Development (USAID). Les projets intégrés de préservation de la biodiversité reposaient alors sur un postulat structurant mais qui n'a pas été démontré, suivant lequel le développement social et économique des zones périphériques aux aires protégées devait permettre d'assurer la protection de ces sites particuliers [Richard et O'Connor 1997]. La phase II (1996-2003) a été caractérisée par le transfert de gestion aux communautés locales alors que la phase III, en cours depuis 2004, est censée tripler la superficie des aires protégées.

8Aujourd'hui, celle qu'on appelle la Grande Île compte 46 aires protégées légales, couvrant environ 1 700 000 hectares. Cette surface ne représente que 3 % du territoire national, ce qui est très faible si l'on se réfère aux 10 % jugés raisonnables par l'Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources (UICN) et si l'on précise que ces 10 % ont été atteints voire dépassés dans de nombreux autres pays [Blanc-Pamard et Rakoto-Ramiarantsoa 2003].

9Face à cette réalité et probablement encouragé en cela par les grandes ONG environnementalistes  uvrant à Madagascar (Conservation International : CI ; Wildlife Conservation Society : WCS), le président de la République, Marc Ravalomanana, a fait une déclaration sans précédent lors de la conférence, à l'initiative de l'UICN, qui s'est tenue à Durban, en Afrique du Sud, le 17 septembre 2003 :

  • 2 Voir le site officiel du gouvernement malgache.

Nous ne pouvons plus nous permettre de laisser partir en fumée nos forêts, de voir assécher les lacs, marais et étangs qui parsèment notre pays et d'épuiser inconsidérément nos ressources marines. Aujourd'hui, je veux vous faire part de notre résolution à porter la surface des aires protégées de 1,7 million d'hectares à 6 millions d'hectares dans les cinq années à venir, et en référence aux catégories des aires protégées de l'UICN. Cette extension concernera le renforcement du réseau national actuel et la mise en  uvre d'un nouveau mécanisme de mise en place de sites de conservation2.

10Par la suite, la Direction de l'environnement, des eaux et forêts a créé le groupe d'appui technique « Vision Durban » pour mettre en  uvre la volonté du président. Dirigé par le secrétaire général du ministère de l'Environnement, des Eaux et Forêts, ce groupe comprend une centaine de personnes représentant plus de quarante organisations nationales et internationales. Le groupe « priorisation » est chargé de proposer des zones prioritaires pour la conservation de la biodiversité tandis que le groupe « gestion et catégorisation juridique » est chargé de définir les objectifs de gestion en fonction des catégories potentielles des aires de conservation.

11Dans le contexte malgache où plus d'un demi-siècle a été nécessaire à la mise en place des 1,7 million d'hectares de zones protégées, on conçoit aisément la difficulté qu'il peut y avoir à tripler ce chiffre en seulement cinq années. C'est un pari quelque peu irréaliste, tant sur le plan scientifique, social et organisationnel, que sur le plan financier. Le coup de sifflet a été donné ; des chiffres ont été annoncés. Le travail a été entrepris dans une précipitation telle qu'on est en droit de douter du résultat qui s'inscrit, ne l'oublions pas, dans le cadre du Document stratégique de réduction de la pauvreté (DSRP, 2005). En effet, l'axiome fondateur de la politique environnementale malgache établit que la diminution et la dégradation des forêts aggravent la pauvreté et que, par conséquent, leur préservation est un facteur de prospérité à long terme. Elle est ainsi présentée comme une condition sine qua non d'un développement durable [Moreau 2004].

Une déforestation accentuée ?

12Un siècle après les constats alarmants, mais peu réalistes, des premiers explorateurs, tel Grandidier au XX siècle, l'incertitude sur l'impact réel des feux et des défrichements n'a pas été levée. Véritable leitmotiv, le caractère catastrophique de la déforestation liée à l'action de l'homme [Bertrand et Randrianaivo 2003] mérite que l'on s'y arrête. La forêt, telle qu'elle est abordée dans de nombreux documents de travail produits à Madagascar, est pensée comme un écosystème ancien, riche en biodiversité, homogène, non perturbé, et dont la valeur écologique tient à son caractère primaire. Privée d'un tel atout, elle ne présenterait plus autant d'intérêt pour la conservation car la diversité de ses espèces et son taux d'endémisme seraient réduits.

13Cette vision aurait du sens si, en se plaçant dans une perspective historique et biogéographique, on pouvait montrer que l'homme détruit aujourd'hui une large partie du territoire forestier à laquelle il n'aurait pas touché autrefois. Il n'en est rien. La présence humaine associée aux défrichements pour l'agriculture daterait de deux mille ans environ [Rakotoarisoa 1997]. Petit à petit, ces populations isolées se seraient déplacées au gré des migrations et se seraient implantées dans différentes régions de l'île, modifiant progressivement les écosystèmes originels dont font partie les forêts. C'est ainsi que les études de référence sur la végétation naturelle et anthropique malgache établissent qu'il n'y a plus de véritables forêts primaires mais qu'au contraire l'empreinte humaine dans ces forêts serait ancienne et difficile à apprécier [Lowry et al. 1997 : 118 ; Goodman et Razafindratsita 2001].

14Parallèlement à ce constat, d'autres travaux infirment l'hypothèse, pourtant largement répandue, selon laquelle l'homme serait seul responsable de la disparition de la grande forêt malgache qui s'étendait sur tout l'est de l'île et sur les Hautes Terres. Les pratiques comme l'agriculture sur brûlis (tavy) et les feux de brousse auraient récemment conduit à une fragmentation dramatique de la forêt malgache (photo ci-contre). Or, ayant effectué des recherches sur les paléo-environnements, D.A. Burney [1986] peut avancer que les bouleversements écologiques majeurs attribués à l'intervention de l'homme « agriculteur » ne se seraient produits qu'à partir du V siècle de notre ère et que, en outre, les hommes n'auraient pas couvert la totalité de l'île avant le XVII siècle. Ainsi doit-on tempérer l'idée que les populations rurales pourraient être les seules responsables des changements profonds qui sont à l'origine de la déforestation au cours des deux derniers millénaires [Rakotoarisoa 1997].

15D'autres hypothèses biogéographiques et paléoclimatiques ont été émises pour expliquer la configuration actuelle des écosystèmes à Madagascar et pour montrer comment les processus de déforestation liés à l'agriculture et à l'action humaine en général se sont juxtaposés à des phénomènes naturels plus globaux. En effet, jusqu'au quaternaire, Madagascar a été soumis à des changements climatiques alternant phases humides et chaudes avec des phases plus froides et sèches, qui auraient entretenu une fragmentation forestière et une fluctuation du couvert forestier. L'idée même que l'île ait un jour été totalement forestière est très controversée [Burney 1997]. D.A. Burney [ibid.] montre que d'importants changements ayant trait à la couverture forestière étaient déjà à l' uvre bien avant l'arrivée de l'homme. L'action de l'homme dans ce contexte n'aurait fait qu'amplifier un processus en cours mais ne saurait être seule responsable de la disparition d'un grand nombre d'espèces animales au cours de l'Holocène ou encore de la physionomie des paysages actuels. Tous ces facteurs de perturbation imbriqués continueraient d'opérer aujourd'hui [ibid.].

16Les résultats de ces recherches scientifiques ne sont jamais mentionnés ni même intégrés dans les politiques de gestion à Madagascar.

La pratique du tavy (brûlis) dans la zone du corridor forestier de Fianarantsoa (cliché S. Carrière-Buchsenchutz 2002)

La pratique du tavy (brûlis) dans la zone du corridor forestier de Fianarantsoa (cliché S. Carrière-Buchsenchutz 2002)

17Pourtant les problèmes actuels ne sauraient être résolus sans en tenir compte. Le paysan malgache demeure le coupable idéal auquel attribuer toute la responsabilité de la gravité de la situation.

18Il est difficile d'évaluer l'étendue de la déforestation. Dans l'introduction de leur ouvrage qui est un inventaire des espèces du « corridor » Ranomafana-Andringitra, S.M. Goodman et V. Razafindratsita restent assez imprécis :

Jadis, entre le parc national de Ranomafana et celui de l'Andringitra se trouvait un large bloc de forêt intacte. [...] Ce couloir forestier est maintenant devenu une bande étroite de forêt, variant de 15 à 20 kilomètres de large dans plusieurs endroits [2001 : 8].

19À l'ouest de ce couloir et aussi loin que puissent remonter les observations (documents écrits des explorateurs, cartes, photographies aériennes), il semblerait que la lisière forestière soit restée sensiblement la même, les limites étant relativement stables du nord au sud, avec un retrait, au cours des cent cinquante dernières années, estimé à 10 kilomètres [Coulaud 1973 ; Ramamonjisoa 1995], voire moins selon les études [Moreau 2002 ; Blanc-Pamard et Ralaivita 2004 ; Blanc-Pamard et al. 2005], et qui est demeuré inchangé entre 1950 et 1985 [Green et Sussman 1990]. En revanche, la forêt de l'est disparaîtrait, selon plusieurs auteurs, bien que les taux de déforestation soient extrêmement sujets à caution dans ce contexte d'exagération constante [Kull 2004 : 162-164]. Comment, dans ce cas précis, démontrer qu'il y a une déforestation massive et rapide justifiant l'urgence de la conservation dans cette zone ?

20La situation est certes préoccupante dans certaines régions du pays, comme dans la forêt des Mikea, au sud-ouest de Madagascar [Lasry et al. eds. 2005]. Pourquoi généraliser le constat quand les acteurs de la conservation doivent convaincre, du bien-fondé de leurs actions, les sociétés rurales, premières observatrices de l'évolution du paysage qui les entoure ? Comment ces sociétés pourraient-elles prendre conscience du caractère d'urgence des actions à entreprendre si on leur parle d'une déforestation « alarmante » qui se produirait sur plusieurs siècles ?

21Les populations betsileo et tanala qui bordent ce couloir forestier ont toujours vécu dans cette forêt où elles ont établi leurs territoires d'activité [Dubois 1938 ; Beaujard 1983 ; Blanc-Pamard et Ralaivita 2004 ; Blanc-Pamard et al. 2005 ; Carrière et al. 2005]. Comment cette forêt pourrait-elle disparaître si vite ?

22Les logiques de conservation à long terme, lesquelles s'appuient sur des actions rapides et produisent des résultats, qui, pour les populations rurales, sont différés, se heurtent aux logiques paysannes, à court terme, qui s'articulent, elles, autour de la subsistance. Pourquoi ne pas profiter de ce que l'action environnementale se fait moins urgente pour prendre le temps de compléter les données écologiques et de mieux prendre en compte les logiques paysannes ?

L'urgence d'une confirmation du rôle de « corridor »

23Le « corridor de Fianarantsoa », connu encore sous le nom de « corridor Ranomafana-Andringitra » a été identifié par le groupe « Vision Durban » comme prioritaire dans le cadre de la conservation à Madagascar. L'atelier qui s'est constitué en janvier 2005, à l'initiative des ONG CI, WCS et USAID, pour fixer les limites de ce site de conservation à Fianarantsoa était d'ailleurs le premier du genre, faisant de ce « corridor » un site pilote dans le processus de création des aires protégées. Cette bande de forêt (ou couloir forestier, au sens géographique du terme) s'étend jusqu'à la réserve spéciale du pic d'Ivohibe, qui ne semble pas susciter le même intérêt que les parcs nationaux. On ne sait toujours pas à l'heure qu'il est si le site de conservation inclura cette réserve.

24Le concept de « corridor » est apparu, en 1995, lors de débats scientifiques sur la définition des priorités de conservation de la diversité biologique. Ce concept est parfaitement adapté à la forme que revêtent les forêts du pays. En effet, une grande majorité d'entre elles se présentent comme des bandes longues et plus ou moins étroites (carte p. 18). L'amalgame entre la forme physique de couloir et la fonction écologique de corridor a été quasi instantané dans le milieu de la conservation. Or les « corridors » forestiers contribueraient à instaurer une connectivité entre les aires protégées des différentes régions qu'ils relient, jouant ainsi un rôle primordial pour le maintien de la biodiversité à long terme. C'est ainsi que l'approche écorégionale a vu le jour (programme Ecoregional Initiative : ERI) et que l'on cherche aujourd'hui à réunir le plus souvent possible des aires protégées par des « corridors ».

25Le concept de « corridor » est employé dans de nombreux domaines : en économie, en géopolitique, en géographie, en biologie de la conservation, en écologie du paysage, en aménagement du territoire et en urbanisme. Dans tous les cas, il s'agit d'une entité linéaire du paysage, dont la physionomie diffère de l'environnement adjacent. Ce sont ses fonctions éventuelles (pont pour les individus, les espèces et les gènes, itinéraire de migration, zone de conservation...) qui varient selon les disciplines concernées. Un corridor peut être naturel (rivière, crête, forêt...) ou créé par l'homme (route, lignes à haute tension, fossé, haie...) et peut s'organiser en réseau (de haies, autoroutier, hydrographique) [Forman et Godron 1981 ; Burel et Baudry 1999].

26Le « corridor » malgache est, dans sa plus large acception, un corridor biologique ou de conservation. Ce sont des habitats naturels (la forêt en l'occurrence) qui relient les zones protégées [Rosenberg et al. 1997]. Dans les corridors, les animaux peuvent se déplacer sur de longues distances, ce qui est nécessaire à leur survie. Ces mouvements d'animaux associés à la dispersion des graines et des pollens assurent un mélange des individus et des populations, et donc un brassage génétique. En vase clos, le patrimoine génétique des espèces se détériorerait, les privant ainsi de la possibilité de s'adapter aux évolutions du milieu.

27On conçoit aisément pourquoi et comment les corridors malgaches ont pu apparaître comme la panacée aux problèmes de fragmentation forestière, dont les aménageurs se sont vite emparés [Bennett 1990 ; Hudson ed. 1991]. Pour les protectionnistes, c'est un objet de conservation tout trouvé en ce qu'il permet de valoriser et d'intégrer les actions de conservation antérieures, à savoir les aires protégées classiques, désormais un peu démodées.

28Pourtant le discours scientifique international s'avère plus critique, plus mitigé, voire opposé à l'efficacité de ces corridors ; il dénonce même parfois leur nocivité [Noss 1991 ; Hobbs 1992]. Bien que, dans les domaines de la biologie de la conservation et de l'écologie, leur rôle primordial soit globalement admis par tous les auteurs, nombreux sont ceux qui avouent se trouver face à des difficultés lorsqu'ils sont amenés à évaluer la nature même de ce rôle. Les études réalisées jusqu'à présent n'ont pas encore fourni suffisamment de données scientifiques rigoureuses pour déterminer quand et comment les corridors représentent une valeur de conservation. Les multiples avantages qu'ils offrent, pointés de toutes parts, ne peuvent pas être confirmés par des recherches puisque l'on ne dispose pas de points de contrôle comparatifs [Simberloff et Cox 1987]. D. Simberloff et J. Cox [1987] montrent que les corridors peuvent présenter des inconvénients biologiques sans toutefois en apporter la preuve : par exemple accélérer le risque d'expansion de maladies, du feu et d'espèces néfastes ou invasives. R.F. Noss [1987] signale d'autres effets génétiques potentiellement défavorables, en particulier une exposition plus grande aux chasseurs et aux prédateurs et mentionne que la création et l'entretien de corridors peuvent être très coûteux. Enfin, pour R.J. Hobbs [1992], on ne peut pas prouver que la présence de corridors serait plus négative que positive. Nous ne pouvons que nous rallier à son point de vue : l'insuffisance de données ne devrait être qu'une incitation à en rassembler davantage, et de meilleure qualité.

29La position des scientifiques à Madagascar est la même que celle de leurs collègues étrangers. S.M. Goodman et V. Razafindratsita [2001] ont réalisé un inventaire biologique dans cette bande de forêt qu'ils appellent « couloir ». Le rôle de « corridor » ne semble pas encore démontré. En effet, dans cet ouvrage, unique en son genre pour cette région, les auteurs évoquent deux paramètres indispensables à vérifier : l'homogénéité des populations tout au long de ce couloir ; la variation génétique. Les résultats montrent que, dans chacun des huit chapitres (concernant différents groupes animaux et végétaux), au mieux un seul de ces paramètres est vérifié. Ils concluent sur l'importance définitive du rôle de ce corridor, mais, dans un souci de rigueur scientifique, s'obligent à employer le conditionnel à propos de son rôle « écologique ».

30Dans un ouvrage plus ancien, B.P.N. Rasolonandrasana et S.M. Goodman constatent à propos des vertébrés terrestres :

Le couloir forestier joue potentiellement un rôle important dans la dispersion et l'échange génétique de nombreux organismes vivants dans le parc national et la réserve spéciale de cette région. Si le couloir forestier est disjoint, il est presque certain qu'à long terme, il y aura une diminution de la richesse spécifique du parc national [2000 : 143-144].

31Dans l'ouvrage encyclopédique The Natural History of Madagascar, coédité par S.M. Goodman et J.P. Benstead et publié en 2003, B.P.N. Rasolonandrasana et S. Grenfell affirment :

Les informations issues de ces études [Rasolonandrasana et Goodman 2000 ; Goodman et Razafindratsita 2001] ne sont qu'une première étape pour démontrer le rôle potentiel des corridors forestiers pour la dispersion des organismes entre les aires protégées. Les recherches en génétique, toujours en cours, devraient produire des réponses plus définitives sur le rôle de ces corridors forestiers dans le maintien de la diversité génétique [2003 : 1494].

32Enfin, s'agissant des oiseaux, M.J. Raherilalao et S.M. Goodman [2005] annoncent que des études moléculaires seront prochainement entreprises pour tester le rôle du « corridor » sur les échanges de gènes, et poursuivent en énonçant le principe de précaution qui devrait s'appliquer à ces forêts supposées être des « corridors écologiques » :

Sans même attendre une connaissance très approfondie de la valeur biologique d'un tel corridor, nos données devraient inciter les gestionnaires des ressources naturelles à prendre rapidement des mesures adéquates pour sa conservation, vu la situation très précaire actuelle dans laquelle il se trouve. Des actions de développement des populations riveraines liées à la conservation ont déjà été démarrées dans certaines régions limitrophes afin de limiter l'utilisation des ressources naturelles de ce couloir forestier. Nous jugeons que son inclusion dans le réseau des aires protégées s'avèrerait la meilleure solution ou, au moins, un système de gestion communautaire villageoise pourrait être envisageable pour assurer sa protection. La restauration des couloirs forestiers semblerait difficile à Madagascar, le maintien et la maintenance de ceux actuellement en place constituerait une stratégie prudente en termes de conservation [ibid. : 177].

  • 3 Cf. La Recherche 333 (dossier spécial « biodiversité »), 2000.

33Les chercheurs semblent en difficulté pour démontrer le rôle présumé des « corridors » forestiers, à Madagascar et dans le monde. La science est également impuissante à évaluer les conséquences des changements induits par la déforestation sur les espèces et leur évolution3. Ainsi, au-delà des carences actuelles du discours scientifique, seul le principe de précaution fonde les actions qui visent à ralentir le rythme de la déforestation [Michon et al. 2003]. Ce principe de précaution justifie-t-il le fait que les acteurs de la conservation agissent vite et tous azimuts ?

34La variété des situations imposerait au contraire d'échelonner les stratégies dans le temps. Les scientifiques ont besoin de temps pour produire des données plus précises et utilisables par les gestionnaires en vue d'un aménagement durable du territoire. Ce temps serait également nécessaire aux populations locales qui doivent s'adapter à ces changements. Ne faudrait-il pas cesser de penser que les « corridors » sont la solution miracle aux problèmes de conservation des écosystèmes et autoriser certains modes d'exploitation des ressources ?

35Aujourd'hui, les priorités de conservation sur ces sites supposés jouer un rôle écologique apparaissent disproportionnées par rapport aux alternatives proposées et aux modes de vie et de production de ces régions. Comment conserver durablement sans assurer la survie à long terme, voire le développement, des populations qui vivent à proximité des « hot spots de la biodiversité » ? On oublie en effet que la conservation des forêts se fait au détriment des populations locales. L'interdiction d'accès aux ressources naturelles entraîne les sociétés rurales dans une spirale de paupérisation inéluctable.

Des actions rapides pour des logiques économiques pressantes

  • 4 Sans oublier des organismes scientifiques comme le CNRS et l'IRD.

36Le marché de l'environnement est bien développé dans le corridor de Fianarantsoa et fournit d'importants financements à l'État, aux agences d'exécution du PNAE, à des programmes spécifiques de grandes ONG (Landscape Development Intervention : LDI), aux ONG de la conservation (CI, World Wide Fund for Nature) ainsi qu'aux consortiums formés d'ONG et de bailleurs de fonds tels que l'USAID [Blanc-Pamard et al. 2005 : 4]. Bien que de très nombreux acteurs locaux et internationaux du développement et de la conservation « pâturent » la zone depuis plus d'une décennie4, la prédominance des ONG et des bailleurs américains est déterminante. Le corridor Ranomafana-Andringitra apparaît comme une des zones de l'île où l'influence américaine est la plus forte [Moreau 2004].

37Le lien ombilical qui unit le parc national de Ranomafana à l'USAID depuis près de quinze ans [Wright 1997] en a fait le bailleur privilégié, avec la Banque mondiale, du corridor de Fianarantsoa. L'ambition actuelle de ces bailleurs pourrait bien être à la hauteur des investissements passés et de leur possible valorisation à travers la création d'un « site de conservation », voire d'un classement au patrimoine mondial de l'Unesco. Quinze années de recherche, de sensibilisation et d'aide économique (par le biais, entre autres, de l'écotourisme) ont été nécessaires pour placer ce projet en tête des priorités nationales actuelles. Les acteurs présents dans cette région sont multiples, mais un certain nombre d'entre eux, financés par l'USAID, se sont regroupés pour former l'Alliance écorégionale. Cette Alliance pèse très fort sur les bailleurs et les politiques locales pour la mise en  uvre future du site de conservation dans le corridor. De plus, l'accessibilité de tout le versant ouest du corridor et du Parc national de Ranomafana ainsi que la visibilité des actions qui y ont été menées depuis quinze ans (tourisme, réhabilitation du chemin de fer) en font un site idéal pour les visites de terrain de la bureaucratie malgache et américaine. Suivant la logique économique des bailleurs de fonds et des ONG, la création du « corridor Ranomafana-Andringitra » constituerait indéniablement un succès symbolique et ostentatoire, résultat d'actions et d'investissements anciens mais cohérents dans la région.

38Il n'en reste pas moins que les difficultés subsistent : comment allier développement des communautés rurales et conservation ? Comment stopper la déforestation et ses causes, d'origine multiple ? Comment détourner le paysan de l'exploitation de cet or vert ? Comment aménager un massif forestier durablement sans risquer les inévitables exploitations illicites ?

39Force est de constater que les réponses à ces questions ne sont pas encore trouvées. Dans ce contexte, l'originalité n'est pas de mise. Lors des sessions de travail avec les grandes ONG et les bailleurs de fonds, les idées nouvelles ne sont pas les bienvenues : on les écoute tout au plus mais on ne les entend pas. Les recommandations et conclusions sont souvent les mêmes d'un site à l'autre ; elles demeurent très générales et, par conséquent, inadaptées aux réalités locales. On pourrait attendre de ces réunions de concertation des stratégies innovantes combinant de manière originale les logiques externes des bailleurs de fonds et les logiques internes des paysans, les savoirs scientifiques et les savoirs paysans.

40Des acteurs et intervenants diversifiés travaillent ensemble à l'élaboration des moyens à mettre en  uvre. Malheureusement cela ne débouche pas sur des opérations et des activités diversifiées, adaptées à la diversité des situations, mais au contraire sur des actions homogènes qui découlent toutes des analyses et des stratégies des bailleurs de fonds [Moreau 2004].

41Pour bien faire, la définition et la délimitation d'un « site de conservation » devraient s'appuyer sur les savoirs et les savoir-faire paysans, sur les stratégies des bailleurs et des ONG de conservation, et sur les connaissances scientifiques. En effet, trop souvent amalgamés, les chercheurs en écologie et les écologistes conservationnistes ne subissent pas les mêmes pressions (économiques en particulier) et n' uvrent pas dans la même direction. Avancée des connaissances scientifiques et rapidité d'action ne font jamais bon ménage.

42Ainsi, dans le discours des écologistes, et pour les besoins de la cause, les phrases au conditionnel ne sont plus guère de mise. Dans le cas du corridor forestier de Fianarantsoa, les projets de développement précisent que le couloir réunissant les aires protégées et ce qui reste des blocs forestiers est jugé indispensable à la préservation des flux génétiques et aux échanges entre espèces. Le temps n'est plus à la confirmation de la nature du rôle de ce « corridor » mais au discours convaincant, justifiant les actions à mener dans la région. De même, ce couloir forestier se voit doter de nombreuses qualités écologiques, parfois fondées mais non prouvées, parfois totalement imaginaires, dans le seul dessein de produire des arguments forts pour convaincre les responsables politiques et les bailleurs de fonds. À titre d'exemple, il passe pour être un véritable « château d'eau pour la région qui alimente en eau toute la région rizicole du Betsiléo » ; « il joue un rôle dans le stockage du carbone et, bien sûr, contribue à lutter contre l'effet de serre » (sic).

43Les échelles de temps des réalités paysannes, des logiques économiques des bailleurs de fonds et de l'acquisition des résultats scientifiques ne sont pas vraiment compatibles. Les chercheurs ont besoin de temps pour comprendre les sociétés rurales, leurs évolutions, voire leurs adaptations possibles aux changements. Les écologues et les biologistes ne peuvent pas, en quelques mois, établir avec certitude que les zones forestières sont indispensables aux flux de gènes et à l'alimentation et à la reproduction des plantes et des animaux. Les bailleurs et les ONG qui les financent ont un calendrier plus serré : il leur faut appliquer des méthodes de diagnostic, trouver des « recettes » du développement et de la protection de l'environnement dans des délais rapides pour obtenir des résultats visibles en quelques années seulement... Faute de quoi ils risquent de ne plus avoir de fonds [Moreau 2004]. Les ONG travaillent davantage au rythme des bailleurs qu'à celui des sociétés rurales ou des chercheurs. C'est d'ailleurs toujours aux paysans de s'adapter à ces contraintes, et non l'inverse [ibid.] ! C'est ainsi que le discours mesuré et prudent des scientifiques se transforme en dogme sur lequel nul ne peut revenir.

Conclusion

44Faisons maintenant état des quelques principes de gestion émis par les acteurs du groupe « Vision Durban » à Madagascar :

  • 5 Gestion locale sécurisée.
  • 6 Gestion contractuelle des forêts.

Les sites de conservation seront planifiés, mis en  uvre et gérés par divers types d'acteurs, y compris les communautés locales, les services décentralisés, les ONG et le secteur privé, conformément au contexte et aux principes du Programme environnemental, phase 3 [...], jusqu'à 75 % de la superficie de chaque site de conservation seront alloués aux activités d'utilisation durable des ressources naturelles par les communautés riveraines et les partenaires, sur la base de contrats de gestion Gelose5 ou GCF6, de concessions et autres voies compatibles avec les objectifs de gestion du site de conservation. Le site de conservation permet une gestion plus souple des espaces et une application plus conséquente de la loi sur l'utilisation possible des éléments de la biodiversité et des ressources naturelles qui s'y trouvent.

45La majorité des principes de gestion incluent et associent théoriquement les communautés rurales, acteurs incontournables d'une politique de conservation, réussie puisque durable. Les modes de gestion peuvent varier pour chaque site et, au sein de chacun d'eux, les zones définies peuvent être soumises à des règles et à des gestionnaires différenciés. Certaines zones qui ont été déclarées prioritaires font déjà l'objet de délimitation, de zonage interne et de transfert de gestion.

46En réalité, la concrétisation de telles mesures, à en juger par les quelques expériences préliminaires instituées dans la région du corridor de Fianarantsoa, est loin d'être convaincante. À l'origine, ces contrats ont pour but de mettre en place un mode de gestion consensuel basé sur des objectifs de développement durable, en vue d'une valorisation des terres, de la biodiversité et des ressources naturelles renouvelables, au profit des communautés et des régions.

  • 7 Ces aspects de gestion décentralisée des ressources naturelles dans la région du corridor de Fianar (...)

47Ces dispositifs de gestion décentralisée de la biodiversité entraînent un appauvrissement rapide des communautés [Andriamahazo et al. 2004 ; Blanc-Pamard et Ralaivita 2004 ; Moreau 2004 ; Blanc-Pamard et al. 2005 ; Van den Haack 2005] qui ne disposent souvent que des ressources forestières comme modeste revenu. D'autres fois, des contrats Gelose et GCF conduisent à un détournement, par les acteurs, des règles de gestion. Pour certaines communautés villageoises, la notion de transfert de gestion équivaut à exploiter librement la forêt7.

48La nécessité d'agir vite conditionne les modes d'action à Madagascar. La politique présidentielle est actuellement basée sur le concept de développement « rapide et durable », et tend à homogénéiser la diversité des écosystèmes et des peuples, faisant abstraction de la complexité des situations.

49En 1992, alors que s'ouvrait le Sommet de Rio, près de 400 scientifiques signaient l'appel de Heidelberg dont voici un bref extrait :

  • 8 Le Monde, 3 juin 1992.

Nous adhérons totalement aux objectifs d'une écologie scientifique axée sur la prise en compte, le contrôle et la préservation des ressources naturelles. Toutefois nous demandons formellement, par le présent appel, que cette prise en compte, ce contrôle et cette préservation soient fondés sur des critères scientifiques et non pas sur des préjugés irrationnels [...]. Notre intention est d'affirmer la responsabilité et les devoirs de la science envers la société, dans son ensemble. Cependant nous mettons en garde les autorités responsables du destin de notre planète contre toute décision qui s'appuierait sur des arguments pseudo-scientifiques ou sur des données fausses ou inappropriées8.

50Cet extrait montre la réticence des scientifiques à émettre une opinion et à orienter des décisions lorsque les données et les résultats manquent. Pourtant il semble évident que, si un chercheur, spécialiste de la question, donne son avis a priori sur une action à mener face à un problème d'environnement, on considérera cet avis comme pertinent. Le scientifique doit donc s'exprimer, même s'il n'a pas toutes les clés en main, mais il doit aussi mettre en garde contre les points faibles de son argumentation.

51La plupart du temps les experts biologistes ou écologues à Madagascar ne sont pas issus du milieu de la recherche publique de leur pays mais appartiennent aux organismes « acteurs » ou « bailleurs » de la conservation. On peut alors dénoncer l'hypocrisie, pour ne pas dire la malhonnêteté, de ceux qui prétendent parler au nom de la science alors que leur connaissance ne leur sert qu'à construire un argumentaire destiné à imposer la politique qu'ils ont reçu la charge de défendre [Roqueplo 1997].

52Les actions à mener, issues des expertises, et les décisions à prendre sont, selon les cas, plus ou moins urgentes. On peut raisonnablement penser que les enjeux en matière de prise de décision et de rapidité d'exécution augmentent avec le caractère pressant des problèmes à résoudre : face à une épidémie, une situation de conflit armé, une marée noire ou une menace sanitaire, l'extrême urgence est évidente, et le chercheur doit contribuer à ce que les bonnes décisions soient prises, aussi radicales soient-elles. Dans certains cas, il est impossible d'attendre les résultats de la recherche pour décider.

53Pour ce qui est de la conservation dans les pays en développement, le problème récurent est celui de la confiscation des ressources naturelles là où elles se font les plus rares. Cette privation se fait toujours au détriment des populations locales qui utilisent ces ressources, directement (collecte, chasse...) ou, indirectement, pour cultiver après aménagement (défrichement des forêts par exemple). Or le problème ici, comme on a trop souvent tendance à l'oublier, est double et pas nécessairement lié : les forêts disparaissent et les populations s'appauvrissent.

54Il faut donc « conserver » tout en garantissant le bien-être et le développement de ces sociétés. Ce double enjeu est-il toujours perçu comme tel ? Sans vouloir minimiser la dégradation des écosystèmes et la perte en biodiversité à Madagascar, il est évident, compte tenu de la variété des situations, que toutes les mesures actuelles de conservation ne revêtent pas le même caractère d'urgence. Pourtant, rares, voire inexistantes, sont les recommandations des experts nationaux et internationaux de poursuivre les recherches pour y voir plus clair et prendre enfin les décisions appropriées, au moins dans certains sites. Comme si l'urgence de la besogne devait interdire de vaines recherches... Il faudrait réorienter ainsi les recherches vers un zonage scientifiquement fondé des parties exploitables du corridor de Fianarantsoa.

55Devant les échecs de la conservation dans de nombreux pays où la biodiversité demeure, il serait temps de considérer, de manière transdisciplinaire, les aménagements de l'espace qui pourraient associer conservation, production et développement durable.

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Notes

1 Un « site de conservation » se définit comme une aire délimitée, qui dispose d'un statut légal et dont la classification se fonde sur des éléments scientifiques et socioéconomiques. Cf. « Les zones réservées pour les sites de conservation » (Groupe Vision Durban, 2004).

2 Voir le site officiel du gouvernement malgache.

3 Cf. La Recherche 333 (dossier spécial « biodiversité »), 2000.

4 Sans oublier des organismes scientifiques comme le CNRS et l'IRD.

5 Gestion locale sécurisée.

6 Gestion contractuelle des forêts.

7 Ces aspects de gestion décentralisée des ressources naturelles dans la région du corridor de Fianarantsoa sont abordés dans l'article de Sophie Moreau figurant dans ce volume.

8 Le Monde, 3 juin 1992.

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Table des illustrations

Titre La pratique du tavy (brûlis) dans la zone du corridor forestier de Fianarantsoa (cliché S. Carrière-Buchsenchutz 2002)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/8379/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 619k
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Pour citer cet article

Référence papier

Stéphanie Carrière-Buchsenschutz, « L'urgence d'une confirmation par la science du rôle écologique du corridor forestier de Fianarantsoa »Études rurales, 178 | 2006, 181-196.

Référence électronique

Stéphanie Carrière-Buchsenschutz, « L'urgence d'une confirmation par la science du rôle écologique du corridor forestier de Fianarantsoa »Études rurales [En ligne], 178 | 2006, mis en ligne le 01 janvier 2006, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/8379 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.8379

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