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AccueilNuméros178La restitution du droit à la parole

Résumés

Résumé
Cet article propose de revenir aux sources d'une expérience unique permettant de penser autrement le développement, et qui, en 1996, a pris la forme d'une loi : la « gestion locale sécurisée » (Gelose) des ressources naturelles. Les principes de ce « modèle » de développement reposent sur la restitution du droit à la parole aux populations locales et sur la « maîtrise de leurs conditions écologiques d'existence ». Partant de résultats de recherches réalisées dans le temps long (dix ans), à travers plusieurs régions de Madagascar, l'auteur tente de « restaurer » et de comprendre la parole de ceux qui s'expriment sur la façon dont ils ont vécu cette expérience de Gelose dans leur village. Elle effectue ainsi un double retour sur le droit à la parole et sur l'expérience pour s'interroger sur les raisons des mesures qui sont prises actuellement au niveau national, et qui, en critiquant de manière hâtive certains principes de la Gelose, militent pour un retour à une gestion plus dirigiste (empowerment) qui condamnerait, dès lors, les populations au silence.

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Texte intégral

  • * Cette mission a été réalisée dans le cadre d'un programme de recherche intitulé « Enjeux sociaux et (...)

1UNE MISSION dans le sud de Madagascar* m'a conduite à passer quelques jours dans un petit village où j'avais séjourné plusieurs mois durant, quelques années auparavant. Ce village avait, entre-temps, signé un contrat de « gestion locale sécurisée », procédure que l'on désigne communément par l'acronyme « Gelose ». Il était donc, comme on le dit là-bas, « gelosé ».

2De la Gelose je n'avais qu'une connaissance théorique. Je savais qu'une nouvelle loi, datant de novembre 1996, avait été pensée au plus près de la réalité du terrain, dont l'enjeu était « une forme de sécurisation des droits, de nature à rendre aux villageois une maîtrise de leurs conditions écologiques d'existence » [Weber 2005 : 45] et que, plus que d'autres, cette loi entendait rendre aux villageois le droit à la parole.

3Ce retour allait me permettre de procéder à un état des lieux, avant et après la Gelose. Je m'attendais à observer, dans le village, des changements positifs depuis la signature du contrat. Mais, à première vue, rien n'avait changé, si ce n'est peut-être la présence de quelques associations villageoises et d'un grand nombre d'enfants qui ne paraissaient pas en meilleure mise ou en meilleure santé qu'auparavant. Les b ufs, eux, semblaient moins nombreux. Je m'attendais aussi à ce que chacun sache ce qu'était la Gelose, dans la mesure où ce contrat exige l'adhésion de l'ensemble de la communauté représentée par ce qu'on appelle la CoBa, c'est-à-dire la « communauté de base ». Je fus surprise de découvrir que la Gelose pouvait être associée à un projet de construction de routes, à un programme de prévention du sida, à une campagne de vaccination, à un programme de protection des crocodiles et des lémuriens, ou encore à un projet de microcrédit. C'était là, sans doute, une revue de tous les projets et campagnes de démarchage dont le village avait fait l'objet au cours des dernières années. Pour en savoir plus, j'interrogeai un vieux notable que, lors de mon précédent séjour, j'avais identifié comme étant le « maître du village », descendant direct, par sa branche aînée, du fondateur du territoire.

4Certains signes parlent d'eux-mêmes. Longtemps encore je me souviendrai de la manière dont, avec une certaine violence, cet homme cracha au sol l'écorce de la mangue qu'il venait de mordre, tout en ajustant son pagne avec de beaux gestes. Ainsi, sans aucune parole, il exprimait déjà toute sa gêne et son agacement et m'imposait l'écoute car il allait m'offrir une réponse dans sa langue et allait tenter de me faire partager ses sentiments les plus profonds. Il m'expliqua comment il avait été démarché par une ONG et comment la signature de ce contrat empêchait les villageois de laisser leurs b ufs paître dans la forêt. Puis il ajouta : « Comment les en empêcher ? Les b ufs ne savent pas lire. » Je me souviens avoir alors pensé à l'article de Maurice Bloch intitulé « Why Do Malagasy Cows Speak French ? » [1998]. Mon interlocuteur me dit également que ce contrat était à l'origine de multiples projets « étrangers » qui incitaient les individus à monter des associations, « dont même des femmes et des adolescents pouvaient être les chefs », et il ajouta : « Si l'on met deux taureaux dans un seul parc, ils se battent. » Et de conclure :

  • 1 Le terme « pôlitiky » sera expliqué dans la suite de cet article.

La Gelose est un projet pôlitiky1 qui a introduit des conflits entre les habitants, de grandes divergences qui nous rendent plus pauvres.

5Comment expliquer le décalage qui existait entre la Gelose « vue d'en haut » et la Gelose « vécue en bas » ? Se pouvait-il que je sois tombée sur le seul village « gelosé » où le plan n'avait pas fonctionné comme prévu. Auquel cas il me fallait multiplier les études de cas.

  • 2 Équipe associée UR 026 de l'IRD/SSED-Université de Tananarive.
  • 3 Intitulée « Évaluation et perspectives des transferts de gestion des ressources naturelles dans le (...)

6J'allais bientôt poursuivre ma recherche en participant, avec mon équipe2, à une étude3 commanditée par des organismes de développement venus d'horizons divers (États-Unis, Suisse, France, etc.). Sans entrer dans le détail, précisons qu'entre les exigences de l'expertise et celles de la recherche nous avons obtenu un espace de liberté, âprement négocié, s'étendant trois fronts : le temps, la maîtrise totale des méthodes et le choix des terrains. Nous nous sommes intéressés à six villages situés dans différentes régions de Madagascar, engagés dans des processus de transfert de gestion de la biodiversité et, surtout, que nous connaissions bien pour les avoir étudiés bien avant leur entrée dans le monde du développement.

7Il ne s'agit pas, dans le présent article, de défendre les vertus du terrain contre la pensée globale et ses modèles universaux, ni d'exposer en détail les considérations du rapport final [Godefroit et al. 2004], mais de poser quelques questions importantes. Pour commencer, il convenait de chercher à savoir ce qui avait légitimé l'émergence de la Gelose dans le contexte international et national de l'époque, sachant que ce modèle se donne (dans sa conceptualisation tout au moins) tous les moyens pour éviter les écueils des autres modèles, présentés pourtant comme « vertueux ». Puis, pour comprendre les raisons pour lesquelles le projet avait dérivé, il fallait plus particulièrement que je me penche sur ce que l'on a coutume d'appeler « l'interface », qui se crée sur le terrain entre les maîtres d' uvre et les communautés villageoises. Dans le cas qui nous intéresse, il s'agit notamment du mauvais usage que l'on peut faire d'une démarche censée favoriser le dialogue. Enfin, il convenait d'étudier les résultats de la « démarche patrimoniale » inscrite dans la Gelose.

La genèse de la Gelose

8La littérature consacrée à la Gelose est abondante, provenant d'origines diverses, suscitant d'amples débats et mobilisant un très grand nombre d'acteurs. Je me propose de présenter d'abord le contexte dans lequel la loi de « gestion locale sécurisée » a été élaborée. Le retour aux sources de la pensée qui engendra cette loi me paraît indispensable car il me permettra de justifier du caractère exemplaire et unique de l'expérience qui consiste à penser autrement le développement, et qui a été tentée là.

LE CONTEXTE INTERNATIONAL

9Le début des années quatre-vingt-dix marque un tournant important dans la manière de penser le développement. Cette période charnière impose de prendre en compte certains paradoxes. On admet enfin que les programmes d'ajustement structurel, basés sur des modèles économiques et des projections, tardent à montrer leurs effets sur les économies nationales et que, de surcroît, ils ont souvent été accompagnés de dommages collatéraux. C'est donc à cette époque que l'on commence à réfléchir à l'élaboration de nouveaux outils de développement prenant en compte le « facteur humain ». Certains parleront de « filet de sécurité de l'ajustement structurel », pour justifier de la nécessité de mesures sociales permettant néanmoins de poursuivre dans la même voie. D'autres proposeront une concertation avec les populations locales pour s'assurer de leur adhésion, dans le cadre d'une approche « intégrée » et « concertée ». La décentralisation est en marche et les Nations unies inaugurent, en 1987, la « décennie mondiale du développement culturel ».

  • 4 Discours intitulé « Notre diversité créative », figurant dans le rapport de la Commission mondiale (...)

10L'Unesco et la Banque mondiale s'associent à ce projet car on sait désormais que le développement ne se limite pas à la seule croissance économique. Et, dans le discours qu'il prononce, Javier Perez de Cuellar4 interprète ce que Claude Lévi-Strauss disait quelque quarante années plus tôt, à savoir que c'est dans la culture que les groupes et les sociétés puisent leur énergie, l'inspiration et la liberté d'agir, en même temps que le savoir et la reconnaissance de la diversité, s'il est vrai, comme le disait en substance Lévi-Strauss, que la diversité culturelle est derrière nous, autour de nous et devant nous.

11Mais le début des années quatre-vingt-dix est aussi le moment où le monde prend conscience de l'explosion démographique et de la situation très inquiétante dans laquelle se trouve la planète d'un point de vue écologique.

  • 5 Théorie malthusienne.
  • 6 Propos tirés de la conférence « Culture et développement en Afrique », qui s'est tenue en 1992 sous (...)

12Tout se passe comme si le débat autour du développement s'emballait soudain [Goedefroit 2007]. On procède donc à un grand recyclage des théories économiques des années soixante. Et la nécessité d'agir pour sauver la planète appelle un coupable : dans ce contexte de globalisation en gestation, le coupable, c'est forcément « l'autre », celui que Garrett Hardin [1968] a pointé du doigt, ce voisin dont on ne sait rien sauf qu'il est peu enclin au bien-être commun ; ce pauvre qui ne peut que faire peser sur l'environnement le poids de sa misère5. Ces deux coupables n'en forment en réalité qu'un, qui, bien que compromettant l'avenir de la planète, est déclaré « innocent » pour cause de « mentalité à faire évoluer », d'« attachement excessif au passé et aux ancêtres » et de « non-conformité à un type de culture disposé au développement »6.

13Au début des années quatre-vingt-dix, on jongle avec ce paradoxe selon lequel ce sont les hommes qui détruisent la biodiversité mais qu'il est impossible de la conserver sans eux. Réunis à une même table lors des sommets, tous les intervenants sont d'accord pour dire l'urgence de trouver des mesures au niveau local. Si, pour les uns, c'est l'occasion de faire entendre la voix de la société civile (ONG), pour les autres, c'est l'occasion peut-être de se décharger du poids du local pesant sur leur rationalité.

14En 1992, à Rio, est signée la « convention sur la biodiversité biologique » dont l'article 8j énonce que « chaque partie contractante, dans la mesure du possible et selon qu'il conviendra, [...] respecte, préserve et maintient les connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales qui incarnent les modes de vie traditionnels ». Cet article est un parfait exemple de ces décisions prises de façon impulsive et dont on ne verra que plus tard combien elles sont difficiles à appliquer. Pour concrétiser un tel projet, il faut commencer par penser d'une manière nouvelle, et trouver des solutions méthodologiques adaptées à la diversité des contextes locaux et des cultures que l'on veut respecter et protéger. Il faut également disposer de temps, paramètre difficilement conciliable avec l'urgence. C'est là le second grand paradoxe de l'époque.

15Madagascar et l'expérience de la Gelose déploient ainsi leur exemplarité parce que l'emboîtement des contextes est tel qu'on y retrouve le transfert des équivoques et des paradoxes rencontrés aux sommets. Le cas malgache répond, de manière parfaite, aux nouveaux critères de développement où se combinent la pauvreté des hommes, la diversité des cultures et la richesse incomparable de sa biodiversité. Un terrain rêvé, donc, pour réfléchir à un nouveau mode de développement.

LE CONTEXTE MALGACHE

16À la même époque, Madagascar sort tout doucement d'une période de fermeture, engagée au lendemain de son indépendance. Durant les quelque vingt années qu'a duré la seconde République, les infrastructures routières se sont dégradées, isolant un peu plus les campagnes ; les conditions de vie se sont également dégradées (notamment l'accès aux soins, à l'éducation, etc.). Considéré comme l'un des pays les plus pauvres de la planète, Madagascar répond donc assez bien aux critères de l'aide, d'autant mieux que le pays jouit d'une biodiversité spécifique parmi les plus riches, qui le fera classer à la cinquième place des « hotspots de la biodiversité ».

17Le terrain était donc particulièrement favorable pour la mise en place d'un certain nombre de mesures urgentes, à la fois sociales et environnementales, les deux domaines étant liés. Il s'agissait aussi de régler la question du « libre accès » aux ressources tout en corrigeant une certaine inégalité inhérente au régime foncier malgache. En effet, à Madagascar, la législation foncière reconnaît la propriété privée et la propriété d'État. Les autres formes d'appropriation sont regroupées sous le vocable « tenure collective ». Pour prétendre à un titre foncier, il est nécessaire de faire la preuve de la « mise en valeur » des terres. Les titres étant nominatifs, cette procédure n'est pas accessible aux communautés villageoises, pour lesquelles le territoire est un bien commun. En outre, le droit foncier malgache ne reconnaît que la propriété du sol mais pas les droits d'usage, temporaires ou permanents, des ressources. Cela signifie que les vastes territoires villageois n'appartiennent pas à ceux qui les habitent depuis des générations ou bien encore que le paysan n'est pas, de fait, propriétaire des rizières.

18Au début des années quatre-vingt-dix, l'État malgache détient plus de 90 % du territoire national [Weber 1996 : 11] et encourage les investisseurs en leur proposant de signer des baux emphytéotiques. C'est la situation que décrit Laurent Berger dans ce numéro : on voit très bien comment les habitants se retrouvent en quelque sorte spoliés de leur territoire par l'installation d'une entreprise aquacole et comment, au final, un chef coutumier de premier rang y perd son sceptre et sa couronne. Le risque qu'avec l'ouverture du pays ce genre de situation ne se généralise était bien réel : on voyait (et on voit d'ailleurs encore) s'installer des réserves naturelles privées, des îles désormais réservées aux seuls touristes fortunés et de vastes espaces de culture industriels dans lesquels les anciens villages se trouvent enclos. Une situation qui nous rappelle, bien sûr, l'époque de la mise en place du système de concession par les colons, et la création des villages indigènes, à la fin du XIX siècle.

19Au début de la troisième République, on estime qu'il est temps d'agir et de « mettre en place de nouvelles conditions légales qui tiennent compte de la légitimité des acteurs locaux » [Montagne 2004 : 7]. Mais il ne faut pas oublier les divergences que masque l'unanimité des déclarations portant sur l'adhésion nécessaire des communautés villageoises au projet de transfert de gestion de la biodiversité, les raisons variant d'un acteur à l'autre.

20Pour Jacques Weber, l'un des penseurs de la Gelose à Madagascar, si on veut parvenir à « une forme de sécurisation des droits, de nature à rendre aux villageois une maîtrise de leurs conditions écologiques d'existence » [2005 : 45], il faut conduire à terme un projet qui aurait la force d'une réforme foncière, et, surtout, il faut rendre la parole aux communautés villageoises, trop longtemps exclues des décisions.

21Dans son rapport d'expertise, l'agronome Pierre Montagne [2004] précise que cette réforme se justifie par l'échec des réglementations antérieures. Il parle de l'incapacité de l'administration « à exclure, surveiller et punir partout et à tout moment [des communautés qui] continuaient à se référer à leurs pratiques (à leurs yeux pas forcément destructrices) et à leurs institutions locales en matière de gestion et d'utilisation des ressources naturelles renouvelables » [ibid. : 7]. Il ajoute que « l'enjeu des choix politiques faits au début des années quatre-vingt-dix était donc bien de mettre en place de nouvelles conditions légales qui tiennent compte de la légitimité des acteurs locaux pour faire face à cette situation de libre accès ». Et de conclure par cette phrase, qui balaie toutes les intentions et les déclarations de prise en compte des communautés :

L'État et ses partenaires au développement décidèrent de mettre en place un programme de soutien à l'environnement [...] le Plan d'action environnementale était né [id.].

22La lecture du texte de Pierre Montagne laisse quelque peu circonspect.

  • 7 Le principe du « libre accès » est-il applicable à la situation du début des années quatre-vingt-di (...)

23Pour certains, la Gelose est l'occasion, pour les populations, de se faire entendre dans la mesure où « les pauvres ne sont pas coupables » [Weber 2005] de l'état écologique de la planète ; d'autres approuvent ce projet parce qu'il faut enfin s'occuper de ceux qui profitent depuis bien longtemps d'un libre accès aux ressources, en raison de l'impuissance de l'État à punir7.

24Se pourrait-il que, à une autre échelle, la Gelose procède du même malentendu que celui qui, lors du Sommet de Rio en 1992, a permis l'adoption de l'article 8j ? Qu'il y ait opposition entre ceux qui choisissent de laisser les populations s'exprimer pour faire entendre leurs droits et leurs choix et ceux qui pensent que ces mêmes populations abusent de la nature, en toute innocence mais par des pratiques insoutenables ? La lecture des rapports et des comptes rendus rédigés à la suite des différents ateliers de concertation qui ont précédé la promulgation, en 1996, de la loi Gelose me conforte dans l'idée que les divergences s'accentuaient au fur et à mesure que la loi était élaborée.

  • 8 Je remercie ici M. Bloch, qui, en m'autorisant à lire un manuscrit à paraître, intitulé « Where Did (...)

25Quand, dans un même document, on peut lire des propos qui militent à la fois pour la prise en compte des droits des populations locales et pour que celles-ci changent de « comportement » et de « mentalité » et deviennent enfin « responsables », on peut s'inquiéter d'entendre à nouveau ce discours que l'on pensait révolu depuis longtemps. L'idée persiste selon laquelle les pratiques indigènes sont forcément « contre nature », et que c'est seulement s'ils opèrent un tel changement que les autochtones pourront être considérés comme des acteurs dignes de collaborer aux projets de développement, en général, et de leur propre développement, en particulier. On peut s'interroger sur la rémanence de cette très vieille question des rapports de l'homme à la nature, qui hante la discipline depuis plus d'un siècle et semble, ici, prendre des tournures qui nous échappent d'autant plus que nous prétendons avoir soldé la question de la maturité des sociétés, de leurs capacités réelles à inventer leur avenir. Manifestement cette question demeure d'actualité8.

26Si je m'intéresse aux intentions réelles et aux motivations qui ont présidé à l'élaboration de la Gelose, c'est parce qu'elles sont symptomatiques des contradictions de l'époque. Et ces contradictions sont, pour une bonne part, responsables des difficultés qu'a rencontrées la mise en  uvre de cette loi sur le terrain. Les détracteurs de la loi Gelose sont aujourd'hui nombreux, qui critiquent ses fondements et les principes qui la firent naître et proposent des réformes ou des amendements. Toutefois les réflexions qui ont sous-tendu l'élaboration de la Gelose me semblent exemplaires car elles ont le courage de relever le défi des paradoxes en proposant des possibilités de penser autrement.

AUX SOURCES DE LA PENSÉE DE LA GELOSE

27La Gelose vise à « restituer une place centrale aux populations locales ». Dans la communication qu'il a faite lors du colloque panafricain qui s'est tenu à Harare en juin 1996, Jacques Weber explique avec une grande clarté ce en quoi cette loi est novatrice par rapport aux procédures classiques de conservation de la biodiversité :

Poser la question des relations entre conservation et développement, entre aires protégées et populations locales, revient à poser celle des relations entre sciences de la nature et sciences de la société [1996 : 1].

  • 9 Contrat de gestion de la zone périphérique de l'aire protégée de Zahamena ; mise en place d'un plan (...)

28L'auteur nous rappelle que les politiques de conservation sont dominées par une représentation naturaliste des sociétés, « une vision biologique et mécaniste des relations société-nature, dans laquelle des individus ont une action directe de prédation sur l'écosystème » [ibid. : 4], alors que les instruments utilisés pour la mise en  uvre de ces politiques sont de nature économique, sociale et politique, et relèvent des sciences sociales. Il montre également que ces politiques « naturalistes » envisagent l'« approche participative » des populations à des projets toujours en termes de coûts de conservation plutôt qu'en termes d'objectifs de développement. Prenant pour exemple des expériences de terrain concernant diverses régions de Madagascar9, il affirme :

La conservation suppose de gérer les relations entre les hommes à propos de la nature bien plus que la nature elle-même [ibid. : 2].

29Et, dénonçant le caractère inique des pratiques de spoliation des populations dans le cadre des programmes de conservation de la biodiversité, il propose que les populations locales figurent au centre de ces programmes tant il est vrai que « les humains sont partie intégrante des écosystèmes que l'on entend conserver » [ibid. : 5].

30Cela requiert, écrit Jacques Weber [ibid. : 1], « une démarche alternative à la participation, fondée sur la négociation et le contrat. Ce changement d'approche dans la gestion locale implique une médiation et nécessite une réforme des cadres institutionnels et légaux au niveau national ». En d'autres termes, il n'est plus question de faire participer les populations locales mais de leur donner les moyens de s'entendre et de se faire entendre dans l'élaboration d'un projet de gestion ­ à long terme ­ de leur environnement naturel en leur permettant, dans un nouveau cadre légal, de signer un contrat avec l'État. Il ne s'agit pas de rendre les communautés villageoises propriétaires de leur territoire mais de leur permettre, par une démarche volontaire, de « négocier », dans un rapport d'égal à égal, « leurs conditions écologiques d'existence » avec les instances représentatives et décentralisées de l'État.

  • 10 Il convient de reconnaître en effet que d'ordinaire les nouveaux projets sont en premier lieu desti (...)

31Il me semble important de souligner dès à présent le courage intellectuel voire politique qui se dégage de cette nouvelle manière de penser, qui ressemble fort à un engagement, et ce même si l'époque se montrait favorable à ce genre de révolution. Tout d'abord, parce que cette autre manière de voir ne s'effraye pas de la complexité d'un terrain, Madagascar, sur laquelle elle entendait s'exercer10 et, surtout, parce qu'elle ne s'enferme pas dans la pure esthétique d'un intellectualisme stérile mais pousse l'exercice intellectuel bien plus loin, jusqu'à réfléchir aux modalités de sa mise en  uvre sur le terrain. C'est suffisamment rare pour que l'on revienne, même rapidement, aux principaux fondements méthodologiques qui sont à la source de cette nouvelle approche, de cette nouvelle démarche dite « patrimoniale ».

32L'« approche patrimoniale » est, en quelque sorte, l'outil qui permet la mise en  uvre des transferts de gestion de la biodiversité entre l'État et les communautés villageoises. Cette approche, qui a fait l'objet de nombreux travaux antérieurs à la loi Gelose [de Montgolfier et Natali 1987 ; de Montgolfier 1990], est construite sur un certain nombre de principes, de constats et de nécessités qu'il convient de rappeler, même rapidement, pour mieux en comprendre le bien-fondé.

33Un des principes fondamentaux de la mise en  uvre du transfert de gestion à Madagascar repose sur la nécessité d'une négociation entre tous les acteurs. Il ne s'agit plus de « faire participer » les populations locales à des projets aux règles prédéfinies mais de définir ces règles par l'interaction entre acteurs, en intégrant donc dès le départ leurs perceptions particulières. Cette position, radicalement inverse par rapport à la démarche participative, induit donc un autre principe, tout aussi fondamental et souvent souligné dans la littérature comme un prérequis à tout contrat de transfert : la demande de contrat doit faire l'objet d'une démarche volontaire de la part de la population concernée (communauté villageoise). Cela nécessite que l'on soit assuré de la parfaite adhésion de la communauté à la demande et, plus tard, que l'on soit assuré de la présence de tous les acteurs concernés par la négociation et/ou de la parfaite légitimité de leurs représentants.

  • 11 Référence est faite ici à la théorie des jeux et à la théorie économique de la coopération. Je revi (...)

34Le long terme est également un principe important, qui justifie l'affichage patrimonial de la démarche. Il repose sur l'idée qu'en encourageant les acteurs à discuter sur des objectifs à long terme (de l'ordre de vingt-cinq à trente ans), c'est-à-dire non plus pour eux-mêmes mais pour leurs enfants, on parvient mieux à cadrer les engagements de court et moyen terme. La projection dans l'avenir serait un moyen de contourner les processus habituels de gestion des conflits, qui, dans le cadre d'un libre accès à la ressource, s'ancrent généralement dans des références au passé, entraînant, dans le présent, des comportements de « passager clandestin » (free rider) qui se déploient, comme on le sait, au déni du bien commun et de la bonne gestion de la ressource11. Il s'agit donc d'identifier l'ensemble des acteurs concernés et de les encourager à débattre de la situation présente et de ce qu'elle sera demain, en supposant que les tendances actuelles demeurent. On pose ensuite l'hypothèse que les acteurs impliqués dans cette réflexion existentielle en viennent à admettre qu'il n'est plus possible de continuer ainsi. Ce constat permet d'engager les discussions sur les objectifs à atteindre pour construire un « futur souhaitable » et, à partir de là, de décider des mesures à court et moyen terme pour y parvenir.

35À la négociation s'ajoute la légitimité, à savoir le « contrat ». Celui-ci s'assortit d'une déclaration écrite, engageant à la fois la communauté villageoise et les représentants de l'État. Ce contrat revêt ensuite une forme plus originale, qui est l'une des particularités de la démarche patrimoniale inscrite dans la loi Gelose : la « ritualisation » des accords. Ceux-ci deviennent alors indiscutables, intangibles et inaliénables. Le principe consiste à passer par le rituel pour inscrire l'agrément de très long terme dans le symbolique [Weber 1996 : 10]. Cette ritualisation revient en somme à ancrer le processus de transfert dans la tradition et à traduire le contrat en termes coutumiers.

36L'ensemble de ces principes implique, d'une part, qu'une instance représentative de la communauté villageoise soit créée afin de gérer le contrat et, d'autre part, que l'on ait recours, tout au long du processus de transfert aux compétences d'une personne qui facilitera la communication : le « médiateur environnemental ». Son interface se joue entre « des représentations différentes du passé, du présent et de l'avenir » [ibid. : 6] :

Le médiateur peut être un scientifique, de préférence de sciences sociales, comme il peut être un politique, mais peu importe son appartenance disciplinaire ou professionnelle. Les qualités requises sont sa capacité d'écoute et de restitution des opinions, la capacité à légitimer les points de vue dans la négociation, surtout lorsque ceux-ci sont opposés. Il lui faut donc également une bonne capacité de synthèse [ibid. : 6-7, note 4].

37En pensant au terrain malgache, on pourrait contester le bien-fondé de certains préalables et de certains principes. À commencer par le principe du libre accès, qui me semble mal définir le statut des territoires villageois. Difficile donc d'imaginer que l'attitude de « free rider » puisse, dans ce contexte précis, être retenue comme une véritable tendance. Le fait que les acteurs puissent s'entendre sur le caractère non pérenne de la situation me laisse songeuse. On pourrait aussi s'interroger sur le sens du passage par la ritualisation car, même si celle-ci est pertinente, le risque existe que l'on en vienne à une « folklorisation ». On pourrait également se demander comment l'ensemble des acteurs peut être convenablement représenté sachant que, dans les assemblées, l'ordre hiérarchique qui domine les communautés ne laisse aucun droit à la parole à des personnes pourtant très impliquées.

38Cependant, cette démarche patrimoniale est une belle tentative de conciliation des impératifs du global (généralisation et modélisation incontournable, impératif du temps qu'impose l'urgence d'agir) avec les nécessités, tout aussi impérieuses (le rythme du temps et la prise en compte de la diversité du réel), qu'impose la simple adhésion à l'idée qu'il est grand temps de « restituer une place centrale aux populations locales ». C'est là un véritable défi. Je n'entends donc pas porter de jugement critique à ce sujet. Je m'interrogerai plutôt sur l'usage qui a été fait de cette pensée, de sa traduction, triviale selon moi, et des circonstances de son détournement qui participe à la volonté actuelle de certains de la travestir en grotesque.

La Gelose et ses usages « pôlitiky »

39Dix années se sont écoulées depuis qu'a été promulguée la loi 96-025 relative à la « gestion locale sécurisée ». Depuis, des expériences éparses, mais néanmoins nombreuses, ont été réalisées à travers l'ensemble des régions de Madagascar. Il est temps aujourd'hui de dresser un premier bilan. Les rapports d'expertise se multiplient et sont plus nombreux encore que ne le sont les contrats Gelose validés. Ils révèlent souvent que les procédures de transfert ont été impossibles à appliquer. Cependant les préconisations varient selon les experts. Certains proposent l'abandon, pur et simple, de l'expérience et militent pour un retour à une gestion plus dirigiste, excluant par là toutes les démarches qui ressemblent, de près ou de loin, à la « participation », à la « concertation » et à la « négociation » avec les populations locales et, en conséquence, proposent l'abandon de la démarche patrimoniale. D'autres pointent les difficultés de mise en  uvre du processus au niveau « intermédiaire » et l'incapacité ou l'impossibilité des instances décentralisées de l'État à assumer le rôle qui leur est dévolu dans ce processus de transfert et proposent un certain nombre d'aménagements de l'ensemble, mais non l'abandon de la démarche patrimoniale.

40Qu'il y ait eu, lors de la mise en  uvre de la Gelose, des détournements au niveau des instances administratives, c'est aujourd'hui une évidence. J'ajouterai même que, dès le départ, les promoteurs de cette loi les avaient envisagés :

D'après Murombedzi, la décentralisation de la gestion connaît un certain nombre de difficultés tenant à son caractère « top-down » et à la tendance de la bureaucratie à affirmer son contrôle. Enfin, la gestion serait de facto capturée par les districts reconnus par la décentralisation. Nous verrons que le processus malgache n'est nullement à l'abri de semblables évolutions [Weber 1996 : 10].

41Je ne parlerai toutefois que des difficultés rencontrées dans la mise en  uvre de cette loi au niveau strictement local. Ce type d'« accidents », non prévus et très rarement évoqués dans les rapports d'expertise, sont néanmoins fortement présents sur le terrain. Je n'évoquerai que ceux qui, lors de nos enquêtes, nous sont apparus comme les plus « classiques », quoique rarement mentionnés dans les expertises. Qu'ils soient le résultat d'une mauvaise interprétation des principes de la démarche ou le fruit de la concurrence entre les différents acteurs, il n'en demeure pas moins que ces accidents, que l'on propose de classer en trois catégories, contribuent à dénaturer l'esprit de la Gelose et confèrent son véritable sens au mot « pôlitiky » qu'avait prononcé le vieil homme.

DE LA VOLONTÉ AU DÉMARCHAGE

42Tout un pan de la Gelose et de la démarche patrimoniale reposant, l'une et l'autre, sur la négociation et non sur la participation, il est impératif que la demande de contrat émane des communautés villageoises à travers une démarche volontaire. Toutefois ces communautés n'ont qu'une connaissance restreinte voire nulle de la législation foncière et sont persuadées d'être propriétaires, de manière communautaire, de ces lieux balisés par la succession, dans l'histoire, de la présence de leurs ancêtres. Elles risquent de mal interpréter les contrats qu'elles passent avec l'État pour gérer leur environnement naturel et risquent également de se croire privées de leurs droits par le biais de man uvres politiques dissimulées derrière les aides au développement. Le « médiateur environnemental » est donc un personnage clef du dispositif de transfert, qui, endossant le rôle délicat de l'interface, devra non seulement disposer d'un grand nombre de qualités mais devra aussi être formé à cette fonction. C'est bien ce que prévoit la loi.

43Sans prétendre à la totale représentativité des cas étudiés lors de nos enquêtes, nous avons constaté que le principe d'information préalable et celui de la démarche volontaire n'ont pas été observés, car, à une exception près, la totalité des villages étudiés ont été, pour ainsi dire, « démarchés » par des agents travaillant pour des ONG. Il ne faut pas s'en étonner, les ONG étant précisément identifiées comme maîtres d' uvre privilégiés dans le cadre de la loi Gelose. Comment une ONG, rompue à l'approche participative, peut-elle, en peu de temps, changer sa façon de faire pour adopter le sens de la négociation ? Comment échapper au mélange des genres lorsqu'on a affaire aux mêmes ONG et aux mêmes personnes lors d'une campagne contre le sida ou lors d'une campagne pour la vaccination infantile ? Ce sont sans doute ces amalgames qui expliquent l'imprécision que la Gelose génère dans l'esprit des villageois.

44Portant sur les récits des conditions d'information et de mise en  uvre des contrats [Goedefroit et Feltz 2004], nos enquêtes révèlent un niveau d'information généralement faible et très inégal et, surtout, en total désaccord avec les principes de négociation et de concertation inscrits dans la démarche patrimoniale. Tout se serait passé comme si seuls quelques individus, soi-disant représentatifs de la communauté villageoise, avaient eu à gérer la mise en  uvre de la Gelose. On comprend donc mieux l'« amnésie » dont est victime une partie de la population.

  • 12 L'analyse à laquelle je me réfère ici porte sur 15 contrats et dépasse donc les 6 études de cas ini (...)

45Ces hypothèses méritaient d'être confrontées aux contrats de transfert12. Stupéfaits, nous avons vu que certaines ONG se montraient d'une grande efficacité lorsqu'il s'agissait de faire signer des contrats en fin d'année budgétaire. Or, si on peut apprécier ce dynamisme, on peut aussi s'inquiéter de ce que, par exemple, quatre villages voisins aient signé quatre contrats identiques ressemblant à des formulaires types dans lesquels la liste « ressources du territoire » est toujours la même. Ainsi un village se voit contraint, par contrat, d'abandonner la pratique de la pêche alors qu'il n'existe pas de ressource halieutique dans ses parages. Dans un autre village, la liste des espèces à protéger a, certes, été établie par les habitants, mais avaient-ils bien compris ce qu'on leur demandait ? On peut en douter lorsqu'on retrouve répertoriés, dans cette liste, des animaux domestiques (poulet, canard, chien, chat, zébu). Il paraît assez évident que, insuffisamment informés de ce qu'on attendait d'eux, les villageois ont aligné des noms d'animaux qui, pour eux, avaient une certaine « valeur » et qu'il convenait donc, en toute logique, de protéger. Il est clair que, vu sous cet angle, les poulets sont plus importants que les lémuriens, et les zébus que les crocodiles ! On est bien loin, très loin, de l'information préalable, de la démarche volontaire et de la concertation dans le temps long.

46Comment expliquer les dérapages qui apparaissent dès la première étape de la démarche patrimoniale ? On sait très bien qu'en matière de développement local il existe une concurrence importante entre les ONG  uvrant dans la même région et occupant le même créneau. Ces organisations partagent les mêmes contraintes (l'urgence, le nombre d'actions à réaliser) et les mêmes ressources (financements), et collaborent très peu entre elles. On peut dès lors s'attendre à ce que s'appliquent à ce genre de communautés les modèles les plus classiques du développement, à savoir la « tragédie des communs » ou encore le principe du « free rider », allant à l'encontre du bien commun que l'on devrait rencontrer au sein des « communautés de base » (CoBa) et que l'on entend justement combattre par des méthodes appropriées.

47La législation malgache portant sur le statut des ONG ne date que de l'année 1997, et, à l'époque, le contexte était d'une grande souplesse [Goedefroit et Razafindralambo 2002]. Pourra-t-on un jour mettre en place un projet qui régule le libre accès et les comportements de « free rider » rencontrés au sein de ces « communautés d'interface » ?

LA « SCÈNE » DU CHOIX DES REPRÉSENTANTS

  • 13 Loi 97-017, article 41, datée du 8 août 1997, qui révise la législation forestière. Voir aussi l'ar (...)

48Dans la démarche patrimoniale, la concertation entre tous les acteurs est le moyen de parvenir à l'élaboration d'un projet pensé et accepté par l'ensemble de la communauté. La représentation de cette dernière est indispensable au bon déroulement du projet. La loi13 reconnaît l'existence des acteurs via la redéfinition du concept de fokonolona (communauté villageoise). Apparu à l'époque coloniale, ce concept s'avère efficace pour réunir, sous une même étiquette, les diverses configurations des communautés villageoises. Une fois un projet conçu de manière communautaire, l'ensemble de la communauté est invité à élire ses représentants, qui rejoindront le bureau de la CoBa, association légalement constituée, qui doit veiller à la juste application du contrat et fournir des rapports aux instances décentralisées de l'État. Pour rappeler à l'ordre des contrevenants, la CoBa peut recourir aux tribunaux et à la police.

49Comment, concrètement, constitue-t-on le bureau d'une association détenant un tel pouvoir au sein de la communauté ? On peut s'interroger sur l'aspect démocratique de l'élection ­ qui renvoie à une multitude d'autres interrogations portant par exemple sur le sens du mot « démocratie », lorsqu'on considère les rapports de force qui s'instaurent en la circonstance, ou encore sur le sens même que l'on donne au mot « représentativité » ­ puisque la terre est une affaire d'hommes, d'autochtones et d'aînés, et toujours dépendante de la configuration des communautés.

  • 14 Le mot fanjakana est ici utilisé dans le sens de « pouvoir politique ou administratif ».

50Considérons tout d'abord la position d'une communauté villageoise invitée à élire le président et les autres membres d'une association devant la représenter. Qu'est-ce qui peut motiver un individu à se présenter et un autre à ne pas s'impliquer, sachant que le niveau d'information sur la nature du projet est généralement faible ou inégal ? La réponse se trouve dans la composition des bureaux et dans les propos de nos informateurs. On constate que les individus qui possèdent un pouvoir légitime sur la terre, ou qui font autorité (membre d'un lignage fondateur de village, possédé, devin-guerisseur...), ne sont que très rarement président de la CoBa et que, quand ils rejoignent le bureau, ils occupent une position subalterne. En effet, ils perçoivent souvent le contrat de transfert comme une chose « étrangère » et ne voient pas très bien l'intérêt de rentrer dans un projet qui leur permettrait d'acquérir un pouvoir de gestion et de contrôle qu'ils détiennent déjà. Ils ne comprennent pas vraiment pourquoi ces droits, qui portent sur un domaine purement traditionnel (les droits à la terre), acquis par héritage ou par un savant calcul de filiation, devraient faire l'objet d'une reconnaissance et d'un contrat avec l'extérieur. En d'autres termes, ils ne se sentent pas concernés et, considérant que c'est là une affaire d'« étrangers » ou venant du fanjakana14, ils laissent généralement cette tâche à ceux qui sont tout indiqués pour le faire, à savoir les « étrangers » au village ou nouveaux venus, ou ceux qui se montrent les plus « modernes ».

51Le profil type du président de la CoBa est le suivant : il s'agit d'un homme, jeune (moins de 40 ans), installé depuis peu au village ou ayant résidé à l'extérieur du village quelque temps, sachant écrire et/ou lire ou, en tout cas, montrant des dispositions pour discuter avec les étrangers et pour régler les affaires de « papiers » (instituteur ou autre). Il se montre dynamique (ce qui plaît beaucoup aux promoteurs de projets) et moderne : par sa tenue, mais aussi par le fait qu'il est adepte d'un culte évangélique et entend agir « contre » les formes les plus traditionnelles de croyances jugées comme étant des superstitions, « des blocages » au développement de son village. Il est donc critique vis-à-vis du pouvoir des « vieux » et est très intéressé par toute forme de projet « étranger ». Parfois il est à l'origine de l'installation de la première association dans le village et, par là même, se trouve être président du bureau.

52Quel intérêt une telle personne peut-elle trouver à s'investir dans un projet de développement, qui, justement, concerne un domaine géré par les « aînés », et qui passe par tout un système de droits et de pouvoirs dans lequel il occupe une place marginale ou de second ordre ? C'est précisément parce qu'il peut alors faire bouger un système qui fonctionne en sa défaveur et acquérir un certain statut, et ce grâce à un soutien étranger. La stratégie n'est pas toujours consciente et la position pas toujours aussi individualiste. Mais la situation est telle.

53La conséquence la plus directe est que, surtout en ce qui concerne la gestion du territoire et de ses ressources, deux pouvoirs coexistent dans un même village : un pouvoir ancien et préexistant, seul capable de faire appliquer des mesures et pourtant très peu impliqué dans les projets de transfert (un pouvoir invisible pour le regard extérieur ?) et un pouvoir plus moderne et plus bureaucratique, soutenu de l'extérieur mais souvent incapable d'appliquer les mesures. Le risque est que des tensions apparaissent entre ces deux pouvoirs, entraînant l'échec du transfert et, bien sûr, l'existence de conflits et de scissions. Je reviendrai, dans la troisième partie de cet article, sur cette éventualité qui a fait dire à mon vieil interlocuteur qu'on ne met jamais deux zébus mâles dans un même parc sans courir le risque qu'ils ne se battent.

54Nous sommes donc dans un système de courtage très classique [Bierschenk et al. 2000], admis comme un mal nécessaire [Goedefroit et Feltz 2004]. Ce système fonctionne d'autant mieux que les maîtres d' uvre de la Gelose sont étrangers au village et que, ne disposant pas d'étude préalable, ils ne savent que peu de chose de la structure sociale de la communauté. En effet, ils s'intéressent à la biodiversité d'un lieu, mais aucune mesure n'est prise ou nos études de cas n'en ont-elles tout du moins relevé aucune, pour s'assurer de l'état organisationnel de la communauté villageoise concernée, des hiérarchies de pouvoir qui pourtant régissent l'accès aux ressources et leur usage, des principes d'autochtonie et de préséance tout aussi importants. Le contexte aussi est omis : tout semble se passer comme si on avait à chaque fois affaire à une population dont la seule spécificité était d'être malgache et comme si le contexte était forcément « vierge » de toute intervention extérieure ou, si ce n'était pas le cas, comme si ces interventions antérieures ne venaient en aucune sorte interférer avec le nouveau projet.

55Or, comme je l'ai montré dans un précédent article [Goedefroit et Feltz 2004], la configuration sociale et les formes d'autorité varient fortement d'une communauté villageoise à l'autre. C'est cette réalité qui se cache sous l'étiquette de « fokonolona ». D'une certaine manière, on peut dire que cette ignorance des conditions réelles favorise l'émergence de ce phénomène. La personne qui possède le profil que nous avons décrit plus haut est même souvent encouragée par les ONG à poser sa candidature à la présidence de la CoBa. En effet, elle semble réunir toutes les qualités requises, y compris celle de savoir écrire, ce qui paraît fondamental dans la gestion du projet de transfert. Ce critère, à lui seul, ne découragerait-il pas les « vieux » à s'investir ?

56On sait que la composition du bureau de la CoBa est peu représentative de la communauté villageoise, et on peut supposer que c'est son président qui en maîtrise l'élection en fonction des critères de représentativité des « étrangers-maîtres d' uvre ». Ce que confirment les comparaisons, auxquelles nous avons procédé, entre la composition du bureau de la CoBa et la composition de la communauté villageoise. On constate, en effet, dans le bureau, une forte représentativité (70 % en moyenne) des alliés (affins, matrimoniaux, consanguins) du président et donc une très faible représentation des autres catégories d'habitants (autochtones, par exemple), qui occupent toujours une place secondaire (second conseiller, par exemple). En revanche, vu de l'extérieur et selon d'autres critères, le bureau affiche une cohérence parfaite : représentation féminine (fréquemment l'épouse ou la belle-s ur du président, qui occupe la place de « trésorière »), présence de jeunes et de « vieux ». Mais jamais de « vieilles ». Et, fait non négligeable, cette représentativité vise surtout à satisfaire les institutions extérieures. C'est dans la catégorie des « vieux » qu'on retrouve un fort pourcentage d'autochtones, le président faisant appel à un parent par alliance.

57On peut supposer que le choix des représentants du bureau de la CoBa correspond à la rencontre de deux « ignorances mutuelles » ou plutôt de deux « intentionnalités » : celle des intervenants extérieurs et celle des villageois, chacun croyant devoir répondre à ce qu'il imagine être le désir de l'autre. À ce rendez-vous des subjectivités, certains se sentent particulièrement conviés, investis en somme de la mission d'agir pour le bien de l'autre. C'est sans doute là que se produit « la » véritable rencontre entre les « étrangers » (travaillant dans le cadre d'une ONG) et ceux qui, perçus également comme « étrangers » au sein de leur village de résidence, voient dans ce rendez-vous un moyen, d'une part, d'être reconnus comme représentants d'une communauté qui tarde à les reconnaître et, d'autre part, de faire « évoluer » les choses.

58Sur ce point, je pense que les expressions habituellement employées pour qualifier ce comportement (« courtage », « comportements adaptatifs », « effets pervers ») ne recouvrent qu'imparfaitement la complexité de la réalité. Ce n'est pas forcément par intérêt personnel, mais aussi par engagement, que certains revêtent, de manière opportune, des habits de courtiers. Qu'ils soient bénévoles d'ONG, « facilitateurs » ou encore « médiateurs environnementaux », appointés par un projet de transfert de gestion de la biodiversité, ou encore laissés pour compte dans le village où ils vivent, tous sont mus par un engagement qui les fait se rejoindre. On verra, dans la troisième partie, que cette façon de penser « ce qui est bien pour l'autre » recèle une véritable capacité d'agir sur le réel.

LES TRADITIONS OPPORTUNES

59Pierre Montagne écrit :

La communauté locale de base est assistée par un médiateur environnemental agréé qu'elle choisit. Le médiateur environnemental veille à l'équité du contrat. Le contrat est préparé techniquement par un bureau d'étude privé, agréé également, choisi par la communauté locale de base [2004 : 11].

60On peut se demander comment, en brousse, des villageois peuvent choisir un bureau d'étude. La réalité prend plutôt, nous l'avons vu, la forme d'un démarchage.

61Il existe une grande diversité dans la manière dont les contrats de transfert sont présentés, négociés et mis en place par les ONG via les médiateurs environnementaux. Cette liberté prise avec les modalités, pourtant réfléchies en amont, relève d'une traduction différenciée de la part des maîtres d' uvre, qui agissent non pas en conformité avec le modèle ou en adéquation avec le contexte local mais par référence à des éléments extérieurs, forcément étrangers. Je me suis interrogée précédemment sur les risques de « dérapage » dans le passage d'une approche « participative » à une démarche « de négociation » et ai montré comment la mise en  uvre de la « démarche patrimoniale » se voit parfois fortement modifiée par les contraintes (urgence, rentabilité, ressources financières...) et par le jeu de la concurrence entre ONG. Mais, de toute évidence, ce ne sont pas là les seuls critères qui expliquent ces différentes façons de faire et de traduire l'idée originelle de « démarche patrimoniale ».

62L'origine d'une ONG, sa culture, son idéologie et sa façon de percevoir une communauté villageoise et ses actions sur la biodiversité infléchissent sa manière de faire. À quoi bon construire un modèle global si, dès l'instant où il se retrouve dans les mains des maîtres d' uvre, il se voit totalement remanié suivant des formules très diverses ? La « démarche patrimoniale » est fortement soumise aux contingences culturelles des ONG (américaines, françaises, allemandes, japonaises ou suisses), lesquelles ont leur propre usage de l'outil et, ce faisant, n'obtiennent pas les mêmes résultats.

63Les concepteurs des outils du transfert de la gestion de la biodiversité et, surtout, de la gestion des ressources naturelles renouvelables ont eu soin de prendre en compte les paramètres culturels des populations concernées : c'est là une évidence inscrite dans le concept et dans les modalités. Mais pouvaient-ils a priori imaginer que d'autres facteurs culturels, totalement étrangers, interagiraient dans le processus, entraînant un dévoiement plus ou moins important de l'idée d'origine et ayant des effets très différents sur les populations ? La question qui se pose est celle de la place qu'on accorde à la « culture » dans la conceptualisation des nouveaux outils de développement et de l'« usage » qu'on en fait. Que la culture soit présentée comme un « frein au développement » ou, au contraire, comme une richesse mondiale ; qu'elle soit présentée comme un élément qu'il faut prendre en compte, comme dans le cas de la loi Gelose : elle ne concerne jamais, et de manière très opportune, que la culture des autres.

64Loin du discours qui préconise la « concertation » et l'invitation à réfléchir à un futur « souhaitable », le discours que les médiateurs « servent » aux villageois ressemble davantage à ceci :

Il est grand temps de changer de mentalité car, si vous continuez à détruire la richesse de vos ancêtres, vos enfants n'auront plus de quoi vivre... La nature a une fin... Il faut que vous réagissiez de toute urgence : nous sommes là pour vous y aider...

65C'est un glissement par rapport à la consigne initiale. On est loin du rêve d'une projection dans la longue durée.

66Lorsque nous interrogeons des médiateurs et des responsables d'ONG sur ce glissement du discours, tous prétendent que ce langage convient parfaitement à la « démarche patrimoniale », laquelle, profondément, doit changer les mentalités des villageois en leur faisant comprendre combien leurs pratiques sont « nuisibles » à l'environnement et combien « il est temps pour eux d'évoluer, de se développer ou encore de s'ouvrir ». Et de poursuivre en disant que c'est là leur rôle et que si les villageois pouvaient prendre conscience de la menace immédiate que constituent leurs pratiques, le projet irait d'autant plus vite. Question donc d'efficacité.

67Ces propos sont pourtant relativement modérés vu la tendance actuelle qu'ont certaines ONG à diaboliser les pratiques traditionnelles et à annoncer la fin imminente de la nature. Nous avons pu constater en effet que cette tendance variait sensiblement selon le pays d'origine (Suisse, Japon, France, États-Unis) et que ce regard s'accentuait lorsque l'ONG avait pour vocation la préservation de la nature « contre » l'action de l'homme. Sur ce point les analyses de Janice Harper [2002] confortent les nôtres. Nous avons également noté que, lorsque le médiateur environnemental était d'origine urbaine et avait fait des études universitaires, il avait une plus grande propension à instaurer une distance entre sa position et celle des communautés villageoises, en portant un jugement encore plus affirmé sur l'urgence qu'il y avait à rompre avec les traditions et les croyances irrationnelles, et, ce qui est surprenant, avec l'analphabétisme. Or il se trouve que les médiateurs environnementaux sont en grande majorité recrutés dans cette catégorie.

68En l'occurrence, on devine que le médiateur environnemental, issu de la ville et ayant fait des études, adhère facilement au discours des ONG, qui, par leur culture d'origine et la source de leur financement, optent pour une idéologie conservationniste radicale. Il suffit d'ajouter à cela l'adhésion du médiateur à un nouveau culte réformé, phénomène très puissant à Madagascar aujourd'hui et qui facilite parfois l'embauche dans une ONG, pour que l'invitation à la réflexion et au rêve se commue en prêche : la diabolisation des pratiques et l'annonce de la fin imminente du monde servent alors de média à l'idée de la Gelose.

69En conclusion de cette deuxième partie, je souhaite revenir aux propos du vieil homme. En malgache, « pôlitiky » n'est pas l'équivalent de « politique » en français. En mars 2006, lors de sa leçon inaugurale au Collège de France, Maurice Bloch a précisé le sens de ce terme lorsqu'il est utilisé pour qualifier le comportement des enfants face à celui des adultes. Selon lui, le passage de l'enfance à la vie d'adulte consiste en un long apprentissage à devenir « pôlitiky », lequel permet d'apprendre à cacher ses intentions réelles en les enrobant de discours « acceptables » ou « convenus ». On comprend donc un peu mieux ce que voulait nous dire ce vieil homme. Et, tout bien considéré, il faut reconnaître qu'il a fait le choix du bon mot pour qualifier la situation. Preuve ainsi que « la restitution de la parole » aux villageois, inscrite dans la Gelose, était, tout compte fait, une excellente chose.

Les impacts des projets environnementaux

70Quand un projet de développement n'atteint pas son objectif, on commence par en chercher les raisons et, surtout, les coupables. Puis on décide de l'abandonner, de le maintenir ou de mettre en  uvre de nouveaux projets. Mais ce n'est que très rarement que l'on se préoccupe des traces laissées sur le terrain par ces projets abandonnés, c'est-à-dire de la « pollution » de l'environnement communautaire que provoquent ces expériences, non réussies mais souvent reproduites.

71Des experts du développement s'interrogent sur ce qu'ils appellent la « résistance des populations » à des projets pourtant conçus pour elles, et observent que, étant de nature culturelle, celle-ci est difficilement « maîtrisable ». Il est vrai que l'on constate, depuis quelque temps, une certaine « crispation » du terrain vis-à-vis des étrangers et que cette crispation est plus perceptible encore dans les villages qui accumulent les expériences de projets de développement abandonnés pour des raisons que manifestement on leur a peu ou pas expliquées. Un climat de défiance se propage de village en village et atteint même les villages les plus reculés, ceux qui n'ont pas encore été touchés par le « développement ».

72J'en déduis qu'il sera de plus en plus difficile de « négocier » avec les communautés. En effet, les habitants restent seuls pour gérer les « restes » abandonnés de ces projets. Certains restes sont matériels : on se les partage ou on les recycle (meubles, t-shirts, postes de radio, bâtiment en dur). D'autres, invisibles, auront des effets plus insidieux qui affecteront le système villageois, depuis son organisation jusqu'à ses représentations. On oublie sans doute un peu trop souvent qu'à l'heure actuelle les « contextes locaux » d'intervention du développement sont rarement vierges d'actions antérieures et que toute intervention exogène entraîne forcément des modifications endogènes au sein de ces communautés. Il y aurait alors des seuils de charge à ne pas dépasser et une pression « anthropique » sur le milieu humain à bien évaluer.

73Ces considérations sont valables pour tout projet de développement local et quelle que soit sa nature. Elles ne pointent donc pas du doigt la Gelose. Cependant, les projets mettant en jeu les ressources naturelles et la biodiversité, qu'il s'agisse de projets de valorisation, de transfert ou de conservation, bouleversent parfois l'équilibre de ces communautés qui obéissent depuis longtemps à des codes régissant le droit d'accès et d'usage de la terre, ainsi que le droit d'antériorité sur le territoire. Dans cette troisième partie, j'entends donc accorder mes propos à la voix de ce vieil homme qui a si bien choisi ses mots.

JAMAIS DEUX TAUREAUX DANS LE MÊME PARC !

74Il faut se rendre à l'évidence : un projet de développement ne peut fonctionner sans interface ou sans représentant des communautés villageoises, ce qui oblige à constituer des associations locales. Ce processus donne un cadre légal à cette instance et identifie aussi un pôle d'interface, tout à la fois garant et partenaire, capable d'assurer de nouvelles contingences comme, par exemple, gérer les fonds de cotisation et de financement, rédiger un rapport, etc. Mais il faut savoir que le système associatif est une chose nouvelle et étrangère pour ces communautés villageoises, qui connaissent bien d'autres modalités de gestion de tontine et de projets. Il faut savoir aussi que, dans ces sociétés, la légitimité d'un individu au pouvoir ou qui exerce une fonction de représentativité est une chose tellement évidente qu'elle ne souffre aucune palabre, aucun débat. Elle s'impose, pour ainsi dire, d'elle-même, dans le silence. J'aurais presque envie de dire que le fait même d'en parler est en soi une remise en cause de cette légitimité. Une manière assez « pôlitiky », en somme, de contester l'éminence du « politique ».

75Il me semble que les anthropologues qui connaissent Madagascar me suivront dans cette idée : on ne parle que de ce qui paraît superfétatoire et on tait toujours, par décence ou par respect, l'évidence. On comprendra peut-être un peu mieux le pourquoi de l'absence des autorités véritablement légitimes lors de la grande « scène », organisée par les ONG, du choix des représentants de la CoBa, et ce indépendamment de leurs véritables bonnes intentions que je n'entends nullement ici contester.

76Une association villageoise rencontre souvent un contre-pouvoir au sein même de sa propre communauté. Pour ce qui est de la Gelose, lorsqu'on met un projet en route, c'est dans les premières années que l'on recueille le plus grand nombre de plaintes. Rapidement, le nombre des plaintes décroît. Ce phénomène est souvent interprété par les acteurs extérieurs comme une preuve de la bonne gestion du projet ou de l'efficacité du contrôle exercé par les membres de la CoBa. Mon interprétation est différente.

77Étant donné la composition du bureau de l'association et le profil de son président, on conçoit que, très vite, des problèmes apparaissent, révélant des tensions anciennes au sein de la communauté, et bâillonnées jusque-là. Il y a conflit entre l'association et la communauté villageoise. Il n'est pas anodin d'observer que les manquements au contrat les plus souvent dénoncés concernent les pratiques d'élevage. Ce qu'évoquait notre informateur lorsqu'il affirmait que les villageois n'avaient plus le droit de laisser leurs b ufs paître dans la forêt. Dans la réalité, il s'agit là d'un artifice qu'utilisent les nouveaux représentants, lesquels, marginaux ou étrangers, n'ont pas de bétail et souhaitent mettre au pas ceux qui, riches en b ufs, détiennent le pouvoir autochtone dans le village. Sous la métaphore des taureaux enfermés dans un même parc, s'exprime, en fait, l'affrontement viril de deux légitimités, de deux candidats au pouvoir.

  • 15 Pour plus de détails sur ce sujet, voir S. Goedefroit et G. Feltz [2004].

78Dans un second temps, des dissensions internes apparaissent au sein même du bureau de l'association, qu'un examen un peu plus détaillé en termes d'organisation permet de rendre visibles et même prévisibles. On constate en effet que l'ordre naturel des générations, ou encore l'ordre d'aînesse, se retrouve inversé15. De telle sorte que le beau-père, ou le frère aîné, par exemple, se voient, au sein de l'association, soumis aux ordres du beau-fils, ou du cadet, obligés de se taire et de leur laisser la parole. Quand la porte de la case ayant abrité les réunions s'ouvre, l'ordre naturel reprend sa place et les tensions se cristallisent dans l'injonction d'un retour à la « décence ». L'affaire prend des proportions que l'on peut difficilement imaginer, contamine les relations au sein des familles et des foyers. Untel nous explique que la trésorière de l'association, femme du président et fille du second conseiller, a dû choisir entre son père et son époux. Tel autre, jeune président, nous rapporte l'attitude de son frère aîné, trop traditionnel à son goût et « ne connaissant rien aux papiers », et qui entendait pourtant parler en premier. Un phénomène de « babélisation » étreint soudain la communauté villageoise et les réunions du bureau de l'association. Faute d'entente, plus aucune plainte n'est déposée, ce qui, de l'extérieur, est perçu comme l'expression d'un grand calme, preuve d'un parfait ordonnancement.

79Il n'est pas rare, à ce stade, que des membres du bureau décident, de manière individuelle, de monter leur propre association pour se faire entendre. La venue d'ONG et les campagnes de sensibilisation créent alors les opportunités.

Même les femmes et même les kidabo (adolescents) ont maintenant leur association, dont ils sont les chefs.

80Ce sont les mots utilisés par notre vieil informateur pour expliquer les conséquences de la mise en  uvre de la première association dans son village : efflorescence soudaine de nombreuses associations, qui « introduit des conflits entre les habitants, de grandes divergences qui nous rendent plus pauvres ». Ce phénomène de prolifération des associations n'est pas particulier aux villages « gelosés » mais accompagne tous les projets de développement, comme j'ai eu l'occasion de le montrer dans mes précédents travaux sur les fronts pionniers de la pêche crevettière [Goedefroit 2002].

81La fragilisation du pouvoir autochtone par cette nébuleuse d'associations déséquilibre parfois fortement les relations entre autochtones et migrants, ce que l'on peut observer dans le renversement des alliances matrimoniales [ibid.]. Elle conduit souvent à l'inefficience de l'ancien système de contrôle des droits d'accès et d'usage des ressources naturelles du territoire mais très rarement à l'édification d'un nouveau pouvoir communautaire. Tant et si bien que cette situation de « vacance » de contrôle ferait le lit des comportements de « free rider », antérieurement marginaux, que l'on entendait pourtant à tout prix éviter en mettant en place une loi permettant justement de juguler les débordements propres à la situation de « libre accès ». C'est bien cette hypothèse que je souhaite exposer en apportant quelques nouveaux exemples de terrain.

STRESS ÉCOLOQIQUE

  • 16 Résultats obtenus à partir d'enquêtes croisées (cartes mentales, analyse de la récurrence des mots (...)

82Quand la sensibilisation se commue en diabolisation des pratiques et que l'invitation à construire un futur « souhaitable » devient l'annonce de la fin du monde naturel, les habitants des villages subissent une modification de leurs schèmes de représentation16, accompagnée d'une forme de stress que j'ai qualifié d'« écologique ». Celui-ci se traduit, avec une certaine fréquence, par un changement radical des pratiques : des individus se mettent à pratiquer le brûlis forestier alors que, quelques années plus tôt, ils le dénonçaient avec force. Aujourd'hui, la manière dont un tel discours est reçu par les individus peut être énoncée de la sorte :

S'il est vrai que la nature va bientôt disparaître à cause des pratiques qu'on nous transmet depuis des générations, alors nous n'avons plus de temps à perdre. Ces forêts qui sont sur nos territoires sont les nôtres. Il n'est pas normal que seuls les étrangers s'enrichissent en y cultivant le maïs sur brûlis ou en transformant la forêt en sacs de charbon. Si nous attendons trop, la forêt sera morte sans que nous ayons pu recueillir notre part d'héritage.

83Les familles se mobilisent alors dans l'urgence pour prendre avant que l'autre ne prenne, persuadées d'agir en toute légitimité. Elles délaissent leurs cultures et leurs troupeaux et se rapprochent parfois même des étrangers pour apprendre d'eux les meilleures techniques pour détruire la forêt avec plus d'efficacité et de rentabilité. Ces rapprochements infléchissent les comportements matrimoniaux et on retrouve, dans les cartes généalogiques, des alliances, inimaginables quelque temps auparavant, comme celle d'un grand autochtone fondateur de village avec la s ur d'un étranger « brûleur de forêts ».

84Qu'elles soient le résultat d'un comportement basé sur l'éviction ou sur l'émulation, si ces pratiques se propagent avec cette vitesse c'est aussi parce que le système de contrôle autochtone, qui, jusque-là, avait permis de les éviter, est trop affaibli pour pouvoir gérer autant de débordements. Ce phénomène expliquerait la multiplication des demandes de titrage, portées à titre individuel par des présidents d'associations villageoises depuis une dizaine d'années environ. La législation malgache reconnaît, en effet, la propriété individuelle et n'accorde que peu de droit aux autres formes d'appropriation, fussent-elles coutumières, classées dans la rubrique « tenure collective ». Elle reconnaît la mise en valeur comme une légitimité à apporter à la demande de titrage mais n'accorde la pleine propriété que lorsque cette demande est portée de manière individuelle. Raison pour laquelle les communautés villageoises, qui considèrent leur territoire comme une propriété communautaire, ne parviennent pas à faire reconnaître, par l'État, leur droit de propriété, et ce depuis la promulgation de cette loi au début de la période coloniale.

  • 17 Loi 96-030, article 02, datée du 15 septembre 1997, portant sur le régime général des ONG et inscri (...)

85Il convient de rappeler que le droit de propriété foncière n'est accordé qu'aux nationaux, ce qui explique les procédures classiques des baux emphytéotiques, portant généralement sur une période de quatre-vingt-dix-neuf ans, procédures par lesquelles passent les investisseurs étrangers. Mais la loi relative au statut des ONG17 leur laisse une grande liberté et leur permet de réaliser d'importants bénéfices. Ces articles de loi mis bout à bout décrivent un grand espace où les intérêts individuels trouvent les moyens légaux d'une certaine entente. Ainsi ai-je pu constater que, sous couvert d'actions humanitaires  uvrant dans le cadre du développement rural, des ONG étrangères ont, en passant par la création d'associations villageoises dûment enregistrées comme telles et constituées en réalité de salariés nationaux, réussi à faire titrer des parties de village afin d'offrir une certaine « sécurité foncière » à la réalisation de projets touristiques vendus sur Internet comme « un dépaysement assuré et la découverte de sites remarquables ».

86On aurait bien tort de croire que ce type de situation est à ranger dans l'ordre de l'improbable. Nos études de cas témoignent plutôt de la consternation des habitants de certains villages, qui, à l'arrivée des agents de l'administration venant poser des bornes, découvrent que c'est celui-là même à qui l'on avait confié le rôle d'interface avec les étrangers, parce que précisément il était étranger lui-même, qui est devenu le seul et unique « propriétaire du village » aux yeux du fanjakany, c'est-à-dire du représentant du pouvoir administratif. Cette situation d'expropriation, qui, peut-être parce qu'elle fait intervenir un agent extérieur, nous paraît inacceptable, est pourtant l'une des conséquences réelles de la traduction, sur le terrain, des préceptes de modèles de développement les plus vertueux. Un risque de détournement auquel même la Gelose n'échappe pas puisque la situation que je viens de décrire est directement inspirée d'un cas réel reposant justement sur un contrat de Gelose.

87Voyant de quelle manière et avec quelle rapidité les comportements opportunistes de « free rider » se multiplient dans ces villages, je ne suis pas loin de penser qu'en voulant à tout prix lutter contre des comportements, imaginés loin du terrain et à l'appui de modèles théoriques, ces projets de développement ne les ont pas en réalité favorisés à un endroit où antérieurement ils étaient assez marginaux. Ce qui, de manière différée mais à terme, donnerait raison à tous ceux qui avaient, sans trop de preuve empirique, pressenti que c'était bien là une tendance générale de l'être humain.

Conclusion

88Le monde du développement ne prend ni le temps de la réflexion, ni celui d'un retour sur l'expérience, ni celui de penser « comment faire ». Il me semble que cela correspond à ce qui se passe actuellement sur la scène nationale malgache, dans l'articulation entre les différentes échelles : ce qui se décide lors des sommets, ce qui se décide lors des déclarations du premier représentant de l'État, de la traduction qui en est faite par les différents acteurs (représentants des instances décentralisées de l'État ou maîtres d' uvre appartenant à tous les horizons), de la manière dont est reçue cette parole, et des effets qu'elle a sur les populations véritablement concernées.

89Il s'avère, en effet, que, depuis l'élection du président actuel, le maître-mot à Madagascar est devenu le « développement rapide et durable ». Bien que l'on comprenne aisément la source d'inspiration de cette idée et, par là, du vocabulaire employé, un rapide passage sur le terrain devrait suffire pour se rendre compte que ces deux adjectifs sont difficilement conciliables en réalité. Pourtant l'idée est là, et un économiste, expert auprès de la Banque mondiale, s'est même dit heureux de constater que le discours prononcé par le président de Madagascar, lors du sommet de Durban en 2002, s'inspirait directement de ses propres projets et tentatives de modélisation [Carret et Loyer 2003]. Or, sans même s'interroger sur l'absurdité de la projection, à l'échelle de tout un pays, d'une démarche qui consiste à comparer la rentabilité de l'exploitation de 1 hectare de manioc cultivé sur la forêt avec les grands profits que l'État pourrait tirer à l'avenir en protégeant ses forêts et en les exploitant à des fins touristiques et durables, on ne peut que s'inquiéter, dès à présent, des suites et des conséquences, pourtant bien prévisibles, qu'engendrerait la mise en  uvre effective de ce puissant défi : parvenir, en dix ans, à créer 6 millions d'hectares de « zone de conservation prioritaire ».

90De retour de Durban, on est tous conviés à s'attabler, dans un rythme effréné de réunions, pour trouver les solutions pratiques et rapides à la mise en  uvre du projet du président. En assistant à ces étranges rituels qui consistent finalement à apporter des preuves qui confirmeraient ces nouvelles idées qui sont dans l'air du temps, on comprend mieux les raisons profondes de cette précipitation à faire le procès de la Gelose et, plus encore, de la démarche patrimoniale. Alors que, de toute évidence, les critiques émises sont valables pour toute forme de projet, qui, ainsi conçu, ne peut que subir cet effet « top down » qui accompagne le passage de l'échelle globale à l'échelle locale. Tout cela ne serait donc qu'un prétexte pour dire qu'en rendant le droit à la parole aux « gens », on perd beaucoup de temps.

91Mais cette précipitation à aller de l'avant, en faisant l'économie de la parole des autres, ne serait-elle pas un grand retour en arrière ? Un retour aux idées de l'« avant-Rio », en marche pourtant vers des solutions d'« empowerment » des communautés villageoises qui se concrétiseront, sans doute, dans les années à venir, par ce projet pharaonique de six millions d'hectares d'aires protégées ou de parcs destinés à assouvir la curiosité de touristes, qui, en payant leur ticket, devraient rendre cette opération « rentable ». À moins que (et cette solution est envisagée) des investisseurs privés ne s'intéressent à cette opération : on parle en effet d'une chaîne de grands magasins américains qui serait prête à soutenir ces projets de parcs.

92Six millions d'hectares pour un pays qui compte environ douze millions d'habitants. Que fera-t-on de ces villageois, maintenant qu'on sait que l'on ne peut conserver la nature que contre l'action de l'homme ? On peut se demander s'ils ne se verront pas « déplacés » vers des lieux qui se transformeront vite en « camps de réfugiés écologiques ». Il faudra alors gérer les conséquences de l'« après-Durban », et cela permettra peut-être de revenir en arrière, aux idées nées lors de la conférence de Rio en 1992, où l'on réfléchissait aux moyens de redonner aux autres le droit à la parole. Ce sera aussi le moment de reconnaître l'intérêt de la Gelose, un projet pensé comme une réforme mais qui eut sans doute l'« outrecuidance » de se donner « une génération » pour réussir.

93Le monde du développement semble mû d'un grand balancement d'avant en arrière, et en avant, rythmé par le vent des idées qui soufflent aux sommets.

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Bibliographie

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Carret, J.-C. et D. Loyer — 2003, Comment financer durablement les aires protégées à Madagascar ? Paris, AFD Éditions.

Chaboud, C. et S. Goedefroit — 2005, « Interactions entre pauvreté et dynamique de la biodiversité marine et littorale dans le sud-ouest de Madagascar », in Actes de l'atelier « Dynamique de la biodiversité et modalités d'accès aux milieux et aux ressources, Fréjus, 7-9 septembre 2004 » : 80-84.

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— 2005, « Environnement : les pauvres ne sont pas coupables », Sciences humaines 49 (hors série : Sauver la planète ? Les enjeux sociaux de l'environnement) : 40-45.

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Notes

* Cette mission a été réalisée dans le cadre d'un programme de recherche intitulé « Enjeux sociaux et économiques de la biodiversité dans un contexte de grande pauvreté », sous la double tutelle de l'Institut de recherche pour le développement et de l'Institut français de la biodiversité. Voir C. Chaboud et S. Goedefroit [2005].

1 Le terme « pôlitiky » sera expliqué dans la suite de cet article.

2 Équipe associée UR 026 de l'IRD/SSED-Université de Tananarive.

3 Intitulée « Évaluation et perspectives des transferts de gestion des ressources naturelles dans le cadre du Programme environnemental 3 » (USAID, Intercoopération suisse, JICA, Coopération française).

4 Discours intitulé « Notre diversité créative », figurant dans le rapport de la Commission mondiale de la culture et du développement, publié en 1995 sous l'égide de l'Unesco et des Nations unies.

5 Théorie malthusienne.

6 Propos tirés de la conférence « Culture et développement en Afrique », qui s'est tenue en 1992 sous l'égide de l'Unesco et de la Banque mondiale, et qui a été publiée en 1994 sous la responsabilité scientifique de I. Serageldin et J. Taboroff. Voir aussi le site fastnet.ch.

7 Le principe du « libre accès » est-il applicable à la situation du début des années quatre-vingt-dix ? Les territoires villageois correspondent davantage à ce qu'il convient d'appeler un « bien communautaire » [Goedefroit 2002]. La confusion de Garrett Hardin [1968], pourtant depuis longtemps dénoncée, semble ne pas avoir été comprise par certains acteurs du développement.

8 Je remercie ici M. Bloch, qui, en m'autorisant à lire un manuscrit à paraître, intitulé « Where Did Anthropology Go ? Or The Need for Human Nature », m'a permis de nourrir cette interrogation.

9 Contrat de gestion de la zone périphérique de l'aire protégée de Zahamena ; mise en place d'un plan d'aménagement forestier durable de la forêt d'Ankeniheny ; création de l'aire protégée de la baie de Baly, etc.

10 Il convient de reconnaître en effet que d'ordinaire les nouveaux projets sont en premier lieu destinés à des sites « pilotes » qui, parfaitement balisés, ne risquent pas de contredire les modèles.

11 Référence est faite ici à la théorie des jeux et à la théorie économique de la coopération. Je reviendrai sur l'opportunité de l'usage de ce terme dans la suite de cet article.

12 L'analyse à laquelle je me réfère ici porte sur 15 contrats et dépasse donc les 6 études de cas initiales.

13 Loi 97-017, article 41, datée du 8 août 1997, qui révise la législation forestière. Voir aussi l'article de Philippe Karpe dans ce volume.

14 Le mot fanjakana est ici utilisé dans le sens de « pouvoir politique ou administratif ».

15 Pour plus de détails sur ce sujet, voir S. Goedefroit et G. Feltz [2004].

16 Résultats obtenus à partir d'enquêtes croisées (cartes mentales, analyse de la récurrence des mots dans les discours) réalisées en deux étapes : avant la mise en  uvre du projet (1991-1994) et après (2003-2004).

17 Loi 96-030, article 02, datée du 15 septembre 1997, portant sur le régime général des ONG et inscrite au JO de la République de Madagascar.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sophie Goedefroit, « La restitution du droit à la parole »Études rurales, 178 | 2006, 39-64.

Référence électronique

Sophie Goedefroit, « La restitution du droit à la parole »Études rurales [En ligne], 178 | 2006, mis en ligne le 01 janvier 2006, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/8338 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.8338

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Auteur

Sophie Goedefroit

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