1Les objets sociaux ne sont pas des choses dotées de propriétés mais des ensembles d’interrelations changeantes, à l’intérieur de configurations en perpétuelle adaptation. Chaque société est ainsi dans un processus constant de construction d’elle-même. La question se pose, alors, de l’existence d’un ordre culturel homogène en dehors des situations au sein desquelles il prend forme : si toute culture se transforme, son mode de transformation est une forme de son mode de production. Le concept de culture s’accommode donc d’une diversité de pratiques internes, l’échange et l’interaction livrant, dans l’épreuve du temps, la dimension de sa dynamique. La saisie du local passe par l’appréhension de cette dynamique des systèmes d’actes en interaction (dire, écrire, faire), qui constitue la construction quotidienne continue (plus ou moins conflictuelle et contractuelle) du sens d’une société par ses différents acteurs.
2L’édification d’un monument aux morts, en 1929, dans une commune de Corse du Sud, Sarrola-Carcopino, constitue un exemple de « mise en représentation » collective du monde local. Le projet politique municipal de rassembler la communauté autour d’une mémoire unique y éveille des mémoires différentielles et concurrentes (celle des « anciens » et celle des « jeunes »), qui, obéissant à des positions différentes par rapport à l’orientation du temps (passé et futur), trouvent dans le présent de cet événement l’occasion de se poser en altérités relatives tout en perpétuant l’identité communautaire. Reflétant le décalage entre les activités (économiques, politiques, sociales) anciennes et présentes, pratiquées et ressenties par les groupes en présence, le présent commande largement le discours des groupes sur le passé. Il apparaît comme le moment de l’effectuation, où se nouent toute une série de tendances, plus ou moins hétéronomes les unes par rapport aux autres. Elles se réalisent dans la bidirectionnalité du temps – la centralité du présent et la projection dans l’avenir commandant une vision du passé et l’invention d’une mémoire correspondante [Chesneaux 1997] – ou dans l’inséparabilité d’un « champ d’expérience » et d’un « horizon d’attente » [Koselleck 1990].
3Les différents groupes formant le village construisent leur mémoire « sous la forme de la prétérition/futurition de la pensée d’un avenir incertain et ouvert, et sous la forme d’une interrogation du passé à partir des sommations du présent, c’est-à-dire de la mise en constellation du passé avec le présent » [Chesneaux op. cit. : 130]. La communauté y démultiplie et exemplifie sa diversité, ses contradictions, mais aussi son unité, dans sa dynamique, en d’autres termes dans le moment et le processus mêmes où cette mémoire est en train de se constituer, délivrant par là même la logique en actes d’un ethos communautaire. L’édification du monument aux morts de la commune figure ainsi un lieu et un moment de la mise en perspective des différentes constructions groupales du présent et du passé, dans la dynamique symbolique et imaginaire de la communauté villageoise de Sarrola.
4Dans la construction – par le jeu d’altérités relatives groupales – de cette identité communautaire, à travers des récits empruntant aussi bien à l’histoire qu’à la fiction, le monument aux morts apparaît moins comme un simple moment du global (la réaffirmation de l’appartenance de la Corse à la nation française) que comme un « tout partiel » [Dumont 1951] par lequel le local se donne à appréhender comme la production dialectique de son contexte par les acteurs, et des acteurs par son contexte. L’enchevêtrement des appartenances et des déterminations constitue ainsi la pluralité des mondes nécessaires à sa compréhension [Affergan 1997 ; Augé 1994 ; Boltanski et Thévenot 1991].
5L’édification d’un monument aux morts, par le concours des personnes qu’elle mobilise mais aussi par la réunion de groupes, de fonctions, de statuts et d’appartenances divers, ainsi que par la conjonction des modalités différentielles (concurrentes, concourrentes, contractuelles) de ritualisation du socius communautaire, équivaut à une (re)construction de l’identité villageoise par sa mise en représentation, sa production comme fête et comme célébration dans une théâtralité où la convocation des grands morts exige que soit perpétuée la communauté en continuité avec la société villageoise d’avant-guerre.
- 1 Si le chiffre de 48 000 morts qui figure sur la stèle de la route des Sanguinaires est désormais re (...)
6Depuis la fin de la guerre et le retour des poilus, le culte du souvenir est intense en Corse. L’île compte ses morts1. À Sarrola, 31 soldats ne sont pas revenus. Une complainte de l’après- guerre résume l’étendue des ravages :
In Corsica un ci n’hé piu nimu, un ci resta ché l’onore, una massa d’orfanelli, di vechji tesi a lu sole, sempre fighjendu la strada, s’ellu passu lu fattore (En Corse, il n’y a plus personne. Il ne reste que l’honneur, une masse d’orphelins, et des vieux assis au soleil, regardant toujours la route pour voir si passe le facteur).
7Les associations d’anciens combattants se multiplient. Dès 1920, Jean Bonardi, le maire de Sarrola (né en 1870, capitaine en retraite, ancien colonial, médaillé et chevalier de la Légion d’honneur), adhère à plusieurs d’entre elles. Les « cérémonies du souvenir » sont nombreuses ainsi que les remises de décorations, banquets, inaugurations, qu’une série de cartes postales « immortalisent ».
8Le Manuel des discours et allocutions à l’usage des maires, adjoints et présidents de sociétés pour toutes les circonstances ordinaires et extraordinaires de la vie municipale (2 tomes) contient un discours type et un toast pour banquet d’inauguration, dans lesquels les édiles puisent largement, à l’image du maire de Sarrola. Jean Bonardi a d’ailleurs conservé les articles de journaux consacrés aux souscriptions et inaugurations des monuments corses dont il reproduira le rituel le jour de l’inauguration du monument de la commune.
- 2 On ne peut d’ailleurs que s’étonner que le conseil municipal précédent n’ait pas fait appel à la su (...)
9L’art tumulo-funéraire témoigne d’une signature commune propre aux temps modernes renvoyant à une sensibilité sociale et politique d’époque censée « amener la sensibilité politique des observateurs survivants à rejoindre la cause au nom de laquelle la mort des soldats doit être remémorée » [Koselleck 1998 : 40]. S’il s’inscrit dans le cadre d’une volonté nationale, le projet de monument de Sarrola traduit aussi une sensibilité villageoise. Les documents officiels, les carnets (municipaux comme personnels ou privés) de Jean Bonardi, les articles du journal local le situent sur la « place du village », réticulant en ce centre symbolique les différentes piazze et piazette des quartiers et des hameaux où se déroule l’essentiel de la vie publique des familles. Le poilu du monument de Sarrola n’est pas mort : il veille, debout, tourné vers le village, comme un soldat de quart dédié « aux enfants de Sarrola-Carcopino ». L’importance symbolique du projet ne fait pas de doute. C’est le premier acte politique de Jean Bonardi en tant que maire nouvellement élu (en 1925)2. Ce symbole puissant hisse la mort au rang de témoignage pour les survivants et les villageois encore à naître, fait des morts le gage de l’immortalité de la mémoire, fait du passé la « semence » de l’avenir et du sacrifice de la jeunesse un appel à la perpétuation de la volonté guerrière. L’obligation d’identification aux morts (représentant l’emblème de la victoire, de la gloire, du sacrifice, de la fidélité, du devoir, mais aussi des valeurs familiales et sociales locales) ravive et conserve le souvenir des disparus, et réclame aussi le « recouvrement d’une dette à l’égard de la vie perdue », de ce « tribut » à payer aux morts pour que leur « sacrifice » et la vie des générations présentes et futures acquièrent un sens. Inscrivant le monument et le souvenir dans le quotidien (« Il sera de notre vie quotidienne… », dira Jean Bonardi dans son discours d’inauguration), il inscrit le quotidien dans l’acte de se souvenir :
Chaque jour, en passant, jetons un regard sur lui. Mortui viventes obligant (Les morts « obligent » les vivants).
10Ainsi le monument apparaît-il comme le lieu/lien verticalisé d’une ligne de fuite temporelle joignant le passé au futur. La coprésence de l’horreur guerrière et de l’innocence enfantine sans cesse réaffirmées dans les métaphores, les inaugurations, les photos, statufie et inscrit dans la pierre la confirmation de l’identité d’une communauté d’actions, d’histoires, d’expériences, de sensations, dont cette édification assure désespérément la volonté et la preuve monumentale. Jules Romains illustre parfaitement ce qui est bien plus qu’une image :
Nous avons besoin de croire à une espèce de durée végétale de la civilisation, à la propriété qu’elle a de se perpétuer malgré les accidents historiques, suivant les lignes de pousse qui dépendent d’un principe très fort, enveloppé dans le germe à l’origine.[1988, III : 483]
11Le monument aux morts s’apparente à une plante, issue de la terre, qui sert de médiation entre le cycle des morts et le cycle des vivants. Condensateur de l’intensité de la relation fondatrice qui unit la terre à un peuple par l’intermédiaire de la culture, il « naturalise » une mémoire historique grâce à l’icône d’une Corse-patrie, unité territoriale, politique et mythique, unissant les villageois, par-delà les morts et les vivants.
12Dès juillet 1925 est placardé sur le mur de la mairie un avis (80 x 60 cm), en belles lettres peintes :
Les habitants de Sarrola-Carcopino sont informés qu’en vue de l’édification d’un monument aux morts pour la patrie, une fête sera donnée le dimanche 16 août à 5 heures dans les locaux de la maison commune.
13Plusieurs affiches au même format sont ensuite réalisées, agrémentées de festons de fleurs de couleurs, peintes par la propre fille du maire, Marie-Catherine, à l’occasion des vacances d’été de ses 16 ans : « Grande fête locale dimanche 16 août au bénéfice de l’édification du monument aux morts pour la patrie ». Deux pièces de théâtre sont au programme, auxquelles participe la jeunesse du village (avec une grande prédominance féminine : 11 jeunes filles pour seulement 3 jeunes gens). Le rideau se lève à 15 heures. Le prix des places est de 6, 3 et 2 francs.
- 3 Comparativement, pour l’année 1928, la commémoration de la fête nationale à Sarrola, après nettoyag (...)
14Le comité des fêtes, qui regroupe des élus municipaux (pour la plupart anciens militaires) et des notables, se trouve placé sous la présidence du maire, du curé-doyen de la paroisse et d’un capitaine retraité. Un autre retraité, ancien instituteur, en est le trésorier. Le spectacle aura les honneurs d’un compte rendu dans les colonnes locales (10 septembre 1929) sous le titre : « Pour nos héros morts pour la France ». L’article fait état d’une « assistance très nombreuse » pour une fête « merveilleusement organisée et bien réussie », qui vit, « devant une salle comble, nos jeunes artistes improvisés en tous points dignes d’éloge » obtenir un « très vif succès ». Tous les participants sont cités, avec mention particulière pour « notre élite féminine qui, quoique n’étant pas habituée à la scène, n’a pas manqué de se distinguer ». La fête rapportera 6 500 francs. Dès 1926, la souscription atteint un total de 13 100 francs3. On n’y retrouve pas moins de 50 noms : Sarrolais résidant à l’année ou vivant sur le continent, anonymes ne donnant que des initiales, personnalités, propriétaires, gendarmes, négociants, sous-économes, gardes forestiers, inspecteurs de police, instituteurs et institutrices, officiers, veuves, cantonnier. De 1926 à 1929 auront lieu chaque année, en avril, un programme de « jeux divers » et, en août, une « matinée artistique », qui, au vu des colonnes du journal, se feront « une réputation bien méritée ». Les travaux eux-mêmes commenceront en 1929 et l’inauguration aura lieu le 29 septembre, après la réélection de Jean Bonardi et de son équipe.
15Se déroulant pendant les vacances, ces « divertissements » drainent la population scolarisée (à Ajaccio, sur le continent ou « à la colonie ») qui regagne Sarrola pour l’été :
Nos jeunes gens et jeunes filles, dès leur arrivée en congé, se mettent fébrilement à l’œuvre et ne négligent rien pour que la préparation soit parfaite et le succès certain.
16Annoncée par un programme imprimé (chez Daroux, Ajaccio), la matinée artistique du dimanche 2 septembre 1928 à 14 heures 30 (prix : 1,50 franc) se compose de deux parties avec entracte et buffet : Le voyage de Monsieur Perrichon (où la fille du maire joue le rôle d’Armand, sa cousine Marie Carcopino étant Mademoiselle Perrichon) et une pièce en langue corse faite pour « régaler nos braves paysans peu familiarisés avec les finesses de la langue française » à qui les organisateurs avaient pensé en confiant à Mademoiselle Bonnelli, dont l’éloge n’est plus à faire, le rôle de Zia Meca dans le dialogue d’Antoine Bonifacio « I gallini di Zia Meca » (Les poules de « tante » Meca). Si l’on en croit l’article, « dès qu’elle parut en scène, les applaudissements crépitèrent de tous côtés. Les lamentations de la pauvre vieille s’échappaient douloureuses et mordantes au milieu des bravos répétés. Zia Meca était depuis longtemps redevenue jeune fille dans les coulisses que les spectateurs la réclamaient encore avec insistance ».
- 4 Comme « En Cors’toi ! » de Jean Maki en 1922 avec des acteurs venus de Paris et de Nice et des chan (...)
17Le succès au village de la comédie en langue corse n’est pas isolé car, si les villes s’intéressent plutôt à l’opérette et à l’opéra italien et commencent à apprécier les revues en langue française4, c’est dans l’intérieur de l’île que, paysans par leurs sujets et leur public, le théâtre et la comédie trouvent racines et succès, ne serait-ce que « dans l’esprit satirique et l’art de raconter, où la mimique et le geste sont rois » [Mémorial des Corses, IV : 388]. Les comédies de Bonifacio traitent ces sujets de caractère où les rapports entre l’homme et la femme au sein du ménage, les personnalités, le lieu et le ton sont ceux de la société villageoise, flattant le monde imaginal de la communauté locale. Ce qui pourrait passer pour du mépris à l’égard de « nos braves paysans peu familiarisés avec les finesses de la langue française » est davantage un hommage à cette société qui se meurt. D’ailleurs, les témoignages historiques abondent sur l’intérêt des Corses pour la poésie et sur la capacité des bergers à débiter des strophes de Dante ou de Virgile. «L’image du berger illettré nourri de l’Arioste et du Tasse ou apprenant à lire sur un vieil exemplaire de Dante n’est pas une légende», écrit Ettori [1984 : 235].
- 5 Annu Corsu n° 11, p. 10.
- 6 Cette proximité sensible de l’humour avec la parenté, et la susceptibilité qui va de pair avec cell (...)
18En 1932 encore, Giuseppe Ungaretti pouvait rencontrer à Saint-Pierre de Venaco des vieillards capables de réciter des chants entiers de la Gerusaleme Liberata. Et dans ses souvenirs, Silvani, ancien habitant d’Ucciani, village proche de Sarrola, rapporte qu’« on racontait des histoires. On lisait surtout de vieux livres italiens, le Tasse et tous ceux que la plupart des gens connaissaient par cœur » [A Memoria 1975 : 19], précisant même qu’« à une époque assez reculée tout ce qui revêtait quelque importance se disait en vers » [ibid. : 21]. Arrighi, un Sarrolais auteur tardif d’un recueil de nouvelles sur son village, jouant, à l’occasion des matinées artistiques de 1925-1929, « un vieux papa », mentionne un Hannibal qui « composa une comédie en langue corse » [1988 : 74]. Le théâtre de cet après-guerre est essentiellement comique et recueille un franc succès dans les villages, avec des pièces contenant une satire de la société corse : les mœurs électorales, le Corse impinzzuttitu (« enfrancisé ») de retour au pays, le goût pour les examens qui ouvrent les portes du fonctionnariat. L’enquête sur « l’esprit corse » de la revue l’Annu Corsu (1929)5 contient cette remarque que « le Corse, contrairement à la croyance commune, accepte très bien la plaisanterie quand elle est faite par des gens qu’il connaît et dont il se sait aimé ou parent »6.
19La mise en représentation du village par lui-même constitue « la mise en œuvre d’un dispositif à finalité symbolique qui construit les identités relatives à travers des altérités médiatrices » [Augé op. cit. : 89]. Il s’agit d’une double mise en représentation de l’identité villageoise : par l’extérieur – le continent, la modernité – et par l’intérieur – les groupes qui forment le village.
20En premier lieu donc, mise en représentation du village contre la ville, de la fête contre le spectacle, de la société traditionnelle contre la modernité. Elle se double de ce que, en Corse, la vie publique est fortement théâtralisée et démonstrative, et de ce que la gestuelle est un mode d’être qui dépasse largement l’analogie shakespearienne entre le théâtre et la vie sociale. La transposition et la mise en spectacle des poules de Zia Meca (dans la pièce de Bonifacio), des chèvres de Zia Barbara dévorant les légumes dans le jardin du maire (anecdote sarrolaise rapportée en entretien), représentent une dramatisation, au sens propre, de la vie locale, une illustration du « génie de la performance familiale » [Chérubini 1994 : 236]. D’autant que celle-ci est l’occasion du regroupement annuel (en dehors des fêtes religieuses, des enterrements et de la fête patronale) des familles-souches ou historiques (et des hameaux éponymes et rivaux, Sarrola et Carcopino) du village.
- 7 Caricaturés par le célèbre U me Figliolu (Mon fils) de De Mari, ou par ces Corses qui « déchirent » (...)
21Mise en représentation, en second lieu, des oppositions et des tiraillements entre groupes composant la communauté villageoise. Alors que le muvrisme (mouvement autonomiste de l’entre-deux-guerres) réclame régulièrement que « la vraie histoire de Corse » soit enseignée dans les écoles, initie des merendelle (fêtes champêtres) où, entre messes et joutes poétiques, on célèbre l’épopée corse, et inaugure une croix du souvenir à Ponte Novu en 1925, la scène de Sarrola ne propose d’autre héroïsation que celle de la vie quotidienne. Avec cependant une redoutable capacité d’autodérision, principale composante de l’humour corse, consistant à mettre en avant les caractéristiques villageoises tout en en décalant le rôle et le statut dans la représentation (vieux et vieilles d’hier joués par des jeunes d’aujourd’hui, hommes joués par des jeunes filles). De même, la montée au village de la jeunesse ajaccienne (« largement représentée »), voire la présence de « nombreux étrangers d’Ajaccio et des villages avoisinants » mais aussi des jeunes fonctionnaires de Sarrola transformés, à l’occasion des congés, en acteurs de leur propre rôle n’hésitant pas à se gausser d’eux-mêmes, rejoint-elle ces poésies qui moquent le déracinement ou « l’oubli de la fougère » et le francisé parsemant ses propos de mots français7. « L’ampleur du mouvement migratoire et sa conséquence, le déclin de l’activité agricole, provoquent des lamentations sur le thème du dépeuplement des campagnes », rapporte le Mémorial des Corses [III : 408] tandis que l’école et l’instruction sont stigmatisées et que les journaux locaux se livrent à une attaque en règle contre « les diplômes, le baccalauréat, la fréquentation des lycées, les bourses, les instituteurs… et plus encore les institutrices, les “brevetées” qui délaissent leurs occupations domestiques » [ibid.]. La mise en représentation du village concentre ainsi une somme d’oppositions externes et internes (ville/village, jeunes/vieux, hommes/femmes, tradition/modernité, paysans/fonctionnaires) qui condensent l’actualité corse de ces années d’après-guerre et consacrent la différence de perception entre la ville et les villages. Autour du monument, symbole de la communauté et de sa transcendance, se greffent autant d’altérités relatives médiatrices qui la mettent en scène : notables et paysans, bergers et fonctionnaires, jeunes et anciens, hommes et femmes. Leur symbolisation comme altérités relatives permet, dans le même moment, la contestation et la perpétuation de l’identité communautaire. C’est seulement dans la mesure où les altérités relatives ne se figent pas en différence absolue, en rupture définitive, qu’elles libèrent l’ensemble du processus rituel comme (re)construction de l’identité communautaire qui, du coup, apparaît comme une construction dynamique constituée d’altérités intimes. Examinons les positions des anciens et des jeunes quant à l’orientation du temps (passé, futur), exemplaires de cette « crise de passage ».
22Pour les anciens, militaires réchappés de la guerre, propriétaires et gestionnaires d’une économie défaillante, détenteurs du pouvoir municipal, le monument est le symbole du passé et de ses valeurs, dont ils voudraient désespérément faire un phare pour les générations futures.
23Ce devoir de mémoire à l’égard des morts s’inscrit dans un mouvement continu qui fait se poursuivre, dans le présent et l’avenir, la cause pour laquelle ils sont morts, dans une continuité à la fois historique et locale : une éthique, un devoir des vivants et un droit des morts. Le monument est une «signature visuelle » [Koselleck 1998 : 46] des morts dans l’espace des vivants, un contrat de continuité de leur œuvre et de leur vie qui se traduit concrètement, familialement et émotionnellement par la présence des veuves et des orphelins du village. Et politiquement par les réalisations municipales (adduction d’eau, électrification, téléphone) que les disparus avaient initiées avant guerre. Le monument constitue la preuve tangible du contrat symbolique matérialisé entre les vivants et les morts. Le symbole d’un soldat debout – sculpté dans la pierre des montagnes communales – est la signature visible de ce contrat par lequel le mort saisit le vif et demande que sa survie soit effective, tandis que les soldats tués sont retournés au territoire sacré du cimetière communal et, ayant rejoint la société des morts, veillent sur la société des vivants par le trait d’union à la fois vertical et horizontal du monument. « Tradition, race, famille, devoir, affection, antique, ancestral, primitif, souvenir, gratitude » : toute cette constellation de mots- valeurs consacre le passé tel qu’un article de Fontana, dans l’Annu Corsu de 1929, le résume en un cycle essentiel qui, du berceau à la tombe, passe par le fucone (le foyer), sous l’arcane du père et de la mère, consacrant « l’œuf familial » comme « âme corse », que la guerre ne saurait avoir fêlé. Le monument inscrit ainsi le futur dans le passé de l’avant-guerre.
24Les jeunes acteurs de la matinée artistique jouent et représentent ce passé villageois pour le consacrer et l’honorer, mais aussi pour montrer qu’il ne reviendra pas : ni dans le présent du village se donnant en spectacle et en représentation à lui-même (puisque les vieux y sont des jeunes grimés, les hommes des jeunes filles déguisées), ni dans le futur du village (les jeunes n’y étant plus, pour la plupart, que de retour, sporadiquement, à la belle saison). Les jeunes jouent les vieux et leurs rôles, les jeunes filles jouent les hommes et leurs rôles parce que ces vieux et ces hommes sont en train de disparaître, abandonnant leur image, dans une représentation fantomatique rappelant les personnages hologrammiques de L’Invention de Morel de Bioy-Casares [1941], jeu mécanique d’hologrammes animés entretenant pour l’éternité l’illusion d’une vie qui s’en est retirée. Si Mlle Bonelli joue Zia Meca, c’est parce que Zia Barbara est bien morte. Le dialogue de Zia Meca « fait passer » ce message, au double sens de l’expression : le communique et le rend acceptable pour les villageois en tant que message nouveau et majeur. Le monument aux morts est alors pour eux le symbole d’une crise qu’ils débloquent en utilisant le matériau de la tradition, de l’autodérision et de l’humour, par la mise en scène de leur décalage et de leur rupture avec l’avant-guerre. Ce qui se joue dans cette matinée artistique est peut-être bien un drame (dans tous les sens de ce terme) social : le retour saisonnier des continentaux, le pouvoir de représenter pris par les jeunes fonctionnaires, le pouvoir de critique sur les « paysans » et l’émergence d’un autre imaginaire. La mise en scène de ce changement possède alors pour la jeunesse villageoise une fonction d’exutoire. Le jouer, c’est une autre façon de l’accepter en le transférant, de façon distanciée, dans un imaginaire. C’est également une façon de le vivre une dernière fois, en montant au village. C’est aussi une façon affectueuse et ambivalente de faire comprendre cette distance aux familles et aux parents. C’est enfin, bien sûr, un moment de plaisir et de jeu pour les jeunes, et surtout pour les jeunes filles, irrévérence joyeuse du bousculement des rôles et des statuts figés dans les rapports générationnels. Cette théâtralisation de la vie villageoise a la douloureuse charge d’une intention symbolique de déconstruction/reconstruction du rapport villageois au monde dominant. La génération de l’après-guerre, fortement présente dans l’administration, ne peut que donner à voir son propre rapport au monde villageois : à la fois respectueux et distancié, jouant de l’élasticité du fil la rattachant au village.
25Le monument aux morts minéralise dès lors le lien entre le passé d’avant la guerre et un futur incertain, figeant en quelque sorte un présent d’inquiétude – politique, économique, culturelle – au cœur même du village, en cette place centrale où se condensent ses forces politique, religieuse, civile, militaire et profane. La matinée artistique du 2 septembre 1928 concentre, dans l’espace microlocal, les tensions existantes en un espace involué, condensant la communauté traditionnelle, son histoire et sa politique, son terroir et son territoire, et en un espace métaphorique parallèle et critique, reconstruction représentationnelle du village par l’emprunt d’éléments du patrimoine culturel « traditionnel », emblématisant l’identité villageoise. Cette (re)construction sociale, en ce qu’elle rassemble les familles- souches, les personnalités locales, les générations, les sexes, les oppositions politiques, dans une théâtralité qui désamorce la tension du passage entre tradition et modernité par sa mise en « représentation », signifie, aux yeux de tous, que ces temps sont finis et que la rupture des générations s’accomplit sur ces tréteaux, à la « racine » même du monument aux morts qui s’élèvera, dans un an, sur la place, au-dessus des préaux de l’école, là où ont lieu les spectacles.
- 8 Clifford [1996 : 334] évoque « des avenirs en lutte ou en alternance » au sujet d’un affrontement a (...)
26Ce qui est visé et interpellé dans cette mise en scène du village, de son passé, de ses avenirs concurrents possibles8, ce sont les conditions de la production et de l’emploi des marques emblématiques à travers lesquelles les acteurs sociaux mettent en scène leur représentation différentielle de l’identité collective, par des rituels de groupes et des systèmes de signes et de blasonnement sociaux qui les affirment différentiellement, qui parcourent la morphologie sociale d’identités en construction, de représentations simultanées, construisant ainsi l’espace relationnel et historique. Ces dimensions potentielles d’identités plus ou moins conflictuelles et leurs modes d’affirmation (les vérités différentielles de la contemporanéité du village) se comprennent en relation avec d’autres espaces (continent, colonies, fonctionnarisme, tradition) qui, d’une part, produisent des réalités sui generis et, d’autre part, peuvent restreindre ou supprimer des caractères spécifiques de l’espace local. Sur cette scène ponctuelle se focalisent (comme, plus quotidiennement, sur les places du village ou des maisons) des techniques, des projections, un système de communication et d’expression. Les matinées artistiques sont un moment où la société sarrolaise se constitue des mémoires, voire des traditions, concurrentes, par l’affrontement de projets de société concurrentiels.
Le temps et la mémoire se tissent ensemble, rusent l’un avec l’autre pour construire le présent, reconstruire ensuite le passé. Ils sont le lieu de la matière qui nous constitue.[Meistersheim 1994 : 115]
- 9 Comment, par exemple, pour le maire, concilier l’ironie mordante des dessinateurs et polémistes à l (...)
27Les matinées artistiques illustrent que la tradition n’est pas ce qui a toujours été mais ce qu’on la fait être : la société villageoise de Jean Bonardi est déjà la société traditionnelle de sa fille9.
28Le monument aux morts est comme la minéralisation de ce passage compris de tous : à la fois l’ultime sursaut des morts, la trace laissée par les vivants qui ont survécu à la guerre, et la marque verticale de l’émergence d’un nouvel imaginaire, promu par les jeunes. Il a ce pouvoir, concentré de vieillesse et de jeunesse, de municipalité âgée et d’autonomie générationnelle juvénile, de « saisir » le village dans un instant que l’on voudrait éternel et que la photographie de la cérémonie va s’efforcer de fixer. Les matinées artistiques articulent, dans la représentation du village, ces niveaux et relient, en tension, les sphères politique, économique, religieuse, sociabilitaire et imaginale dans la construction, ici et maintenant, d’une identité locale. Les matinées mettent en scène les éléments fondamentaux des représentations identitaires, « territoire d’appartenance, personnages-personnalités-clés du lieu, emblèmes de cette identité, en une exaltation de la localité » [Chérubini op. cit. : 105]. Elles consacrent la miniaturisation villageoise par laquelle le local s’interroge en permanence sur son être-ensemble bâti à la jonction de ses ancrages essentiels, « ceux de son organisation sociale, ceux de son monde imaginal, ceux de ses relations avec ce qui est central, global et avec les autres locaux » [ibid.].
- 10 « La trame du présent est faite de paroles habitées par des expériences distinctes. » [Bensa 2000 : (...)
- 11 Son ordre étant à la fois celui de la succession et de la coexistence, de la continuité et de la ru (...)
- 12 « Le tout est d’une certaine façon inclus, engrammé, dans la partie, qui est incluse dans le tout [ (...)
29Si trop souvent, en ethnologie, le « contemporain » est mis à distance au prix d’une détemporalisation de l’expérience ethnographique (l’allochronisme stigmatisé par Fabian [1983]), l’édification du monument aux morts fait se tenir en interaction et en interlocution10 des acteurs sociaux concrets dans leur présent. Cet événement peut alors constituer un lieu et un moment favorables à la saisie des altérités internes relatives à la communauté, et à la production, à travers celles-ci, de l’identité communautaire. Les différents témoins qui évoquent et convoquent le passé à leur façon, s’ils traduisent bien que le temps est « oxymorique » [Farrugia 1997 : 106]11, n’en collaborent pas moins à un « contrat de mémoire » fondateur de l’identité communautaire à travers la reconnaissance de la sociabilité, fût-elle conflictuelle. Dans la conjonction de ces deux vecteurs de la temporalité, l’ethnologie est à même de saisir le présent en tant que présent, c’est-à-dire l’histoire en train de se faire. L’attention portée aux attendus divergents de la situation permet d’accéder aux logiques différentielles de la séquence temporelle. Elle toucherait, avec cet exemple, un tout partiel, véritablement hologrammique12 du local, concernant les temps sociaux, les altérités et les identités relatives des groupes, dans le moment même de la production du sens communautaire. Elle deviendrait, pour le coup, une science de la contextualisation des représentations sociales [Roussiau et Bonardi 2001] ou, plus précisément, une science des significations sociales qui se trouvent au cœur des processus de production et de reproduction des représentations. Les représentations du temps y cèdent, en effet, la place à une intelligence circonstancielle des conditions de production puis d’expérience de la temporalité et de la mémoire sociales. L’édification du monument aux morts propose à l’ethnologue un moment de la production sociale de la société « sous l’effet de toutes les consciences combinées et constituées au gré d’infinies remémorations croisées qui assurent sa perduration et son identité » [Farrugia op. cit. : 100]. La spécificité de ce moment est d’être constitué du maillage de mémoires partielles ou partiales (par lesquelles les différents groupes de la communauté se (re)produisent à travers leur socialité originale) qui, tout en se croisant, se recoupant, se repoussant, finissent par se mêler dans une invention de la mémoire communautaire identitaire. Il y a ainsi de tout sur la scène du contemporain : « du traditionnel, du moderne, du très ancien, voire de l’archaïque, du très nouveau, et surtout beaucoup de mélangé » [Descombes 2000 : 30].
- 13 « Reconnaître au temps sa force propre, l’appréhender en tant que dimension essentielle de l’action (...)
30La société, en tant que réalité temporelle, est objet et sujet d’une fabrication continue. Elle est le produit des diverses consciences et mémoires combinées au gré de l’entrecroisement des remémorations et anticipations, des nostalgies et des projets. Or, « le temps des historiens serait celui où les sociétés humaines s’inscrivent dans le mouvement du temps. Le temps des anthropologues plutôt le temps tel qu’il s’inscrit par un mouvement symétrique à l’intérieur de la vie des sociétés » [Chesneaux op. cit. : 133]. Dès lors, les historiens n’auraient pas assez pris conscience que « le présent était un espace de construction où pouvaient s’étoffer des éléments stables, même si ces éléments stables étaient eux-mêmes pris dans une dynamique » [Bensa 1997 : 13], cependant que les anthropologues n’auraient pas assez insisté sur le fait qu’ils travaillaient sur des expériences historiques. Le monument aux morts, par son illustration, sur fond d’unité culturelle, de praxis différentielles de la bidirectionnalité du temps, permet d’historiciser l’anthropologie et d’anthropologiser l’histoire13.
31Si l’on peut commencer à entrevoir, par l’étude de la dynamique même de ce présent en train de se faire, une histoire qui pourrait conjurer l’anachronisme d’un savoir sur le passé reposant sur une « illusion rétrospective de fatalité », on peut, réciproquement, commencer à entrevoir une anthropologie qui pourrait conjurer l’allochronisme par la prise en considération du temps historique. La restitution de la contemporanéité de l’événement ouvre vers la généalogie des systèmes de forces et de signes qu’il a suscités. Il constitue le lieu et le moment privilégiés où les groupes se (re)produisent par la (re)production de leur mémoire et, dans leur interrelation, (re)produisent la mémoire communautaire et la communauté villageoise. L’ethnologie du présent historique passe ainsi par la prise en considération des présents d’une situation contemporaine composée d’une pluralité de mondes différents mais reliés. Or, c’est précisément parce qu’elle n’est jamais achevée, sans cesse menacée par l’altération du temps et sans cesse confrontée aux nouvelles configurations de celui-ci, qu’une culture est vivante.
Face à l’incertitude, à l’ouverture du présent sur une grande diversité de possibles, chacun s’essaie tantôt à la répétition tantôt au changement […] Ainsi, le travail de production de la temporalité est à la fois retour en arrière et tentative de présenter un avenir.[Bensa 1997 : 14]
32L’anthropologie se donnant pour objet principal la question du sens social (c’est-à-dire des procédures, intellectuelles et institutionnelles, par lesquelles les humains rendent leurs relations réciproques pensables et possibles), on voit tout le profit qu’elle peut tirer d’une approche en termes de temps, de temporalité et de mémoire. La question du temps, en effet, est essentiellement celle du sens des événements, celle de la compréhension des phénomènes sociaux posés dans leur multiplicité, leur complexité et leur devenir constant.
Les temps sociaux renvoient aux rythmes collectifs, endogènes parce que créateurs d’attitudes et d’actions coordonnées. Ces rythmes ouvrent à leur tour sur le monde des valeurs, des valeurs communes […]. Le sens produit est un sens dialectique, toujours en train de se construire à travers d’infinies contradictions et médiations surmontées.[Farrugia op. cit. : 107]
33Par son appréhension de la dimension sociale du temps spécifiée dans les multiples et complexes opérations de remémoration constitutives de l’identité à la fois groupale et communautaire, l’exemple du monument aux morts permet la reconstruction de certaines totalités sociales que l’inventaire des traits ne livre jamais à l’ethnologue qu’en ordre dispersé, et restitue alors, dans leur intention signifiante, des vies particulières, des problématiques familiales, des moments et des lieux significatifs, traduisant une constellation d’attitudes et de comportements commandés par la conscience confuse du destin collectif des différents groupes et de la communauté. Dans cette dynamique, le sacrifice des morts, sa célébration posée comme éternelle et la reconnaissance de sa validité dans la présence et la continuité des vivants, prennent forme dans le monument aux morts, et la statue du « poilu en sentinelle », érigée à égale distance des deux hameaux éponymes, redresse en quelque sorte leur rivalité en un élan commun, transformant la place du village en un blason concrétisant la continuité idéale des générations et l’essentiel des relations villageoises. Cette conjonction verticale éternise « le cadre spatial du réseau des toponymes, le cadre temporel de l’année scandée par les saisons, les travaux, les fêtes […], le cadre social de l’interconnaissance des lignées et familles alliées les unes aux autres » [Ravis-Giordani 1983 : 208], pour produire une identité faite de différences et d’unités tendancielles, de permanences et de variations dans lesquelles chaque individu peut (pouvait et pourra) construire sa propre personnalité et contribuer à la production de celle de la communauté.
- 14 « Natio, écrit Casalonga [1995 : 96], c’est ce qui fait référence au lieu où je suis né, pas forcém (...)
34L’édification du monument aux morts conjoint et symbolise ainsi la continuité de l’identité villageoise en une représentation miniaturisée : la verticalisation minérale de l’être-ensemble et du vivre-ensemble transcendant les aléas de l’histoire veut conserver à Sarrola une identité communautaire, maintenir la continuité « sous les ruptures agissant au cours même des processus de transformation » [Balandier 1988 : 9]. Souscription, matinée artistique, inauguration deviennent le moment de la mise en représentation de mécanismes symboliques et affectifs qui sont autant de dynamiques d’autocontextualisation d’une identité dans un lieu14.
35Le monument aux morts devient le symbole – historiquement daté et pourrait-on dire «blessé» – de l’être-ensemble villageois, représentation véritablement collective par laquelle le village se dit à lui-même et aux autres ce qu’il est, construisant une mémoire affirmant une identité fragile et menacée dont il souhaite la double inscription dans le passé de l’avant-guerre et dans la figure de proue de l’avenir.
36L’écrivain sarrolais Arrighi [1988 : 94] réalise quelque peu cette continuité quand il se réjouit de « ces jeunes de chez nous (qui) savaient retrouver le sens d’une harmonie entre notre terre, notre passé, et tout ce qui changeait dans le monde […]. Nous, les déjà vieux, nous nous sentions rassurés car, au fond, il y avait quand même quelque chose qui subsistait, qui continuait… ». Chaque génération inscrit dans ces points de suspension le désir d’un cycle possiblement éternel. La photographie d’enfants jouant dans la neige autour du monument, par une matinée neigeuse de 1951, illustre à sa manière la conjonction symbolique des enfants morts et des enfants vivants de Sarrola.
La Corse, après tout, n’est peut-être qu’une invention de nos grands ou arrière-grands-parents.[Roncayolo 1998 : 71]