Navigation – Plan du site

AccueilNuméros171-172*De l’attache des chevaux à la féc...

*

De l’attache des chevaux à la fécondation des femmes en passant par la cuisine

Quelques pistes pour l’exploration des notions altaïques de chaud et de froid
Carole Ferret
p. 243-270

Résumés

Résumé
L’attache des chevaux, récursive dans l’usage que les peuples turco-mongols de Sibérie et d’Asie centrale font de cet animal, ne s’explique que par les représentations indigènes du chaud et du froid et peut être rapprochée d’autres pratiques motivées par des justifications d’ordre thermique, dans des domaines aussi divers que la cuisine, la reproduction ou la médecine. L’étude d’un obscur détail des techniques équestres peut donc amener à dévoiler tout un pan des systèmes symboliques, certaines catégories qui structurent obstinément une vision du monde.

Haut de page

Texte intégral

1En étudiant les techniques équestres des peuples turcophones de Sibérie et d’Asie centrale, j’ai été intriguée par un fait particulier. Il s’agit de l’obligation d’attacher les chevaux après le travail, les privant de nourriture et d’abreuvement pendant plusieurs heures ou même des journées entières. Cette habitude, qui ne laissait pas de surprendre les observateurs russes du xixe siècle, est répandue de la Iakoutie au Turkménistan, et tous les éleveurs de cette zone respectent ce principe bien que les races de chevaux et leurs usages diffèrent fortement.

2Comment expliquer ce caractère général et impératif de l’attache, et que peut-elle nous apprendre sur la perception altaïque du monde ? Tentons de résoudre cette énigme en faisant leur part à l’idéel et au matériel tout en reconnaissant leur étroite imbrication.

L’énigme de l’attache

3Ces sociétés pastorales pratiquent toutes, à l’exception des Turkmènes, un élevage extensif où les troupeaux de chevaux paissent en liberté. Dans un espace ouvert, où les enclos sont rares, il existe deux moyens pour contrôler la mobilité des chevaux afin de disposer de montures en permanence : l’attache et l’entrave. L’entrave ne fait que limiter les déplacements de l’animal et n’empêche pas le pacage, alors que l’attache, si la corde est suffisamment courte, interdit à la fois tout déplacement et toute alimentation. L’herbe de la steppe étant l’aliment principal sinon unique du bétail, attacher signifie priver de nourriture.

  • 1 La fonction symbolique des sèrgè, érigés aux moments marquants de la vie de la maisonnée, a toujour (...)

4Le cheval est attaché à un piquet, à un poteau d’enclos chez les Iakoutes ou encore à une corde fixée en hauteur entre deux poteaux chez les Mongols [Aubin 1986 : 135], ce qui lui donne le loisir de faire quelques pas, mais non de brouter. De nombreux auteurs ont décrit les poteaux d’attache pour les chevaux, particulièrement le sèrgè iakoute1, et ont insisté sur la signification rituelle et symbolique de cet objet anthropomorphe. Mais peu se sont intéressés à l’attache en tant que geste technique, qui représente pourtant, selon moi, la clé de l’usage altaïque des chevaux.

L’attache, première étape du dressage

  • 2 Hormis les ethnonymes, écrits en transcription francisée, j’utilise la translittération internation (...)

5Les poulains en prennent connaissance très tôt puisqu’ils sont attachés dès leurs premiers mois pour permettre la traite et la fabrication du kumys (lait de jument fermenté). Ils sont capturés, attachés pendant la journée à une corde fixée à ras de terre entre deux petits piquets, nommée žele (žele kirghize ; želì kazakh ; sèlè iakoute ; zèl mongol)2, et détachés la nuit pour pouvoir téter. La longueur du žele est signe d’abondance : plus la corde est longue, plus les poulains sont nombreux, donc les poulinières également, et le kumys coule à flots. Aussi « étendre sa corde d’attache des poulains » est-il l’expression d’un souhait de prospérité.

6L’apprentissage de l’attache constitue souvent la première étape du dressage, même pour les poulains dont la mère n’a pas été traite. Capturé dans la taïga iakoute, le cheval est attaché à un poteau solide et y demeure plusieurs jours en attendant d’être débourré. Après chaque étape du dressage, il est de nouveau attaché afin de se calmer et de « refroidir» avant d’entamer l’étape suivante. À l’autre extrémité de l’aire culturelle, les Turkmènes – qui élèvent leurs chevaux de manière totalement différente – débutent, eux aussi, le dressage par l’apprentissage de l’attache. Le poteau d’attache représente un point fixe qui fait connaître au cheval l’inflexibilité de la volonté humaine.

Entraîner, c’est attacher

  • 3 Cet emprunt – qui reste à démontrer –, ajouté aux conseils sur la mise en condition des chevaux pro (...)

7C’est dans l’attache que réside également le secret de la réussite de l’entraînement aux courses. Paradoxalement, entraîner un cheval, c’est d’abord l’attacher, comme en témoigne la terminologie locale. L’entraînement aux courses comme la préparation du cheval à un long trajet s’appellent baajyy en iakoute, mot qui signifie littéralement « attache ». En mongol, l’entraîneur est dit uâačin, soit : celui qui attache le cheval à la longe (uâa). En kirghize, kuu mamy, « le piquet d’attache blanc [ou sec ?] », désigne le mode d’entraînement traditionnel et le verbe suutu veut dire à la fois entraîner un cheval, l’attacher et le refroidir. Il est permis de supposer que cette conception turco-mongole de l’attache a aussi induit une des significations du mot russe vyderžka, autrefois synonyme d’entraînement3.

  • 4 Pour plus de détails sur les techniques d’entraînement, cf. C. Ferret et A. Toktabaev, « Le choix e (...)

8Des sources anciennes, chinoises et mongoles, datant du xiiie au xviiie siècle, décrivent le rôle primordial de l’attache dans la préparation physique des chevaux de selle et ses variations saisonnières selon la méthode mongole [Meserve 1993 : 489-497]. L’entraînement turco-mongol, conçu avant tout comme l’art de l’attache, se distingue principalement par le fait que les phases d’exercice physique et d’alimentation sont dissociées4. En règle générale, le cheval qui fournit des efforts est peu nourri. Les cavaliers occidentaux, considérant que la nourriture se traduit par un gain de calories et l’exercice par une perte de calories, s’efforcent d’équilibrer quotidiennement le bilan énergétique : plus un cheval travaille, plus il est nourri, et, s’il reste au box, sa ration est diminuée. Chez les peuples altaïques, cet équilibre se fait sur un laps de temps plus long : non plus quotidiennement mais annuellement, ce qui conduit au résultat inverse. L’année se divise en périodes d’engraissement, où le cheval fait peu d’exercice et est nourri abondamment, et en périodes d’amaigrissement, où le cheval, tout en travaillant davantage, est moins nourri. C’est particulièrement net pour l’élite des chevaux de sport centrasiatiques, dont les rations sont inversement proportionnelles aux efforts fournis, mais c’est aussi vrai pour l’ensemble des chevaux des steppes, qui, vivant de pacage, disposent de moins de temps pour se nourrir lorsqu’ils travaillent.

9Le climat continental de ces régions détermine des saisons très contrastées, avec de grandes variations des ressources nutritives pour le bétail, dont la corpulence ne reste jamais longtemps stable. Les hommes n’atténuent guère cette alternance due aux conditions naturelles et l’accentuent au contraire en l’érigeant en méthode d’entraînement. Le cheval apte au travail n’est pas simplement un cheval « en état » ; c’est, plus précisément, un cheval successivement engraissé et amaigri. Le régime des champions comme des bêtes de somme connaît donc de grandes fluctuations, entre périodes d’embouche et cures d’amaigrissement. Au cours de ces deux phases, c’est l’attache qui permet de réguler l’alimentation.

10L’attache remplit une autre fonction d’importance mineure : empêcher que le cheval ne se couche, position jugée trop contraire à l’activité. Les entraîneurs kazakhs estiment qu’un cheval de bäjge (course de longue distance) doit rester debout durant la dernière semaine qui précède la course, et un cheval de kôkpar (jeu d’« arrache-bouc », équivalent du bozkachi afghan), la veille de l’épreuve. Convaincus que le sommeil en position couchée rend l’animal paresseux et faible, ils l’attachent court quelques jours avant la compétition. Nombre d’entre eux déclarent même passer la dernière nuit à l’écurie pour s’assurer que leur cheval ne dorme pas.

L’axiome de l’attache après le travail

  • 5 Cf., entre autres, Û.N. Barmincev [1958 : 52] ; V.Â. Benkevič [1905 n° 23 : 1033-1034] ; J.D. Cochr (...)

11L’obligation impérative d’attacher les chevaux après le travail se rencontre chez tous les peuples altaïques que j’ai étudiés. C’est le premier souci du cavalier dès qu’il a mis pied à terre. Maints témoignages d’époques variées concordent à ce sujet5.

Tous les soirs pendant le voyage, les Iakoutes prennent grand soin, après avoir ôté le bât, d’attacher les chevaux la tête en l’air à des arbres jusqu’à ce qu’ils refroidissent complètement, et ce n’est qu’ensuite qu’ils leur permettent de paître.[Middendorf 1869-1877 : 540]

op. cit.ataru

12Le cheval peut être dessellé ou non, mais il faut veiller à ce qu’il ne mange pas, ni surtout, ne boive. Les chevaux de bât iakoutes étaient débarrassés de leur fardeau dès leur arrivée à l’étape, mais ils gardaient leurs tapis une heure pour se refroidir progressivement [Majdel’ 1894 : 419]. Paradoxalement, c’est sous les climats chauds que les chevaux sont couverts et jamais dans la glaciale Sibérie.

En arrivant à l’étape, les chevaux sont attachés à un piquet ou à un arbre de façon à ce qu’ils ne puissent pas manger de neige. Même s’ils sont en sueur, on ne leur met pas de couverture ; ils sont donc rapidement recouverts d’une épaisse couche de givre.[Maak 1887 : 153]

13À l’inverse, les couvertures de feutre dont sont constamment couverts les chevaux akhal-téké et auxquelles est imputée la finesse de leur poil leur tiennent lieu d’écurie, les protégeant du torride soleil turkmène [Gorelov 1928 : 29]. Le paradoxe n’est qu’apparent – ou plus exactement ethnocentré – puisque, comme l’avait remarqué Ella Maillart [2003 : 114], il y a « deux manières de combattre la chaleur du soleil : l’orientale, à l’abri d’épais vêtements, l’occidentale, grâce au nudisme ».

  • 6 Varron, Économie rurale, II, I, 22.

14Certes, les auteurs classiques de l’Antiquité affirmaient déjà la nécessité d’observer un temps de repos sans faire boire ni manger les bêtes, immédiatement après le travail6. Pour les hippiatres chinois, « un galop véloce et l’absorption trop rapide d’eau froide » provoquent « le Froid du Poumon et rejet par la bouche d’écume, c’est le souffle qi qui se condense dans la cavité du Poumon » [Obringer 1989 : 198]. Les Arabes disent aussi :

Ne fais jamais boire un cheval après une course rapide, tu risques de le voir frappé par l’eau : Medroube bi el ma (arrêt de transpiration).[Daumas 1853 : 131]

15En Europe également, on « coupe » l’eau du cheval en sueur en lui laissant le mors dans la bouche à l’abreuvoir. Mais, en Sibérie et en Asie centrale, la durée de l’attache et son caractère systématique vont bien au-delà de cette simple précaution.

16La durée de l’attache varie suivant l’état du cheval – gras ou maigre –, la nature de la nourriture – sèche ou humide –, le travail fourni, la longueur du trajet et l’allure à laquelle il a été parcouru, enfin suivant la région et la saison [Kovalik 1895 : 34 ; Meserve op. cit. : 495-496 ; Seroševskij 1993 : 160-161]. Elle est d’autant plus longue que le cheval est gras, qu’il se nourrit d’aliments humides, que son travail est fatigant. De toute façon, un cheval ne doit jamais être détaché avant d’être totalement sec et froid. La saison influence la durée de l’attache de manière contradictoire : le foin hivernal, plus sec, pourrait être distribué rapidement après l’effort, mais les suées et les refroidissements qui leur sont consécutifs peuvent être fatals par grand froid et sont à éviter scrupuleusement par le biais d’une attache prolongée [Gabyšev 1957 : 146 ; Middendorf op. cit. : 771]. Il arrive que l’attache s’éternise et dure pratiquement tout le temps de l’étape [Gol’man 1877 : 128]. Racontant les miracles d’endurance dont sont capables les chevaux iakoutes, V.L. Seroševskij [op. cit. : 159] cite le cas d’un alezan aux yeux blancs « de poisson » qu’il monta deux jours de suite sans qu’il fût nourri mais seulement un peu abreuvé, et qui passa les six heures de la nuit attaché pendant que son cavalier dormait.

17Dès la fin du xixe siècle, les observateurs allogènes de l’élevage équin proposèrent d’abréger l’attache, dont ils jugeaient que l’excessive longueur épuisait les chevaux. Les Soviétiques menèrent des expériences avec des chevaux kirghizes, prouvant qu’une réduction drastique de la durée de l’attache ne nuisait en rien à leur santé [Gabyšev 1957 : 146]. L’attache telle que la pratiquent les éleveurs turco-mongols dépasse donc manifestement la nécessité physiologique.

18Un passage d’un manuscrit d’hippiatrie tibétaine dont l’origine et la signification conservent une part de mystère peut utilement être rapproché de ces pratiques :

  • 7 Expression correspondant à une phase de la course et dont la signification exacte est inconnue [Blo (...)

Après avoir réglé de la sorte allure et course, si les muscles [du cheval] sont très tendus mais qu’il semble ne pas [pouvoir] courir, après lui avoir fait galoper le sùr-thun7 médian, le jour où on l’envoie au ressuyage (bsan [bouchonnage ou pansage]), on le lance dans une grande course, et, le soleil s’étant couché, quand apparaît le vent froid, s’il y a une grande étendue d’eau [à proximité], on le fait nager. S’il n’y a pas de grande étendue d’eau, on lave sa queue et la graisse (?) qu’il y a en les trempant dans de l’eau ; après avoir lié la queue en rond, on attache [le cheval] sur une petite colline ou à un endroit [où souffle] un vent froid continuel et, tout de suite après le crépuscule, il se mettra à trembler ; alors on l’envoie au ressuyage, et [on fait comme pour les chevaux] ordinaires. Cette [façon de procéder] s’appelle « refroidir et mouiller ».[Blondeau 1972 : 281]

19Trouvant ce manuscrit sur l’entraînement des chevaux particulièrement obscur, Anne-Marie Blondeau émet l’hypothèse qu’il pourrait s’agir d’une traduction d’un texte d’origine étrangère. Ces pratiques ne seraient donc pas proprement tibétaines, ce qui pourrait expliquer leur similitude avec des usages centrasiatiques. En tout état de cause, c’est dans ces deux verbes « refroidir et mouiller » que doit être cherchée la clé de ce traitement particulier.

Les justifications de l’attache

  • 8 Emphysème pulmonaire, dite « pousse » : maladie due à une dilatation anormale et permanente des alv (...)

20Elles sont multiples. Les premières, négatives, consistent en l’énumération des conséquences désastreuses qu’entraîne son non-respect. « Après le travail, on garde le cheval attaché sans eau et sans nourriture, sinon il tombe malade », dit un ancien gardien de troupeau iakoute ; « les poumons deviennent complètement blancs et le foie est comme bouilli » [Middendorf op. cit. : 771] ; « le foin le fait “flamber” et il devient poussif » [Gol’man op. cit. : 128]. On estime en effet qu’un cheval insuffisamment attaché avant ou après le travail peut devenir emphysémateux8. Des explications semblables se retrouvent sous d’autres longitudes : le traité d’hippiatrie médiévale de Jordanus Rufus attribue la pousse à un travail excessif chez un cheval gras [Prévot 1991 : 62-63].

21L’abreuvement hâtif passe pour être encore plus nocif que l’alimentation et il ne doit jamais la précéder. Il est censé provoquer chez le cheval échauffé divers troubles, dont le plus grave est la maladie dite du « cœur de glace » (muus sùrèh iak.). L’abreuvement est surtout dangereux en hiver, du fait de la température de l’eau des lacs sous la glace – d’où une préférence donnée à la neige –, mais aussi en été, où la chaleur incite les chevaux à boire beaucoup. Un entraîneur turkmène explique qu’après l’entraînement, il faut attendre trois heures avant d’abreuver car sinon « l’eau va dans les membres » et, pour un autre, « dans le dos ».

yzyl maj)yzyl majìšìyzgan at,

22Tout en reconnaissant par expérience la nécessité de l’attache, certains spécialistes soviétiques du cheval avouent ignorer les mécanismes physiologiques qui la fondent [Gabyšev 1948 : 519], aveu qui confirme son caractère axiomatique. Insatisfaits de son obscurité, ils admettent cependant sa relative efficacité et ont échoué à la remplacer par une autre méthode « plus rationnelle ».

23D’autres sources affirment que l’attache « endurcit » le cheval (zakalivanie en russe). C’est la première idée qui vient à l’esprit des observateurs étrangers, frappés par la continentalité du climat, la rusticité des chevaux et la dureté du traitement qui leur est imposé. Joseph Kler [1947 : 17] retient cette hypothèse dans son étude sur le cheval chez les Mongols Ordos :

During the three or four winter months the Mongols subject their riding horses to severe treatment in order to make them more hardy. For example the geldings are tied on nice clear evenings outside to a rail where they must endure the terrible cold during the winter nights. […] Some Mongols pour a bucket of cold water on the backs of the horses before tying them at night so that they have to stand the whole night on ice.

24Pourquoi infliger un tel traitement ? Les chevaux se tremperaient-ils comme l’acier chauffé ? Et pourquoi des animaux dont le nourrissage prouve qu’ils sont déjà parfaitement acclimatés auraient-ils besoin d’être aguerris davantage ?

  • 9 Théophile Gautier note avec justesse : « Oui, – les Russes ne sont pas ce qu’un vain peuple pense. (...)

25C’est sous des climats tempérés – et notamment en Angleterre – qu’est née au milieu du xviiie siècle l’idée qu’on s’insensibilise au froid en s’y exposant, et que cette exposition affermit les corps comme elle endurcit les esprits [Vigarello 1993 : 159]. Mais les habitants des pays froids évitent de lutter de front avec les frimas. Les étrangers voyageant dans l’empire russe notent souvent à quel point les gens s’emmitouflent et surchauffent leurs maisons9 alors qu’eux-mêmes montrent plus de stoïcisme, tel le capitaine de la marine britannique J.D. Cochrane [1993 : 115-116] :

À Iakoutsk, chez M. Minitskiï, le thermomètre à alcool montrait 27° Réaumur de froid [- 33° C], presque le même nombre de degrés Fahrenheit sous zéro. Je marchais pourtant dans les rues de Iakoutsk vêtu seulement de mon surtout en nankin, d’un pantalon en nankin, de chaussures et de bas de laine peignée ; un gilet de flanelle, qui avait perdu ses principales vertus, était le seul vêtement chaud. Mais je peux dire sans mentir que je n’étais pas du tout incommodé. Les autochtones étaient surpris ; ils avaient pitié de mon pauvre aspect et de ma situation désespérée, et semblaient oublier que les intempéries ont peu d’effet sur quelqu’un dont l’esprit et le corps sont constamment en mouvement.

26La notion d’affermissement par le froid semble étrangère aux représentations indigènes. Certes, ce qui est exclu pour les hommes pourrait être appliqué aux animaux, mais il me paraît néanmoins un peu court d’expliquer de telles pratiques par la seule volonté d’aguerrir, sans examiner plus avant les catégories du chaud et du froid. C’est vraisemblablement la même conception occidentale de l’endurcissement par le froid et le même ébahissement devant le climat iakoute qui ont fait se répandre le cliché erroné que les Iakoutes « frottent les nouveau-nés avec de la neige plusieurs fois par jour ou les arrosent d’eau froide en disant : “Si tu supportes le froid maintenant, tu le supporteras plus tard ; si tu supportes le gel maintenant, tu le supporteras plus tard” » [Kostrov 1878 : 270]. Des observations plus dignes de foi montrent qu’au contraire, dès la mise au monde, les nouveau-nés sont approchés du feu et rapidement aspergés d’eau tiédie dans la bouche avant d’être frottés avec de la crème.

27Une explication indigène de l’attache, présente à la fois chez les Iakoutes et chez les Kazakhs, est plus mécanique que thermique : un cheval gras ne doit pas fournir d’effort violent car sa graisse pourrait rompre sous l’effet d’un mouvement brusque. Les Iakoutes racontent qu’en automne, il est fréquent que quelques juments trop grasses périssent quand le troupeau s’effraie de quelque chose et part au galop parce que « leurs entrailles chargées de graisse se déchirent » [Seroševskij op. cit. : 163-164]. L’attache et la diète qui y est associée, en dégraissant le cheval, écartent ce risque. Au Kazakhstan, les chevaux de bäjge (course de longue distance), devant être totalement exempts de graisse, subissent une attache prolongée, tandis que les chevaux de kôkpar (« arrache-bouc »), devant demeurer un peu gras, sont soumis à un travail mesuré grâce auquel la graisse, en fondant régulièrement, devient plus élastique et peut subir sans dommage des efforts effrénés.

28D’autres auteurs précisent que l’attache permet de réduire la suée lors de l’effort et le refroidissement qui s’ensuit. En effet, les chevaux ne sont pas tondus. Un cheval gras, monté directement au retour du pâturage sans avoir été préalablement attaché, sue énormément. Le refroidissement du corps consécutif à une grosse suée nuit gravement à la santé, surtout par grand froid [Gabyšev 1948 : 509].

Les Iakoutes soignent leurs chevaux de travail de manière principalement à les protéger des refroidissements et des suées abondantes. Vu leurs conditions de vie, il leur était impossible de recourir à des couvertures ou à des écuries, alors ils ont habilement exploité la capacité de l’animal à endurer la faim, longtemps, impunément.[Seroševskij op. cit. : 162]

29Affamer, dégraisser et refroidir les chevaux par l’attache avant le travail éviterait donc – ou limiterait – un refroidissement involontaire et nuisible après le travail. Cette dernière explication semble la plus plausible. Mais, comme la précédente, elle ne rend compte que de l’attache avant le travail. Pourquoi exposer de nouveau le cheval au froid après le labeur ?

30Qu’elle prenne place avant le débourrage, pendant l’entraînement ou après l’effort, l’attache est désignée d’un même mot et est par conséquent conçue comme une même réalité. Après le travail, elle est aussi censée « refroidir » le cheval. Et plus il a sué en travaillant, plus il doit rester longtemps au piquet. Bizarrement, j’ai observé sur le terrain qu’à la fin d’une journée de marche, les cavaliers iakoutes faisaient trotter leurs chevaux en arrivant au village pour qu’ils s’échauffent un peu avant d’être attachés. Pourquoi réchauffer avant de refroidir ? C’est le contraire de ce qui se passe chez nous, où les randonneurs prennent soin de finir l’étape au pas, favorisant un refroidissement progressif. De même, les Iakoutes font trotter un cheval qu’ils viennent d’abreuver au trou à eau pratiqué dans la glace d’un lac. Les animaux y sont tellement habitués que, lorsque, libres, ils viennent d’eux-mêmes boire au trou à eau, ils s’ébrouent et repartent au galop. Et quand les Ouzbeks sont contraints d’abreuver un cheval après l’effort, ils le font immédiatement galoper à fond de train « afin que la température de l’eau atteigne celle du corps » [Borns 1848-1849, t. III : 32]. Le jeu du froid et du chaud exige de subtils dosages et motive nombre de pratiques équestres.

Une solution hygrothermique

31Que ce soit avant le travail, après l’effort ou pendant l’entraînement, l’attache représente toujours un intervalle séparant des éléments dont les caractéristiques thermiques et hygrométriques – réelles ou supposées – sont telles qu’on estime qu’ils ne doivent pas se côtoyer. Elle répond aux exigences d’un système d’oppositions binaires exposé dans les tableaux ci-contre.

Succession des activités des chevaux de travail

Succession des activités des chevaux de travail

Caractéristiques hygrothermiques des aliments

Caractéristiques hygrothermiques des aliments

32Le premier tableau montre la chronologie qui doit être respectée afin d’observer une stricte alternance des processus échauffants et refroidissants, humidifiants et asséchants, règle qui impose une période d’attache avant et après le travail. Le travail et l’alimentation ne doivent pas être contigus car ils sont tous les deux échauffants.

33La nature humide ou sèche, froide, neutre ou chaude des aliments telle qu’elle est décrite dans le deuxième tableau détermine l’ordre dans lequel ils peuvent être distribués quand les chevaux sont affouragés : d’abord le foin (élément « neutre », dont le cheval ne se gave pas), ensuite l’eau (élément froid) puis le grain (élément chaud) [Kaller 1885 : 60-61 ; Kolosovskij 1910 : 141]. Cet ordre imposé prévient en même temps un échauffement excessif et l’ingestion de froid après du chaud.

34L’effort et l’eau ne doivent pas se côtoyer, non parce qu’ils sont tous les deux chargés d’humidité mais pour éviter un contraste trop violent entre le premier, chaud, et la seconde, froide. C’est le pôle thermique qui prime, l’hygrométrique n’étant que secondaire.

35Les deux précédents tableaux peuvent être résumés par un schéma (p. 252) situant les aliments et les activités des chevaux dans un plan déterminé par deux axes, celui de la chaleur et celui de l’humidité, illustrant la signification hygrothermique des divers processus auxquels ils sont soumis.

36En plaçant les vecteurs, non plus à partir d’un centre arbitrairement neutre mais deux à deux, l’un à la suite d’un autre, on obtient les deux schémas suivants, qui rendent compte des enchaînements permis et interdits.

37De façon générale, ils montrent que les suites d’actions centripètes sont plutôt préférées aux suites d’actions centrifuges. Mais ce n’est pas tout. Plus précisément, ils mettent en évidence la singularité du pôle chaud, seul jugé réellement dangereux : les enchaînements bannis sont, d’une part, les successions de deux actions échauffantes, entraînant un déséquilibre vers le chaud, d’autre part, le contraste chaud-froid dû à l’abreuvement après le travail. Les autres successions sont normales ou autorisées, même lorsqu’elles engendrent un déséquilibre vers le froid (attache après abreuvement), le sec (attache après affouragement), l’humide (abreuvement après pacage) ou encore un contraste froid-chaud (affouragement après abreuvement). Il en résulte qu’après le travail, on ne peut rien faire sauf attacher, tandis qu’après l’attache, tout est permis.

Entre le chaud et le froid : la sueur

38La sueur, sécrétion humide et chaude, est à la fois l’indicateur de l’échauffement dû au travail et un moyen de refroidissement. À la fois symptôme et remède, la sueur a un statut paradoxal et une importance capitale. Étant concomitante du travail et automatiquement induite par lui, la sudation ne constitue pas une étape indépendante dans la chronologie des processus. Et elle refroidit toujours moins que le travail n’a échauffé. C’est pour cette raison que, même accompagné de sudation rafraîchissante, le travail échauffant doit toujours être suivi d’attache refroidissante. Plus encore : un cheval sera attaché d’autant plus longtemps qu’il a sué davantage, l’apparition de l’écume signalant une surchauffe. Mais la sudation transforme aussi le cheval en « l’asséchant », dans le sens où elle extirpe progressivement la graisse et l’eau de son corps. Les chevaux gras suent d’abord beaucoup ; puis, au fur et à mesure des suées accompagnant l’entraînement, ils s’échauffent moins vite, l’exsudation se ralentit, la sueur change de goût et d’aspect. C’est à ce titre que les suées représentent l’élément fondamental de la mise en condition. La sudation est un processus naturel de régulation qui tempère l’effet échauffant et humidifiant du travail. L’homme peut l’accentuer en couvrant son cheval à l’entraînement, mais elle survient même sans son intervention. En revanche, il n’existe pas de processus naturel qui, de manière analogue, modérerait les effets de l’alimentation. Cette absence oblige l’homme à intervenir par le biais de l’attache.

39En plaçant les différents vecteurs les uns à la suite des autres, on obtient le cheminement parcouru par un cheval, sur le plan hygrothermique, vers un point d’arrivée dont l’emplacement varie en fonction du but poursuivi (p. 254). L’art de l’entraîneur consiste non seulement à respecter la chronologie mais aussi à bien doser l’intensité des divers processus, tout excès faisant tendre le cheval vers un pôle déséquilibré (l’attache vers le froid-sec, l’affouragement vers le chaud-sec, le pacage vers le chaud-humide et l’abreuvement vers le froid-humide), pour atteindre le but fixé sans le dépasser, un entraînement trop prolongé conduisant à un assèchement excessif.

40Bien que son application ne soit jamais évidente a priori, puisque c’est parfois un excès (chaud-chaud) qui doit être évité, parfois un contraste (chaud-froid), la prise en considération des caractéristiques thermiques attribuées aux différentes activités des chevaux permet donc de donner sens à tout un ensemble d’usages équestres qui, sans elle, paraissent mystérieux. C’est elle qui, notamment, motive la pratique de l’attache et entraîne le principe général de la séparation de la nourriture et de l’exercice.

Les catégories du chaud et du froid

L’attache appliquée aux hommes

41Ce principe de séparation de la nourriture et de l’exercice vaut non seulement pour les bêtes mais aussi pour les gens. Les Iakoutes disent :

Quand un cheval rentre après avoir travaillé, on le garde attaché ; de même les hommes ne mangent pas, ne boivent pas et ne se baignent pas pendant une ou deux heures.

taatyruataru

42Après un travail pénible, les Iakoutes s’interdisent de boire du lait caillé ou fermenté, susceptible de provoquer des douleurs dans les jambes [Kovalik op. cit. : 34]. C’est peut-être un excès d’acidité qu’ils craignent ici plus qu’un choc thermique. Néanmoins les faucheurs ne consommaient pas de kumys pendant les premiers jours de la fenaison parce que « c’est mauvais d’en boire quand il fait chaud » [Hudâkov 1969 : 239]. Les parturientes primipares devaient s’abstenir durant neuf jours de nourriture froide, acide et de produits laitiers pour ne pas souffrir de maux d’estomac.

La cuisine du chaud et du froid

43Ces interdits rappellent les préceptes de la médecine des humeurs liée à une classification des aliments en aliments chauds et aliments froids. Ce système est attesté dans de nombreuses sociétés d’Asie centrale. Les adjectifs « chaud » et « froid » ne doivent pas être pris au sens propre car ils n’indiquent pas la température du plat mais correspondent plutôt à sa teneur en calories, bien que les critères soient en réalité multiples (non seulement la valeur énergétique, mais aussi l’humidité, le goût, la couleur, le sexe et l’âge de l’animal mangé, etc.) [Bromberger 1994 : 192-200].

(sovulik)(issilik)10ysylyk,suuktukmùnôz tamak
  • 11 Hippocrate, Œuvres complètes, Paris, J.-B. Baillière, 1839-1861, 10 vol., t. VI : 39-41 passim. Au (...)

44La physiologie hippocratique, définissant la santé comme la juste proportion, tant qualitative que quantitative, et le mélange parfait des quatre humeurs – le sang (chaud et humide), le phlegme (froid et humide), la bile jaune (chaude et sèche) et la bile noire, ou atrabile, (froide et sèche) –, prône, par le biais de l’exercice et de l’alimentation, le même équilibre entre les quatre qualités : le chaud, le froid, le sec et l’humide11.

45En Chine, liée à la célèbre théorie du yin, principe d’inertie représentant le féminin, le froid et l’interne, et du yang, principe de force représentant le masculin, le chaud et l’externe, prévaut une classification des aliments en chauds et froids indépendamment de leur température.

46Mon propos se limite ici à mentionner la possibilité de passerelles entre ces divers systèmes de représentation du monde et de l’homme, sans entrer dans le détail de leur étude ni examiner l’existence ou le sens d’éventuels mécanismes de diffusion les concernant.

La sueur comme panacée

alža)(ystyter)

47Transpirer c’est l’image du bien-être. Même si la sueur est parfois symbole de travail, elle ne revêtait pas initialement chez les Kazakhs la même connotation laborieuse qu’en Occident.

Valorisation du chaud, dévalorisation du froid

48Bien que la santé soit déterminée par un équilibre dynamique entre le chaud et le froid, ces deux pôles ne sont pas équivalents sur les échelles de valeurs altaïques.

12(tymnyt)(iim tymnyjar)suykôzsuyžùzsuyolsuuk oozsuyhabarsuyžùrìs13žyluu sôzžyly žùzdì adam(ysty(ysyk dos)(ystyuša(ystysùjìs)14(nyentoro)in utero.muus ooh

49Cette dernière pratique montre que les Turcs de Turquie considèrent la terre comme un élément chaud. Je serais encline à penser qu’en raison du lien établi entre chaleur et fertilité, les cultivateurs conçoivent la terre comme un élément chaud, tandis que les pasteurs la conçoivent comme un élément froid, ainsi qu’en témoigne un mythe d’origine kazakh :

Après avoir créé Adam-ata, Dieu l’envoya sur la Terre. Il y tomba sur les genoux, c’est pourquoi les hommes ont toujours les genoux froids. Puis il envoya sur Terre la première femme Haua-ana. Elle tomba sur les fesses, c’est pourquoi les femmes ont les fesses froides.

50Néanmoins, dans la région d’Aralsk, au Kazakhstan, les femmes stériles s’enfoncent dans de la boue salée chaude en vue de concevoir. S’enterrer dans le sable chaud a des vertus thérapeutiques, comme le révèlent les premières images du film La bru du réalisateur turkmène, Khodjakouli Narliev.

ys šìlde15ysysužazžazu(âjlamak)kyynkyaj

51Les Mongols élèvent cinq espèces de bétail qu’ils divisent en animaux à museau chaud (cheval et mouton) et animaux à museau froid (chèvre, vache, chameau). Comme les langues turques, le mongol valorise le chaud et dénigre le froid :

Chaud en langue mongole est synonyme de proche, intime, préféré, favori et cher. Froid signifie quelque chose d’étranger, d’antipathique, d’hostile et on n’offre pas à un hôte, même inconnu, des mets composés de chair de bétail à museau froid, et ce n’est qu’exceptionnellement que l’on en sert. C’est pourquoi les chamanes mongols sacrifiaient aux esprits ancestraux et aux génies chamaniques des chevaux et des moutons.[Rintchen 1977 : 156]

52De même, « jamais on ne donnerait à un malade de viande “refroidissante”, serüün čanartaj, celle des espèces “à museau froid” : vache, chèvre, chameau » [Hamayon 1975 : 104].

53L’opposition entre le chaud et le froid, fortement orientée, sous-tend donc un large spectre de représentations et motive bien des pratiques dans les sociétés turco-mongoles. Mais elle ne dit pas tout. À la différence des écuyers occidentaux, les cavaliers altaïques ne parlent pas, à ma connaissance, de chevaux chauds ou froids pour qualifier un excès ou un manque d’impulsion.

54Je n’ai pas trouvé non plus de nette analogie entre l’opposition chaud/froid et l’opposition masculin/féminin, telle qu’elle existe chez les philosophes grecs de l’Antiquité et dans nombre de systèmes symboliques. Le présocratique Empédocle, cité par Aristote et Aétius, affirme la détermination du sexe de l’embryon par la chaleur de l’utérus :

  • 16 Aristote, Génération des animaux, IV, I, 765a.
  • 17 Aétius, Opinions, V, VII, 1.

Les semences qui entrent dans un utérus chaud deviennent des mâles, les autres, qui entrent dans un utérus froid, des femelles16.
Les mâles et les femelles se forment selon le chaud et le froid. C’est ainsi qu’Empédocle narre que les premiers mâles sont nés de la terre plutôt vers le Levant et dans le Midi, et les femelles au Nord17.

55Tout en critiquant cette théorie simpliste de la conception, Aristote conserve cependant l’association entre masculinité et chaleur, d’une part, féminité et froideur, d’autre part.

  • 18 C’est du moins l’impression que m’a laissée mon expérience de terrain. Peut-être le hasard ne m’a-t (...)

56En Iakoutie, relier la féminité au froid serait sans doute contraire à la position relativement dominante de la femme18. Son confinement au foyer, contre lequel se proposaient de lutter les soviets des années vingt, ne joue pas contre elle autant que dans d’autres sociétés car la chaleur du foyer en fait le premier lieu de vie pour tous. Si tant est qu’elle existe, cette correspondance serait plutôt inversée avec, d’un côté, le chaud et le féminin et, de l’autre, le froid et le masculin. Mais en réalité, l’opposition de la chaleur et du froid est vraisemblablement trop polarisée dans l’univers turco-mongol pour recouvrir adéquatement l’opposition des sexes, sauf à dénigrer totalement l’un d’eux.

57En ce qui concerne les représentations des deux sexes, l’analogie pertinente avec la religion grecque ancienne est plutôt à chercher du côté du couple Hestia-Hermès, lumineusement interprété par Jean-Pierre Vernant comme « l’opposition entre l’espace du foyer, clos et fixe, et l’espace pastoral, ouvert et mobile » [1963 : 40]. Ni la mobilité du foyer due au nomadisme et la quasi-exclusivité de l’activité pastorale, ni la patrilocalité faisant de l’épouse turco-mongole comme de l’épouse grecque l’élément mobile dans le mariage – puisqu’elles doivent quitter leur foyer natal pour rejoindre leur foyer conjugal –, ni la division interne de la iourte en une sphère féminine et une sphère masculine ne remettent en cause l’existence d’une polarité fondamentale « entre le fixe et le mobile, le fermé et l’ouvert, le dedans et le dehors […], qui s’inscrit jusque dans la nature de l’homme et dans celle de la femme » [ibid. : 28].

58La classification mongole des cinq espèces de bétail comprend, outre la distinction entre « museaux chauds » et « museaux froids », une autre opposition, qui ne recoupe pas la première, entre « jambes courtes » et « jambes longues », correspondant au clivage féminin/masculin.

Les chevaux et les chameaux appartiennent au bétail aux jambes longues car ils ne reviennent jamais au campement et ce sont seulement les hommes qui vont les chercher dans la steppe, souvent pendant plusieurs jours. Les chameaux errant tout l’été et une partie de l’automne s’éloignent à quelque cent kilomètres et c’est un long chemin qu’il faut faire pour les retrouver. Pour cette raison, on nomme les hommes « les gens aux jambes longues ». Les moutons, les vaches et les chèvres reviennent au campement et sont nommés « le bétail aux jambes courtes », et les femmes qui s’occupent d’eux se nomment « les gens aux jambes courtes » car, en gardant leurs troupeaux, elles chevauchent seulement dans un rayon de cinq kilomètres.[Rintchen op. cit. : 156]

59La dichotomie des sexes est assurément plus dynamique que thermique.

Pas de boissons froides

xixeibid.ara su,asu

60On peut certes recourir aux vertus du froid dans quelques rares cas, par exemple pour réveiller l’ardeur chasseresse d’un oiseau de proie défaillant :

Tourganbaï sauta de son cheval et prit une poignée de neige poudreuse, la modela en un glaçon allongé qu’il glissa dans le bec de l’oiseau pour que celui-ci sentît le froid et se jetât avec plus de goût sur sa proie.[Aouezov 1960 : 228]

61Mais, de manière générale, le froid est considéré comme la source de tous les maux et doit, à ce titre, être évité à tout prix. Devant un enfant malade, un chamane kazakh s’exclame :

[…] le mauvais esprit […] a saisi de son froid pénétrant le côté gauche de l’enfant : il faut supprimer ce froid par une réaction. Amenez-moi quelques petits moutons ; il faut laver le malade avec le sang tiède d’un agneau alezan.[Castagné op. cit. : 144]

bärì suytan,

Tous les matins, je bois de la graisse de queue de mouton. La meilleure, c’est celle de mouton noir, parce que la couleur noire absorbe l’énergie solaire alors que le blanc la rejette. C’est pour ça que la graisse de mouton blanc est moins forte. La graisse ôte le froid des poumons et fait remonter le cœur.

62Pour la même raison, les nouveau-nés sont enduits avec de la graisse d’un mouton noir, de préférence, mais pas avec de la graisse de cheval, jugée « trop chaude », ni avec de la graisse de chèvre, « trop froide ». Une jeune Bouriate de Cisbaïkalie m’a raconté comment on l’avait soignée par des enveloppements de tissu imprégné d’eau chaude et de plantes, puis en disposant les organes encore chauds d’un mouton tout juste abattu à l’emplacement de ses propres organes : respectivement le foie sur le foie, le cœur sur le cœur… à l’exception de la rate posée sur le front.

kumysop. cit.susynymyzšubatajranšalapajranìrkìtojyrtpakumyskôžebozobozapozasinèsusynsutorsysalyn samal19
  • 20 Les gens chez qui j’habitais s’étonnaient souvent des grandes quantités d’eau ou de lait frais que (...)
  • 21 De même, certains Bouriates mangent cru le foie de cheval et de mouton [Hamayon 1975 : 103].
  • 22 L’ethnonyme Esquimau, « mangeur de viande crue », relève d’une triple erreur : non seulement ce n’e (...)
  • 23 Comme les Belges pour les Français, les Tchouktches sont les acteurs favoris des histoires drôles s (...)

63Le lait des différentes espèces n’est jamais non plus utilisé cru, rarement simplement bouilli, le plus souvent caillé ou fermenté [Accolas, Deffontaines et Aubin 1975 : 60 ; Seroševskij op. cit. : 298]20. Les peuples turcophones – mais pas les Mongols – préparent même l’ajran avec du lait bouilli [Abramzon 1990 : 163]. Contrairement à ce que laisse penser le cliché du steak tartare, les nomades centrasiatiques répugnent à consommer des produits crus. Les Iakoutes se démarquent nettement sur ce point car ils mangent de la viande, du foie et du poisson crus21. Les copeaux de poisson cru et gelé sont un de leurs mets favoris. Les éleveurs de rennes mangent crus la graisse, la moelle, les yeux, la cervelle, le foie, le cœur et le sang de ces animaux au moment de l’abattage [Gurvič 1977 : 75]. Cet usage éloigne les Iakoutes de leurs « cousins » turco-mongols et les rapproche de leurs voisins nord-sibériens, consommateurs de produits crus22. La facilité de la conservation des aliments, au pays de la merzlota, a vraisemblablement encouragé ce goût du cru. Nul besoin de réfrigérateurs ni de congélateurs pour les Nord-Sibériens, comme le dit plaisamment l’histoire tchouktche23 suivante :

Un Tchouktche se rend dans un magasin pour acheter un réfrigérateur. Étonnement du vendeur. « Pourquoi, diable, les Tchouktches ont-ils besoin de réfrigérateurs ? » « Pour y être au chaud », répond le Tchouktche.[Milovskij 1990 : 67]

64La quasi-disparition de la pointe pourrie du triangle a modifié l’équilibre d’un polygone culinaire iakoute qui reste à construire. Pour mon propos actuel, il suffit de constater que les Iakoutes mangent gelé – ce qui les éloigne du modèle turcique – mais ne boivent pas glacé.

65Enfin, tous ces peuples sont de grands buveurs de thé. Ils ont beau chanter les louanges du kumys dans leurs chansons, c’est surtout du thé qu’ils boivent quotidiennement, à toute heure du jour. Chez les Iakoutes, « les riches en boivent trois à quatre fois par jour, à raison de six à dix tasses à chaque fois » [Seroševskij op. cit. : 312]. Bien qu’il soit un emprunt relativement récent, surtout aux marches de l’empire, le thé est largement utilisé par les nomades turco-mongols. Dès le milieu du xviiie siècle, Johann Georg Gmelin [1767, I : 80] note à propos des Tatares de Sibérie :

Le thé est la boisson qu’ils aiment le mieux.

66Au début du xixe siècle, le thé est encore un luxe chez les Iakoutes [Cochrane op. cit. : 217 ; Kostrov op. cit. : 267] et chez les Kazakhs [Levchine 1840 : 323] mais, bientôt, il est répandu partout [Kovalik op. cit. : 21].

67Le thé constituait et constitue toujours la principale, pour ne pas dire l’unique pitance de bien des familles.

Habituellement, les Bouriates ont si peu de nourriture que je ne suis pas surpris qu’ils deviennent hypocrites. Une brique de thé constitue leur nourriture habituelle, cinq jours par semaine.[Cochrane op. cit. : 226]

urgašaj

68Le thé lui-même n’est pas assez « chaud » ; aussi doit-il être bu avec du lait. En effet, pour les Kazakhs, « le thé est nu », « le thé lave les intestins », « le thé rince la graisse du cœur » ou encore « le thé rend le cœur humide et froid ». Gras, donc caloriquement chaud, le lait « qui brille à la surface du thé » empêche le thé de refroidir et d’affamer le cœur. Selon les régions, divers additifs au thé remplissent la même fonction : beurre, poivre noir, graines de camomille dans l’Aral kazakh ; millet dans la région d’Aktûbinsk ; graisse, lait, pain, poivre et sel chez les Ouïghours ; sel à Touva, en Mongolie ; crème du lait chez les Argyn, au nord du Kazakhstan, etc. Le thé mongol n’est pas préparé avec de l’eau mais avec du lait bouillant, additionné de sel, éventuellement de beurre fondu ou de fromage émietté ou pilé [Abramzon 1990 : 156 ; Accolas, Deffontaines et Aubin op. cit. : 60].

69Pas d’eau froide donc, mais du thé parce qu’il est thermiquement chaud ; pas de thé vert mais du thé noir parce qu’il est gastronomiquement chaud ; pas de thé nature mais du thé au lait (voire à la crème ou au beurre) parce qu’il est énergétiquement chaud, grâce à la graisse des produits laitiers. Tout, dans cette boisson, exprime l’aversion pour le froid.

Une opposition polarisée mais pas manichéenne

70Face à cette nette polarisation du chaud et du froid, la tentation est grande pour l’ethnologue d’en déduire que les représentations symboliques indigènes placent le froid du côté de la nature et le chaud du côté de la culture. Tout semble bien se passer ainsi en Iakoutie, dans ce pays où l’hiver est si long et les températures descendent si bas. Au cœur d’une nature objectivement froide, les Iakoutes se mettraient résolument « au chaud » par leurs pratiques quotidiennes (maisons surchauffées, nourriture ultra-riche) et religieuses (culte du feu) tandis qu’ils garderaient leurs chevaux « au froid », en leur refusant catégoriquement tous les attributs de l’élevage intensif (écuries, affouragement) et en les refroidissant à tout prix par l’attache, d’où le proverbe :

Un cavalier rassasié et un cheval affamé font une paire idéale.[Seroševskij op. cit. : 161]

  • 24 Plus que les Australiens, adeptes du totémisme, selon A. Testart [1987 : 187-188], mais, dans l’ani (...)
  • 25 P. Descola distingue quatre grands modes de relations entre humains et non-humains, selon que l’int (...)

71On aurait donc, d’un côté, la nature et le froid, connotés négativement et, de l’autre, la culture et le chaud, connotés positivement. Ce système dualiste a le mérite de la clarté, mais il est sans doute trop simple pour être adéquat. Comment concilier la malignité du pôle chaud révélée par la pratique de l’attache avec l’univoque dévalorisation symbolique du froid ? Si le froid est uniquement délétère, pourquoi y exposer ses chevaux ? L’hypothèse dualiste tendrait à faire croire que c’est pour mieux affirmer son humanité, par opposition. Mais les tenants de l’animisme ne tiennent pas tant à marquer une coupure entre animalité et humanité24. D’ailleurs, tous les animaux domestiques ne sont pas soumis au même régime. Les vaches, elles, sont maintenues tout l’hiver dans la chaleur des étables. Or, dans l’interprétation de leurs rêves, les Iakoutes se voient comme des chevaux et représentent les Russes comme des vaches [Hudâkov 1969 : 236]. C’est dans le syncrétisme des pensées analogique et animique que pourrait être cherchée l’origine de ces distorsions25.

72Sans céder à une autre tentation, celle du déterminisme écologique, il semble que des considérations d’ordre pratique aient pesé dans ce choix. Dans la mesure où les Iakoutes ne peuvent garder constamment leurs chevaux au chaud (cela nécessiterait de prodigieuses quantités de fourrage), ils doivent scrupuleusement les garder du chaud afin de leur conserver leur rusticité.

73Dans les conditions climatiques extrêmes de Iakoutie, il n’y a pas de moyen terme possible. Entre le chaud et le froid, il faut choisir car l’écart thermique est insoutenable. Par ailleurs, ce ne sont pas les peuples qui vivent dans les régions les plus glaciales qui dénigrent le plus le froid. Les Iakoutes retirent même une grande gloire de la rigueur inouïe de leur climat, comme le montre la rivalité opposant Verhoânsk à Ojmâkon, toutes deux prétendantes au titre de « pôle du froid ». À mon arrivée à Verhoânsk, le chef de l’administration locale m’a dit cette phrase surréaliste :

Nous sommes le pôle du froid et nous nous efforçons de le rester.

74Son exceptionnelle intensité fait du froid un vecteur identitaire en Iakoutie.

Le fatal chaud et froid

Abaay
  • 26 Les guerriers célestes du pays yakoute-saxa. Elleï : son origine, sa descendance. Niourgon le Yakou (...)

Ah ! Voilà pourquoi j’ai eu un mauvais pressentiment, voilà pourquoi j’ai eu un mauvais rêve. J’ai froid, oh ! Je frissonne et le chaud me prend, mes cheveux se dressent !26

75Et, plus tard, au cours de la noce, il s’adresse aux démons :

  • 27 Ibid. : 161.

Comment pourrait-il [l’homme] résister aux grands du ciel élevé, à ses hauts dignitaires, à cette force de feu, à leur souffle de dragon à la gueule enflammée, à leur haleine violente et froide aussi ? On ne peut plus tolérer votre haleine de dragon, le froid du feu qui sort de votre bouche27.

76Certes, la littérature occidentale use aussi parfois de l’antonymie du chaud et du froid, telle Louise Labé dans son célèbre sonnet décrivant les tourments de l’amour :

  • 28 Poètes du xvie siècle, Paris, Gallimard, 1969 : 283 (« Bibliothèque de la Pléïade »).

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie.
J’ai chaud extrême en endurant froidure ;
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie28.

77Mais, en Asie centrale, ce contraste des températures est tellement redouté qu’il peut être utilisé comme punition contre les criminels, ainsi que le rapporte cette légende kazakhe :

Un jour, un voleur de chevaux fut capturé par la fille du propriétaire. Elle l’enveloppa d’une pièce de feutre pour empêcher qu’il ne s’échappe et attendit le retour de son père. Ce dernier, pour châtier le voleur, lui offrit du thé bouillant avec de la pastèque glacée. Les dents du voleur se mirent à tomber les unes après les autres. Le père prit alors des graines de pastèques et en bombarda le voleur en les pressant entre le pouce et l’index. Les graines s’incrustèrent dans le visage du voleur, que le contraste de la chaleur et du froid avait totalement amolli.

  • 29 L’énantiose est une opposition essentielle, à la différence de l’antithèse, qui est rhétorique.

78Les prémisses de ce châtiment nous semblent bien douces parce qu’en Occident, nous sommes moins sensibles à l’énantiose29 du chaud et du froid. Dans l’aire altaïque, elle revêt une signification fatale, comme l’illustre le trépas d’un colosse kirghize.

  • 30 Aventures merveilleuses sous terre et ailleurs de Er-Töshtük le géant des steppes. Épopée du cycle (...)

Le Géant-Bleu doit maintenant se résigner à mourir : il ne peut plus résister au feu ardent et au froid mordant que souffle sur lui le héros Töshtük. Tantôt il s’embrase, et tantôt il gèle. Il est près de sa fin, son corps chancelle30.

tamuyy

79Du point de vue climatique également, la hantise des éleveurs, ce n’est pas tant le froid en soi, quelle que soit sa rigueur, que des vagues successives de chaud et de froid, formant une couche de glace que les sabots ne peuvent briser. C’est le terrible džut (žut kir., žut kaz., sut iak.), la plaie des steppes, qui, empêchant le pacage, décime bêtes et gens. L’épopée iakoute témoigne de cette phobie dans cette hyperbole :

  • 31 Cf. note 26, pp. 140-141.

Puis un grand malheur s’introduisit. La mère hiver haletante, d’abord en flocons menus, envoya le gel sur un courant d’air chaud et couvrit tout de givre. Tcholbon, l’étoile Vénus, brilla plus fort que jamais, le froid envahit tout, et puis une gelée aiguë transperça l’Ouest, du Nord chevaucha un courant glacé, la tempête tourbillonna, féroce, et de l’Orient arriva, avec un cri strident, un froid vif avide de sang […] Les petits lacs capturés par le gel se fendirent, leur eau faisait bruit et bulles comme si elle bouillait en jaillissant, un coup de vent glacial, les bulles se figèrent et, craquant çà et là, des mamelons de glace s’élevaient sur la plaine unie, pointus tel le garrot du cheval. Des chevaux dans les prés se figèrent de froid, dans les étables le bétail se glaça sur place, la queue du taurillon cassa, les cornes de la génisse se tordirent de froid31.

80Ailleurs, un ennemi du héros iakoute, Haan-D’argystaj, demande à une chamane d’envoyer d’abord un froid « tel que les cornes des vaches se brisent » puis une chaleur « telle que la peau du front des taureaux brûle » [Hudâkov 1890 : 208-209].

81Le tableau offert par le žut kazakh n’est pas moins apocalyptique :

Les chevaux avaient un aspect effrayant. Les étalons et les juments les plus robustes se traînaient comme des ombres. Leur poil avait poussé, s’était ébouriffé et emmêlé ; leurs pattes avaient gonflé et leurs articulations enflées saillaient comme des nœuds énormes. Il n’y avait plus un poulain, seules les bêtes fortes avaient survécu. […] Ces files de squelettes ambulants étaient des visions de fin du monde […] beaucoup avaient tout perdu. Sur les mille chevaux qui avaient été menés en automne sur les pâturages d’hiver des clans Torgaï, Jouantaïak, Topaï, Jiguitek et Bokenchi, il en revint soixante-dix à quatre-vingts.[Aouezov 1958 : 342]

82Le džut survient périodiquement, tous les dix ou douze ans, ce qui en fait le principal facteur limitant le développement de l’élevage et l’accumulation de richesse. Même si la notion de džut s’est étendue, devenant synonyme de disette ou de calamité, la première de ses causes est bien le verglas dû à un écart de températures.

83Cette hantise du contraste thermique nous ramène à l’attache des chevaux, prévenant comme danger le plus menaçant le chaud-froid que subit un cheval en buvant de l’eau froide après avoir été échauffé par le travail. L’interprétation thermique m’a paru décisive pour comprendre la pratique jusqu’alors énigmatique de l’attache, que je considère comme a pierre angulaire de l’usage altaïque des chevaux.

84Mais l’attache peut également s’analyser du point de vue spatiotemporel. Attacher revient à réduire l’espace et à allonger le temps. Le cheval est symbole de mouvement : il est un moyen de transport et l’espèce du bétail la plus rapide chez les nomades. Attaché, il est contraint à l’immobilité. Accorder tant d’importance à l’attache revient à souligner l’action du temps car, à l’attache, le cheval ne fait rien : il ne bouge pas et ne se nourrit pas, il ne dépense pas d’énergie et n’en gagne pas. En termes sémiotiques, l’attache relève de l’empêchement, manipulation du type « faire ne pas faire » [Greimas et Courtés 1979 : 220]. C’est une période de repos où seul le temps agit. Les Russes l’expriment par différents verbes formés avec le préverbe vy- : vyvâzyvat’, « attacher jusqu’au bout » ; vyderžat’, « entraîner », littéralement « tenir jusqu’au bout » ; vystoât’, « être debout jusqu’au bout ». Le temps agit en favorisant le refroidissement progressif d’un animal chauffé par l’effort ou la nourriture. L’attache est une transition obligatoire, un moment tampon permettant d’éviter une surchauffe ou un passage trop brusque du chaud au froid.

85Cette inaction, qui n’a rien pour attirer l’attention, constitue cependant un instrument fondamental de la mainmise de l’homme sur l’animal.

Haut de page

Bibliographie

Abramzon, S.M. — 1949, « Roždenie i detstvo kirgizskogo rebenka (iz obyčaev i obrâdov tân’šan’skih kirgizov) », Sbornik muzeâ antropologii i ètnografii XII : 78-138. — 1990 (1971), Kirgizy i ih ètnogenetičeskie i istoriko-kul’turnye svâzy. Frounzé, Kyrgyzstan.

Accolas, J.-P., J.-P. Deffontaines et F. Aubin — 1975, « Les activités rurales en République populaire de Mongolie ». I : « Agriculture et élevage ». II : « Produits laitiers », Études mongoles 6 : 7-98.

Aouezov, M. — 1958, La jeunesse d’Abaï. Paris, Gallimard. — 1960, Abaï. Paris, Gallimard.

Aubin, F. — 1986, « L’art du cheval en Mongolie », Production pastorale et société 19 : 129-149.

Barmincev, Û.N. — 1958, Èvolûciâ konskih porod v Kazahstane. Opyt zootehničeskogo issledovaniâ problemy porodoobrazovaniâ. Alma-Ata, Kazgosizdat.

Benkevič, V.Â. — 1905, « Nablûdeniâ, materialy i zametki, sobrannye v Kirgizskoj stepi », Vestnik Obsestvennoj Veterinarii XVII (18-23).

Blondeau, A.-M. — 1972, Matériaux pour l’étude de l’hippologie et de l’hippiatrie tibétaines (à partir des manuscrits de Touen-houang). Genève, Droz.

Borns, A. — 1848-1849, Putešestvie v Buharu : rasskaz o plavanie po Indu ot morâ do Lagora s podarkami velikobritanskogo korolâ i otčet o putešestvie iz Indii v Kabul, Tatariû i Persiû, predprinâtom po predpisaniû vysšego pravitel’stva Indii v 1831, 1832 i 1833 gg. Moscou, Izd. P.V. Golubkova. 3 vol.

Bromberger, C. — 1985, « Identité alimentaire et altérité culturelle dans le nord de l’Iran : le froid, le chaud, le sexe, et le reste », in P. Centlivres ed., Identité alimentaire et altérité culturelle. Neuchâtel, Institut d’ethnologie (« Recherches et travaux de l’Institut d’ethnologie » 6) : 5-34. — 1994, « Eating Habits and Cultural Boundaries in Northern Iran », in S. Zubaida et R. Tapper eds., Culinary Cultures of the Middle East. Londres-New York, I.B. Tauris : 185-201.

Castagné, J. — 1930, « Magie et exorcisme chez les Kazaks-Kirghizes et autres peuples turks orientaux », Revue des études islamiques 1 : 53-156.

Centlivres, P. — 1985, « Hippocrate dans la cuisine : le chaud et le froid en Afghanistan du Nord », in P. Centlivres ed., Identité alimentaire et altérité culturelle. Neuchâtel, Institut d’ethnologie : 35-57 (« Recherches et travaux de l’Institut d’ethnologie » 6).

Cochrane, J.D. — 1993 (1824), Récit d’un voyage à pied à travers la Russie et la Sibérie tartare, des frontières de Chine à la mer Gelée et au Kamtchatka. Boulogne, Le Griot.

Daumas, E. — 1853, Les chevaux du Sahara […] Seconde édition augmentée de nombreux documents par l’Émir Abd-el-Kader. Paris, Schiller.

Gabyšev, M.F. — 1948, « Âkutskoe konevodstvo. Èkonomičeskoe i organizacionno-zootehničeskie osnovy konevodstva ». Manuscrit inédit. — 1957, Âkutskaâ lošad’. Tipy âkutskih lošadej, sposoby ih razvedeniâ i soderžaniâ. Iakoutsk, Âkutskoe knižnoe izdatel’stvo.

Gautier, T. — 1997 (1867), Voyage en Russie. Paris, La Boîte à Documents.

Gmelin, J. — 1767 (1751-1752), Voyage en Sibérie… fait aux frais du gouvernement russe. Paris, Desaint. 2 vol.

Gol’man, V. — 1877, « Zametki o konevodstve v Âkutskoj oblasti », in Pamâtnaâ knižka Âkutskoj oblasti za 1871 g. Saint-Pétersbourg : 122-137.

Gorelov, K. — 1928, Ahal-tekinskoe konevodstvo Turkmenskoj SSR. Achkhabad, Izd. narodnogo komissariata zemledeliâ Turkmenskoj SSR.

Greimas, A.J. et J. Courtés — 1979, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage. Paris, Hachette.

Gurvič, I.S. — 1977, Kul’tura severnyh âkutov-olenevodov. K voprosu o pozdnih ètapah formirovaniâ âkutskogo naroda. Moscou, Nauka.

Hamayon, R. — 1975, « L’os distinctif et la chair indifférente », Études mongoles 6 : 99-122. — 1990, La chasse à l’âme. Esquisse d’une théorie du chamanisme sibérien. Nanterre, Société d’ethnologie.

Héritier, F. — 1996, Masculin/féminin. La pensée de la différence. Paris, Odile Jacob.

Holevinskij, A.S. — 1923, Očerk konevodstva Mongolii. Moscou.

Hudâkov, I.A. — 1890, Verhoânskij sbornik. Irkoutsk, Zapiski vost-sib. otd. IRGO po ètnografii I (3). — 1969, Kratkoe opisanie Verhoânskogo okruga. Leningrad, Nauka.

Ibragimov, I. — 1876, « Očerki byta kirgizov. I. Pominki », Drevnââ i novaâ Rossiâ III (9) : 51-63.

Kaller — 1885, « Kirgizskij sposob prigotovleniâ lošadej k skačkami vo Vnutrennoj kirgizskoj (Bukeevskoj) Orde », Žurnal Konnozavodstva 1 : 57-64.

Kavrajskij, A.M. — 1923, Kirgizskaâ lošad’. Moscou, Novaâ derevnâ.

Kler, J. — 1947, « The Horse in the Life of the Ordos Mongols », Primitive Man XX (1-2) : 15-25.

Kolosovskij, V.P. — 1910, Lošadi Turkestana. Tachkent, Izd. Turkestanskogo obsestva poosreniâ konnozavodstva.

Kostrov, N.A. — 1878, « Očerki ûridičeskogo byta âkutov », Zapiski IRGO po otd. ètnografii VIII (2) : 259-299.

Kovalik, S. — 1895, « Verhoânskie âkuty i ih èkonomičeskoe položenie », Izvestiâ vost.-sib. otd. IRGO XXV (4-5) : 1-50.

Kulakovskij, A.E. — 1925, Âkutskie poslovicy i pogovorki. Iakoutsk, Sbornik trudov issl. obsestva Saha Kèskilè vyp. 2.

Lavondès, H. — 1972, « Le chaud et le froid. Notes lexicologiques », in J. Thomas et L. Bernot eds., Langues et techniques, nature et société. II : Approche ethnologique, approche naturaliste. Paris, Klincksieck : 395-403.

Levchine, A. — 1840 (1832), Description des hordes et des steppes des Kirghiz-Kazaks ou Kirghiz-Kaïssaks. Paris, Arthus Bertrand.

Lévi-Strauss, C. — 1964, Mythologiques. I : Le cru et le cuit. Paris, Plon. — 1968, Mythologiques. III : L’origine des manières de table. Paris, Plon.

Maak, R.K. — 1887, Vilûjskij okrug Âkutskoj oblasti. Čast’ III. Saint-Pétersbourg, A. Tranšel’.

Maillart, E. — 2003 (1932), Parmi la jeunesse russe. Paris, Payot et Rivages.

Majdel’, G. — 1894, Putesestvie po severo-vostočnoj časti Âkutskoj oblasti v 1868-1870 godah. T. 1. Saint-Pétersbourg, Zapiski Imperatorskoj AN LXXIV.

Meserve, R.I. — 1993, « The Traditional Mongolian Method of Conditioning Horses and Preventive Veterinary Medicine », International Symposium of Mongolian Culture. Taipei, Taiwan, ROC : 484-501.

Middendorf, A.F. — 1869-1877, Putešestvie na sever i vostok Sibiri. Čast’ II. Saint-Pétersbourg, Tipografiâ Imperatorskoj AN.

Milovskij, A. — 1990, « Les Tchouktches ont-ils besoin de réfrigérateurs ? », Questions sibériennes 1 : 67-73.

Moškov, V.A. — 1895, « Materialy dlâ harakteristiki muzikal’nogo tvorčestva inorodcev Volžsko-Kamskogo kraâ. Melodii orenburgskie i nogajskih tatar. Vvedenie. Ètnografičeskie dannye », Izvestiâ obsestva arheologii, istorii i ètnografii pri Imperatorskom Kazanskom Universitete XII (1) : 1-67.

Nicolas-Özönder, M. — 1970, « Croyances et pratiques turques concernant les naissances (région de Bergama) ». Thèse de doctorat de 3e cycle. Paris, EPHE (IVe section).

Obringer, F. — 1989, « Hippiatrie et hippologie traditionnelles. Histoire et pratique », in V. Courtot- Thibault ed., Le petit livre du cheval en Chine. Paris, Caracole : 159-205.

Planhol, X. de — 1995, L’eau de neige. Le tiède et le frais. Histoire et géographie des boissons fraîches. Paris, Fayard.

Prévot, B. — 1991, La science du cheval au Moyen Âge. Le traité d’hippiatrie de Jordanus Rufus. Paris, Klincksieck.

Rintchen, Y. — 1977, « Pourquoi on offre des chevaux et des moutons aux esprits chamaniques mongols », L’ethnographie 74-75 (numéro spécial : Voyages chamaniques) : 155-156.

Roué, M. — 1996, « La viande dans tous ses états : cuisine crue chez les Inuit », in M.-C. Bataille- Benguigui et F. Cousin eds., Cuisines, reflets des sociétés. Paris, Sépia/Musée de l’Homme : 171-186.

Rubrouck, G. de — 1985, Voyage dans l’empire mongol (1253-1255). Paris, Payot.

Seroševskij, V.L. — 1993 (1896), Âkuty. Opyt ètnografičeskogo issledovaniâ. Moscou, Rossijskaâ političeskaâ ènciklopediâ.

Tapper, R. — 1994, « Blood, Wine and Water : Social and Symbolic Aspects of Drinks and Drinking in the Islamic Middle East », in S. Zubaida et R. Tapper eds., Culinary Cultures of the Middle East. Londres-New York, I.B. Tauris : 215-231.

Testart, A. — 1987, « Deux modèles du rapport entre l’homme et l’animal dans les systèmes de représentations », Études rurales 107-108 : 171-193.

Vernant, J.-P. — 1963, « Hestia-Hermès. Sur l’expression religieuse de l’espace et du mouvement chez les Grecs », L’Homme III (3) : 12-50.

Vigarello, G. — 1993, Le sain et le malsain. Santé et mieux-être depuis le Moyen Âge. Paris, Le Seuil.

Vul’fson, È.S. — 1913, Kirgizy. Moscou, S. Kurpin.

Žarkov, Â.P. — 1851-1852, « O kirgizah. Zapiski saratovskogo kupca Â.P. Žarkova », Biblioteka dlâ čteniâ, t. 115 : 1-44.

Haut de page

Notes

1 La fonction symbolique des sèrgè, érigés aux moments marquants de la vie de la maisonnée, a toujours dépassé leur fonction pratique, aux yeux non seulement des ethnologues mais aussi des Iakoutes eux-mêmes, qui, tout en hérissant leur paysage de sèrgè, n’y attachent guère leurs chevaux qu’avec une intention folklorique. Bien qu’on traduise sèrgè par « piquet d’attache des chevaux », la grande majorité des sèrgè, variés dans leur forme et dans leur emploi, n’a jamais été destinée à y attacher des chevaux.

2 Hormis les ethnonymes, écrits en transcription francisée, j’utilise la translittération internationale des caractères cyrilliques en caractères latins selon la norme NF ISO 9 de juin 1995.

3 Cet emprunt – qui reste à démontrer –, ajouté aux conseils sur la mise en condition des chevaux prodigués par les Mongols aux Mandchous [Meserve 1993 : 489], illustre le fait que les échanges entre colonisateurs et colonisés ne sont pas à sens unique, et notamment pas en matière de techniques équestres.

4 Pour plus de détails sur les techniques d’entraînement, cf. C. Ferret et A. Toktabaev, « Le choix et l’entraînement du cheval de course chez les Kazakhs », Études mongoles et sibériennes, à paraître.

5 Cf., entre autres, Û.N. Barmincev [1958 : 52] ; V.Â. Benkevič [1905 n° 23 : 1033-1034] ; J.D. Cochrane [1993 : 119] ; M.F. Gabyšev [1957 : 146] ; Kaller [1885 : 61] ; R.K. Maak [1887 : 153]. Ces témoignages ont été confirmés par mon étude de terrain menée en Iakoutie, Bouriatie, Khakassie, Touva, Kirghizstan, Kazakhstan et Turkménistan entre 1993 et 1997.

6 Varron, Économie rurale, II, I, 22.

7 Expression correspondant à une phase de la course et dont la signification exacte est inconnue [Blondeau 1972 : 123-124].

8 Emphysème pulmonaire, dite « pousse » : maladie due à une dilatation anormale et permanente des alvéoles pulmonaires, se manifestant à l’effort par des mouvements du flanc et une toux caractéristiques, handicapant plus ou moins gravement le cheval. Limitant fortement, voire interdisant toute activité à l’animal, cette affection incurable est considérée aujourd’hui en France comme un vice rédhibitoire.

9 Théophile Gautier note avec justesse : « Oui, – les Russes ne sont pas ce qu’un vain peuple pense. On s’imagine qu’aguerris par leur climat, ils se réjouissent comme des ours blancs dans la neige et la glace ; rien n’est plus faux : ils sont au contraire très frileux et prennent, pour se préserver de la moindre intempérie, des précautions que négligent les étrangers à leur premier voyage. » [1997 : 98] Il signale à plusieurs reprises « la température de serre chaude des maisons » [ibid. : 116, 141].

10 Pour la conversion du triangle culinaire en « double losange mongol », cf. R. Hamayon [1975].

11 Hippocrate, Œuvres complètes, Paris, J.-B. Baillière, 1839-1861, 10 vol., t. VI : 39-41 passim. Au sujet de la théorie moyen-orientale des humeurs, voir C. Bromberger [1985 : 14-34], P. Centlivres [1985] et R. Tapper [1994 : 220-222].

12 La « iourte » iakoute, dite balağan, n’est pas une tente de feutre ronde mais un tétraèdre tronqué fait de bois enduit d’argile et de fumier.

13 Pour l’analyse lexicologique du découpage du spectre des températures dans les langues française, anglaise et polynésienne (marquisien de l’île de Ua Pou), cf. H. Lavondès [1972].

14 Habituellement « chaudes », les relations sexuelles peuvent néanmoins parfois être « froides » quand elles sont jugées amorales (cf. supra l’expression suy žùrìs kaz.).

15 Période de quarante jours jugés les plus froids de l’hiver, du 25 décembre au 5 février.

16 Aristote, Génération des animaux, IV, I, 765a.

17 Aétius, Opinions, V, VII, 1.

18 C’est du moins l’impression que m’a laissée mon expérience de terrain. Peut-être le hasard ne m’a-t-il fait croiser que des femmes fortes et indépendantes, des bas d’ahtar, citées comme des exceptions par V.L. Seroševskij [1993 : 554, 556]. La littérature ethnographique abonde en textes qui affirment le contraire, insistant sur le statut inférieur des femmes iakoutes, sur les interdits auxquels les soumettent l’exogamie, la patrilinéarité et la patrilocalité, enfin sur l’âpreté parfois tragique de leur sort. Et la littérature orale de même, qui foisonne de proverbes misogynes. La seule concession faite au statut univoquement bas de la femme est la mention de quelques vestiges de matrilinéarité, parfois qualifiée de matriarcat originel.

19 Ce thème de la nécessaire médiatisation par la cuisson a été amplement développé en anthropologie, à partir de C. Lévi-Strauss [1964 : 342] citant M. Zingg et H.C. Conklin.

20 Les gens chez qui j’habitais s’étonnaient souvent des grandes quantités d’eau ou de lait frais que je buvais. Ils me demandaient avec sollicitude si cela ne me donnait pas mal au ventre. Et moi j’éprouvais la même sollicitude en les voyant transformer tout le bon lait trait et tant peiner pour séparer la crème ou battre le beurre à la main, alors qu’il me semblait si simple et si naturel de le boire tel quel. Aujourd’hui, a posteriori, cet étonnement réciproque me paraît révélateur d’une différence culturelle fort significative.

21 De même, certains Bouriates mangent cru le foie de cheval et de mouton [Hamayon 1975 : 103].

22 L’ethnonyme Esquimau, « mangeur de viande crue », relève d’une triple erreur : non seulement ce n’est pas une auto-appellation, mais le mot signifierait en fait « tresseur de raquettes » et enfin il ne désignait pas originellement les Inuit. Cela n’enlève cependant rien au fait que « l’essentiel de la cuisine inuit, c’est […] le cru » [Roué 1996 : 174, 176].

23 Comme les Belges pour les Français, les Tchouktches sont les acteurs favoris des histoires drôles soviétiques.

24 Plus que les Australiens, adeptes du totémisme, selon A. Testart [1987 : 187-188], mais, dans l’animisme, la distinction entre âme humaine et âme animale est « sur fond de similitude » [Hamayon 1990 : 331].

25 P. Descola distingue quatre grands modes de relations entre humains et non-humains, selon que l’intériorité et la physicalité des autres êtres sont pensées par ego comme similaires aux siennes ou différentes d’elles.

26 Les guerriers célestes du pays yakoute-saxa. Elleï : son origine, sa descendance. Niourgon le Yakoute, guerrier céleste. Grand Koudansa, le présomptueux. Paris, Gallimard, 1994, p. 152.

27 Ibid. : 161.

28 Poètes du xvie siècle, Paris, Gallimard, 1969 : 283 (« Bibliothèque de la Pléïade »).

29 L’énantiose est une opposition essentielle, à la différence de l’antithèse, qui est rhétorique.

30 Aventures merveilleuses sous terre et ailleurs de Er-Töshtük le géant des steppes. Épopée du cycle de Manas. Traduit du kirghiz par P. Boratav, introduction et notes de P. Boratav et L. Bazin. Paris, Gallimard/Unesco, 1965, p. 222.

31 Cf. note 26, pp. 140-141.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Carole Ferret, « De l’attache des chevaux à la fécondation des femmes en passant par la cuisine »Études rurales, 171-172 | 2004, 243-270.

Référence électronique

Carole Ferret, « De l’attache des chevaux à la fécondation des femmes en passant par la cuisine »Études rurales [En ligne], 171-172 | 2004, mis en ligne le 01 janvier 2006, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/8109 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.8109

Haut de page

Auteur

Carole Ferret

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search