1LE « DÉVELOPPEMENT DURABLE » est devenu, au fil des années, un concept incontournable en matière de gestion de l'environnement et d'aménagement du territoire, et ce autant dans les pays industrialisés que dans les pays dits les moins avancés. Si, dans un premier temps, les débats ont porté surtout sur la pertinence ou non de cette notion, ils s'orientent de plus en plus vers son effectivité au niveau local. Plus spécifiquement, il s'agit de discuter des outils, des pratiques, des processus de coordination et des montages institutionnels permettant d'associer les parties prenantes à la détermination des choix collectifs, présents et futurs : d'où l'idée de « gouvernance participative » qui sous-tend toute politique de développement durable.
2Pour les économistes, les enjeux de la gouvernance participative entrent en résonance avec le champ de l'économie publique et, plus particulièrement, avec la thématique de l'action collective. La définition et l'utilisation d'outils « de troisième génération », c'est-à-dire d'outils qui ne sont ni purement étatiques ni purement marchands, deviennent ainsi, vu la complexité des problèmes environnementaux actuels, un domaine d'investigation à part entière [Aknin et al. 2002 ; Chaboud et al. 2007].
3Ce concept de développement durable s'inscrit dans la politique environnementale adoptée à Madagascar depuis 1990, sous la forme du Plan national d'action environnementale (PNAE). Celui-ci, qui porte sur quinze ans, tend justement à dépasser la gouvernance technocratique de la conservation de la biodiversité, en adoptant toute une série de mesures censées gérer durablement l'environnement et améliorer les conditions de vie des populations concernées en les associant à la détermination des choix collectifs.
4Or, en septembre 2003, date à laquelle s'est tenu le 5e congrès mondial sur les aires protégées, des acteurs de la politique environnementale, à savoir certains bailleurs de fonds et certaines ONG, décident de revenir à des procédures plus administrées et à nouveau orientées vers la conservation, ce qu'ils justifient implicitement par l'absence de résultats des outils de gestion durable. Toutefois, des institutions, telle la Coopération française, maintiennent l'idée d'associer « gestion de l'environnement » et « aménagement du territoire » [Pollini et Belvaux 2004]. De même, l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a récemment proposé de ne pas définir a priori de mode de gestion (en régie, communautaire, etc.) mais d'évaluer les avantages et les inconvénients que présentent les différentes modalités de gouvernance de ces aires protégées, au regard de cas concrets [Borrini-Feyerabend et Dudley 2005]. On le voit, le débat sur les outils de gestion durable est d'actualité et loin d'être théorique.
5L'objectif de cet article est de participer à ces débats en apportant un éclairage nouveau sur les contraintes et les opportunités liées à la mise en uvre d'un projet de gestion durable, au niveau local. Nous proposons ainsi de revenir sur la manière dont ces principes de développement durable ont été élaborés dans la forêt des Mikea, dans le sud-ouest de Madagascar, et d'avancer quelques éléments d'explication permettant de mieux juger de la pertinence des outils en les dissociant du contexte dans lequel ils sont appliqués. En effet, la thèse que nous soutenons ici est que les différences de pas de temps, les interférences entre les échelles locale et nationale, et l'enchevêtrement des compétences administratives constituent de véritables freins au développement d'une gestion durable. Ainsi, la lenteur avec laquelle les paysans ont obtenu les aides promises (zébus et matériel agricole) en contrepartie de l'arrêt de la déforestation en est une parfaite illustration. « En attendant les zébus... » retrace l'histoire de cette politique de gestion durable au niveau local, politique menée par des acteurs, qui, au-delà de ces difficultés, ont le mérite de vouloir organiser, avec les populations locales, la planification des activités permettant d'améliorer leurs conditions de vie.
6Une première partie porte sur l'application du concept de développement durable à Madagascar, en général, et décrit brièvement le phénomène de déforestation dans notre zone d'étude, en particulier. Une deuxième partie est consacrée au dispositif institutionnel élaboré en vue de gérer durablement la forêt. Dans une troisième partie nous revenons sur des mesures qui ont été prises, à savoir la sensibilisation de la population à la déforestation, la mise en place d'une aire protégée « volontaire » ainsi que la promotion d'activités génératrices de revenus. Le décryptage de ces projets, de leurs caractéristiques, de leurs contraintes et des évolutions qu'ils subissent dans le temps nous permet, dans une quatrième et dernière partie, de mettre en avant plusieurs éléments d'analyse.
7Comprendre les enjeux de la gestion durable des ressources ne peut se faire sans avoir une idée précise du contexte institutionnel dans lequel intervient cette gestion. En effet, de la même manière qu'on ne peut juger de la pertinence d'un concept sans en évaluer les modalités concrètes d'application, on ne peut juger de sa pertinence sans le replacer dans son contexte institutionnel et politique. L'important est de parvenir à identifier ce qui relève de l'un ou de l'autre, et de mettre en évidence les interactions entre ces deux domaines.
8Même si les liens entre « environnement » et « développement » ont, depuis longtemps, fait l'objet de multiples attentions, l'idée de coordonner les actions des bailleurs de fonds, des ONG et des institutions nationales des pays en développement n'est apparue qu'à la fin des années quatre-vingt.
9Le rapport Brundtland de 1987, intitulé « Notre avenir à tous », invite les pays à trouver des voies nouvelles, alternatives à ce qu'on appelle le « old agenda » (approche curative de l'environnement). La conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement (CNUED) a également mis en évidence, en 1992, à travers les conventions internationales et l'« agenda 21 », l'importance de la coopération entre les divers acteurs, les États notamment. Pour atteindre cet objectif de coopération, les outils privilégiés ont essentiellement trait à la collecte, à l'échange d'informations (technologiques, scientifiques, environnementales) et à la détermination de stratégies et de planification nationales. Ainsi, la CNUED, à travers ces résolutions dites « agenda 21 », précise dans l'article 34.24, page 9 :
La mise en place de programmes mondiaux, régionaux et sous-régionaux devrait comprendre l'identification et l'évaluation des besoins prioritaires aux niveaux régional et national. Il faudrait élaborer des plans et des études à l'appui de ces programmes, qui serviraient de base au financement éventuel par les banques multilatérales, les organisations bilatérales, le secteur privé et les organisations non gouvernementales.
10C'est dans ce contexte qu'à la fin des années quatre-vingt la Banque mondiale présente sa nouvelle politique : l'idée est d'aller au-delà des Environmental Country Studies en planifiant et organisant, sur le long terme, les interventions des bailleurs de fonds au lieu d'insister sur le profil écologique des différents pays en développement.
- 1 Dans l'article 5 de la Charte on peut lire : « Le plan d'action environnementale, traduction de la (...)
- 2 Même s'il est permis de douter de la capacité du PNAE à aborder la dimension sociale du développeme (...)
11Lorsque, en 1990, est instituée la Charte de l'environnement suivie du PNAE, Madagascar est un des premiers pays à mettre en place une politique environnementale visant le développement durable en se fondant sur la démarche de la Banque mondiale [Falloux et Talbot 1992 ; Sarrasin 2002 ; Andriamahefazafy et Méral 2004]1. En conformité avec les résolutions de la CNUED, cette politique repose initialement sur un principe simple qui consiste à définir un agenda d'actions transversales, menées conjointement par les bailleurs, les institutions malgaches et les administrations2.
12La 1re phase du plan, dite PE1 (1991-1996), est consacrée à la mise en place d'institutions, tel l'Office national de l'environnement (ONE), et à des mesures d'urgence, essentiellement la création d'aires protégées au sein d'un réseau national géré par une agence : l'Association nationale pour la gestion des aires protégées (ANGAP).
- 3 Association nationale d'actions environnementales.
13La 2e phase du plan, dite PE2 (19972002/2003), est consacrée à la promotion de la gestion durable des ressources et de l'environnement : planification intercommunale et/ou écorégionale, gestion communautaire des ressources naturelles, valorisation de la biodiversité (artisanat, apiculture, plantes médicinales et aromatiques, écotourisme, etc.). À travers ses agences d'exécution (ONE, ANGAP, ANAE3) et en collaboration avec ses partenaires, le PE2 s'intéresse à la structuration des communautés de base (CoBa), et ce à plusieurs niveaux, à savoir au niveau des associations villageoises, des structures locales, communales, intercommunales et régionales. Apparaissent alors les comités régionaux de planification, les structures intersectorielles et multi-acteurs et les groupes de travail et de réflexion qui ont notamment en charge la gestion intégrée des zones côtières. Cette démarche est facilitée par la politique de décentralisation qui marque cette période. Ce que souligne Christophe Maldidier lorsqu'il écrit :
L'idée de la décentralisation des ressources naturelles est issue de nouvelles analyses qui ont recentré les explications concernant la déforestation et la dégradation des milieux naturels sur l'échec de la politique de gestion administrative, centralisée et répressive des ressources. Une progressive reconnaissance des populations locales et une réhabilitation du niveau local ont donné naissance à une politique nationale de décentralisation de la gestion des ressources naturelles au milieu des années quatre-vingt-dix, à la jonction entre les deux phases du Programme environnemental [2001 : 8].
- 4 La création, en 2005, de la Fondation pour les aires protégées et la biodiversité de Madagascar, le (...)
14La 3e phase du plan, dite PE3 (20042008/2009), concerne le financement endogène des actions : il s'agit de trouver des mécanismes financiers novateurs qui assureraient aux institutions malgaches une certaine autonomie. Cette démarche, si elle n'est pas a priori antinomique de la philosophie de la 2e phase (de nombreuses actions mises en uvre durant le PE2 sont maintenues), oriente le Plan vers une logique de paiement des services environnementaux, qui viendrait compléter la politique d'extension des aires protégées [Carret et Loyer 2004]4.
15On peut discuter de la pertinence du PNAE au niveau national. Mais on peut aussi choisir d'appréhender cette politique au niveau local en se demandant si l'équilibre entre le développement et l'écologie, qu'évoque la Charte de l'environnement, est atteint ou est en passe de l'être5. Bien sûr, plus une approche est concrète, moins on a de recul pour se faire une idée globale d'un processus. À cet égard, la forêt des Mikea n'offre qu'une vision partielle de l'effectivité du PNAE.
16La partie sud de la forêt des Mikea se trouve à une quarantaine de kilomètres de Toliara et, au nord, cette forêt jouxte la sous-préfecture de Morombe. Elle est bordée, à l'ouest, par le canal du Mozambique ; à l'est, par le couloir d'Antseva.
17La proximité du couloir d'Antseva a longtemps favorisé des cultures de rente mais, à partir des années quatre-vingt-dix, on assiste à une importante conversion du couvert forestier en surfaces agricoles consacrées à la culture du maïs, et ce à des fins commerciales. Bénéficiant des mutations socioéconomiques induites par le boom du coton et, surtout, par la monétarisation de l'économie locale [Hoerner 1987], la culture du maïs, jusqu'alors de type vivrier, connaît désormais une extension rapide pour répondre à la demande en provenance de l'île de La Réunion.
- 6 Union réunionnaise des coopératives agricoles.
18En effet, mettant en uvre une politique de soutien de ses territoires « ultrapériphériques », l'Union européenne décide d'accélérer le développement de la filière porcine à La Réunion, ce qui a pour effet de consolider la filière « maïs » à Madagascar grâce à l'investissement direct réalisé par l'URCOOPA6, principale coopérative réunionnaise. Au début des années quatre-vingt-dix, la création d'une société de collecte de maïs à Toliara, et celle d'une filiale d'élevage de poulets à Antananarivo en sont les principaux exemples [Fauroux 2000 ; George ed. 2002].
19La structuration de la filière « maïs » due à l'intervention de ces nouveaux acteurs conduit de nombreux paysans du couloir d'Antseva à délaisser l'activité cotonnière au profit de la culture du maïs. Exigeant peu de matériel et de technicité, celle-ci repose sur la cuture sur abattis-brûlis, les cendres obtenues par la déforestation servant d'engrais naturel [Blanc-Pamard 2002 ; Aubry et Ramaromisy 2003]. Les rendements annuels à l'hectare, rarement supérieurs à 2 tonnes, diminuent dès la troisième année d'exploitation et incitent les agriculteurs à défricher de nouvelles terres. L'absence de capital technique, doublée d'une absence de contrôle de la part des services forestiers, explique en partie la progression rapide des fronts pionniers [Aknin et al. 2007].
20La culture sur abattis-brûlis entraîne un déséquilibre de l'écosystème, lequel se traduit par une réduction irréversible de la forêt et par la perte de quelque 75 % des espèces forestières originelles [Razanaka et al. 1999 ; Blanc-Pamard et al. 2005]. La culture du maïs n'est pas pratiquée de façon homogène et, dans diverses communes, on exploite, à des fins plus vivrières, les ressources forestières ligneuses et non ligneuses de la forêt : bois de construction, tubercules, plantes médicinales, etc. Nombre de communes s'investissent également dans la production du riz. Notons toutefois que, sur quinze communes impliquées dans la gestion durable de la forêt, un tiers seulement sont directement concernées par la déforestation à grande échelle.
21Comparativement à d'autres lieux, la prise de conscience du phénomène de déforestation a été rapide. La présence de nombreux chercheurs, malgaches et étrangers, tant sur la zone littorale (le Grand Récif) ou forestière (plateau de Belomotse par exemple) que sur la forêt des Mikea en tant que telle a toujours permis de placer cette région géographique au c ur des programmes environnementaux et de développement rural, au même titre que la région de Morondava (ouest) et, bien plus encore, que celle d'Antsiranana.
22Le World Wide Fund for Nature (WWF) est un des premiers organismes à avoir attiré l'attention sur la forêt des Mikea. À la fin des années quatre-vingt-dix, moment où la déforestation devient inquiétante, cette ONG lance le programme « Ala maika », que l'on peut traduire par « Urgence forêt ». À ce sujet Amanda Younge écrit :
Cette approche écorégionale offre plusieurs opportunités et permet de mettre en place des stratégies avec une démarche intégrée et systémique de la biodiversité [...] Elle permet également la coordination, souvent très difficile, de politiques, de lois et d'institutions pour la conservation de la biodiversité, non seulement en identifiant les actions de gestion à entreprendre à tous les niveaux mais aussi en permettant un engagement de tous les stakeholders à travers un consensus sur les objectifs, les finalités ainsi que les stratégies et les actions à entreprendre [2002 : 168].
23Au-delà de la déforestation, deux raisons principales peuvent expliquer cet intérêt particulier pour la forêt des Mikea : d'une part l'existence d'un écosystème assez original dans un pays où les regards sont surtout portés vers les forêts humides de l'Est ; d'autre part le mystère qui entoure les Mikea [Yount et Rengoky 1999]. Précisons d'ailleurs que la forêt des Mikea fait partie des sites prioritaires des ONG de conservation, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix [Seddon et al. 2000].
24Les préoccupations liées à cette déforestation rejoignent les projets du PE2, lequel cherche à développer des stratégies de gestion durable basées sur des actions de lutte contre la déforestation, dans des schémas de développement intercommunal élaborés au niveau local. C'est dans ce contexte qu'est créée la FIMAMI (ou Fikambanana Miaro ny Alan'ny Mikea), que l'on peut traduire par « Association pour la protection de la forêt des Mikea ». Issue, en 1996, de l'initiative des maires des communes de Manombo et d'Ankililoaka, cette association lutte contre la déforestation liée à la culture sur brûlis. Si, au départ, seules ces deux communes ont eu recours à la FIMAMI, d'autres ne tarderont pas à faire de même.
25À cette époque, avec la décentralisation, la province est l'échelon administratif supérieur. En matière de superficie, des six provinces de Madagascar, celle de Toliara est l'une des plus grandes : elle inclut le sud, le sud-est et le sud-ouest de l'île. Elle est subdivisée en plusieurs entités régionales : les comités régionaux de développement (CRD) de Morondava et de Tolagnaro et le Comité régional de programmation (CRP) de Toliara. Le territoire du CRP de Toliara est divisé, à son tour, en six zones, animées chacune par une structure intercommunale de concertation (SIC). L'une de ces zones correspond à la forêt des Mikea. En octobre 1997, l'ONE propose que, par l'intermédiaire de sa cellule dite d'« appui à la gestion régionalisée et à l'approche spatiale (AGERAS), la FIMAMI intègre l'organigramme de l'administration environnementale au titre de SIC.
- 7 Le SAGE est une association malgache créée en 2002. Elle regroupe plusieurs anciennes cellules de l (...)
26L'émergence de cette structure associative va de pair avec la démarche de planification concertée, appelée « sous-programme mikea », dont la mise en uvre est assurée par l'ONE et le suivi assuré par le Service d'appui à la gestion de l'environnement (SAGE)7. La philosophie qui sous-tend le « sous-programme mikea » est semblable à celle des « agendas 21 » locaux instaurés dans de nombreuses villes ou agglomérations à travers le monde.
- 8 SAGE, « La gestion des ressources naturelles, programme MAG96G31/MAG97003 ». Rapport, 76 p.
27On retrouve dans cette initiative l'objectif de planification participative dans un contexte de prise de décision décentralisée. Ainsi un sous-programme peut être défini comme « un outil de décision et de négociation en vue de la gestion durable des ressources naturelles [...] [Il s'agit d'un] processus de planification ascendant et participatif mené à différentes échelles : régionale, intercommunale, communale et locale. Il doit permettre à tous les acteurs au niveau d'une région de se concerter pour l'élaboration et la mise en uvre des stratégies et des plans d'action pour le développement durable, répondant aux problématiques environnementales définies en commun »8.
28Au-delà des mots, la mise en uvre de ce sous-programme se fait en partenariat privilégié entre l'ONE (puis le SAGE à partir de 2002) et la FIMAMI. Pour faciliter la coordination des actions au niveau des quinze communes et atteindre l'objectif de gestion durable des ressources de la forêt des Mikea, ces deux institutions mettent en place un ensemble de structures fonctionnant de manière pyramidale avec, à la base, les structures locales de concertation (SLC), puis les structures communales de concertation (SCC) et, enfin, la SIC, représentée par la FIMAMI.
- 9 Un fokontany comprend un ou plusieurs villages ; plusieurs fokontany composent une commune. Depuis (...)
- 10 « Charte de responsabilité de la forêt des Mikea », Toliara, 2001, p. 1.
29Chaque structure définit, à son niveau, ses priorités en matière de développement durable. Les représentants des villageois dressent, au sein de la structure locale de concertation, la liste des projets susceptibles de contribuer au développement de leur village. Après quoi, dans la structure communale de concertation, les représentants de chaque fokontany9 regroupent les thèmes retenus à l'échelon inférieur et déterminent, de manière lexicographique, les priorités de la commune. Pour finir, les priorités communales sont discutées au sein de la SIC. À ce niveau intercommunal, les priorités disparaissent au profit d'une classification par grands thèmes. De ce fait, l'ordre des priorités défini au niveau communal est surtout utile au représentant de la commune lorsque celui-ci doit, au niveau intercommunal, préciser les thèmes d'intervention. En effet, comme le souligne l'AGERAS10 :
Le sous-programme servira d'outil de négociation auprès des sources de financement et de collaboration avec les partenaires régionaux et/ou nationaux pour la structure intercommunale de concertation de la zone appelée FIMAMI. Il permettra également à la FIMAMI de faciliter le suivi des impacts des actions et de contribuer au développement durable.
30L'étude des priorités définies dans une des communes de la FIMAMI montre que les projets, de nature directement environnementale, ne représentent que 13 % de l'ensemble alors que 54 % concernent le domaine économique et 33 % le domaine social. L'outil de planification participative qu'est le sous-programme semble donc en accord avec les principes de développement durable, c'est-à-dire que, même si la dynamique est insufflée par une problématique de nature écologique, la manière de l'aborder est globalisante en ce qu'elle met en avant l'aménagement du territoire comme vecteur de la durabilité.
- 11 Le PADR débute en 1999 et bénéficie du soutien de la Banque mondiale à travers le projet de soutien (...)
31L'élaboration de ces priorités au niveau communal constitue la base du plan communal de développement dont la finalité est de mettre au point un véritable programme de développement soutenu par des financements extérieurs. À ce niveau, le Plan national d'action pour le développement rural (PADR) crée, dans les régions concernées, des groupes de travail de développement rural (GTDR), dont le but est de regrouper les différents acteurs du développement afin de mettre en relation ceux qui offrent des financements et ceux qui en sollicitent11. Parallèlement, les agences de l'ONE mettent au point un sous-programme intitulé « Charte de responsabilité de la forêt des Mikea », lequel ne concerne que l'aspect purement environnemental. Elles s'appuient sur les travaux des plans communaux de développement pour faire émerger les priorités des quinze communes concernées par la forêt des Mikea.
32Cette façon de procéder est intéressante car le résultat et, a fortiori, les priorités ne sont pas connus avant la mise en uvre du processus. Comme le souligne Guy Razafindralambo :
- 12 « Stocktaking USAID », Secrétariat multi-bailleurs, Antananarivo, 2001. Disponible sur le site : ht (...)
Le grand avantage de cet outil est la participation des villageois dans tout le processus de planification. En effet, la planification, communale ou villageoise selon les cas, favorise les échanges de points de vue et de préoccupations qui n'auraient sans doute jamais été recensés en dehors de ce processus. Par ailleurs, c'est en même temps un outil didactique car il permet de « faire constater par les paysans eux-mêmes » les réalités de leur condition12.
33Les prérogatives de la FIMAMI se sont donc élargies rapidement à mesure qu'elle devenait le partenaire privilégié de l'ONE. Progressivement, la FIMAMI a modifié son objectif initial, qui était la protection de la forêt, pour élaborer un véritable programme de développement durable, abordant des thèmes aussi divers que l'éducation, la santé, les infrastructures.
34Finalement, le dispositif institutionnel antérieur à 2003 est assez simple. Il met en avant la FIMAMI et trois grandes institutions physiquement présentes à Toliara : la Direction interrégionale de l'environnement, l'ONE et le WWF. L'ensemble de ces acteurs se connaissent et se fréquentent quasi quotidiennement. Il existe donc une communauté d'intérêts entre toutes ces personnes impliquées dans la planification participative de la forêt des Mikea.
35La mise en uvre des objectifs de gestion durable définis conjointement par tous ces acteurs est un processus long, ponctué de réussites et d'échecs, de projets rapidement exécutés (bornes fontaines, pépinières, magasins de stockage...) et de projets non réalisés voire irréalisables. Notre propos n'est pas d'évaluer ces actions car nous ne considérons pas la réussite de cette démarche à l'aune d'un bilan comptable des actions entreprises et de celles qui ne le sont pas, mais plutôt à travers les processus endogènes qu'elles suscitent : cette planification participative génère-t-elle une dynamique propre des parties prenantes ? Telle est, selon nous, la question que nous devons nous poser. D'ailleurs, un des objectifs de la troisième phase du plan (PE3) n'est-il pas précisément de développer le « réflexe environnemental » chez tous les acteurs ?
36La philosophie d'intervention de la FIMAMI et des différentes institutions dont elle assure le relais est de promouvoir les changements par la sensibilisation de la population aux risques irréversibles liés à la déforestation. Différentes actions dans ce sens ont été menées dans les communes de la région depuis 2001 en relayant des messages forts au niveau des structures locales de concertation. La remise en culture et la valorisation des terres abandonnées apparaissent alors comme une stratégie permettant de générer des revenus et de réduire la pression sur la forêt.
- 13 « Cadre stratégique pour le développement des populations autochtones mikea ». Document préparé par (...)
37Malgré ces démarches, le défrichement se poursuit. La FIMAMI crée en 2001 une commission mixte, appelée parfois comité mixte, dont le rôle est de veiller au respect des lois concernant le défrichement et les feux de brousse le long de la lisière de la forêt13. Cette commission comprend les institutions impliquées dans le processus de planification mais aussi, fait nouveau et révélateur, la gendarmerie et les représentants du tribunal de Morombe. La volonté répressive est clairement affichée même si elle n'est pas toujours suivie d'effets.
- 14 Nous reprenons volontairement ce terme car c'est celui qu'utilisent les acteurs de cette commission (...)
38Entre octobre 2001 et avril 2002, la commission mixte fait six « descentes »14 dans les villages des défricheurs. Toutefois les effets sont peu perceptibles dans la mesure où les nouvelles surfaces défrichées l'ont été avant ces interventions (durant la saison sèche, d'avril à septembre). Les agriculteurs parviennent alors à un compromis qui consiste à exploiter les terres nouvellement défrichées en contrepartie d'un arrêt du défrichement dès l'année suivante. Cependant, l'approche des élections à la députation va brouiller les messages. Les paysans, ayant une vision très globalisante de l'administration, assimilent les propos très conciliants des candidats à la députation à un assouplissement de la position de la commission mixte alors que, de toute évidence, les hommes politiques agissent sans concertation avec ce comité.
39S'il est difficile d'avoir une idée précise de l'évolution quantitative des surfaces déforestées, on constate un changement plus structurel de la population de défricheurs. D'un côté, les « grands défricheurs », comme les nomment Christine Aubry et Auguste Ramaromisy [2003], semblent poursuivre la pratique de la culture sur brûlis, mais de manière plus discrète et, probablement, sur des superficies plus réduites. De l'autre, la plupart des « petits défricheurs », ceux qui pratiquaient la déforestation sur de petites surfaces en recourant uniquement à la main-d' uvre familiale, semblent avoir cessé cette pratique au profit d'une remise en culture des terres abandonnées à proximité des villages, culture associant principalement le manioc et le maïs.
- 15 Enlèvement des petites feuilles entourant l'épi de maïs.
40Il faut évidemment recevoir avec circonspection les informations que transmettent les villageois à des étrangers qui, par leur apparence, peuvent être pris pour des membres de la commission mixte. Toutefois, l'activité économique liée au maïs est bien moins perceptible en avril 2003 qu'elle ne l'était deux ans auparavant. La vie dans les villages tourne beaucoup moins autour du despathage15, de l'égrenage et de la mise en sac du maïs, activités auxquelles s'adonnent souvent les femmes et les jeunes devant leur habitation. Le va-et-vient moins soutenu des collecteurs et leur présence plus discrète sur les marchés hebdomadaires traduisent également l'essoufflement du commerce du maïs. Si la faiblesse des pluies et un marché en réduction sont des facteurs très importants, ils ne sont pas irréversibles.
41Il n'en demeure pas moins que l'arrêt de la déforestation est vécu par les petits agriculteurs comme une opportunité, et ce en raison de l'éloignement progressif des fronts pionniers et des points d'eau. À la pénibilité croissante de la culture sur abattis-brûlis s'ajoute le risque d'être sanctionné par la gendarmerie. Les petits agriculteurs ne sont donc pas hostiles aux propositions de la commission mixte lorsque, entre 2002 et mars 2003, elle s'assouplit en promettant d'aider à la remise en culture des parcelles défrichées puis abandonnées (monka). La Banque mondiale s'engage ainsi à fournir du matériel technique (charrues et zébus) aux agriculteurs qui auront cessé la déforestation.
42Toutefois, il faudra près d'une année pour que les villageois bénéficient de ces aides. Entretemps, la crédibilité de la FIMAMI est mise à mal. En outre, la stagnation de la situation semble avoir enclenché une sorte de processus dans lequel agents de la Direction interrégionale des eaux et forêts (DIREF), qui assurent la garde de la forêt, et collecteurs de maïs se rejettent la faute. Ces derniers considèrent qu'ils peuvent contribuer à la lutte contre la déforestation en assistant les autres institutions dans leur soutien (technique, matériel et financier) aux producteurs mais qu'ils en sont empêchés par l'administration. Ils affirment de surcroît que certains agents de l'État autorisent les paysans à défricher en contrepartie d'une commission financière. À l'inverse, les gardes forestiers pensent que les opérateurs de la filière « maïs » sont les premiers responsables de cette situation car, tant que les collecteurs (généralement de riches opérateurs de la ville de Toliara) paieront aux défricheurs des prix dérisoires pour le maïs, la course au défrichement continuera.
43Finalement, si aux yeux des acteurs locaux la répression semble plus efficace en termes de lutte contre la déforestation que ne le sont les initiatives issues de la planification intercommunale, tous s'interrogent sur son efficacité à long terme et sur son caractère équitable.
44L'idée de conserver la forêt des Mikea sous la forme d'une aire protégée est apparue au milieu des années quatre-vingt-dix et est devenue une priorité dans les inventaires de plusieurs ONG de conservation. En intégrant ce projet de conservation au sein de sa démarche écorégionale, le WWF, associé à l'ONE à travers son unité technique régionale de Toliara, a promu un nouveau type d'aire protégée : une aire protégée volontaire (APV). À l'aube du PE3, s'il revient aux professionnels de la conservation (ANGAP) d'en définir le zonage, la gestion de cette aire protégée devrait, elle, revenir à la FIMAMI. Le projet d'APV financé par Conservation International (CI) a été officiellement approuvé en mars 2003 par plusieurs instances telles que l'ANGAP, la DIRENVEF (Direction interrégionale de l'environnement et des eaux et forêts), la FIMAMI, le SAGE et le WWF. Hery Andriananja et Vahinala Raharinirina donnent leur sentiment :
Cette démarche rompt avec l'ancienne approche qui consiste à confier la gestion exclusive des aires protégées l'Agence nationale de gestion des aires protégées (ANGAP). Le zonage de l'APV est fait avec l'appui actif de la FIMAMI. Les structures à multi-niveaux de la FIMAMI ont déjà pleinement participé à toutes les phases de sensibilisation et de campagne d'information depuis 2003. La FIMAMI en tant que structure intercommunale joue un rôle primordial dans la planification de l'instauration et de la prise de décision sur cette aire protégée [2004 : 73].
- 16 Cf. Directive opérationnelle : les populations autochtones, OD 4.20. Manuel opérationnel de la Banq (...)
45Par ailleurs, la présence des Mikea, argument souvent mis en avant par la FIMAMI pour justifier son implication dans la gestion de la future aire protégée en tant qu'interlocuteur privilégié et naturel de ce peuple mystérieux, incite la Banque mondiale à élaborer plus avant son projet de plan de développement du peuple mikea (PDPM). Inspiré du Plan de développement des peuples autochtones (PDPA), appelé aussi « directive opérationnelle 4.20 de la Banque mondiale », le PDPM est censé assurer la préservation d'une identité culturelle et la poursuite d'une stratégie de développement destinée à une communauté indigène ou à une ethnie unique. Selon la Banque mondiale16, les expressions « populations autochtones », « minorités ethniques autochtones », « groupes tribaux » et « tribus répertoriées » désignent des groupes sociaux disposant d'une identité sociale et culturelle qui les distingue de la société dominante, et qui risquent d'être désavantagés dans le processus de développement.
46Les conditions préalables que doit remplir un PDPA vont toutes dans le sens de l'adéquation entre le projet, en l'occurrence l'aire protégée, et le mode de vie de la population mikea. Ce qui conduit à entreprendre de nouvelles études anthropologiques, dont l'objectif est d'étudier la culture mikea afin d'adapter le projet. Pourtant bien des informations sur ce peuple ont déjà été rassemblées [Yount et Rengoky 1999 ; Poyer et Kelly 2000 ; Tucker 2001 et 2003 ; Yount et al. 2001]. Les nombreux travaux de recherches concluent que la caractérisation du peuple mikea est complexe, voire que la frontière entre les défricheurs et les Mikea est plutôt floue.
47Ces conclusions sont manifestement trop ambiguës pour être utilisées dans le PDPM puisqu'en 2003 d'autres études sont réalisées, qui sont censées prouver l'autochtonie des Mikea. Curieusement, dans ces études on lit qu'en raison du temps réduit dont disposaient les chercheurs, il leur a été difficile d'approcher les Mikea, ceux-ci étant très méfiants et habitant des endroits reculés. Par conséquent l'argument est que, s'il est difficile de rencontrer des Mikea à proximité des villages masikoro, on ne peut les confondre avec cette ethnie, ce qui confirme leur caractère autochtone... On peut alors s'interroger sur un processus qui repose sur le principe d'autochtonie alors même que ce dernier reste très controversé.
48Pourtant, selon la description énoncée dans la directive opérationnelle 4.20 de la Banque mondiale, la population mikea vivant dans et autour de la forêt des Mikea, dans le sud-ouest de Madagascar, est bel et bien une « population autochtone ». D'ailleurs, dans le cadre du PE3, un budget de 730 000 dollars sera débloqué pour soutenir l'élaboration du PDPM.
- 17 L'idée même de prendre en compte le devenir de la population mikea répond à un souci légitime de la (...)
49Finalement, si une population autochtone est victime de la déforestation convient-il vraiment de confier la gestion de la forêt à la FIMAMI ? Les bailleurs de fonds se posent sans doute cette question. Et si d'autres problèmes s'ajoutent à la déforestation, il est probable que le fait d'admettre l'idée de « peuple autochtone » aura fragilisé le projet d'aire protégée volontaire17.
- 18 En septembre 2003, lors du 5e congrès mondial sur les parcs, qui s'est tenu à Durban, en Afrique du (...)
50Depuis 2003, le statut de l'aire protégée est plutôt vague. La « Vision Durban »18, nom donné à cette nouvelle politique d'extension de la superficie des aires protégées, initiée en septembre 2003, complexifie la situation en faisant émerger le concept de « site de conservation » puis celui de « système national d'aires protégées malgaches » (SAPM). Jusqu'au milieu de l'année 2005, et ce en parallèle avec le lancement du PE3, la liste et le statut des futures aires protégées sont sujets à discussion. La forêt des Mikea apparaît comme une priorité nationale et serait gérée sous la forme d'un parc national au sein du réseau de l'ANGAP. Apparemment, un compromis lui attribuerait la gestion du noyau dur du parc, la FIMAMI et ses partenaires ayant pour charge de gérer les zones périphériques.
51Le dispositif institutionnel a donc considérablement évolué en quelques années. Il fait dorénavant intervenir une multitude d'acteurs n'ayant qu'une compréhension partielle des processus institutionnels amorcés dans le cadre de la planification participative avec, les uns et les autres, leur propre logique macroscopique.
52Le troisième exemple que nous retiendrons est celui de la valorisation économique de la biodiversité grâce à la promotion de certaines filières de commercialisation. La volonté des responsables locaux de développer ces filières vient de l'idée que non seulement elles permettront d'augmenter le revenu des populations locales et d'améliorer leur niveau de vie mais, surtout, que l'exploitation des produits naturels facilitera la reconversion des activités liées à la déforestation.
53Au nombre de ces filières de valorisation de cette zone figurent l'écotourisme, pour les communes du littoral, l'apiculture, l'aviculture ou les plantes médicinales, pour les communes de l'intérieur.
54Dans le cas de la filière apicole, par exemple, deux raisons en justifient la promotion : le nombre de projets similaires dans la plupart des régions malgaches, donc une forme de savoir-faire en matière de valorisation, et le fait que l'apiculture soit une pratique traditionnelle dans la forêt des Mikea. De plus, la forêt des Mikea est riche en plantes mellifères. La qualité et la saveur du miel variant selon la végétation environnante, une opportunité est offerte à ce territoire par la diversité des produits apicoles qu'on peut y exploiter.
- 19 Les Karana sont des Indopakistanais qui ont émigré àMadagascar vers la fin du XIX siècle. Ils const (...)
55Pour ce qui est de la structuration de la filière, il faut savoir qu'aujourd'hui encore la production apicole de la région est, en règle générale, vendue sur les marchés locaux. Où viennent également des collecteurs de l'agglomération de Toliara. Il peut s'agir de collecteurs professionnels, souvent des Karana19 habitant Toliara, ou de collecteurs occasionnels. Le circuit du produit n'est pas long : soit, comme c'est le cas la plupart du temps, les produits apicoles sont apportés par les cueilleurs, qui les vendent sur les marchés locaux aux membres de leurs communautés, soit ils sont collectés par des intermédiaires. En outre, l'acheminement du produit vers le consommateur peut se faire via les marchés locaux s'il s'agit de consommateurs ruraux, via des « intermédiaires » s'il s'agit de consommateurs urbains.
56Malgré les initiatives des groupements de paysans qui se sont lancés dans la production apicole, la filière doit faire face à nombre de problèmes et, à l'heure actuelle, l'apiculture ne constitue pas une activité viable pour les ménages. Les groupements paysans se heurtent tout d'abord à des problèmes d'octroi de crédits de la part du Projet de soutien au développement rural (PSDR) dont les délais de déblocage des fonds sont jugés trop longs par les agriculteurs. Puis, outre ces problèmes d'investissement, les nouveaux exploitants se heurtent à une difficulté de capture des essaims, lesquels ne restent pas plus de quelques jours dans les ruches. D'après les techniciens, le problème peut tenir à la capture proprement dite, à une installation des ruches inadéquate, ou à une non-adaptation des abeilles aux ruches modernes. Par conséquent la production est faible et les prévisions de vente loin d'être atteintes.
- 20 Les contraintes ne sont pas uniquement d'ordre temporel. Ainsi, à ces difficultés techniques s'ajou (...)
57Nous avons insisté sur la filière apicole car elle est certainement la plus adaptée aux pratiques locales. De nombreuses initiatives du même type sont réalisées à Madagascar et, même si elles garantissent difficilement une production de miel en quantité et de qualité stable, elles constituent un exemple de réussite [Lagarde et Rakotovelo 2004]. Il n'est donc pas interdit de penser, compte tenu du fait que l'apicueillette et l'apiculture sont des pratiques traditionnelles, que dans la forêt des Mikea les projets du même type connaîtront le même sort. La principale contrainte est le temps nécessaire pour que cette activité devienne effective20.
58La gestion durable de la forêt des Mikea, telle que les acteurs locaux de la FIMAMI la promeuvent, représente probablement la seule option dans une politique de conservation qui, à défaut d'avoir les moyens de ses ambitions, ne peut aller à l'encontre des pressions anthropiques, surtout si les perspectives de rentes économiques liées à la déforestation sont attractives et clairement perçues par les populations locales. La volonté d'endogénéiser les actions environnementales se traduit par l'implication des parties prenantes à la détermination des choix collectifs (aires protégées, valorisation...).
59Un travail en anthropologie permettrait sans aucun doute de mieux mesurer l'adéquation entre les objectifs assignés et le fonctionnement de ces sociétés masikoro, notamment en ce qui concerne la légitimité des maires, dont la politique de renouvellement des mandats n'échappe à aucun administré. Lors de nos enquêtes de terrain n'avons pas traité la dimension politique qui sous-tend la participation de la FIMAMI au processus de gestion durable. En effet, l'instabilité politique des années 2001-2005 a modifié la donne au niveau local, permettant l'apparition du parti du président, Marc Ravalomanana, et l'affaiblissement de l'AREMA, le parti de l'ancien président, Didier Ratsiraka, très implanté en milieu rural. Les recompositions induites par ces changements ont très certainement influencé le comportement des leaders locaux. De surcroît, en 2003, les maires fortement impliqués dans la création de la FIMAMI ont vu leur second mandat arriver à terme. Tout en conservant leur place au sein de l'association, ils ont été remplacés à la mairie par d'autres leaders politiques. On peut se demander si la cohabitation entre tous ces acteurs a ou non confirmé la légitimité de la FIMAMI et facilité son action, et comment cette action a été perçue par la population locale.
60Quoi qu'il en soit, en termes d'économie publique, cette démarche répond à un réel souci de dépasser les limites d'une (non)-gestion centralisée sans pour autant laisser le marché réguler l'accès à la forêt. Cette gouvernance participative implicite dans toutes les démarches du type « gestion de terroir » ou « gestion collaborative » n'est pas nouvelle, tout comme ne le sont pas les démarches de planification locale. Celles-ci connaissent un regain d'intérêt en raison précisément de la tendance actuelle à revenir à des politiques de conservation orientées vers le marché [Karsenty et Weber 2004].
61L'expérience de gestion durable de la forêt des Mikea nous éclaire sur les différents types de conflits auxquels doivent faire face les acteurs de cette planification. Au-delà des conflits d'acteurs que les intervenants de la forêt des Mikea tentent justement de résoudre à partir d'une approche patrimoniale, trois autres types de conflits peuvent être identifiés : un conflit de temporalités, un conflit de prérogatives et un conflit d'échelles. Ces trois conflits, que l'on peut qualifier d'exogènes au processus de planification, en ont perturbé la mise en uvre.
62Le conflit de temporalités met en évidence la distance qui sépare le temps nécessaire pour qu'un projet d'aménagement du territoire soit effectif (5 ans au minimum) et la double urgence, celle des bailleurs de fonds, dont le pas de temps est lié à la fréquence des évaluations du projet (tous les 2 ou 3 ans) et celle des paysans, dont le pas de temps est celui de la saison culturale (1 an). Il existe donc un paradoxe entre la nécessité d'agir vite, pour prendre en compte ces temporalités courtes, et la nécessité de prendre le temps d'élaborer, puis de mettre en uvre, un processus d'aménagement concerté de la forêt, qui implique une temporalité plus longue.
63La crédibilité des porteurs du projet dépend donc en grande partie de leur capacité à faire cohabiter ces deux contraintes. En effet, les décideurs au niveau central accusent souvent les structures locales de freiner un projet par manque de motivation ou de compétence tandis que, de son côté, la population juge incompétente et peu crédible une organisation incapable de mettre en uvre des solutions concrètes et perceptibles au niveau local. Les conservationnistes se servent volontiers de ce conflit de temporalités, l'associant d'ailleurs au temps écologique et à l'urgence de l'arrêt de la déforestation. Les ONG de la conservation acceptent, sur le principe et dans leur discours, que les acteurs locaux participent à la lutte contre la déforestation et, plus généralement, elles acceptent que cette lutte entre dans un programme plus vaste de développement durable local. Mais très vite, arguant du fait que les résultats tangibles se font attendre, ces dernières développent des stratégies purement conservationnistes.
64Ce conflit de temporalités implique de la part de ces ONG un renversement des priorités : il faut commencer par la conservation parce qu'il y a urgence et parce que les délais de mise en place d'une aire protégée sont relativement courts et surtout bien maîtrisés ; c'est par la suite seulement que l'on pourra, éventuellement, associer les populations locales à la gestion des zones périphériques. La démarche du « sous-programme mikea », avec, notamment, l'idée d'aire protégée volontaire, est fondamentalement inversée.
65Indépendamment de la question de temporalité, les projets de gestion durable au niveau local sont confrontés à des interférences entre les divers échelons de prise de décision. Les grandes orientations décidées par le pouvoir politique, en accord ou non avec les bailleurs de fonds, et les choix faits par ces mêmes bailleurs dans la conduite des programmes et des projets modifient le contexte institutionnel et politique au niveau local. Les exemples sont nombreux, certes, mais le plus significatif et le plus porteur d'enjeux est celui de la mise en place de l'aire protégée.
66Durant la période 2001-2003, les institutions en charge de la gestion durable de la forêt cherchent à impliquer la FIMAMI dans la gestion de la future aire protégée. L'opportunité offerte par le nouveau code des aires protégées de créer des aires protégées en dehors du réseau national est très attendue. Pour l'ensemble des acteurs au niveau local, cette démarche est la bonne : d'ailleurs, les membres de l'antenne provinciale de l'ANGAP disaient déjà qu'ils ne souhaitaient pas particulièrement prendre en charge ce « dossier Mikea »...
67En septembre 2003 on assiste à un revirement de situation. Lors du Sommet de Durban, le nouveau président de la République affirme qu'il faut stopper de manière radicale la déforestation et accroître la superficie des aires protégées. Durant la période 2003-2005, les acteurs centraux de la politique environnementale organiseront périodiquement des réunions de travail destinées à mettre au point une stratégie d'extension de la superficie des aires protégées. Impulsée principalement par les ONG, notamment CI et WCS (Wildlife Conservation Society), et, dans une moindre mesure, par le WWF, cette stratégie appelée « Vision Durban » consiste à élaborer une liste d'aires protégées prioritaires, au sein de laquelle figure la forêt des Mikea. Avec cette nouvelle orientation, qui fait écho à l'évolution du PNAE, et compte tenu de l'orientation conservationniste qui marque le PE3, les aires protégées ainsi créées seront gérées par l'ANGAP. Aux aires protégées volontaires se substituent, depuis la capitale, le concept de « site de conservation ».
68Le 17 juin 2004, l'ANGAP organise un atelier pour mettre au point le processus de la nouvelle aire protégée. Y sont conviés l'ensemble des acteurs, y compris les représentants de la FIMAMI, ceux des antennes du SAGE de Toliara, ceux du WWF, de l'Université, etc. La surprise est grande lorsque ces personnes découvrent que l'acteur principal de la future aire protégée n'est plus la FIMAMI mais l'ANGAP. La réunion est alors tout entière parcourue d'un sentiment de frustration. Il est vrai, nous avons pu le constater, que nulle part dans le document de synthèse de l'atelier ne figure le terme « volontaire », qui est pourtant central dans la démarche initiale. Il suffit pour s'en convaincre de lire l'intitulé de l'un des documents de travail édités par les acteurs locaux en juillet 2003 : « Valorisation de recherche de développement des approches de conservation et planification d'une nouvelle formule d'une aire protégée volontaire pour la forêt des Mikea ». Depuis cette date, la future aire protégée mikea apparaît très souvent au sein du programme d'extension du réseau de l'ANGAP, sans que les rôles des différents partenaires soient clairement définis.
69Ainsi, on constate que les orientations politiques décidées au niveau national par des institutions ayant, de manière tout à fait légitime, une vision macroscopique des enjeux de la politique environnementale ont interféré avec les processus en cours au niveau local. Aujourd'hui, il semble que les promoteurs des plans communaux de développement et autres Charte de responsabilité soient contraints de mettre en uvre le PDPM dont nous avons vu qu'il reposait sur une ambiguïté concernant les Mikea. On imagine alors aisément les stratégies d'acteurs qui vont se développer autour de ce projet : qui est mikea ? Qui ne l'est pas ? Où sont leurs lieux de vie ? Pourquoi les autres ethnies, telles les Masikoro ou les Vezo, ne pourraient-elles pas, elles aussi, décider du devenir de la forêt ? Stratégies qu'essayait, tant bien que mal, de contenir le « sous-programme mikea ».
70Le troisième conflit est lié à la nature transversale de la démarche de gestion durable. En insistant sur la nécessité d'élaborer des stratégies de développement local (valorisation des monka, développement d'alternatives, etc.) au lieu de simplement interdire la déforestation, les acteurs sollicitent explicitement l'intervention d'institutions en charge du développement rural. Ces dernières entrent à leur tour dans des logiques et des agendas qui leur sont propres, définis par les administrations compétentes et les bailleurs impliqués. La coordination des différentes instances, dans le cas présent celles qui relèvent de l'environnement et du développement rural, devient dès lors très difficile. Malgré la mise en place de cellules de coordination, de groupes de travail ou encore de plateformes, on constate que ces difficultés peuvent se répercuter gravement sur les populations locales.
71Ainsi, pour atténuer les effets de l'arrêt de la déforestation, un projet de remise en culture des terres abandonnées avait été mis en place dès 2001. Étant du ressort de l'administration en charge de l'agriculture via le PADR sur financement de la Banque mondiale, cette initiative n'a pris effet qu'en 2003, en raison des problèmes liés au bon fonctionnement de ce programme national. La situation a donc été dramatique pendant de nombreux mois. Le retard dans l'octroi de matériel et de zébus pour les villageois a mis en porte-à-faux les acteurs issus de l'environnement, leur crédibilité dépendant en grande partie de la célérité d'autres institutions. Ce retard, longtemps considéré comme une promesse non tenue, n'était pas imputable à la FIMAMI mais dû au fait que l'administration de l'agriculture ne la tenait pas pour un partenaire aussi stratégique dans la mise en uvre de la politique de développement rural qu'elle pouvait l'être en matière de politique environnementale.
72L'implication de la population locale dans un processus de gestion concertée entre en résonance avec les principes issus de la CNUED en 1992. Elle instaure (ou tente de le faire) une gouvernance participative permettant d'associer au mieux les populations locales à la gestion de leur patrimoine naturel. Cette démarche n'est pas exempte de critiques, notamment en ce qui concerne le présupposé développementiste ou gestionnaire sous-jacent. Toutefois, au-delà de cette problématique, nous avons choisi de mettre l'accent sur un aspect important mais malheureusement peu explicité, à savoir les interférences institutionnelles qui ralentissent et/ou perturbent ce processus.
73Notre lecture est double. Dans un premier temps, nous avons observé les caractéristiques de ce projet de gestion durable de la forêt des Mikea, qui repose finalement sur une vision sociétale et territoriale du devenir de la forêt ; dans un second temps, nous avons cherché à montrer que les difficultés propres à ce processus de planification sont souvent liées à des contraintes institutionnelles exogènes qui ralentissent les changements au niveau local.
74Selon nous, ces contraintes ne remettent pas en cause l'intérêt de la démarche. Bien au contraire, ce constat ouvre de nouvelles pistes de gestion collaborative qui aideront à la réalisation de telles initiatives. Dans un contexte fortement marqué par un retour à des pratiques plus conservationnistes, il est important de poursuivre les actions d'aménagement concerté du territoire, en limitant au mieux ces interférences.