1DANS UN OUVRAGE RÉCENT qu'ils ont codirigé, Les territoires du médiéviste, Benoît Cursente et Mireille Mousnier [2005] proposent courtoisement d'ouvrir un débat sur les modalités de la dynamique historique des formes paysagères. Et ce, dans un paragraphe qui clôt un développement sur les rapports entre géographie et histoire, et en référence au dossier d'archéogéographie paru il y a trois ans dans Études rurales [Chouquer ed. 2003] :
Il est vrai que l'air du temps pousse à privilégier aujourd'hui l'auto-organisation comme processus d'évolution dominant les formes paysagères. Nous renvoyons ici à la brillante théorisation des principes de cette « paléogéographie » (sic) que Gérard Chouquer a livrée par ailleurs. On se trouve donc en présence de deux approches et de deux visions : d'un côté un espace auto-organisé indépendamment de la volonté et de la conscience des habitants ; de l'autre côté un espace organisé par les différents pouvoirs conjointement avec l'ensemble des acteurs sociaux. Il est clair que notre ouvrage se situe dans cette seconde mouvance, tout en veillant à laisser grandes ouvertes les voies du dialogue scientifique.
2La question de l'intentionnalité et de la conscience historique est au c ur de l'interrogation. Il y aurait donc, d'un côté, une théorie de l'auto-organisation de l'espace comme loi indépendante de la conscience et de la volonté des habitants et, de l'autre, une théorie de l'espace organisé par les pouvoirs, dans l'intentionnalité du projet social.
3Dans cette contribution au débat, je me propose de dire que cette présentation, sous forme d'opposition dialectique, n'est pas fondée et que les archéogéographes pratiquent un va-et-vient constant entre les différentes approches. Je le ferai en développant quatre idées : 1) nous sommes des spécialistes de l'intentionnalité autant que de l'auto-organisation des formes ; 2) nous observons, chez plusieurs médiévistes, le même cheminement épistémologique que le nôtre et, par conséquent, il n'y a pas lieu de nous opposer ; 3) les médiévistes choisissent la spatialisation contre la morphologie au lieu d'associer ces deux dimensions ; 4) l'auto-organisation est un des six plans qui concourent à la dynamique des formes et non un plan à opposer à l'histoire dans ce qu'il est devenu courant d'appeler une « relation face-à-face ».
41) Comme tous mes collègues le font aussi, j'enseigne aux jeunes chercheurs l'idée qu'aucune recomposition d'objets historiques n'est valable si le chercheur n'a pas fait la preuve de sa capacité à pratiquer une discipline scientifique, dans toute la richesse de ses protocoles et de ses raffinements épistémologiques. Pourquoi ? Parce que, pour proposer une recomposition il faut en passer par l'assimilation des résultats de disciplines très spécialisées et que, pour comprendre la nécessité des raffinements des autres disciplines, il n'y a pas de meilleure école que d'en pratiquer soi-même une à fond.
5Moi-même, depuis maintenant trente ans, j'apprends et produis dans le domaine spécialisé de l'arpentage romain et de l'analyse des formes. Précisément, la spécialité que j'ai choisie illustre on ne peut mieux la problématique de l'espace organisé par un pouvoir. Les travaux de reconnaissance des centuriations que j'ai effectués m'ont permis de réfléchir à des problèmes aussi strictement historiques que l'assignation, la formation des territoires et des cités antiques, la fiscalité, l'archivage cadastral, la dynamique de l'ager publicus, etc. Dans le volume d'Études rurales que citent Benoît Cursente et Mireille Mousnier, j'ai écrit un article sur ces questions, qui montre que je ne délaisse pas ce qui est mon quotidien. Je suis donc étonné que mes collègues n'en tiennent pas compte.
6Veulent-ils laisser penser que la situation serait différente au Moyen Âge ? Pour avoir présidé le jury de thèse de Cédric Lavigne, Benoît Cursente sait bien que cet archéogéographe que j'ai formé travaille, lui aussi, sur une problématique entrant directement dans cette seconde mouvance, celle des pouvoirs produisant du territoire. D'autres également : les recherches de Ricardo Gonzalez Villaescusa sur l'Espagne ou la France méridionale, et qui ont trait à la dynamique des paysages antiques et médiévaux, vont dans le même sens. La question que je pose est la suivante : pourquoi de tels travaux n'ont-ils pas été retenus, parmi les autres, pour figurer dans ce recueil, puisqu'ils portent sur le midi de la France, objet du livre ? En intitulant leur ouvrage « les » territoires du médiéviste, les éditeurs invitaient à la coexistence de différentes approches. Ce pluriel limité contredit leurs bonnes intentions.
7Pour mettre les dynamiques de l'espace au centre de leur propos, les archéogéographes n'en sont pas moins historiens, et ils n'ont aucun état d'âme à envisager la projection sur le sol de modèles issus des élites sociales et des pouvoirs. Simplement, ils essaient de faire la différence entre réaliser ce genre d'étude, dans la connaissance de la complexité des dynamiques, et verser dans l'historicisme.
82) En lisant le volume, j'ai relevé de nombreuses avancées qui vont exactement dans le même sens que ce que nous faisons, tout en portant sur d'autres objets que ceux que nous avons étudiés jusqu'ici. On me pardonnera de ne pas pouvoir citer tout le monde.
9À tout seigneur tout honneur : comment ne pas apprécier l'invitation à l'étude de la complexité des espaces ordinaires par laquelle Benoît Cursente termine son propre article dans le volume cité [2005 : 166-167] ? Comme lui et d'autres (on verra plus avant le jugement de Robert Fossier), je pense que le territoire médiéval doit se prêter à l'épreuve de l'association et de la confrontation de diverses réalités, certaines étant mieux étudiées par les textes, d'autres par l'archéologie, d'autres encore par l'archéogéographie, d'autres, enfin, bénéficiant du recours, prudent, au comparatisme. Qui ne voit pas que mêler des réalités, aux temporalités resserrées et documentées par des textes, à des réalités spatiales, aux temporalités plus variées et même distendues, documentées par des matérialités archéologiques ou des formes planimétriques, conduit à une vision réellement enrichie des espaces et des territoires médiévaux ?
10Comment, ensuite, ne pas être séduit par cette position théorique de Laurent Schneider [2005 : 324-325] lorsqu'il propose, à la suite de Claude Raynaud, que l'archéologie définisse les territoires en s'affranchissant de la « région », héritage des géographes ? Une archéologie qui atteindrait un niveau d'autonomie conceptuelle (l'expression est dans le texte), c'est exactement la même chose que ce que nous proposons lorsque nous souhaitons découvrir des processus que l'histoire périodisée ne permet pas d'atteindre.
11En avançant dans le volume, le lecteur découvre les réflexions de Florent Hautefeuille [2005a : 401-416]. Ce chercheur est conscient des interférences que la vision contemporaine peut provoquer sur la réalité médiévale. Il constate avec subtilité que « le SIG est certainement moins adapté à des sources hétérogènes qu'aux documents fiscaux tels que compoix et terriers » (p. 416). De même il observe que l'outil gomme le temps. Or il se trouve que la question de fond que pose l'archéogéographie est bien celle d'un mode de prise en compte des discontinuités qui ne soit pas un lissage, par l'historien, de catégories résistantes. J'ai déjà eu l'occasion, dans une chronique publiée dans un précédent numéro d'Études rurales [Chouquer 2005 : 309] de souligner l'intérêt du travail de Florent Hautefeuille. Je citerai une troisième référence, cette fois dans un ouvrage collectif sur les origines de la paroisse rurale [Hautefeuille 2005b : 24-32].
12Ces travaux, relevés à titre d'exemples, sont bien, selon moi, dans l'esprit de l'archéogéographie (nous retenons ce nom plutôt que « paléogéographie » qui est monopolisé par les paléontologues et les préhistoriens), en ce sens qu'ils réfléchissent à un nouveau régime d'historicité des espaces, différent de celui qui a été hérité des problématiques des XIX et XX siècles et qui se fonde sur une valorisation de l'archéologie et de la morphologie dynamique. Mais peu importe que les chercheurs s'appellent historiens, archéologues ou géohistoriens : c'est la communauté d'esprit et l'esprit d'ouverture qui comptent.
13En revanche, il n'est pas indifférent d'observer que ces excellents travaux conduisent vers de nouveaux objets spatiotemporels. Attendons que ces objets émergent, que la cartographie des liens nouveaux qu'ils tissent avec le reste des éléments historiques soit établie et nous pourrons apprécier le renouvellement des problématiques qui s'annonce. Reconnaissons à Benoît Cursente qu'il a une haute conscience de cette nécessité du changement, désir que j'avais déjà relevé dans la chronique à laquelle j'ai renvoyé précédemment [Chouquer 2005 : 308].
143) Mais vers quel espace se dirigent les médiévistes réunis par Benoît Cursente et Mireille Mousnier ? L'un des aspects les plus ambigus du volume est le suivant : plusieurs auteurs donnent à voir tout l'intérêt de recherches qui « spatialisent » les sociétés médiévales. Dans un article conclusif intitulé « Quand la carte interroge le territoire », Mireille Mousnier [2005 : 417-437] dresse le bilan de ce que la géographie spatiale ou spatialiste et la chorématique en particulier peuvent apporter à l'histoire médiévale. On sait que ces recherches privilégient les réseaux de points aux trames de lignes, les lois aux particularités. On ne peut que souscrire et rester attentifs aux résultats qui ne manqueront pas d'être produits dans les années à venir.
15Mais qu'en est-il des formes ? Dans un autre article méthodologique, Jean-Loup Abbé fait le constat de l'échec de l'analyse des formes par l'école historico-géographique allemande et française. Selon lui, l'analyse régressive présente un risque réel :
Le fixisme est favorisé par une survalorisation du document planimétrique, qui, par définition, masque tout dynamisme en présentant un état figé sur le plan, la carte ou la photographie [Abbé 2005 : 398].
16Il réclame alors qu'on se fixe moins sur les origines des formes et qu'on accorde une plus grande attention aux dynamiques dont elles sont l'objet.
17Je me permets de faire remarquer que c'est précisément l'objet de l'archéogéographie que d'apprendre des documents qu'on ne peut étudier une centuriation romaine ou un parcellaire médiéval qu'à travers ce que les formes sont devenues dans le temps long, avec toutes les difficultés que cela implique. J'invite Jean-Loup Abbé à prendre connaissance des observations que nous faisons sur la façon très inégale dont une centuriation antique se projette dans un espace et sur ce qu'elle devient avec le temps. Elle n'en existe pas moins !
18Avec cette mise en scène des options géographiques, le message délivré est ambigu. Les lecteurs pourront penser que la bonne voie géographique est celle qui part du point et spatialise, s'aidant des outils théoriques (les lois de l'espace, les chorèmes) et pratiques (les systèmes d'information géographique) que la géographie a formalisés. Mais ils pourront également penser que la voie de l'analyse des formes est désuète et risquée : or, c'est celle qui part des trames de lignes et de surfaces, et leur accorde une (relative) autonomie par rapport aux habitats. C'est celle qui dit que, malgré le regroupement progressif de l'habitat (les points), les formes du parcellaire (les trames) ont continué à transmettre des modes d'organisation hérités de l'Antiquité, selon une modalité auto-organisée dont l'archéologie fournit de nombreux exemples [Durand-Dastès et al. eds. 1998]. C'est aussi celle qui dit que, dans la régularité que montre un parcellaire hérité et qu'on étudie, en effet, sur des documents nettement postérieurs aux faits, il y a l'héritage du projet d'assignation ou de fiscalisation. Je suis donc surpris que, souhaitant développer la seconde mouvance, celle des espaces organisés par les pouvoirs et les différents acteurs sociaux, on se prive d'un des moyens de le faire. Le pessimisme personnel de Jean-Loup Abbé n'est pas la bonne réponse à l'attente de la communauté de recherche.
194) J'en viens au fond pour dire que l'opposition entre les deux mouvances ne correspond pas à la réalité des situations historiques. Qu'est-ce que l'auto-organisation sinon une modalité de la dynamique qui fait qu'une intentionnalité sociale donnée, traduite dans l'espace, peut exercer un effet organisateur bien après que les conditions sociales qui lui ont donné naissance ont totalement disparu ? Je ne surprendrai pas les médiévistes en disant que la trame des villages français actuels, née de dispositifs fondamentalement médiévaux (et même parfois antiques), exerce encore aujourd'hui, en tant que trame, des effets organisateurs sur nos formes de communication, nos formes d'occupation du sol, sur nos regroupements territoriaux. Pour autant, aucune des maisons composant lesdits villages ne date de leur période de fondation et n'est même à l'emplacement précis des toutes premières maisons. Ainsi, toute forme, planifiée ou non, inscrite dans un espace, connaît ce processus, sauf quand elle est arasée ou définitivement scellée par un recouvrement sédimentaire important. Dès lors, pourquoi devrait-on refuser de qualifier le régime d'historicité de ce genre de réseau fonctionnant dans la durée, y compris dans la longue ou la très longue durée ?
20Cette série de remarques reste encore, néanmoins, à la surface des problèmes. Pourquoi, dès qu'il faut qualifier une dynamique, devrait-on se contenter de recourir à seulement deux modalités : l'intentionnalité des pouvoirs agissant pour conformer l'espace ; l'auto-organisation non intentionnelle ? Pourquoi faudrait-il s'en tenir à une position épistémologique qui n'a pas bougé depuis un siècle, opposant, d'un côté, organicisme et fixisme (l'auto-organisation spontanée) et, de l'autre, culturalisme et historicisme (l'intentionnalité sociale) ? Pourquoi reproduire, en histoire médiévale, l'impasse qu'a connue le débat géographique dans les années 1960-1970 ? On se souvient que l'académisme de la géographie descriptive était devenu tel que les géographes ont procédé, avec raison, à une refonte totale de leur discipline, avec la « nouvelle géographie » dite spatiale. On sait toutes les avancées que cette refonte a suscitées. Mais les fondateurs de l'époque ont imprudemment déclaré que l'analyse des formes était morte et, plutôt que de rénover la vieille et poussiéreuse géographie descriptive, ils l'ont abandonnée. Roger Brunet a, tout aussi imprudemment, écrit :
On peut analyser les variations spatiales d'un élément du paysage ou d'un groupe d'éléments sélectionnés (cas d'une bonne partie de la géographie classique, étudiant par exemple les formes de l'habitat, ou la forme des champs, ou celle des clôtures, etc.) ; cet effort ne paraît susceptible de réussir qu'à condition de se souvenir que chaque élément n'a d'existence que par rapport à un système, qui a produit nombre d'autres éléments, et par conséquent de ne jamais évacuer ces derniers de l'analyse. À la limite, on peut même se demander s'il est réellement possible de mener une telle analyse avec succès et de dépasser une simple typologie formelle (cas, aussi, d'une bonne partie de la géographie générale classique, si l'on se souvient d'une certaine approche de l'habitat rural ou des « paysages agraires ») [1995 : 13].
21Quarante ans après, les médiévistes s'engageraient-ils à leur tour dans la même impasse ? Le Moyen Âge de demain sera-t-il chorématique, spatialiste, mais toujours sans analyse de formes ? Je sens poindre un plaisant paradoxe : on va finir par trouver des lois à ce qui n'en n'a pas ou peu, et refuser le bénéfice de la régularité à ce qui a été objectivement intentionnel.
22Il faut donc poser d'autres bases et sortir du manichéisme : spontané versus intentionnel. C'est l'objet du traité d'archéogéographie que l'équipe que j'encadre est en train de rédiger. Pour desserrer ce n ud, les archéogéographes définissent plusieurs plans interactifs qui produisent les dynamiques spatiotemporelles, par associations et conflits de formes et selon des modalités et des niveaux à décrire à chaque fois. Ce sont : l'héritage (et non les origines), l'émergence (les situations de front pionnier, de première occupation ou réoccupation de l'écoumène), le projet (la façon dont les élites pensent l'aménagement de l'espace), l'organisation (les efforts des sociétés pour gérer les réalités locales), l'auto-organisation (le processus qui fait qu'une chose créée échappe à la seule raison qui l'a produite pour entrer dans d'autres configurations et d'autres dynamiques) et la représentation spéculaire (le besoin d'une description ou d'un récit du monde).
23Le récit historique sur l'espace et le territoire ne devrait plus consister à faire la synthèse, à niveau égal et constant, entre le sédiment, les faits sociaux, les formes, le végétal, les matériaux archéologiques, les idées (ce qui correspond aux catégories actuelles du rangement), même s'il faut en passer par là pour établir les matérialités. La synthèse, sauf à être utopique, n'est pas réductible à une espèce de Système d'information géographique unique, dans lequel chaque plan serait documenté à l'égal des autres, puisque ce qu'il importe de connaître ce sont précisément les variations du rapport entre les plans, c'est-à-dire les discontinuités. Le récit, et c'est en cela qu'il est envisageable, consistera à comprendre et à exposer les formes d'association et de conflit entre ces différents plans.
24Ainsi définie et articulée à d'autres plans, l'auto-organisation n'apparaît pas comme étant « le » nouveau moteur de la dynamique, qu'il faudrait employer pour remplacer le vieux moteur de l'historicisme. Il n'y a pas à créer de relation face-à-face. L'auto-organisation est un des six processus actuellement identifiables qui concourent à créer la dynamique, ni plus ni moins.
25« Quels territoires pour les médiévistes de demain », ai-je demandé en ouverture de cette discussion ? Le lecteur du volume de Benoît Cursente et Mireille Mousnier constatera qu'à côté d'excellentes contributions, d'autres montrent des signes de fermeture. C'est le cas de l'article d'Aline Durand, laquelle, prenant acte du désintérêt croissant des médiévistes pour l'histoire et l'archéologie du monde rural, qualifie la recomposition des objets initiée par l'archéogéographie de « dérive » représentant « un danger majeur et pervers » [2005 : 367]. Elle en appelle aux maîtres d'hier dont l'horizon paraît indépassable.
26Serions-nous, en effet, coupables d'ignorer ce que Robert Fossier pense de l'archéogéographie ? L'aveuglement est tel qu'il convient de citer ici un passage explicite de ce maître :
La difficulté d'accès aux problèmes d'occupation de l'espace vient largement du caractère inapproprié des sources qui pourraient nous abreuver. Le rassemblement des écrits comportant des données de parcellaire, de surface, de taille, ou de limite est loin d'être entamé. Les répertoires dressés, par exemple par R.-H. Bautier et J. Sornay sur quelques régions, constitueraient déjà une base ; mais il faudrait y joindre tout ce qu'apporteraient les terriers, censiers, aveux, etc., sans perdre de vue, évidemment, que l'enseignement n'en peut être que ponctuel ; ponctuel et décevant : qui d'entre nous n'a pas dû renoncer, épuisé, à des essais de reconstitution de parcellaires ruraux et même urbains ? Les microtoponymes ? Encore faudrait-il qu'on les trouve bien fixés et anciens. L'iconographie ? Quelques gestes, quelques paysages ; mais ce sont des topoï sans réelle valeur. C'est donc l'archéologie qui sera la voie la plus sûre ; l'archéogéographie tout d'abord, c'est-à-dire la recherche, au travers des cartes, des photographies aériennes, des linéaments actuels ou anciens du paysage : des itinéraires, des parcellaires fossilisés, des habitats disparus pourront ainsi renaître. Et la fouille dégagera des remblais de bout de champ, des sillons couverts d'herbe, sans compter ces techniques d'étude du paysage végétal ancien que sont la palynologie, dendrologie, carpologie, et j'en passe. Il ne faut donc en rien désespérer de cette recherche, mais on voit bien que son caractère pluridisciplinaire, extensif, coûteux ne peut que bien difficilement être l' uvre d'un chercheur isolé [Fossier ed. 2002 : 21].
27Que dit Robert Fossier ? Que l'analyse de l'espace s'épuise à ne se fonder que sur les textes et les microtoponymes et que la voie de la rénovation passe par l'archéologie, dont l'archéogéographie est la dimension morphologique ou géographique, tandis que l'archéologie en est la dimension matérielle, et l'archéologie paléo-environnementale, la dimension écologique.
28Par conséquent, Aline Durand ferait mieux d'interroger ses collègues. N'est-ce pas à la suite de son article que l'on trouve celui de Jean-Loup Abbé, dans lequel ce dernier, déçu du parcellaire, en revient à la prééminence de l'historien (de textes) sur l'archéologue et le morphologue ? Il écrit :
Aussi bien pour l'organisation du parcellaire que pour la métrologie (les mesures et leur évolution), c'est la documentation écrite (qui est) susceptible d'apporter le plus, même si son traitement est long et ardu. Il importe de continuer dans cette voie pour consolider l'indispensable analyse régressive des paysages [Abbé 2005 : 399].
29C'est-à-dire le contraire de ce que dit Robert Fossier.
30Si Benoît Cursente et Mireille Mousnier ont pris soin, dans l'introduction du volume, d'avertir le lecteur de ce que l'ouvrage n'est « porteur d'aucune thèse nouvelle, ni le manifeste d'aucune “école” » (p. 14), le lecteur pourra constater qu'il fait même état de certains reculs.