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AccueilNuméros169-170Les héritiers de la terre

Les héritiers de la terre

Famille, patrimoine et reproduction sociale dans la Pampa argentine (xixe-xxe siècle)
Blanca Zeberio
p. 131-148

Résumés

Résumé
En Argentine, les principes juridiques régissant la propriété de la terre et les règles égalitaires de succession n’ont pas éliminé une multitude de pratiques qui tendaient à l’éviction de certains héritiers dans le dessein de préserver l’essentiel du patrimoine foncier contre le morcellement. Les colons basques et danois notamment, nourris d’une tradition de primogéniture, adoptèrent une série de stratégies pour atténuer les effets de la loi. L’hétérogénéité des comportements montre que la transmission du patrimoine ne présente pas une forme unique et linéaire. Cette diversité des modalités de reproduction familiale est mise en rapport avec l’hybridation de coutumes européennes différentes sur un territoire – la Pampa – peuplé massivement d’immigrants. Le décalage entre discours juridiques et pratiques de succession est examiné à partir d’une documentation archivistique qui met au jour les conflits familiaux et les ajustements complexes à la législation.

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Texte intégral

  • 1 Cette recherche a été réalisée grâce à une subvention de la Fondation Antorchas (2000-2001).
  • 2 Dans un article récent, B. Derouet [1997] attire l’attention sur la relative méconnaissance du fonc (...)

1L’historiographie argentine a abordé la question de l’héritage afin de reconstituer l’histoire du capitalisme dans la Pampa aux xixe et xxe siècles. Notre approche, qui met l’accent sur la famille et sur les formes de transmission de son patrimoine, permet de modifier en partie cette perspective et de découvrir d’autres rationalités souvent occultées par une méthodologie plus classique1. Le capitalisme de la Pampa est intéressant, d’une part parce qu’il amène à réfléchir aux logiques de reproduction familiale, d’autre part parce qu’il constitue un laboratoire grâce auquel on peut observer les adaptations et les transformations des pratiques. Les changements sociaux et économiques rapides qu’a connus cette société depuis la fin du xixe siècle, avec l’arrivée de milliers d’immigrants dans un contexte d’abondance de terres et de tradition juridique égalitaire issue de la période coloniale – tradition qui fut réaffirmée par l’État-nation avec la promulgation d’un code civil libéral – en font un objet d’étude privilégié pour une meilleure compréhension des systèmes égalitaires2.

2Nous tenterons ici de préciser certains points qui nous paraissent essentiels pour saisir les pratiques de transmission du patrimoine et les modes de reproduction de la famille dans la Pampa argentine aux xixe et xxe siècles. Nous nous pencherons notamment sur le contexte normatif, sur la relation entre règle et pratique, sur la coexistence de cultures juridiques différentes, sur la terre et les différentes significations qu’elle a revêtues, sur le patrimoine et les marchés, et sur le rôle des institutions locales dans la reproduction familiale.

3En effet, dans une société nouvelle et de tradition juridique égalitaire, les pratiques de transmission ne peuvent être analysées uniquement à partir de la famille et de son patrimoine. Il est nécessaire de prendre en compte un ensemble de relations incluant, entre autres aspects, le cadre légal, les institutions juridiques, les réseaux d’intermédiaires et la diversité des stratégies et des traditions familiales.

Normes et institutions

La Constitution nationale proclame la propriété individuelle absolue, garantie et devant être encouragée […], accessible à tous ; [grâce à elle] il ne devrait plus y avoir de terrains communs (ejidos), de fondations de bienfaisance ni de majorat, etc. ; tout tendait vers l’égalité dans les répartitions héréditaires qui […] divisaient automatiquement la propriété […] les institutions de droit privé et de droit public complétaient un nouveau régime foncier pouvant se résumer par les mots : liberté, égalité, propriété et sécurité.[Cárcano 1917]

  • 3 Les réactions et adaptations de la société rurale française aux changements introduits pendant la p (...)

4Le problème de la répartition et de la continuité de la richesse entre les générations ne suscita pas, dans cette société nouvelle caractérisée par l’abondance des terres, le même degré de réflexion et de confrontation que dans les sociétés européennes, en particulier celles où prédominait un régime d’héritage ne privilégiant qu’un seul héritier3.

5Face au risque de concentration excessive des richesses, les idéologues de la nation s’efforcèrent de trouver la formule qui garantirait le mieux l’égalité des chances en élaborant un régime juridique libéral qui devait dépasser les coutumes du pays – la coutume, à la différence de ce qui prévaut dans le modèle anglo-saxon, ne pouvant fonder le droit – afin de créer une société et un État modernes. Ces principes libéraux étaient censés, avec le temps, ajuster ou équilibrer les effets indésirables qui pouvaient résulter de certaines pratiques politiques ou économiques. Un modèle contractuel s’imposa, fondé sur deux piliers législatifs:la constitution nationale de 1853, qui reflète en grande partie les idées et le projet politique de J.B. Alberdi, et le code civil de 1871, qui est l’œuvre de Vélez Sarsfield.

  • 4 Pour une approche plus complète de ces textes juridiques et une analyse des courants, conceptions e (...)

6Le code civil de Vélez Sarsfield (élaboré entre 1865 et 1869) reprenait en grande partie les principes et les réglementations du code napoléonien (1804) et de la tradition libérale hispano-américaine inaugurée par le code civil espagnol (1851), le code civil chilien d’Andrés Bello (1858) et le code civil uruguayen d’Eduardo Acevedo (1868). Ces constructions juridiques avaient introduit un changement dans la conception du droit : l’individu et le droit de propriété devaient prévaloir sur la coutume et, pour imposer ce principe, il était impératif de mettre en place un appareil juridique ayant force de loi et émanant de l’État4. Les principes libéraux devaient garantir dans l’avenir une société plus juste.

  • 5 Sur le droit de la famille et sur les règles de succession et de transmission du patrimoine, il exi (...)

7Ces nouvelles conceptions juridiques entendaient promouvoir un ordre successoral accordant la priorité à la succession ab-intestat sur la succession testamentaire. Ainsi, le testament – instrument qui pouvait être utilisé par la famille pour favoriser ou exclure certains enfants – n’avait plus, dans la lettre de la loi, qu’une utilité pratique dans les cas où il n’y avait pas d’héritiers obligés. Notons que les changements de doctrine introduits par le code civil de Sarsfield ne signifiaient pas une rupture avec la tradition égalitaire qui existait dans le Río de la Plata depuis l’époque coloniale. Le système castillan avait prévu plusieurs formes de succession allant de la répartition égalitaire des biens entre les héritiers à la libre disposition d’un cinquième de la totalité du patrimoine, mesure destinée à favoriser un des descendants légitimes et à créer des majorats [Chacón Jiménez ed. 1990 ; Moutoukías 1992]5.

  • 6 Deux grands modèles étaient en concurrence dans le Río de la Plata et ont inspiré la rédaction du c (...)

8Précisons que, à côté des principes libéraux et égalitaires, le code civil de 1871 incorpora des figures juridiques traditionnelles visant à assurer la continuité du patrimoine familial telles que la donation entre vifs et le préciput. Vélez Sarsfield maintint cette dernière institution mais lui retira l’autonomie et l’importance qu’elle avait eues pendant la période coloniale en la réduisant à la libre disposition d’un cinquième du patrimoine. Outre qu’il assurait la continuité du patrimoine familial en la personne du fils héritier, le préciput avait des conséquences sur la situation de la femme, en particulier sur celle des filles célibataires6.

9Sur ce dernier point, le code reflète une tension entre les nouveaux principes et les anciennes pratiques. Vélez Sarsfield prétendait que son œuvre législative était fondée sur un modèle familial et matrimonial qui respectait à la fois les coutumes du pays et les valeurs de la famille coloniale. Il concevait l’égalité, par exemple, comme un droit exclusivement masculin qui excluait la femme mariée de la gestion des biens dont elle avait hérités (son mari en était l’unique administrateur), lui refusait l’héritage de ses enfants mineurs en cas de veuvage et même, éventuellement, l’autorité paternelle (patria potestas) sur ses enfants. Les femmes célibataires ayant des enfants ou les veuves devaient avoir recours à des tuteurs (frères, pères, amis de confiance, ou encore l’État).

10Dans leurs analyses du Code civil, plusieurs juristes et législateurs du début du xxe siècle ont noté le caractère conservateur des idées de Vélez Sarsfield lequel ne prit pas en considération un certain nombre de principes qui, déjà au milieu du xixe siècle, avaient été étendus au régime matrimonial et aux régimes concernant l’héritage et les droits de la femme.

  • 7 Extrait des débats parlementaires sur les droits civils de la femme, Jurisprudencia argentina, Secc (...)

[Vélez Sarsfield] eût pu fondre, commentait le député De Tomaso lors des débats sur les droits civils de la femme en 1926, en une forme plus harmonieuse les éléments juridiques qui existaient à son époque afin d’élaborer un régime familial plus souple et moins imprégné de la tradition espagnole. Le législateur ne concevait qu’un seul type de famille, à savoir la famille restreinte et patriarcale de la classe supérieure ou aisée de son temps. Aussi confina-t-il la femme, surtout en ce qui concerne l’administration de ses biens, dans une position d’infériorité. Il a légiféré, ajoutait De Tomaso, comme s’il n’avait pas vu que ce pays était un pays d’immigration et qu’il fallait, en raison de cette situation, adopter le régime le plus susceptible de convenir à des familles de races et de cultures différentes. Le Code aurait dû permettre la libre adoption de conventions matrimoniales afin que chaque famille puisse choisir le régime matrimonial adapté à sa situation personnelle, à sa profession, à ses idées religieuses, à ses coutumes…7

11Ces arguments, qui montraient la nécessité d’adapter la norme à la réalité sociale, au développement du capitalisme et aux changements introduits par l’immigration, conduisirent à la promulgation de la loi 11.357 de septembre 1926. Non seulement cette loi accordait la libre disposition de ses biens à tout individu et la liberté de choisir sa profession, mais elle reconnaissait à la mère célibataire le droit de détenir l’autorité paternelle sur ses enfants.

  • 8 Cette loi stipulait qu’il fallait disposer de 200 lots de 625 hectares pour créer une exploitation (...)

12Entre la promulgation du code civil de 1871 et les premières décennies du xxe siècle, la conception juridique et la législation concernant la propriété de la terre et le régime d’héritage n’ont pas connu, en Argentine, d’importantes modifications mais seulement des changements ponctuels liés à des projets de colonisation officiels d’application restreinte, telle la loi sur le foyer (la ley del hogar) de 18848. La restriction apportée au droit de propriété consistait en ce que la propriété ne pouvait être ni aliénée, ni hypothéquée, ni saisie pendant une période de cinq ans.

13Plus tard, sous le premier gouvernement Irigoyen, fut approuvée la loi 10.264 qui accordait le droit de demander à l’État des portions de terres publiques de 20 à 200 hectares. Le lot obtenu par la famille ne pouvait pas être vendu ni mis sous séquestre, mais il pouvait être cédé à une autre famille moyennant une autorisation préalable. Les produits qui en étaient tirés pouvaient être mis sous séquestre ou être vendus dans la proportion de 50 %. Pour obtenir ces terres il fallait être argentin ou naturalisé, et les fils qui se mariaient avaient le droit de demander un nouveau lot. À la mort du titulaire, si les enfants étaient mineurs, la terre restait dans l’indivision jusqu’à leur majorité, après quoi elle pouvait être partagée conformément à la loi sur l’héritage.

  • 9 Sur les politiques du péronisme concernant le secteur agraire, voir la thèse de doctorat de M. Blan (...)

14Dans la décennie 1940-1950, hormis les changements que subit le rôle de l’État, les gouvernements militaires et les péronistes apportèrent des modifications à la doctrine sur la propriété de la terre et sur l’héritage9. La loi 13.995 de 1950, dite d’administration nationale de la terre, modifia considérablement le régime de propriété agricole des terres de l’État passant dans des mains privées. Elle instaura le domaine révocable, changea le système d’héritage tout en préservant l’unité économique de l’exploitation, et fit obligation aux titulaires de ces terres de désigner par testament l’héritier successeur, sans préjudice du droit des cohéritiers à réclamer leur part.

15De même inspiration mais plus spécifique, la loi 14.392 de 1954 sera révisée en 1958 après la chute du péronisme. Cette loi interdisait aux titulaires de diviser l’unité économique, de se constituer un quelconque droit réel sur la parcelle leur ayant été allouée, de transmettre ou d’aliéner le domaine à des sociétés commerciales sauf lorsqu’il s’agissait de coopératives. Le propriétaire devait également assurer au domaine un certain degré de productivité, sans quoi il pouvait être exproprié.

16Bien que ces lois aient introduit, en matière de doctrine, des changements assez éloignés des principes libéraux du Code, ces changements n’ont eu qu’une importance limitée et ne sont pas parvenus à briser l’imaginaire juridique élaboré à la fin du xixe siècle, imaginaire inspiré par des pratiques de reproduction du patrimoine familial ayant une longue tradition dans le Río de la Plata. En réalité, le code de Vélez Sarsfield s’appuyait sur une conception des pratiques familiales – à savoir que la norme façonne le modèle social de la famille – qui entrait souvent en conflit avec les principes libéraux prônant la division égalitaire du patrimoine. Mais grâce à cette dualité et à cette ambiguïté, le Code permettait aux familles d’agir selon leurs désirs et leurs traditions – d’une manière qui rappelle ce qui s’est passé dans la France postrévolutionaire.

17Les tensions explicites ou implicites entre pratiques et corpus normatif furent ainsi atténuées et même définitivement effacées par ceux qui appliquaient la loi, au point que la mémoire historique occulta des pratiques qui, de façon sous-jacente, contredisaient le discours égalitaire. Cet effacement fut si radical que les écrits politiques et académiques parlèrent, comme d’un fait accompli, de la rupture imputable à une législation homogénéisante. Ainsi s’enracina dans le discours la certitude que le code de Vélez Sarsfield avait été le moyen le plus efficace de combattre les latifundia et la concentration des richesses.

Succession et transmission

  • 10 Au cours des dernières décennies du xixe siècle, celles-ci connurent une valorisation rapide due au (...)

18Les contextes économiques et sociaux dans lesquels se produisirent le peuplement, la valorisation de la terre, l’intégration dans les marchés, des différentes régions de la Pampa, eurent une influence sur les formes de transmission et d’héritage que nous allons tenter de résumer ici, dans le prolongement de notre travail sur les districts du sud de la province de Buenos Aires. En raison de son peuplement tardif et du fait que les terres ne commencèrent à être exploitées qu’à la fin du xixe siècle10, la Pampa permet de reconstituer des pratiques qui, dans des zones de peuplement plus ancien, avaient été en partie abandonnées, et d’étudier, sur de très courtes périodes, les changements survenus dans les stratégies familiales.

  • 11 Cette catégorie d’« anciens propriétaires » se compose des créoles, c’est-à-dire des descendants de (...)
  • 12 Cette pratique consistant à se défaire très rapidement des terres était conditionnée par l’existenc (...)
  • 13 Dans son travail sur les pratiques d’héritage aux xviiie et xixe siècles, M. Canedo a montré que la (...)
  • 14 Au milieu du xixe siècle, le patrimoine de la famille Montes de Oca y Miguens – étudiée par A. Masc (...)

19Entre la fin du xixe siècle et le début du xxe, on peut distinguer trois phases principales en ce qui concerne la transmission et l’héritage dans ces nouvelles terres du Sud. Mentionnons tout d’abord les pratiques des premiers colons installés sur la frontière sud au cours des premières décennies du xixe siècle11. Dans ces familles, le partage du patrimoine obéissait à la tradition castillane en vertu de laquelle l’héritage était divisé en parties égales entre les enfants légitimes. Le dénominateur commun de ces pratiques est qu’au moment des premiers transferts (qui se produisirent pour la plupart avant que les terres des districts du sud de Buenos Aires soient pleinement introduites sur le marché) un certain nombre de descendants n’occupaient pas la totalité de la terre reçue et s’empressaient d’aliéner les parcelles dont ils avaient hérité12. Cet apparent désintérêt pour la terre, qui accéléra le morcellement des grandes propriétés de la frontière sud, s’explique à la fois par la faible valorisation de celles-ci, dont certaines n’étaient même pas exploitées13, et par la diversification des investissements qui poussait les héritiers à leur préférer d’autres biens familiaux plus rentables. Cette préférence se traduisait par l’importance des investissements immobiliers urbains. Les propriétés urbaines à Buenos Aires ou dans les villages de la province ont ainsi représenté jusqu’à 50 % des biens transmissibles14. Cette diversification des investissements, qui tendait à diminuer les risques et les incertitudes de l’activité agricole, fut, comme le signale J.C. Garavaglia [1993], un modèle classique de « l’élite économique dominante » au xixe siècle.

20En second lieu, dans la décennie 1870-1880, la région sud connut une transition vers un nouveau cycle productif caractérisé par le métissage ovin et bovin et par les premières expériences de l’agriculture céréalière qui entraînèrent une valorisation rapide des terres. Dans certaines régions, la valeur de la terre quadrupla en quelques années. Ces transformations socioéconomiques changèrent les pratiques de transmission. La terre prit de plus en plus de poids dans la composition du patrimoine, allant jusqu’à représenter, à la fin du xixe siècle, plus de 60 % des biens transmis. Toutefois, cette importance des investissements ruraux ne modifia pas substantiellement la mobilité et la fragmentation des parcelles composant l’exploitation.

21En troisième lieu, au début du xxe siècle, outre l’expansion de l’agriculture commerciale et l’installation massive des agriculteurs européens, les histoires patrimoniales signalaient l’apparition d’une nouvelle couche de propriétaires dont les pratiques de transmission présentaient des traits de continuité avec celles de la période précédente. Ces nouveaux colons – même si certains, comme les Basques ou les Danois, étaient issus de régions ayant une tradition de primogéniture – développèrent des formes de division patrimoniale à tendance égalitaire qui se combinaient avec l’élection d’un ou plusieurs successeurs masculins, sans considération du rang de naissance, et visaient à assurer la continuité du patrimoine familial. Dans la constitution du patrimoine familial de ces nouveaux propriétaires prédominaient les investissements ruraux (environ 80 % des investissements des petits et moyens propriétaires étaient des achats de terres). Cet investissement principal était complété, dans des proportions variables, par des investissements urbains, fonciers ou commerciaux.

  • 15 Dans le cas de la famille Suárez Martínez-Piñero, d’origine galicienne, que nous avons étudiée en d (...)

22La combinaison des investissements urbains et ruraux que nous avons constatée dans ces familles de la petite bourgeoisie immigrante permet de dégager deux modes de reproduction : l’un, que l’on peut qualifier de rural, et l’autre, de rural-urbain. Dans ce dernier cas, les biens urbains revêtaient – comme ceux des familles de l’élite au début du xixe siècle – une forte valeur matérielle et symbolique, au point que, bien souvent, les querelles des héritiers à propos du patrimoine concernaient surtout les investissements urbains et que les biens ruraux allaient aux sœurs à titre de compensation ou étaient transmis à une branche collatérale de la famille15.

  • 16 Georges Augustins considère qu’un fils est exclu quand, par un moyen qui n’entraîne pas de violence (...)
  • 17 Pour ces deux districts, nous avons reconstitué les histoires patrimoniales des producteurs au cour (...)

23À partir des premières décennies du xxe siècle, la pleine occupation des terres est un des facteurs qui expliquent la fréquence des pratiques excluant les héritiers « non élus ». Ces pratiques, qui ne violaient pas le principe de partage égalitaire du patrimoine, n’en favorisaient pas moins l’établissement de certains enfants16. La dépendance à l’égard de la terre était telle que, parmi les petits propriétaires, plus de 25 % des exploitations se transmettaient en ayant recours à l’élection d’un ou de deux successeurs. Une des pratiques les plus répandues était la cession de l’usufruit ou la recomposition de l’exploitation, grâce à l’achat par les frères. Les femmes de la famille – surtout les célibataires et les veuves – cédaient à leurs frères une partie de l’héritage qui leur revenait, ou leur en confiaient la gérance. Dans l’étude de cas que j’ai effectuée il y a quelques années dans deux districts du sud de la province de Buenos Aires, Tres Arroyos et Necochea, j’ai constaté que la vente et l’affermage de la terre aux frères représentaient plus de 20 % des cas de recomposition de l’exploitation. En général, ces terres étaient vendues au prix du marché ou à des prix à peine inférieurs17.

24La donation entre vifs (combinée parfois avec l’indivision du patrimoine et le préciput d’un frère) fut une autre stratégie choisie par ces familles d’immigrants pour garantir l’intégrité du patrimoine et accélérer l’installation des enfants.

25Ces pratiques, qui se prolongèrent pendant une bonne partie du xxe siècle, avaient pour conséquence une exclusion plus ou moins radicale des fils et des filles non élus, davantage liée à la transmission du statut familial (position sociale, réseaux, droit de gestion du patrimoine) qu’à une exclusion stricto sensu de la terre, c’est-à-dire de l’héritage.

26Les tendances structurelles que nous venons d’esquisser révèlent une grande capacité d’adaptation des stratégies familiales face aux transformations socioéconomiques qui ont marqué la Pampa aux xixe et xxe siècles. Les formes successorales choisies par les familles pour réorienter le destin de leurs enfants dans ces différents contextes nécessitèrent une longue période de socialisation au cours de laquelle se transmirent différentes cultures familiales liées au patrimoine. Fils et filles définissaient leur rôle en fonction du patrimoine et de la situation des parents.

27Jusqu’au début du xxe siècle, ce processus complexe de transmission peut être schématisé – s’agissant des petits et moyens propriétaires – par deux moments principaux, à savoir la transmission et la succession proprement dite. Cette dernière, qui intervenait à la mort des parents, obéissait le plus souvent à la norme légale (succession ab-intestat, donation entre vifs, etc.).

28En règle générale – et au-delà de la diversité des situations familiales soumises à des conditions démographiques, économiques et, parfois au hasard – se dégagent, en fonction du modèle de cycle de vie, trois phases en ce qui concerne la transmission des terres dans la Pampa. La première est une phase d’expansion pendant laquelle le fils, quel que soit l’âge du père, assume de plus en plus de responsabilités, mais où la conduite de l’exploitation et la prise de décision restent aux mains de ce dernier. Durant la deuxième phase, plus ou moins longue, le fils (ou les fils) prend peu à peu la direction de l’établissement – moment qui coïncide couramment avec son mariage, et donc avec l’apparition d’un nouveau foyer qui s’installe sur une parcelle proche de la maison paternelle –, le père pouvant céder une parcelle (moyennant un loyer, une donation, un prêt ou la création d’une société) ou pouvant décider d’augmenter la participation du fils dans les revenus de l’exploitation. Enfin, la troisième phase est celle au cours de laquelle le père délègue l’exploitation à ses successeurs.

  • 18 Un cas paradigmatique que nous avons étudié est celui de la famille Aizpurúa, d’origine basque [Zeb (...)

29Les moments les plus critiques étaient l’installation des enfants et la période qui suivait la mort des parents et où éclataient en général les conflits entre frères. Un des facteurs qui rendaient plus ou moins difficile, dans l’un et l’autre cas, la recherche d’une solution était la possibilité d’augmenter l’exploitation en achetant ou en louant de nouvelles terres, en diversifiant les activités, en réorientant la production, etc. Face à l’impossibilité d’obtenir des terres supplémentaires pour installer tous les enfants, il existait deux types de réponse : la parcellisation, avec un risque de perte de rentabilité, ou le retour à des pratiques excluant certains frères ou sœurs. La décision des parents n’obéissait pas à une rationalité purement économique mais était inspirée par différentes traditions familiales et culturelles18.

30L’histoire de la famille Cavalleri est représentative des difficultés de la transmission dans la mesure où une succession conflictuelle se termina par le partage des terres entre les enfants. Luis Cavalleri, le fondateur de la famille, était un paysan italien, originaire de Dicomo, établi à Tandil depuis la fin du xixe siècle. C’est là qu’il épousa Teresa Bianchi, elle aussi d’origine italienne, avec laquelle il eut sept enfants. Au début du xxe siècle, il réussit à acheter environ 200 hectares de terre qui faisaient partie de la succession de la famille Chimondeguy qui lui louait des terres. Les sources notariales indiquent que, dès la première génération, le groupe familial adopta, entre 1916 et 1922, après la mort de Teresa, un mode de reproduction « classique » dans la Pampa, c’est-à-dire une répartition égalitaire des biens. L’aîné des fils, Juan José, reçut une partie de la ferme, à savoir à peine 13 hectares. Grâce à des crédits successifs accordés par le Banco Hipotecario Nacionale il ajouta 800 hectares à son domaine. Helena, la fille aînée, célibataire, et Juan, le benjamin, qui avait dirigé l’exploitation du vivant des parents, décidèrent de gérer ensemble leurs parts respectives. Pendant les premières années (1930-1940), pour compenser la perte de terres et de capital ils réentamèrent un cycle d’accumulation en orientant la production vers le marché local : vente au détail de petit bois, avoine, maïs, porcs, canards, etc. Durant cette période, le coût de ces opérations fut élevé, allant jusqu’à représenter plus de 10 % des revenus de la ferme. Mais, à la fin de cette décennie, l’importance de ces activités se réduisit et la production se recentra sur la laiterie et l’élevage de bovins. Cette réorientation des stratégies de production se traduisit donc par une augmentation du niveau de production de l’entreprise après la crise qu’avait connue la succession familiale. En outre, pour pouvoir acheter plus de terres, Juan (qui à son tour eut six enfants) et Helena utilisèrent une autre stratégie, très répandue en milieu rural : le recours au crédit hypothécaire. Dix ans après la succession conflictuelle, ils parvinrent à reconstituer l’exploitation et à débuter un nouveau cycle en vue de l’installation des enfants. Dans l’histoire de cette famille, ces trois trajectoires successives montrent une continuité des pratiques égalitaires pour ce qui est de la répartition de la terre : à chaque génération est entamé un nouveau cycle d’accumulation.

31En résumé, les faits recueillis jusqu’à présent permettent de distinguer deux principaux modes de transmission du patrimoine – en apparence contradictoires – qui reflètent la tension entre différentes cultures juridiques et familiales, et que pratiquèrent, à différents degrés, les trois catégories de propriétaires (petits, moyens et grands). D’une part, des pratiques de partage égalitaire entre les héritiers entraînaient une certaine dispersion du patrimoine consécutive aux achats, ventes, affermages et sous-affermages réalisés par les héritiers légitimes, tant au sein de la famille qu’à l’extérieur. Notons que, sous cette apparente fragmentation des exploitations, s’effectuait une recomposition qui ne reproduisait pas à l’identique le patrimoine de la génération précédente mais permettait l’installation de presque tous les fils et assurait la reproduction familiale [Bonnain, Bouchard et Goy 1992 ; Bouchard 1993 ; Goy et Wallot eds. 1986]. Ces pratiques rendent bien compte de la logique des sociétés à tradition égalitaire pour lesquelles l’esprit d’entreprise était parfois plus important que le patrimoine proprement dit [Derouet 1997, 2001]. D’autre part, l’indivision et l’installation d’un successeur (fils ou neveu) traduisaient une plus grande immobilité du patrimoine et une relative exclusion des fils et des filles non élus (cf. graphique ci-contre).

32Ces réponses plus ou moins imprégnées de cultures égalitaires coexistèrent, et coexistent encore, dans la Pampa argentine et révèlent, comme l’a montré J. Goy, de fortes similitudes avec les formes de reproduction des sociétés dites ouvertes (régions à tendance égalitaire en Europe, et sociétés nouvelles et égalitaires comme le Canada) :

La forme de transmission en système ouvert n’est pas uniquement de nature successorale puisque le processus est étalé sur plusieurs années, voire plusieurs décennies. Qu’il comprend plusieurs phases concernant d’abord l’attribution aux fils mariés des lots acquis et partiellement défrichés ; puis l’attribution du « vieux bien » à l’un des fils ; enfin l’attribution du reste du patrimoine, notamment mobilier, au moment de la mort du premier conjoint dans le but de rééquilibrer le partage […] Que l’instabilité des patrimoines fonciers, l’absence de normes coutumières régissant le rang de naissance des donataires et l’exclusion temporaire ou parfois définitive des filles marquent également ce modèle.[Bonnain, Bouchard et Goy op. cit. : 8-9]

Formes de la transmission entre petits, moyens et grands propriétaires fonciers (en %)

Petits propriétaires < 200 ha

Petits propriétaires < 200 ha

Propriétaires moyens 200-1 000 ha

Propriétaires moyens 200-1 000 ha

Grands propriétaires 1 000-5 000 ha

Grands propriétaires 1 000-5 000 ha

33On peut résumer ainsi les phases de la création et de la transmission des exploitations dans les terres nouvelles de la Pampa argentine :

Les organisations familiales dans la Pampa

34Le succès de la reproduction familiale est dû également à certains facteurs très dynamiques qui rendirent possible l’extension de l’exploitation ou sa recomposition en cas de fractionnement. Les parentèles et les réseaux de voisinage entre individus provenant d’un même « pays », à l’intérieur desquels circulaient les biens et les mariages, jouèrent un rôle primordial dans ce processus.

  • 19 À l’époque étudiée, les ejidos constituent la division administrative et cadastrale des terres rura (...)
  • 20 Nous avons reconstitué les histoires familiales en recoupant un ensemble de sources provenant des a (...)

35Dans un travail antérieur [Bjer et Zeberio 1999], nous avons analysé la constitution de parentèles chez les producteurs ruraux d’origine immigrée en soulignant la signification qu’elles ont revêtue dans l’intégration économique et sociale des nouveaux colons. Dans les ejidos19 de Necochea et Tres Arroyos, nous avons reconstitué plus de 409 organisations familiales qui se composaient, dans des proportions diverses, de parents, de voisins et de paysans. Entre ces parentèles, dont beaucoup ne virent le jour qu’au début du xxe siècle, circulaient terres, capitaux et mariages, et c’est d’elles que dépendait en partie – selon le degré d’insertion de la famille – le succès de la reproduction familiale20. Il ne faut pas minimiser l’importance de ces espaces de sociabilité car, dans ces terres nouvelles, marier les enfants comportait beaucoup plus d’incertitudes que dans les villages d’origine. Si le marché matrimonial était très ouvert et favorisait la liberté de choix du conjoint, dans les faits, la consolidation des réseaux de parenté créa des espaces de sociabilité propices à la conclusion de mariages « fonctionnels », c’est-à-dire répondant aux intérêts de la famille.

  • 21 La société des frères, des cousins et des beaux-frères était un autre mode d’accès à la terre égale (...)

36Cet entrecroisement des intérêts et des mariages facilitait l’accès au marché de la terre, au commerce et au crédit. Ainsi la circulation des terres affermées ou sous-affermées entre les membres de familles liés par des relations matrimoniales interethniques était-elle fréquente. L’exemple des frères Antonio, Cayo et Manuel Avecilla, originaires de León, en Espagne, illustre bien ce phénomène. Plusieurs années après son arrivée en Argentine, dans la première décennie du xxe siècle, Manuel Avecilla épousa une des filles de José Marchino, petit métayer d’origine italienne installé dans la région depuis la fin du xixe siècle, qui louait des terres dans l’estancia « El Eucalipto » de Felipe Mayol, où Avecilla travaillait comme journalier. José Marchino assura l’avenir économique de sa fille en commençant par sous-louer à son gendre 160 hectares de terres. Quelques années plus tard arrivèrent Antonio et Cayo Avecilla, que leur frère Manuel non seulement présenta à leurs futures épouses, les deux autres filles de José Marchino, mais à qui il facilita l’accès aux terres qu’ils louaient dans la propriété des Mayol21.

37Un autre exemple est celui des familles Colantonio, Yalonardi et Di Nardo qui se sont regroupées pour acheter des terres dans l’ejido de Juan N. Fernández. En 1926, une partie de l’estancia des Martínez de Hoz fut l’objet d’une vente publique lors de laquelle certains membres de ces trois familles achetèrent des exploitations rurales. Parmi eux se trouvaient Antonio Yalonardi et Tomás Di Nardo, apparentés par leurs épouses à un autre acquéreur nommé Lebino Colantonio. Tous étaient nés à Ghietti, sauf Yalonardi qui venait de Campo Bassi, en Italie, et s’était marié en Argentine avec une des sœurs Colantonio. Quand eut lieu la vente des terres des Martínez de Hoz, Juan Constantino était devenu un paysan suffisamment prospère pour acheter une exploitation de près de 200 hectares à la compagnie La Criolla.

  • 22 Adolfo et Gil Duvanced, descendants de Français nés dans le nord de la province de Buenos Aires, lo (...)

38Des liens se nouaient également grâce aux relations commerciales entre producteurs et aux relations de voisinage qui, soit résultaient des parentèles étendues, soit créaient de nouvelles parentèles. Ce type de relations apparut au début du xxe siècle dans l’estancia « San Felipe », à San Mayol, où les Cuenca, Duvanced, Escujuri et Gómez, qui avaient d’abord été de simples voisins, formaient désormais une grande parentèle. Ces quatre familles de métayers des Mayol multiplièrent leurs liens avec la communauté locale grâce aux mariages de leurs enfants22.

39Ces organisations, au sein desquelles se confondaient liens familiaux, liens de voisinage et liens ethniques, permettaient aux familles d’entrer en relation avec les habitants de telle ou telle localité et elles servaient d’intermédiaires dans l’accès aux marchés en facilitant et en allégeant les dures lois économiques. Leur rôle dans la reproduction matérielle et symbolique de la famille s’avéra essentiel dans les terres de la Pampa.

Les institutions juridiques : discours et pratiques successorales

40Un dernier aspect, étroitement lié au précédent, est le rôle des institutions juridiques dans la transmission du patrimoine. Si la plupart des accords entre familles étaient informels, et si seul l’indispensable se traitait devant le notaire ou le juge, on ne peut ignorer le rôle des institutions juridiques de l’État et le discours sur la morale familiale qui imprégnait les familles et les institutions et tendait à préserver le modèle.

  • 23 La justice de paix, présente dans chaque village de la province de Buenos Aires, jouait un rôle ess (...)

41Tout d’abord, on constate que plusieurs aspects du rituel judiciaire ont trait à la succession. Rappelons que si les familles s’efforçaient en général de retarder le jugement de succession, l’intervention de la justice était inévitable. Dans la province de Buenos Aires, selon l’importance du montant à partager, les jugements avaient lieu tantôt au tribunal de première instance de la juridiction, tantôt au tribunal de la justice de paix23. Dans le premier cas, la famille devait se faire représenter par un avocat ; dans le second, des intermédiaires non professionnels pouvaient assurer le jugement de succession.

  • 24 Les intermédiaires judiciaires (représentants légaux, exécuteurs testamentaires, commissaires-prise (...)
  • 25 Les transactions correspondant à ce montant ne pouvaient avoir été effectuées que par des petits ou (...)

42Celui-ci commençait à partir du moment où l’intéressé donnait pouvoir à un représentant, avocat ou clerc, d’effectuer en ses nom et place les démarches nécessaires24. Une fois cette formalité accomplie, le jugement suivait son cours normal. On présentait les actes de décès du père ou de la mère et les actes de mariage et de naissance, qui prouvaient la filiation légitime des héritiers, ainsi que les titres de propriété qui permettaient de distinguer les biens propres des acquêts. On nommait ensuite des commissaires- priseurs dont, dans ces villages de province, on retrouve les noms plusieurs années de suite dans les registres. L’inventaire et l’évaluation des biens présentaient un double avantage : d’une part ils sauvegardaient les intérêts des héritiers ; d’autre part l’évaluation des biens était garantie par la justice locale. L’évaluation faisait l’objet d’une expertise effectuée par des intermédiaires attachés au tribunal local afin de vérifier que la valeur des biens n’excédait pas 2 000 pesos25. Si c’était le cas, le juge se déclarait incompétent et l’affaire était transmise au tribunal de première instance. Pour ces petits propriétaires ruraux, cette situation avait l’inconvénient d’accroître les frais et de compliquer les démarches : il fallait prendre un avocat, dépasser le plan local, bref, avoir affaire à une justice plus éloignée de leur univers culturel.

  • 26 Un cas extrême fut le jugement de succession de Petrona Visbeck, veuve de Fancisco Vries, qui dura (...)

43Enfin, le mandataire accomplissait les formalités nécessaires pour que commence le jugement de succession proprement dit, dont les conclusions étaient publiées pendant dix jours dans les journaux, celui de la localité et le Boletín judicial de La Plata. Un jugement durait en général quatre ou cinq ans et représentait un coût minimum de 10 % du capital, comprenant les honoraires et les impôts sur les biens transmis26.

44C’était là la procédure habituelle, au cours de laquelle l’intervention du juge, formelle et routinière, se bornait à préciser les positions des parents s’il y avait conflits d’intérêts. Ces derniers remplissent les archives judiciaires et reflètent une pratique et une idéologie partagées par la famille, la parentèle, les institutions juridiques et l’ensemble de la société, à savoir acquérir et préserver le patrimoine, et qui favorisaient de façon plus ou moins frauduleuse les frères, lesquels bénéficiaient, par voie privée ou judiciaire, du processus de recomposition de l’exploitation.

  • 27 Juriste célèbre. Pendant la période étudiée il occupa la fonction de doyen de la Faculté de droit d (...)

45Carlos Rébora27, éminent juriste des années vingt, considérait que le préjudice moral et le préjudice matériel causés à la famille relevaient du même ordre légal :

Les dispositions légales qui obligent les auteurs de dommages à réparer le préjudice causé par leur faute ne se limitent pas aux choses matérielles ; elles concernent aussi et protègent tout ce qui touche à la dignité morale de la famille.[1924 : 128]

46Par « dignité » et « intérêt moral » il faut entendre tout ce qui est lié aux droits de la famille légitime, à l’honneur d’un honnête homme, auquel auraient attenté par exemple les insultes faites à un père de famille en raison du comportement répréhensible de ses enfants, belles-filles, gendres ou neveux. L’important était de préserver l’unité de la famille, car un préjudice moral résultant de disputes ou d’injures entre ses membres aurait eu un effet destructeur sur la société.

47Cependant, la justice adoptait une attitude aux antipodes de ces pratiques lorsque la résolution des conflits ne concernait pas « les bonnes familles » du village. Quand les acteurs concernés – immigrants récemment arrivés, veuves, familles illégitimes – appartenaient à des groupes n’ayant qu’une faible légitimité sociale et peu insérés dans les réseaux, l’institution judiciaire se montrait moins complaisante envers l’intégrité du patrimoine. Et du jugement dépendaient généralement la continuité et la survie de la famille. Il faut rappeler que le poids de ces secteurs peu encadrés socialement était important dans une société nouvelle et mobile comme celle de la Pampa, dont plus de la moitié de la population était d’origine immigrée.

Quelques remarques en guise de conclusion

48La transmission du patrimoine ne se présente pas sous une forme unique et linéaire, et les biens à transmettre ont revêtu des sens différents selon les moments. Ainsi, la terre – emblème du mythe de l’estancia – prit, en raison de sa valorisation à partir de la seconde moitié du xixe siècle, une importance matérielle et symbolique en tant que bien à transmettre.

49Une multiplicité de pratiques reflétant les traditions juridiques d’origine coloniale et républicaine ont coexisté au xixe et au xxe siècle dans les familles propriétaires. Dans une société à tradition juridique égalitaire, ces pratiques excluaient plus ou moins les fils et les filles et dépendaient de facteurs liés aussi bien aux stratégies familiales relatives au patrimoine (possibilité ou non d’établir les enfants) qu’à l’hétérogénéité de traditions culturelles et ethniques qui se côtoyaient dans une société peuplée – dans le cas de la Pampa – d’immigrants européens. Notons à cet égard qu’il n’existait pas de pratiques excluant les femmes en particulier. Dans le cadre d’une idéologie familiale qui donnait la primauté à l’autorité du chef de famille, les frères et les sœurs étaient assujettis aux décisions des frères « élus ».

50À la différence des sociétés à régime d’héritage unique, les patrimoines, loin d’être immuables, ont connu de fortes mutations qui pouvaient entraîner l’érosion des biens initiaux de la famille sans que cela signifiât l’échec de la reproduction familiale.

51Cette diversité des modes de reproduction de la famille dans les nouvelles terres, qui avait son origine dans des cultures familiales issues de l’hybridation des traditions européennes, était renforcée par le discours des institutions étatiques. Ce processus complexe donna naissance à des idéologies familiales qui, avec le temps, prirent des sens différents et fonctionnèrent comme autant de dispositifs visant à maintenir l’harmonie familiale et sociale.

52La reproduction familiale recèle en outre un troisième aspect, à savoir que les institutions judiciaires s’articulaient entre elles et articulaient en un continuum la famille et les autres instances sociales. La pratique judiciaire de la justice de paix, fondée sur une double légitimité, en tant que représentante de l’État provincial et de la communauté des voisins, s’exerçait en imposant la loi et l’ordre moral à une population culturellement très hétérogène. Elle s’avéra « fonctionnelle » – à côté d’autres institutions, telles les institutions ethniques – pour assurer la stabilité et la reproduction d’une société rurale qui parvint à résoudre une grande partie des tensions et des conflits locaux.

53Traduit de l’espagnol par Marie-Claire Beauregardt

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Notes

1 Cette recherche a été réalisée grâce à une subvention de la Fondation Antorchas (2000-2001).

2 Dans un article récent, B. Derouet [1997] attire l’attention sur la relative méconnaissance du fonctionnement des systèmes égalitaires, à la différence des systèmes dits de transmission intégrale du patrimoine, dont les particularités ont suscité notamment l’intérêt des anthropologues et des historiens de la famille.

3 Les réactions et adaptations de la société rurale française aux changements introduits pendant la période révolutionnaire en sont un exemple ; voir J. Goy [1988].

4 Pour une approche plus complète de ces textes juridiques et une analyse des courants, conceptions et influences dans l’histoire du droit argentin, voir l’article de G. Dalla Corte [2000].

5 Sur le droit de la famille et sur les règles de succession et de transmission du patrimoine, il existe en Espagne une nette différence entre la Castille et la Couronne d’Aragon, différence qui a son origine dans la division égalitaire d’une part, et le choix de l’héritier (el hereu) d’autre part. Toutefois, en fonction des groupes sociaux, au moins en ce qui concerne la Castille, cette situation est beaucoup plus complexe et présente quantité de nuances et d’ajustements, dans le respect du cadre juridique général. Les règles du système familial castillan ont été influencées par le droit romain et les Siete partidas d’Alfonse X (1348). Tant le droit familial que les règles régissant la succession s’inspirent de ce code qui sera définivement fixé dans les lois de Toro de 1505. Ce cadre juridique restera en vigueur jusqu’à la rédaction du premier code civil moderne (1851 et 1889).

6 Deux grands modèles étaient en concurrence dans le Río de la Plata et ont inspiré la rédaction du code : le premier était régi par des principes prônant la recherche de bénéfices individuels ; le second, plus ancien, reposait sur les coutumes du pays et privilégiait les besoins du groupe familial sur les intérêts privés. Ainsi, en fonction de leur position au sein de la famille, certains membres avaient le droit et la chance d’hériter, de posséder et d’exploiter une parcelle de terre tandis que les autres pouvaient se voir privés de ces avantages [Bjer et Zeberio 1999 ; Fradkin 1995 ; Nazzari 1991].

7 Extrait des débats parlementaires sur les droits civils de la femme, Jurisprudencia argentina, Sección Legislación, 1926, t. 23 : 34 et 35. Pour une analyse d’ensemble des changements de l’ordre juridique en Argentine, voir J.M. Díaz Couselo [2000] et V. Tau Anzoátegui [2001].

8 Cette loi stipulait qu’il fallait disposer de 200 lots de 625 hectares pour créer une exploitation familiale. Pour les obtenir, il fallait être argentin, avoir 25 ans et s’engager à cultiver la terre et à y introduire du bétail.

9 Sur les politiques du péronisme concernant le secteur agraire, voir la thèse de doctorat de M. Blanco [2001].

10 Au cours des dernières décennies du xixe siècle, celles-ci connurent une valorisation rapide due au développement d’exploitations spécialisées dans la production céréalière intensive et dans l’élevage [Zeberio 1994].

11 Cette catégorie d’« anciens propriétaires » se compose des créoles, c’est-à-dire des descendants de familles espagnoles, qui appartenaient à la bourgeoisie de Buenos Aires, avaient des relations politiques et avaient acquis des terres grâce à une stratégie de diversification de leurs activités commerciales et financières sous le gouvernement Rosas et au début de la période d’« organisation nationale ». L’emphytéose ou l’achat direct de terres à l’État, qui excédaient parfois 50 000 hectares, en constituaient les deux principales conditions d’accès. Ainsi, Felipe Arana, qui, en 1838, acheta 62 000 hectares de terres dans le district de Tandil, avait été ministre des Relations extérieures dans le gouvernement de Rosas. Un autre exemple est celui de Benjamín Zubiaurre, grand propriétaire de la région qui avait travaillé comme majordome dans une des estancias des Anchorena (où il était entré en contact avec Rosas) et avait fait partie de leurs milices. Les différents aspects de la situation patrimoniale de ces premiers estancieros ont été étudiés en détail par A. Reguera [Bjer, Otero et Zeberio eds. 1998 ; Reguera 2001].

12 Cette pratique consistant à se défaire très rapidement des terres était conditionnée par l’existence d’un successeur capable d’assurer la continuité du patrimoine et la défense des intérêts de la famille. Dans le cas des Zubiaurre par exemple, alors que ses frères vendirent la terre en dehors de la famille, le fils aîné, au moment de la première cession, fut avantagé par testament et chargé d’assurer cette continuité.

13 Dans son travail sur les pratiques d’héritage aux xviiie et xixe siècles, M. Canedo a montré que la terre était le bien le moins « précieux » lors de l’inventaire et de la transmission du patrimoine. Ainsi, entre 1750 et 1815, les patrimoines transmis par les producteurs ruraux se composaient pour 54 % de bétail, 18 % d’esclaves, 13 % de terres et 15 % de biens immobiliers et autres. Entre 1815 et 1852, la terre a augmenté de 21 % et le bétail de 63 %, les esclaves ne représentant plus que 3 % et les biens immobiliers 10 % du patrimoine [Canedo 2000]. Au cours de la période suivante, de pleine expansion agricole, la terre a fini par représenter en moyenne plus de 65 % des biens transmis [Zeberio 1994].

14 Au milieu du xixe siècle, le patrimoine de la famille Montes de Oca y Miguens – étudiée par A. Mascioli – en est un exemple. Un terrain à Dolores représentait 26,3 % des biens, auxquels il fallait ajouter une exploitation maraîchère et fruitière à Quilmes (10,9 %), une ferme avec des bois (14,2 %) et cinq immeubles à Buenos Aires – dont la maison familiale – qui représentaient 48 % des biens. Quant au patrimoine de Francisco Miguens, il comprenait quatre établissements (32 % des biens) et vingt-six propriétés urbaines (34 % des biens). Le reste se composait d’argent liquide (14, 4 %), de quintas, unités agricoles qui exploitaient des jardins potagers et des arbres fruitiers (7,7 %), et de dettes en cours (5,8 %) [Mascioli 2000 : 7-8].

15 Dans le cas de la famille Suárez Martínez-Piñero, d’origine galicienne, que nous avons étudiée en détail, c’est un cousin mineur élevé par le fondateur de l’entreprise qui reprit l’exploitation rurale alors que les fils biologiques furent placés par leur père dans des activités urbaines ou exercèrent des professions libérales.

16 Georges Augustins considère qu’un fils est exclu quand, par un moyen qui n’entraîne pas de violence au sens que revêt celle-ci dans l’éthique locale, il devient étranger aux biens du lignage. L’exclusion variant selon les systèmes juridiques, Augustins a élaboré trois principaux modèles d’exclusion : un modèle fondé sur la logique résidentielle, un modèle fondé sur la différence des droits entre hommes et femmes, et un modèle sans critères d’exclusion a priori [1989]. De son côté, Gérard Bouchard [1992] utilise un concept plus ambigu et moins engagé : celui de « non établi ».

17 Pour ces deux districts, nous avons reconstitué les histoires patrimoniales des producteurs au cours des deux grandes périodes d’occupation des terres mentionnées plus haut. Le plus fort pourcentage de division se rencontre chez les moyens et grands propriétaires (plus de 2 000 hectares). Près de 50 % des exploitations de ces districts furent répartis entre plusieurs héritiers, créant ainsi, en apparence, de nouvelles exploitations après la division de l’héritage. Précisons que cette catégorie de « moyens et grands propriétaires » était très hétérogène et qu’elle comprenait différents types d’entreprises agropastorales [Zeberio 1994]. N’ayant pu avoir accès aux informations sur les grands établissements, nous n’avons reconstitué dans cette étude que les cessions d’estancias de moins de 5 000 hectares. La différence majeure avec les pratiques de la grande bourgeoisie agraire réside dans la disponibilité du capital et la diversification des investissements qui permettaient à celle-ci d’avoir recours à des stratégies financières et successorales plus efficaces pour reproduire le patrimoine. Pour ces producteurs, il était essentiel de donner à chacun des enfants, et dans les limites du capital de la famille, la possibilité de recommencer un cycle individuel d’accumulation et d’extension de l’exploitation, que ce soit sur les terres de l’ancien bien ou sur des terres meilleur marché, ce qui pouvait signifier l’obligation d’émigrer dans de nouvelles zones, selon le modèle classique analysé, entre autres, par G. Bouchard [1993], pour ces sociétés.

18 Un cas paradigmatique que nous avons étudié est celui de la famille Aizpurúa, d’origine basque [Zeberio 2001]. Dans cette famille, la reproduction en ligne féminine s’étend sur quatre générations, ce qui signifie, pour les premières transmissions, l’exclusion des hommes pour cause de migrations ou de célibat. Le chef de famille, Clementina, imposa toute sa vie, qui fut longue, un mode de socialisation très strict à ses filles et à ses nièces. Pour renforcer le modèle familial, tous les ans Clementina envoyait plusieurs de ses nièces vivre dans la maison familiale du village de Rauch pour qu’elles s’occupent de la propriété. Cette mesure, décidée par ses enfants afin d’assurer le bien-être de leur mère, et qui consistait à envoyer dans le village les filles adolescentes en âge de se marier, fut un mécanisme très efficace de transmission d’un modèle familial qui assurait la continuité d’un mode de vie rural se reproduisant par voie féminine.

19 À l’époque étudiée, les ejidos constituent la division administrative et cadastrale des terres rurales dans les districts du sud de la province de Buenos Aires.

20 Nous avons reconstitué les histoires familiales en recoupant un ensemble de sources provenant des archives du registre civil et des archives régionales. Parmi les principales on mentionnera : Relevamiento de chacras y estancias, partidos de Tres Arroyos y Necochea, 1930, 1931, Buenos Aires, Kraft ; Revista Vida Agraria (plusieurs numéros parus dans la décennie 1920-1930) ; Album de Juan N. Fernández, La Dulce Claraz y la Negra, 1921.

21 La société des frères, des cousins et des beaux-frères était un autre mode d’accès à la terre également très répandu. Sur les seules terres des Mayol, nous en avons relevé sept. Ainsi, les frères José, Alberto, Pedro et Jacobo Schenk, originaires de Oudler, en Allemagne, louaient trois parcelles aux Mayol.

22 Adolfo et Gil Duvanced, descendants de Français nés dans le nord de la province de Buenos Aires, louaient des terres aux Mayol depuis 1918. Adolfo se maria avec Felipa Cuenca et Gil avec Juana Escujuri. Quant à Pedro et Leandro Escujuri, d’origine basque, ils se marièrent l’un avec Angela Cuenca, l’autre avec Aniceta Cotabarren. Une autre sœur, Cuenca, avait épousé Angel Fernández, fermier dans l’ejido voisin de Tres Arroyos. Le fils des Cuenca, celui pour lequel nous disposons d’actes notariés, à savoir Bartolomé (encore célibataire dans les années trente), louait 200 hectares de terres depuis 1924 dans l’estancia où vivaient ses sœurs.

23 La justice de paix, présente dans chaque village de la province de Buenos Aires, jouait un rôle essentiel dans le règlement des conflits entre voisins. Le juge de paix, un clerc proche de la communauté, jugeait « conformément à la vérité et à la bonne foi ». Les audiences préliminaires étaient l’acte le plus important dans la mesure où l’on recherchait une solution de conciliation entre les parties, et c’est seulement en cas d’échec que l’on recourait à la présentation de preuves, à une plaidoirie et au prononcé d’un jugement. Les décisions du juge de paix étaient susceptibles d’appel devant les magistrats de la même juridiction ou devant les tribunaux de première instance [Palacio 2000 ; Zeberio 2001].

24 Les intermédiaires judiciaires (représentants légaux, exécuteurs testamentaires, commissaires-priseurs, tuteurs, clercs) étaient pour la plupart d’anciens fonctionnaires du tribunal, ex-juges, secrétaires ou maires.

25 Les transactions correspondant à ce montant ne pouvaient avoir été effectuées que par des petits ou moyens producteurs ou commerçants, car, au début du xxe siècle, 2 000 pesos était le prix d’une ferme d’environ 200 hectares.

26 Un cas extrême fut le jugement de succession de Petrona Visbeck, veuve de Fancisco Vries, qui dura dix ans et coûta 1 800 pesos en monnaie nationale à cause de son caractère conflictuel.

27 Juriste célèbre. Pendant la période étudiée il occupa la fonction de doyen de la Faculté de droit de l’Université de Buenos Aires.

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Pour citer cet article

Référence papier

Blanca Zeberio, « Les héritiers de la terre »Études rurales, 169-170 | 2004, 131-148.

Référence électronique

Blanca Zeberio, « Les héritiers de la terre »Études rurales [En ligne], 169-170 | 2004, mis en ligne le 01 janvier 2006, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/8059 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.8059

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