Navigation – Plan du site

AccueilNuméros169-170Bourgeoisie agraire et famille da...

Bourgeoisie agraire et famille dans l’Andalousie du xixe siècle

David Martínez López
p. 077-091

Résumés

Résumé
La bourgeoisie agraire andalouse a trouvé dans la famille conjugale qui s’est renforcée au xixe siècle l’instrument idéal pour servir ses intérêts économiques et ses aspirations politiques. Alors que le régime libéral avait supprimé toutes les formes d’aliénabilité vis-à-vis de la propriété privée et de la transmission égalitaire du patrimoine, la bourgeoisie terrienne a favorisé des avances héréditaires préciputaires pour lutter contre la dispersion des biens. Les stratégies matrimoniales visaient à choisir des alliés dans la parenté proche et à s’infiltrer dans les réseaux politiques et économiques afin de contrôler le marché de la terre.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 Il n’est pas possible, dans le cadre de ce texte, de décrire dans les détails ce processus qui est (...)

1Le processus d’émergence et de consolidation de la bourgeoisie agraire, qui marqua de son empreinte la société et la politique de l’Andalousie du xixe siècle, fut extraordinairement complexe1. L’évolution historique de ce groupe se confond avec celle d’un ensemble de familles d’origine sociale diverse qui, à des rythmes différents, réussit à atteindre, au début du xixe siècle, un niveau économique et politique que le développement capitaliste et les changements institutionnels ne feraient que renforcer au fil des années. Trois traits au moins caractérisent l’inégale ascension sociale de cette classe. Tout d’abord, une remarquable aptitude pour la capitalisation qui lui permit d’accumuler des patrimoines rustiques considérables et d’apparaître, aux côtés de la noblesse, comme la principale bénéficiaire des mesures de libéralisation de l’économie andalouse. En second lieu, une facilité indéniable pour imiter les comportements clientélistes, oligarchiques et patrimoniaux des élites traditionnelles, mimétisme qui s’avéra d’une extraordinaire rentabilité pour parvenir à l’hégémonie sociopolitique, chaque fois que de nouvelles familles purent investir les espaces de pouvoir à l’échelle de la localité, de la région et même de la nation. Une telle expansion fut rendue possible grâce aux efforts de centralisation poursuivis par les Bourbons au xviiie siècle, et encouragés plus tard par l’État libéral. Enfin, cette bourgeoisie agraire andalouse développa un modèle familial particulier, qui est l’objet de ce texte.

  • 2 Il y a une dizaine d’années, un anthropologue américain [McDonogh 1989] insistait sur le rôle essen (...)

2On entend par familismo la tendance plus ou moins marquée à ériger la famille en groupe de référence. Ce trait, presque toujours présent dans l’histoire sociale des oligarchies locales ou de la noblesse à l’époque moderne, acquiert une importance fondamentale pour la bourgeoisie andalouse au point de constituer sa singularité historique. En effet, les fondements familiaux des bases économiques et sociales de la bourgeoisie agraire andalouse, si typiques de la société de l’Ancien Régime, ont été revalorisés au xixe siècle, comme j’essaierai de le démontrer ici2.

3Les changements promus par les politiciens libéraux du xixe siècle portaient sur la propriété privée et, au-delà, sur l’économie marchande stimulée par les nouvelles mesures. En Andalousie, ces transformations ébranlèrent le secteur agricole et eurent pour effet la consolidation du pouvoir détenu par les parentèles dans le développement économique et dans la reproduction sociale de ce groupe hétérogène qu’était la bourgeoisie agraire andalouse. La famille et la parenté occupèrent donc une position centrale, que la conjoncture liée à la construction de l’État en Espagne ne fit qu’accentuer : après les troubles du premier tiers du siècle et le vide institutionnel qui s’ensuivit, la mise en place d’une bureaucratie politique étatique offrit des opportunités nouvelles pour la promotion sociale et politique de plusieurs des membres masculins de ces familles ou bien, ce qui revenait au même, pour l’expansion des patrimoines familiaux.

4Au milieu du xixe siècle, la formation de la bourgeoisie andalouse était parachevée. De connivence avec la noblesse provinciale et l’aristocratie nobiliaire, ou en nouant avec l’une et l’autre des alliances, cette classe devait façonner la puissante oligarchie économique andalouse, fondamentalement agraire, sur laquelle le fragile édifice libéral d’Isabelle II devait s’appuyer. La gestation complexe de la classe des grands propriétaires fonciers débute au xviie siècle et prend forme durant le xviiie et xixe siècles. Même si les membres de cette catégorie ne composaient pas un groupe homogène, ils avaient en commun l’enracinement rural, la propension à accaparer les ressources, la relation intime et à différents niveaux, avec le pouvoir politique, des marques de distinction sociale et familiale qui tranchaient sur l’ensemble de la population rurale et andalouse en général. Beaucoup de familles étaient issues de l’Ancien Régime et avaient appris à utiliser les mécanismes de reproduction traditionnels de la noblesse avec laquelle elles avaient cohabité, supportant tant bien que mal l’hégémonie sociale de l’aristocratie. Cependant, ce trait essentiel pour la naissance et la constitution de la bourgeoisie agraire andalouse que nous avons appelé le familismo, ne s’explique pas par la simple contamination des modes de vie aristocratiques…

5Le rôle essentiel de la famille dans la bourgeoisie a été régulièrement ignoré par les historiens de la période contemporaine en Espagne. Grâce à l’influence exercée par d’autres sciences sociales, comme l’anthropologie, la démographie ou la sociologie, ainsi que par celle, bien tardive, de l’historiographie européenne, quelques historiens espagnols commencent à prêter attention à la dimension familiale des relations sociales depuis les années quatre-vingt.

  • 3 Un groupe d’historiens modernistes se rassemblèrent autour de Francisco Chacón lors du développemen (...)

6La ligne de partage que les sciences sociales occidentales, dans les dernières décennies du xixe siècle, ont établi entre les sociétés traditionnelles caractérisées par le poids de la parenté, et les sociétés modernes tournées vers l’individu [Macry 1997 : 91-92] a brouillé les hypothèses que les historiens européens avaient avancées au sujet de la famille à l’époque moderne. Ce paradigme sociologique, transposé dans l’historiographie espagnole, a eu un impact sur les problématiques des historiens modernistes, depuis longtemps sensibles à ces questions3. Il a nourri également le préjugé téléologique des historiens de l’époque contemporaine, qui considèrent les réseaux et les stratégies des parentèles comme des vestiges du passé.

7Cependant, lorsque les historiens grattèrent le passé immédiat de la société espagnole, les traces de la parenté surgirent avec netteté, comme cela avait été le cas pour les travaux historiques européens les plus remarquables. La bourgeoisie espagnole n’échappa pas à cette révision. Les rares analyses historiographiques sur cette classe révélèrent non seulement un idéal domestique fortement hierarchisé et replié sur l’intimité du couple [Segalen 1986 : 390-393], mais aussi une dimension familiale qui débordait les contours de la stricte conjugalité et imprégnait de plus larges sphères de la reproduction sociale [Cruz 2000 ; Fernández Díaz 1982 ; González Portilla 1992 ; McDonogh 1989 ; Pérez Picazo 1991 ; Ringrose 1996].

  • 4 À ces trois noms s’ajoute un chapelet de travaux, de nature et origine diverses qui ont mis au jour (...)
  • 5 L’état de la question dressé par Francisco Acosta [1994] sur les élites en Andalousie le met ainsi (...)

8L’historiographie andalouse, pour sa part, n’affronta ces problèmes qu’avec parcimonie. Seule une petite équipe de chercheurs [Fernández Pérez 1997 ; Heran, 1980 ; Martínez López 1996]4 aborda de manière centrale la composante familiale de la bourgeoisie andalouse. Si nous considérons que deux d’entre eux – François Heran, auteur d’un travail pionnier sur une famille de la bourgeoisie agraire sévillane et, plus récemment, Paloma Fernández Pérez, qui étudia les élites marchandes de Cadix au xviiie – se sont formés hors des cadres conceptuels des universités de l’Andalousie, il nous faut reconnaître qu’à l’heure actuelle le bilan historiographique andalou est encore bien modeste5.

9En nous appuyant sur des données très détaillées fournies par cette trilogie d’historiens, et en prenant en considération également une multitude de travaux qui, dans des perspectives diverses, ont traité de cette classe sociale, nous proposons un modèle qui rend compte de la reproduction sociale de ce groupe, reposant essentiellement sur la famille. Nous pouvons donc retracer les voies qui ont été suivies pour soutenir et complémenter les stratégies d’ascension et de consolidation de la bourgeoisie agraire andalouse sur une période couvrant le dernier tiers du xviiie siècle et les deux premiers tiers du xixe siècle.

Un trait de la bourgeoisie agraire : le familismo

10Les espaces d’interaction, les stratégies familiales et les réseaux de parenté forment la trame des relations qui définissent la bourgeoisie andalouse du xixe siècle. Non seulement, comme l’expose pour le cas espagnol David Ringrose [1996 : 414-415, 419-447] en suivant Mayer [1986], parce que cette organisation héritée de l’Ancien Régime, s’est maintenue grâce aux efforts d’adaptation au nouveau contexte historique déployés par les élites du xixe siècle, mais surtout, parce qu’elle était le socle de la sécurité patrimoniale et du contrôle des ressorts politiques, deux traits qui cimentèrent l’hégémonie sociale de ce groupe. Avec le « Nouveau Régime », la famille, du moins chez les oligarchies, se trouva renouvelée ; pour la bourgeoisie, elle représenta son fondement-même en raison de son extraordinaire capacité de consolidation patrimoniale, de cohésion sociale et de pouvoir.

11Mais le familismo rénové, caractéristique de la bourgeoisie, se situe à la charnière de la tradition, incarnée par ses propres pratiques inspirées de l’idéal aristocratique, et du nouveau contexte social produit par l’avènement du régime libéral.

12Le système institutionnel de la société libérale du xixe siècle ratifia en effet le rôle de la famille dans la transmission du capital. L’affirmation des droits individuels et de la propriété privée condamna les formes alternatives d’accès aux titres de propriété, à la gestion ou à l’exploitation des ressources qui, traditionnellement, avaient agi en faveur de la reproduction sociale des communautés rurales sur tout le territoire espagnol. En même temps les artisans de la réforme économique libérale sacralisèrent la propriété privée, éminemment individuelle, qui, dès lors, est considérée comme la forme de propriété par excellence. S’il est vrai que la suppression des formes d’aliénabilité, des mainmortes et des grands domaines fonciers (señoríos), tout ce qui constitue en somme l’arsenal de la réforme agraire libérale, facilita le « libre » fonctionnement du marché et la gestion « rationnelle » de la propriété privée, le système héréditaire majoritairement pratiqué en Andalousie après l’abolition du majorat, entérina lui aussi la voie de transmission familiale individuelle (et dans ce cas-ci, équitable).

  • 6 Sánchez Marroyo [1991 : 70-71], dans quelques réflexions sur les origines de l’oligarchie agraire d (...)

13La « naturalisation », c’est-à-dire le lien que le système héréditaire établissait avec la filiation légitime, demeura en vigueur dans la majeure partie de l’Espagne pendant le xixe siècle. En1889 le Code civil formalisa cette relation qui garantissait la transmission patrimoniale et qui instaura dès lors l’hégémonie de la propriété privée. C’est ainsi que deux institutions : le marché et l’héritage, devinrent alors les principaux mécanismes d’attribution aux personnes des biens en propriété privée6. Ces deux mécanismes, formellement individuels, obéissaient, dans les faits, à des logiques supra-individuelles et non économiques, souvent étrangères à l’aptitude ou à l’effort personnels. J’aimerais rappeler cependant qu’il nous faut examiner de manière précise le fonctionnement du marché foncier et les processus héréditaires dans des zones où le degré de rénovation des élites économiques ne fut pas aussi poussé. Par exemple, dans la plaine de Grenade [Martínez López 1996 : 70-75], les principaux protagonistes des transactions furent les héritiers d’importants patrimoines rustiques, de telle sorte que le marché foncier oscilla selon le rythme et la nature des héritages.

  • 7 La suppression des biens aliénables et des majorats influa de manière décisive sur la manière dont (...)

14Le système héréditaire castillan remontait à l’Ancien Régime. Il se maintint durant la majeure partie du xixe siècle, confirmant donc la relation entre filiation et transmission héréditaire. Avec le bannissement de la plupart des diverses formes d’accès à la propriété et d’exploitation des ressources pratiquées sous l’Ancien Régime, ainsi qu’avec l’abolition, dans la première moitié du xixe siècle, des institutions traditionnelles comme l’aliénabilité et le majorat, l’analogie génétique entre la transmission de la propriété privée et la filiation légale s’imposa en Andalousie. En abandonnant les formes indivises et aliénées comme le majorat, pour des pratiques équitables qui étaient celles d’une bonne partie de la population [Heran 1980 : 223 ; Macry 1997 : 106], l’identification entre héritage et filiation en sortit renforcée7.

  • 8 Voir, pour situer l’origine de la forme conjugale en Europe, le magistral ouvrage de Jack Goody [19 (...)

15Ces changements légaux affectèrent le comportement même de la famille oligarchique. La nature égalitaire de l’héritage et la dilution du contrôle paternel sur la transmission, sous les modes de l’aliénation et du majorat reserrèrent le noyau conjugal – forme hégémonique de la famille dans la société occidentale au moins depuis le début de l’époque moderne8. Deux facteurs au moins sont responsables de cette tranformation : l’encouragement à dynamiser des stratégies familiales qui étaient restées accrochées au contrôle du patrimoine, et l’affirmation de l’autorité patriarcale, qui est un des aspects les plus remarquables de la famille et de la société occidentale depuis ses origines [Aguado 1995 : 403 ; Folguera 1997 ; Stone 1990].

16Après la suppression des modes d’aliénabilité, il devint difficile pour les héritiers d’accepter de bon gré un quelconque favoritisme. Les avantages que représentaient les préciputs (mejoras), auxquels plusieurs familles sous l’Ancien Régime avaient recours, étaient d’une autre nature que les majorats aristocratiques. Bien qu’ils pussent susciter des disputes entre les héritiers, ils n’en étaient pas moins acceptés par les individus concernés, qu’ils en fussent ou non des aliénataires, parce que de telles mesures n’entraient pas en contradiction avec la continuité du patrimoine familial. En revanche dans le nouveau contexte politique, l’application d’un préciput à des biens qui n’étaient pas aliénés et pouvaient donc être vendus, acquît une importance majeure. C’est pourquoi, hormis quelques exceptions, les propriétaires agraires andalous cherchèrent à effectuer des transferts équitables, et en de telles circonstances, les familles durent assumer une énorme responsabilité au moment d’estimer les risques de dispersion qui pesaient sur leurs patrimoines.

  • 9 Voir la suggestive critique de la théorie de la modernisation réalisée par Cardesín [1997 : 154-158 (...)

17Au fur et à mesure que les formes et les pratiques traditionnelles d’accès et de gestion des ressources se fragilisaient, le marché et la famille devinrent au cours du xixe siècle, les principaux rouages de la transmission des biens sous le régime de la propriété privée. Une fois que les entraves qui contraignaient l’économie marchande furent levées et que la propriété se trouva « perfectionnée » par les réformes éclairées et libérales, le marché et la famille constituèrent les voies prioritaires dans l’attribution des ressources productives. Le marché se vit légitimé par les critères triomphants de la rationalité économique individuelle9. La famille, comme mécanisme prééminent dans la transmission des ressources, s’érigea en garante fondamentale de la reproduction sociale intergénérationnelle, c’est-à-dire, des conditions primaires de la différenciation sociale. La famille était devenue le principal moyen d’accès à l’appropriation des ressources, et les oligarchies andalouses du xixe siècle ne purent s’y soustraire.

  • 10 Comme le reconnaissait David Ringrose [1996 : 506], « l’abolition du majorat accentua aussi plus la (...)

18Ce renforcement de la famille a été interprété comme étant un pur vestige de l’Ancien Régime. María Parias [1991] a remarqué la survivance informelle de pratiques nobiliaires d’aliénabilité au xixe siècle. Ainsi, et chaque fois que les stratégies héréditaires de certaines des familles de la bourgeoisie sévillane présentaient certains parallélismes avec la « primogéniture nobiliaire », cet auteur y voyait une certaine similitude entre les stratégies reproductives de la noblesse traditionnelle et de la bourgeoisie, même si les « mécanismes » étaient différents. Car il convient d’insister sur une différence fondamentale : alors que les stratégies familiales de la noblesse et d’une partie de l’oligarchie agraire du xviiie siècle relevaient d’institutions suprafamiliales comme le majorat et l’aliénabilité, celles de la bourgeoisie et, progressivement au cours du xixe siècle, celles de la noblesse, acquirent un degré important d’autonomie. Au même moment, l’héritage fut réglementé par le droit flexible de succession castillan. Dans ce cadre, les stratégies familiales, les répartitions héréditaires et les alliances matrimoniales se dotèrent d’une dimension nouvelle10.

  • 11 Les formes et pratiques familiales ont varié en fonction d’un certain nombre de paramètres : la pre (...)

19Les fondements de la bourgeoisie andalouse du xixe siècle, de nature familiale et commerciale, ne peuvent pas être interprétés comme étant une survivance du passé ni comme des éléments tout-à-fait nouveaux. On ne conteste guère l’ancienneté des activités mercantiles qui ont eu cours sur la majeure partie du territoire andalou de la fin du xviiie siècle, et qui furent certainement encouragées par les mesures politiques des politiques éclairées et libérales. Quant à la dimension familiale, elle est présente avant et après la crise de l’Ancien Régime. Cependant, il est nécessaire d’étoffer historiquement chacun de ces postulats [Macry 1997 : 89]11.

20Pour les grands propriétaires fonciers du xixe, la famille joua un rôle de protection similaire à celui qu’elle représenta pour la noblesse, même si les moyens étaient différents. L’institution familiale et les pratiques que la bourgeoisie du xixe siècle développa dans ce cadre, furent insérées dans un nouveau contexte politique, juridique et économique, marqué par les limitations environnementales de la prédation capitaliste. La terre comme principale source de production présentait, au moins jusqu’à la fin du xixe siècle un caractère limité, accessible uniquement par le marché ou l’héritage. Ainsi, il n’est guère étonnant que l’histoire de la bourgeoisie agraire régionale, régie par les tentatives de captation de la richesse, soit en grande partie l’histoire de l’appropriation familiale des terres. En retraçant les processus d’accumulation territoriale de certaines de ces familles, émerge immédiatement l’importance de l’héritage [Heran 1980 ; Jiménez Quintero 1979 ; Martínez López 1996 ; Mata Olmo 1987 ; Parias 1991].

  • 12 Antonio M. Bernal [1988 : 92] rappelait pour le xixe siècle la fonctionnalité du « système d’achats (...)

21Or, comme nous pouvons le remarquer, l’héritage impliquait un problème pour ces familles, en introduisant de manière cyclique une séquence de réajustement du patrimoine. Le système de répartition en vigueur imposait une forte tension centrifuge aux patrimoines dans leurs successifs relais générationnels. Ainsi, ces familles durent mettre en œuvre tous leurs moyens, dans une lutte toujours renouvelée, afin de protéger les biens fonviers. Dans le marché de la terre, les familles pouvaient ainsi trouver une solution à l’amoindrissement patrimonial des héritiers12. En même temps, elles activèrent une série de stratégies familiales de transmission et d’alliance qui permettaient la restauration patrimoniale. Stratégies familiales, intérêts parentaux et économiques, projets de récupération ou de conservation des domaines, famille et marché, népotisme et pouvoirs locaux, s’entrelaçaient sans relâche…

De la famille nucléaire à la parentèle

22En faisant référence à un mode spécifique de reproduction sociale, nous faisons abstraction de la variété complexe d’un mode de vie qui organisa les rapports entre les personnes et les ressources dans un contexte historique précis. Un mode de vie d’ailleurs qui répondait à une conception fondamentalement « familialiste ». La famille marqua intensément le mode de vie de ce groupe parce que les individus qui la composaient s’en servirent de manière stratégique, en fonction d’un but économique d’accumulation indéfinie. Sphère idéale et solidaire tissée d’affects, de respect conjugal, filial et fraternel, où les différences internes se lissaient, avec plus ou moins de bonheur, la famille, espace social homogamique et garantie de la transmission d’une génération à l’autre de la propriété des terres, servit efficacement les ambitions de ses membres.

23Ce mode de vie et les valeurs qui le fondaient déterminaient aussi un mode de reproduction sociale tendu vers la conservation du patrimoine, considéré comme familial même si dans les faits il était individuel, en vertu de ses origines, de sa filiation héréditaire, et de sa charge symbolique. L’individu possédait le patrimoine, la famille nucléaire assurait la per- pétuation sociobiologique et, de manière complémentaire, les réseaux de parenté définissaient la reproduction sociale en termes homogamiques. Mais ce mode de vie allait de pair avec l’inégalité, parce qu’il se construisait à partir d’elle. Les stratégies familiales de protection des biens individuels, et limités, débouchaient souvent sur une différenciation entre individus et entre familles.

24Les rares données que l’historiographie avance sur la formation scolaire ou socioprofessionnelle des membres de ces familles dans leurs premières étapes de vie [Martínez López 1996 : 93-115] laissent apparaître une claire ségrégation en fonction du genre, tout au long du xixe siècle. Seule la formation masculine atteignait des niveaux élevés. Cela est cohérent avec la conception familiale bourgeoise de l’éducation qui devait être impartie aux garçons et aux filles, ainsi qu’avec l’inefficace disposition sexiste qui caractérisait la législation soutenue depuis 1838 par les politiques libérales du xixe siècle [Folguera 1997 : 427-433] dans leurs tentatives d’implantation d’un système national d’éducation. Ce contraste était renforcé par les espaces dans lesquels les uns et les autres devaient se mouvoir depuis l’enfance : les filles s’occupaient dans la maison alors que les garçons étaient initiés par les pères à l’ensemble des savoirs et activités qui relevaient de l’exploitation agricole. Dès le milieu du xixe siècle, ils se consacraient aussi à des occupations alternatives ou complémentaires comme le barreau ou la médecine. Le rayonnement public était le propre des hommes, la réclusion domestique était dévolue aux femmes, destinées à devenir des épouses et des mères, les « anges de la maison » selon la formule consacrée [Aguado 1995 ; Ramos 1987 : 152-153]. Les femmes ne se montraient en public qu’à l’occasion d’actes précis en rapport avec la cohésion sociale du groupe ou de la collectivité, lors de la célébration des rites de passage ou des festivités mondaines ou religieuses. Pour Gunilla Budde [1996 : 55], « c’est précisément dans la relation entre sexes où se révèle le mieux le paradoxe, inhérent au propre projet de la société bourgeoise, entre le postulat véhément de l’égalité générale des opportunités et l’effort parallèle pour limiter les bénéfices dérivés de l’application de celle-ci uniquement à la moitié masculine de la bourgeoisie ».

  • 13 L’attitude pour travailler la terre paraissant avoir été un facteur décisif dans le succès économiq (...)
  • 14 Système de primogéniture qui existait aussi habituellement dans d’autres secteurs de la bourgeoisie (...)

25Or chez les hommes il y avait aussi des exclus, en fonction de la formation qu’on leur dispensait. Pour des raisons de simple opportunité chronologique, des garçons se traçaient un destin de « primogéniture stratégique » dès leur enfance. Les aînés avaient accès avant les puînés aux tâches d’exploitation et de gestion agrihéritage immatériel et finalement décisif, dans le jeu marchand et politique [Lévi 1990 : 143-162]. Les aînés étaient aussi les premiers à bénéficier des dispositions qui précédaient l’établissement de l’héritage [Heran 1980 : 197-214 ; Martínez López 1996 : 116-128]. Elles consistaient en un ensemble de transmissions de savoirs et d’initiations13, d’incursions dans diverses activités, d’usufruits, de cessions opportunes de terres en affermage, bref, des avances héréditaires dissimulées sous la forme de ventes ou de prêts, ou justifiées par leur incorporation à la gestion du patrimoine familial. Tout cela anticipait sur le dénouement héréditaire. Une primogéniture stratégique masculine [Martínez López 1996 : 104-107]14 qui pouvait d’ailleurs être nuancée en fonction des aptitudes individuelles ou des contraintes démographiques malthusiennes, et qui débutait dès la naissance et se poursuivait par le travail quotidien au sein de la famille. Cette primogéniture facilitait le choix de lignes d’affiliation spécialement préparées pour la continuité familiale patrimoniale.

26Cette mesure s’est avérée d’une remarquable utilité pour ces familles de riches propriétaires qui, ne disposant pas de formalités d’aliénabilité ni de majorat, durent mettre en œuvre toutes leurs ressources pour préserver la continuité patrimoniale de la dispersion héréditaire [Casey 1988 ; Heran 1980 ; Martínez López 1996]. Les pères veillèrent à la perpétuation sociale en « sélectionnant » parmi leurs rejetons les protagonistes de leur histoire patrimoniale. Une hiérarchisation subtile interne défendait implicitement, en assurant des lignes de descendance déterminées, les aspirations futures d’accumulation patrimoniale sous une apparence d’équité. Ce fait très « bourgeois » s’insère bien dans les cadres reproductifs des familles, partagées entre l’univers égalitaire de leurs plus ou moins proches origines rurales et le monde sélectif des oligarchies nobiliaires.

  • 15 La formation de la mémoire des personnes dans un univers culturel à mi-chemin entre le monde campag (...)
  • 16 Pour évaluer les conséquences des changements législatifs sur le consentement paternel dans l’Andal (...)
  • 17 Selon Paloma Fernández [1997 : 73], «les ministres de Charles III et Charles IV ont semé les graine (...)

27La trajectoire de chaque individu variait selon le sexe et l’ordre de naissance15. Dès le plus jeune âge, chacun avait sa place dans la hiérarchie familiale ; les décisions et les aspirations individuelles ainsi que les stratégies personnelles, étaient déterminées par une structure sociale correspondant à une génération antérieure. Tout devait se plier aux normes d’un système culturel sélectif contrôlé par les pères. Coercitions et protections étaient étayées par la législation de la fin du xviiie siècle, qui prônait le renforcement de l’autorité paternelle, notamment la Pragmatique Royale du 23 mars 1776, qui exigeait le consentement du père pour tout mariage contracté avant l’âge de 25 ans pour les fils et avant l’âge de 1 an pour les filles, réglementation qui limitait la liberté des enfants16. Après Charles III, son successeur Charles IV confirma cette législation que le nouveau régime libéral n’abrogea pas17. Ce renforcement patriarcal servit les stratégies que les pères déployèrent afin de protéger la continuité des biens familiaux. En l’absence de formes d’aliénabilité, la bourgeoisie andalouse disposa au xixe siècle d’un cadre légal qui fortifia le contrôle paternel sur la transmission patrimoniale.

28La sélection qui suivait la ligne masculine et qui s’ébauchait au sein de ces familles, n’impliquait pourtant pas l’exclusion patrimoniale de l’ensemble des héritiers, comme cela était arrivé dans la noblesse. Tous les enfants héritaient et tous faisaient donc partie de l’histoire familiale et du patrimoine. Cependant, il arrivait que le mode de transmission pratiqué par ces familles favorisât les fils aînés pour la gestion et l’appropriation patrimoniales [Casey 1988 : 190 ; Heran 1980 : 197-246 ; Martínez López 1997a]. De cette façon, plusieurs lignes de descendance [Martínez López 1996 : 24-27 ; Segalen 1988 : 59-65] bénéficièrent de cette stratégie préférentielle, et garantirent la prééminence de patronymes illustres.

  • 18 Quelquefois la transmission allait au-delà de l’héritage moyennant un ajustement définitive ultérie (...)
  • 19 La composition patrimoniale, la distribution et la concentration des terres, la disposition du béta (...)

29C’est dans les rapports qui se tissaient avant l’héritage que les droits de succession acquirent toute leur signification en tant que point culminant de la reproduction de l’ensemble familial. Concrètement, ces transferts entre vivants représentèrent la part la plus importante de la succession. C’est dire que les parents jouissaient d’une étroite influence sur les décisions de chacun des enfants, orientés par la hiérarchie familiale depuis leur plus jeune âge et contraints jusqu’au moment du partage héréditaire par l’autorité paternelle. Dans ces conditions, si l’attitude et l’aptitude des enfants étaient celles qu’on en attendait, l’héritage sanctionnait une apparence d’équité, mettant fin à une transmission profondément inégalitaire18. L’équité du partage héréditaire occulte ce jeu alambiqué de relations et de stratégies. En certaines occasions, il y eut des préciputs qui suggéraient la survivance de pratiques anciennes, surtout dans les familles dont l’ascension sociale remontait aux xviie et xviiie siècles, ou qui étaient originaires de régions qui consacraient l’indivision [Heran 1980 : 215-246 ; Parias 1991]. Mais le mode le plus courant fut probablement le partage divis et égalitaire [Jiménez Quintero 1979 : 226 ; Martínez López 1996 : 116-128]. L’équité monétaire des transactions légales camouflait toutefois des inégalités qui corroboraient le caractère sélectif de la stratégie de transmission19.

  • 20 Pierre Bourdieu [1987 : 85] expliquant sa vision structuraliste de la société, et toujours sensible (...)

30Ces pratiques préférentielles se déplacèrent à l’autre bastion de la reproduction sociale qu’est l’alliance. La hiérarchisation reproduite par la transmission orientait les stratégies matrimoniales, les décisions et possibilités de chaque héritier dans le marché matrimonial20. Le contrat de mariage représentait un moment clé de l’histoire patrimoniale de ces familles [Fernández-Carrión 1987 et 1996 ; García Montoro 1978 ; Héran 1980 : 45-92 ; Jiménez Quintero 1979 : 220 et 245 ; Martínez López 1996 : 149-236 ; Parejo 1998 ; Sierra 1992 : 25-26].

31Les familles mettaient alors en jeu une bonne partie de leurs aspirations matérielles d’accumulation, mais aussi la garantie de perpétuation des réseaux sociaux que définissaient leurs parentèles. Le mariage était le prolongement naturel d’un mode de vie tendu vers la préservation du patrimoine et la position sociale de la famille. Une union réussie établissait les bases pour récupérer les niveaux patrimoniaux de la génération précédente.

  • 21 L’endogamie familiale, pratique courante dans les oligarchies traditionnelles, caractérisa durant t (...)
  • 22 Les protagonistes des cas les plus spectaculaires d’endogamie familiale mais aussi des plus brillan (...)

32La décision capitale de se marier et le choix du conjoint se trouvaient donc conditionnés par le patrimoine à hériter, par l’ampleur du marché matrimonial, par la propre histoire familiale, etc. Dans ces circonstances, de la même manière que pour la transmission, certains conjoints tirèrent profit de leur supplément de « chance » ou de leur meilleure cotation par rapport aux autres sur le marché matrimonial. En d’autres termes, ils se trouvaient mieux placés pour accéder à certaines personnes, et à plus de ressources… Le sexe de l’enfant à marier modifiait les perspectives parentales [Martínez López 1997b]. Le mariage d’une fille pouvait faire craindre la perte du contrôle d’une partie du patrimoine, à moins qu’elle n’épousât un proche parent. Le mariage néolocal, habituel en Andalousie, ne cachait pas une circulation de femmes et des ressources entre des familles, mais équilibrait au sein de la parentèle les pertes patrimoniales annexes lors du mariage de la femme et contribuait à la cohésion des liens entre les familles. La femme, en tant qu’élément de concentration patrimoniale à travers une endogamie familiale21, et comme facteur d’échange ou de cohésion du groupe, remplissait un rôle crucial mais subordonné aux projets matrimoniaux des familles. En revanche, le mariage d’un homme attirait un patrimoine annexé alors à la gestion familiale. Dans ce cas épouser une cousine germaine était préférable. Quoi qu’il en soit, aux hommes incombait la responsabilité la plus immédiate de la gestion patrimoniale et, in fine, de l’histoire familiale. La chance de pratiquer les mariages les plus avantageux22, comme pour le cas de la transmission, retombait donc sur les hommes et sur les aînés.

  • 23 Les oligarchies terriennes, au fur et à mesure que l’État espagnol contrôlait politiquement le terr (...)

33La projection de ces familles sur le marché matrimonial contribua aussi à la cohésion de leur classe. La géographie des réseaux de relations engendrées par les stratégies matrimoniales fit apparaître la différenciation promue au sein de la famille conjugale. Ce furent les hommes, et parmi eux les aînés, qui assumèrent le rôle principal au sein de la parentèle, un espace à plusieurs facettes, avec des limites horizontales et verticales imprécises et changeantes, où les familles posèrent leurs conditions pour promouvoir leur progéniture. L’extension de la famille conjugale [Casey 1988 : 195-199], à travers l’alliance matrimoniale, structura un espace de sociabilité, de réciprocité, de fidélité et de complicité, qui dépassa tout au long du xixe siècle la dimension locale ou provinciale pour gagner la sphère de l’économie et de la politique, donnant à la société de l’Andalousie contemporaine sa singularité [Heran 1980 : 77-82 ; Martínez López 1996 : 200-203]. Les alliances matrimoniales, les réseaux économiques et politiques formèrent un tout et on comprend aisément que la bourgeoisie ait trouvé dans les liens familiaux un instrument précieux d’adaptation aux changements sociaux introduits par le « Nouveau Régime ». De fait l’oligarchie andalouse de la période de la Restauration fut le produit de ces alliances23. Les familles qui intégraient la classe des propriétaires agraires andalous s’étendirent [Fernández-Carrión 1987 et 1996 ; Martínez López 1996 : 227] et constituèrent un réseau dense de parenté qui configuraient un véritable « héritage de sécurité » [Thompson 1979 : 169-170], ou mieux encore, un précieux héritage de classe… Ces relations de parenté favorisèrent extraordinairement les activités économiques et les ambitions publiques de ces familles. Ainsi, la parenté s’infiltra dans plusieurs activités économiques et teinta de familismo le système politique libéral en Andalousie jusqu’au xxe siècle bien entamé.

34Traduit de l’espagnol par Nathalie Manrique et revu par Carmen Bernand

Haut de page

Bibliographie

Acosta Ramírez, F. — 1994, « Los estudios sobre elites en Andalucía : Estado de la cuestión », in Elites. Prosopografía contemporánea. Valladolid, Universidad de Valladolid : 259-268.

Aguado, A.M. — 1995, « Ideología, roles de género y cultura en la construcción de la sociedad liberal- burguesa », in Antiguo Régimen y liberalismo. III : Política y Cultura. Madrid, Alianza Editorial : 397-403.

Bernal, A.M. — 1988, Economía e Historia de los Latifundios. Madrid, Espasa-Calpe.

Bourdieu, P. — 1987, « De la règle aux stratégies », in Choses Dites. Paris, Éditions de Minuit : 75-93.

Budde, G.-F. — 1996, « Investigación sobre la burguesía en Alemania : tendencias, resultados y perspectivas », Historia contemporánea 13-14 : 43-62.

Cardesín Díaz, J.M. — 1997, « Miseria de la teoría… de la modernización : una revisión de algunos estudios sociológicos sobre el mundo rural contemporaneo », Agricultura y Sociedad 84 : 141-164.

Casey, J. — 1985, « Le mariage clandestin en Andalousie à l’époque moderne », in Amours légitimes, amours illégitimes en Espagne (xvie-xviie siècle). Paris, Publications de la Sorbonne : 57-67. — 1988, « Matrimonio y patrimonio en un pueblo alpujarreño : Orgiva 1600-1800 », in Sierra Nevada y su entorno. Grenade, Université de Grenade : 183-200. — 2000, « La sociedad : la familia y los procesos de oligarquización », in Historia del Reino de Granada. III : Del Siglo de la Crisis al fin del Antiguo Régimen (1633-1833). Grenade, Université de Grenade et Legado Andalusi : 109-143.

Castejón Montijano, R. — 1977, La Casa Carbonell de Córdoba, 1866-1918. Génesis y desarrollo de una sociedad mercantil e industrial en Andalucía. Cordoue, Monte de Piedad et Caja de Ahorros de Cordoue.

Cruz, J. — 2000, Los Notables de Madrid. Las bases sociales de la Revolución liberal española. Madrid, Alianza Editorial.

Fernández-Carrión, R. — 1987, « Estructura familiar en la Andalucia del xix : la dualidad sociedad urbana/ sociedad rural y relaciones de parentesco/relaciones de poder », in Ve Congreso de Profesores-Investigadores. Séville, Hespérides : 243-255. — 1996, « Antequera a mediados del siglo xix. Estudio de estructuras y comportamientos sociales », Revista de Estudios antequeranos : 11-80.

Fernández Díaz, R. — 1982, « La burguesía barcelonesa en el siglo xviii : la familia Gloria », in La economía española al final del Antiguo Régimen. II : Manufacturas. Madrid, Alianza Editorial : 1-131.

Fernández Pérez, P. — 1997, El rostro familiar de la metrópoli. Redes de parentesco y lazos mercantiles en Cádiz, 1700-1812. Madrid, Siglo XXI.

Folguera Crepo, P. — 1997, « ¿Hubo una revolución liberal burguesa para las mujeres ? », in Historia de las Mujeres en España. Madrid, Editorial Sintesis : 421-449.

García Montoro, C. — 1978, Málaga en los comienzos de la industrialización (1786-1846). Cordoue.

González Portilla, M. — 1992, « Mecanismos de producción y reproducción social de las elites económicas y del capitalismo », Historia contemporánea 8 : 143-176.

Goody, J. — 1986, La evolución de la familia y del matrimonio en Europa. Barcelone, Editorial Herder.

Heran Haen, F. — 1980, Tierra y parentesco en el campo sevillano. La revolución agricola del siglo XIX. Madrid, MAPA.

Iturra, R. — 1989, « El grupo doméstico o la construcción coyuntural de la reproducción social », in IVe Congreso de Antropología. Alicante, Université d’ Alicante : 19-39.

Jiménez Quintero, J.A. — 1979, « Mentalidad empresarial y acumulación de capital de la Casa Larios de Málaga », Cuadernos de Ciencias económicas y empresariales 4 : 215-246.

Levi, G. — 1990, La herencia inmaterial. La historia de un exorcista piamontés del siglo XVII. Madrid, Editorial Nerea.

Luque Baena, E. — 1974, Estudio antropológico social de un pueblo del sur. Madrid, Editorial Tecnos.

Macry, P. — 1997, La sociedad contemporánea. Una introducción histórica. Barcelone, Editorial Ariel.

McDonogh, G.W. — 1989, Las buenas familias de Barcelona. Historia social de poder en la era industrial. Barcelone, Ediciones Omega.

Martínez López, D. — 1996, Tierra, herencia y matrimonio. Un modelo sobre la formación de la burguesia agraria andaluza (siglos xvii-xix). Jaén, Université de Jaén. — 1997a, « Estrategias familiares y reproducción social : origen de la burguesía agraria alto-andaluza (s. xviii-xix) », in Transformaciones agrarias y cultura material en Andalucía Oriental y Norte de Marruecos. Madrid, MAPA y Diputación Provincial de Granada : 283-298. — 1997b : « Género y estrategias matrimoniales en el origen de la burguesia granadina (s. xviii-xix) », in Historia de la Mujer e Historia del Matrimonio. Murcie, Université de Murcie : 287-298. — 2000, « La sociedad : grupos sociales y auge de la burguesía », in Historia del Reino de Granada. III : Del Siglo de la Crisis al fin del Antiguo Régimen (1633-1833). Grenade, Université de Granade et Legado Andalusí : 431-459. — à paraître, « Una visión de la sociedad andaluza contemporánea. La burguesía agraria y la llegada del siglo xix », in La Historia de Andalucía a debate (à paraître dans Anthropos).

Mata Olmo, R. — 1987, Pequeña y gran propiedad agraria en la depresión del Guadalquivir. Madrid, MAPA.

Mayer, A. — 1986, La persistencia del Antiguo Régimen. Madrid, Alianza Editorial.

Parejo Barranco, A. — 1998, « Revolución liberal y elites locales. Dos ejemplos antequeranos de la segunda mitad del siglo XIX », in De Economia e Historia. Estudios en homenaje a José Antonio Muñoz Rojas. Málaga, Junta de Andalucía : 139-184.

Parias Sainz de Rozas, M. — 1991, « La pervivencia de las estrategias vinculares en las transmisiones testamentarias de la segunda mitad del siglo XIX. El caso del Marquesado de Grañina, 1850-1875 », in Señores y Campesinos en la Peninsula Ibérica, siglos xviii-xx. Barcelone, Editorial Critica : 38-61. — 1998, « Las transformaciones agrarias de la época contemporánea », in Historia de Andalucía contemporánea. Huelva, Université de Huelva : 95-143.

Pérez Picazo, M.T. — 1991, « De regidor a cacique : las oligarquías municipales en el siglo XIX », in Señores y Campesinos en la Península iIbérica, siglos XVIII-XX. Barcelone, Editorial Crítica : 16-37.

Pitt-Rivers, J.A. — 1994, Un pueblo de la sierra : Grazalema. Madrid, Alianza Editorial.

Ramos Santana, A. — 1987, La Burguesia Gaditana en la Época Isabelina. Cádiz, Fundación Municipal de Cultura.

Ringrose, D.R. — 1996, España, 1700-1800. El mito del fracaso. Madrid, Alianza Editorial.

Sánchez Marroyo, F. — 1991, « Notas sobre los origenes de la oligarquía agraria extremeña de mediados del siglo XIX », in Señores y Campesinos en la Península ibérica, siglos xviii-xx. Barcelone, Editorial Crítica : 62-116.

Segalen, M. — 1986, « La révolution industrielle : du prolétaire au bourgeois », in Histoire de la famille. II : Le choc de la modernité. Paris, Armand Colin : 375-411. — 1988, Sociologie de la famille. Paris, Armand Colin.

Sierra, M. — 1992, La familia Ybarra, empresarios y politicos. Séville, Muñoz Moya y Montraveta editores. — 2000, « La Casa Ybarra : política de honor y política de interés », Historia social : 3-20.

Soria Mesa, E. — 1998, « Los nuevos poderosos : la segunda repoblación del Reino de Granada y el nacimiento de las oligarquías locales. Algunas Hipótesis de Trabajo », Chronica nova 25 : 471-487.

Stone, L. — 1990, Familia, sexo y matrimonio en Inglaterra, 1500-1800. Mexico, FCE.

Thompson, E.P. — 1979, Tradición, revuelta y consciencia de clase. Estudios sobre la crisis de la sociedad preindustrial. Barcelone, Editorial Crítica.

Haut de page

Notes

1 Il n’est pas possible, dans le cadre de ce texte, de décrire dans les détails ce processus qui est abordé dans un autre travail qui est actuellement sous presse. Cf. David Martínez López [à paraître].

2 Il y a une dizaine d’années, un anthropologue américain [McDonogh 1989] insistait sur le rôle essentiel exercé par la famille dans la construction sociale et économique de l’«élite» industrielle catalane du xixe siècle. Pourvu d’un bagage méthodologique étranger, en grande mesure, aux discours historiographiques espagnols, McDonogh [ibid. : 3] exposait, en guise d’ouverture, une réflexion suggestive, voire insolente : « Une étude anthropologique des élites fait ressortir des processus de formation du groupe profondément similaires à ceux qui peuvent s’observer dans des sociétés dites traditionnelles. Le rôle économique, social et culturel joué par la famille est aussi général et visible dans les sociétés industrielles que dans n’importe quelle société traditionnelle parmi celles qui sont citées dans les écrits d’anthropologie comme les habitants des Trobriands, les Nouer ou les Zuni. »

3 Un groupe d’historiens modernistes se rassemblèrent autour de Francisco Chacón lors du développement de l’« Histoire sociale de la famille » en Espagne et un autre, autour de Juan Hernández Franco, dans le « Séminaire familial et élite de pouvoir » de l’Université de Murcie.

4 À ces trois noms s’ajoute un chapelet de travaux, de nature et origine diverses qui ont mis au jour des aspects analogues. Voir notamment l’étude d’Alberto Ramos [1987] sur la bougeoisie de Cadix ; celles de Rodrigo Fernández-Carrión et Antonio Parejo sur la bourgeoisie agraire d’Antequera [Fernández-Carrión 1987 et 1996 ; Parejo 1998] ; celle de James Casey sur une communauté des Alpujarras de Grenade [1988] ; ou celle de María Sierra [1992] sur la famille Ybarra. Nous devons aussi prendre en compte les apports classiques de l’anthropologie [Luque Baena 1974 ; Pitt-Rivers 1994].

5 L’état de la question dressé par Francisco Acosta [1994] sur les élites en Andalousie le met ainsi en évidence.

6 Sánchez Marroyo [1991 : 70-71], dans quelques réflexions sur les origines de l’oligarchie agraire d’Estrémadure du xixe siècle, souligna le pouvoir de perpétuation que détenait l’héritage. Selon lui, dans un « ordonnancement libéro-bourgeois » tel que celui de l’Espagne vers le milieu du xixe siècle, où coexistaient les formes exclusives d’accession à la propriété – l’achat et l’héritage –, le maintien de la richesse entre les mains de l’oligarchie renouvelée de l’Estrémadure était assuré. Cependant, Sánchez Marroyo [1991 : 70] distingue chacune des activités ; en reconnaissant tacitement l’importance qu’eut l’héritage pour ceux qui intervenaient en tant qu’acheteurs dans l’activité marchande, il semble désigner une distinction sociale entre autres formes d’accession à la propriété. Sa position est pertinente pour l’Estrémadure, qui avait déjà transformé, vers le milieu du xixe siècle, sa pyramide sociale grâce à l’attirance mercantile encouragée par la suppression des formes d’aliénabilité et exercée sur un groupe de capitalistes étrangers.

7 La suppression des biens aliénables et des majorats influa de manière décisive sur la manière dont les familles propriétaires devaient envisager le contrat héréditaire durant le xixe siècle. Bien que les cultivateurs et les propriétaires enrichis à la fin de l’Ancien Régime eussent tendance à maintenir les pratiques équitables de la paysannerie méridionale, il semble que les familles qui avaient du bien depuis longtemps et non seulement les anoblis, entamèrent des procédures d’aliénabilité. Dans le Royaume de Grenade [Casey 2000 ; Martínez López 2000 ; Soria Mesa 1998], par exemple, plusieurs familles roturières de l’oligarchie locale et provinciale durant les xviie et xviiie siècles favorisèrent ainsi certains fils pour les pousser vers la carrière ecclésiastique, les majorats étant des procédés de transmission moins courants. Les familles dont l’ascension sociale avait été plus récente, conservèrent les répartitions équitables et non aliénées. En ce sens, il n’y a aucun de doute que la disparition des figures de l’aliénabilité n’apporta avec elle, malgré le caractère transitif qu’adopta la dissolution des majorats, une homogénéisation formelle des pratiques héréditaires des moyens et grands propriétaires agraires andalous.

8 Voir, pour situer l’origine de la forme conjugale en Europe, le magistral ouvrage de Jack Goody [1986].

9 Voir la suggestive critique de la théorie de la modernisation réalisée par Cardesín [1997 : 154-158].

10 Comme le reconnaissait David Ringrose [1996 : 506], « l’abolition du majorat accentua aussi plus la stratégie maritale au moment de la préservation des patrimoines familiaux ».

11 Les formes et pratiques familiales ont varié en fonction d’un certain nombre de paramètres : la pression démographique, le degré de disponibilité des ressources, la concurrence fonctionnelle ou l’intervention d’institutions comme l’Église, la communauté ou l’État, les cadres normatifs, les traditions culturelles, les niveaux de mercantilisation des économies, etc. Il convient, par conséquent, de ne pas confondre une caractéristique structurelle dans l’histoire de l’humanité, à savoir son fondement familial, avec des continuités historiques. De même il faut être attentif aux dichotomies qui contaminent l’exégèse historique, et qui mettent vis-à-vis les sociétés traditionnelles à la prédominance de la famille et la société libérale, à celle du marché. Ni les caractéristiques familiales de la bourgeoisie étaient les mêmes que celles des nobles ni le fonctionnement du marché, même au xviiie ou au xixe siècle, ne se fondait sur une logique purement économique et identique.

12 Antonio M. Bernal [1988 : 92] rappelait pour le xixe siècle la fonctionnalité du « système d’achats, qui viendrait corriger les effets de partitions futures, en rendant vrai, à cette époque, l’adage des grands propriétaires selon lequel : à chaque fils, un cortijo ».

13 L’attitude pour travailler la terre paraissant avoir été un facteur décisif dans le succès économique d’une bonne partie de la bourgeoisie agricole andalouse, la transmission orale de pères à fils de l’ensemble des savoirs et expériences analysées attachée au maniement écologique, économique et social du milieu, ne cessera d’être un facteur de signification primordial dans les stratégies de transmission de ces familles [Martinez López 1996 : 56-59].

14 Système de primogéniture qui existait aussi habituellement dans d’autres secteurs de la bourgeoisie andalouse [Castejón 1977 : 39 ; Sierra 1992 : 17-22].

15 La formation de la mémoire des personnes dans un univers culturel à mi-chemin entre le monde campagnard et celui nobiliaire, qui mettait en marge les figures féminines et glorifiait les hommes plus âgés, a hiérarchisé de manière interne les membres de ces familles depuis leur enfance [Iturra 1994].

16 Pour évaluer les conséquences des changements législatifs sur le consentement paternel dans l’Andalousie des années 1700, on peut se référer aux travaux de James Casey [1985] et aux intéressantes réflexions de Paloma Fernández [1997 : 67-80].

17 Selon Paloma Fernández [1997 : 73], «les ministres de Charles III et Charles IV ont semé les graines légales qui ont fini par détruire non seulement la juridiction ecclésiastique traditionnelle en matière matrimoniale mais aussi les droits de défense des individus (spécialement, des femmes) contre le despotisme du chef de famille. Les derniers Bourbons, et les gouvernements du xixe siècle, intronisèrent lentement à la tête de la famille l’homme comme chef indiscutable des catégories de la société». De fait, la loi de mise en accusation civile de 1855 a maintenu le précepte du consentement paternel sanctionné par les deux Bourbons [Folguera 1997 : 42].

18 Quelquefois la transmission allait au-delà de l’héritage moyennant un ajustement définitive ultérieur. Le destin des femmes, qui les poussait à fonctionner comme de simples courroies de transmission des patrimoines héritiers, les effets du célibat, contraires à la dispersion de la propriété, ou le déplacement géographique ou professionnel dû à la spécialisation professionnelle de certains des héritiers – médecins, avocats, prêtres, etc. –, achevaient de compléter, en dernier ressort, un système de transmission clairement préférentiel [Mártinez López 1996 : 116-147]. De fait, après l’héritage, un ensemble de pratiques, comme la cession en location ou en usufruit, ou les actes de vente et d’achat de terres entre frères ont fermé dans beaucoup de cas le cycle de différenciation sociale intrafamiliale.

19 La composition patrimoniale, la distribution et la concentration des terres, la disposition du bétail, les liquides monétaires, etc., pouvaient varier selon le genre ou l’âge des héritiers.

20 Pierre Bourdieu [1987 : 85] expliquant sa vision structuraliste de la société, et toujours sensible aux stratégies individuelles, affirmait en ce qui concerne les mariages dans les sociétés rurales différenciées ou complexes que « le “bon joueur” prend en compte, dans chaque choix matrimonial, l’ensemble des propriétés pertinentes pour la structure qu’il s’agit de reproduire : en Béarn, le sexe, c’est-à-dire les représentations coutumières de la préséance masculine, le rang de naissance, c’est-à-dire la préséance des aînés et, à travers eux, de la terre qui, comme disait Marx, hérite l’héritier qui en hérite, le rang social de la maison qu’il faut maintenir, etc. ».

21 L’endogamie familiale, pratique courante dans les oligarchies traditionnelles, caractérisa durant tout le siècle passé la stratégie familiale de la bourgeoisie andalouse. Un cas spécialement criant fut celui qui eut lieu au sein de la famille Larios : en 1831, Martín Larios épousa sa nièce Margarita Larios [Jiménez Quintero 1979 : 224].

22 Les protagonistes des cas les plus spectaculaires d’endogamie familiale mais aussi des plus brillants de l’exogamie socioprofessionnelle et/ou géographique, furent les premiers nés. L’arrivée tardive sur le marché matrimonial, ou l’appartenance à une catégorie professionnelle qui les éloignait de l’exploitation de la terre ou des localités d’origine, déterminèrent, entre autres choses, qu’en plusieurs occasions les mariages des fils plus jeunes fussent moins rentables et, par conséquent, moins nombreux.

23 Les oligarchies terriennes, au fur et à mesure que l’État espagnol contrôlait politiquement le territoire tentèrent de sortir des cadres locaux et provinciaux, à la recherche d’autres formes de promotion sociale. C’est alors qu’elle entra en concurrence avec l’aristocratie nobiliaire. Rivalité qui à certaines occasions fit place à une alliance entre deux groupes prêts à accepter les changements à condition de ne pas perdre leurs privilèges [Fernández-Carrión 1996 ; Parejo 1998 ; Parias 1998 : 137]. Comme l’a écrit Ringrose [1996 : 413], « une partie de l’histoire du xixe siècle est représentée par l’intégration assez étroite de ce qui a souvent été décrit comme la noblesse aristocratique ou traditionnelle avec la bourgeoisie agraire ».

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

David Martínez López, « Bourgeoisie agraire et famille dans l’Andalousie du xixe siècle »Études rurales, 169-170 | 2004, 077-091.

Référence électronique

David Martínez López, « Bourgeoisie agraire et famille dans l’Andalousie du xixe siècle »Études rurales [En ligne], 169-170 | 2004, mis en ligne le 01 janvier 2006, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/8055 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.8055

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search