1La crise générale que connaît actuellement l’Afrique subsaharienne aurait-elle pour effet de pousser les populations les plus défavorisées à élaborer des réponses à la fois inédites et porteuses d’avenir ? La multiplication des associations et groupements de paysans depuis une à deux décennies suscite un vif intérêt en même temps que des interrogations quant à la signification sociale et aux perspectives à moyen terme de cette tendance associative. Celle-ci s’inscrit dans un contexte sociopolitique caractérisé par le désengagement souvent brutal de l’État, qui met fin à plusieurs décennies d’un encadrement étroit et autoritaire de la paysannerie. On peut légitimement se demander si ce retrait ouvre la voie aux libres initiatives populaires ou s’il crée plutôt un « vide » à combler d’urgence.
- 1 Ces observations sont essentiellement tirées des enquêtes menées respectivement par André Kamga, da (...)
2Au Cameroun, l’essor récent du mouvement associatif semble porter essentiellement sur la prise en charge des principales fonctions d’encadrement d’une agriculture fortement intégrée aux marchés national et international. La question qui se pose ici est celle de la capacité d’autonomie de paysans souvent dynamiques et inventifs certes, mais fort peu préparés à pareille tâche. De nombreux groupes paysans reçoivent un appui multiforme d’ONG qui s’efforcent de prendre la relève des structures étatiques dans les domaines les plus vitaux. Mais cela suffit-il à garantir, conformément au discours de ces ONG, la mise en œuvre d’un processus d’autopromotion ou, plus concrètement, l’émergence de véritables formes d’auto-encadrement de la paysannerie ? Cette étude, fondée sur de récentes observations dans l’Ouest-Cameroun1, ne vise qu’à apporter des éléments de réponse à ces questions dont elle révèle la complexité.
3L’actuelle Province de l’Ouest du Cameroun est composée essentiellement de hautes terres remodelées par l’érosion (de 700 à 1400 mètres d’altitude moyenne), relativement peu accidentées et bénéficiant d’un climat frais et humide ainsi que de sols fertiles, notamment sur les plateaux basaltiques du Bamiléké central. Les habitants de cette région ont rapidement développé une agriculture intensive permettant de tirer le meilleur parti des terres de versant tout en assurant leur conservation par diverses pratiques telles les haies vives typiques du « bocage bamiléké». Les associations culturales, qui impliquent une couverture continuelle du sol, s’inscrivent dans un système de rotation très souple au sein duquel le paysan peut changer un élément en cas de baisse du rendement [Dongmo 1981, I : 110-111]. Conjuguée à la recherche ingénieuse de ressources extérieures, cette agriculture intensive va contribuer à faire vivre des populations extrêmement nombreuses sur les espaces très restreints du plateau bamiléké.
- 2 « Le système Bamiléké, loin de laisser cristalliser des classes sociales, tend à les renouveler d’u (...)
4Le système social bamiléké, basé sur la chefferie, se caractérise par des hiérarchies profondes et complexes mais nullement figées2. L’organisation familiale présente une règle très rare en Afrique centrale : celle de l’héritier unique choisi par le chef de famille, d’où s’ensuit la fondation de nouveaux lignages à chaque génération par les non-héritiers. Ces derniers, loin d’être définitivement relégués à une position inférieure, sont incités à faire la preuve de leurs capacités individuelles, la réussite matérielle leur assurant la reconnaissance sociale. Quant aux femmes, sur qui repose l’essentiel de la production vivrière, elles sont astreintes à diverses formes de surtravail ; mais leur condition est loin d’être homogène, et leur autonomie augmente avec l’âge. Au niveau de l’organisation collective, une place de choix revient aux sociétés coutumières (mkem), souvent secrètes, fondées sur des liens de type contractuel, extraparentaux, impliquant à la fois des relations inégales et une solidarité sans faille assortie d’une discipline rigoureuse [Hurault 1962 : 81-83 ; Perrois et Notué 1997 : 63].
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5L’introduction de la culture du café arabica, à partir des années 1920-1930, va bouleverser le paysage économique et social des hautes terres de l’Ouest. Le développement de cette culture, qui va connaître son apogée entre l’Indépendance (1960) et le milieu des années soixante-dix pour décliner sensiblement par la suite, s’accompagne de la mise en place d’un système coopératif original et d’une efficacité rarement atteinte en Afrique noire francophone, dont l’UCCAO* constitue la clef de voûte et le symbole.
- 3 Comme le PDRPO*, axé sur l’amélioration de la qualité du café, la mise en valeur des bas-fonds par (...)
6Née du regroupement, en 1959, des coopératives de planteurs de café arabica de l’Ouest, l’UCCAO se voit accorder en 1961, par le gouvernement indépendant, le monopole de la collecte et de l’expédition de ce café. Avec l’accroissement rapide de la production cette Union deviendra une entreprise commerciale de premier plan. La participation effective de la base, théoriquement représentée à plusieurs niveaux, se heurte au contrôle étroit de l’État et à la prépondérance des notables et gros planteurs au sein des conseils d’administration. L’UCCAO n’est pas pour autant un instrument au service exclusif de l’aristocratie rurale. Deux de ses fonctions au moins bénéficient à la majorité des paysans : la fourniture d’intrants fortement subventionnés (utilisés aussi bien pour les cultures vivrières et maraîchères que pour le café) et la commercialisation du café à des prix relativement garantis. De plus, l’UCCAO et les coopératives membres participent à des opérations de développement rural intégré3 et contribuent à l’amélioration générale des conditions de vie à la campagne (matériaux de construction à des conditions avantageuses, dispensaires et autres infrastructures…). Tout cela assure au système une réelle audience paysanne : « La structure coopérative est, en effet, le parfait reflet de la société qu’elle encadre : hiérarchique et autoritaire, mais correctement gérée et relativement efficace. » [Janin 1999 : 59] La faiblesse principale de l’UCCAO est de manquer de perspectives à moyen terme et de ne pas tenir compte des adaptations nécessaires aux changements structurels : prisonnière du contexte de contrôle-protection étatique, elle ne s’est jamais attachée à une réelle maîtrise des procès de production et de valorisation par les producteurs.
7Entre l’Indépendance et la fin des années quatre-vingt, les hautes terres de l’Ouest connaissent des mutations socioéconomiques profondes. La prospérité économique et l’élévation du niveau de vie de la population résultent de la convergence de deux processus distincts : la croissance du secteur agro-exportateur et l’intensification des échanges ville-campagne liée à l’essor remarquable d’une agriculture vivrière marchande, laquelle entre bientôt en concurrence avec l’agriculture « de rente ». La déprise caféière, qui atteint aujourd’hui des formes extrêmes sur une grande partie des hautes terres de l’Ouest, ne saurait être analysée comme un phénomène conjoncturel dû à l’effondrement des cours mondiaux du café à partir de 1987 : la crise est avant tout structurelle.
8Cette crise marque la fin du consensus social et de la capacité des secteurs extra-agricoles à absorber la masse croissante des « exclus » du secteur agro-exportateur. À partir des années quatre-vingt, parallèlement à la saturation des sphères urbaines et périurbaines, la remise en cause de l’ordre social ancien par les catégories défavorisées (jeunes, femmes, non-héritiers…) se fait de plus en plus vive. L’évolution des procès de production familiaux se traduit par un renforcement du rôle des femmes et des jeunes au détriment des chefs de famille et des planteurs âgés. La terre, trop rare et soumise à de nouveaux modes de tenure, fait l’objet d’une compétition toujours plus féroce tandis que le salariat agricole (pambe), naguère marginal, occupe une place croissante.
9L’émergence de groupements paysans dont les structures et les principes se démarquent nettement de ceux des coopératives constitue dès lors un phénomène social nouveau qui mérite d’être suivi avec attention. Ce phénomène semble exprimer en premier lieu une volonté d’expérimenter des systèmes de production mettant en jeu de nouvelles techniques ou spéculations dans le cadre de formes de coopération égalitaire. Les groupes paysans s’efforcent d’innover ou de diversifier leur production par le biais d’activités jusque-là marginales ou inconnues : petits élevages, pisciculture, apiculture, plantes médicinales, artisanats divers… La volonté de changement se manifeste également sur le plan social avec le rejet des hiérarchies fondées sur le sexe et sur l’âge : mixité, forte participation des femmes et des jeunes, etc.
- * Se reporter à la liste des sigles p. 75.
- 4 Source (MINAGRI/ DGRD/ COOP/GIC/CEA1) citée par C. Ngouanet [2000, annexe 1]. Ces chiffres indiquen (...)
- * Se reporter à la liste des sigles p. 75.
- * Se reporter à la liste des sigles p. 75.
10Ces nouvelles formes d’organisation sont officiellement encouragées par l’État, qui leur définit un cadre légal : celui des GIC*, institués par la loi du 14/08/92 et le décret d’application du 23/11/92. Ces groupes sont définis comme « des organisations à caractère économique et social de personnes physiques volontaires ayant des intérêts communs et réalisant à travers le groupe des activités communes » (art. 49 de la loi 92/006). Constitués par déclaration écrite au cours d’une assemblée constitutive d’au moins cinq personnes, ils jouissent de la personnalité morale et adoptent librement leurs statuts ; chaque GIC désigne un délégué chargé de le représenter dans tous les actes de la vie civile et tient une comptabilité simplifiée. Ces groupes, dont la fonction principale peut aller de la production directe à la commercialisation ou aux services, bénéficient fréquemment de l’appui d’ONG locales, internationales ou étrangères. Ils tendent également à se fédérer en unions, lesquelles aspirent à jouer les rôles de porte-parole de la paysannerie, d’interlocuteurs directs des pouvoirs publics et de médiateurs entre les producteurs et les partenaires sociaux. Ces groupes connaissent une extension rapide au cours des années quatre-vingt-dix : au 30 juin 2000, la Province de l’Ouest compte officiellement 1 794 GIC, 39 unions et 1 fédération4. Plusieurs ONG interviennent au niveau de la même province, mais les plus importantes sont le SAILD* et le CIPCRE*. Toutes deux ont largement contribué à l’émergence et à l’encadrement des GIC locaux et de leurs unions.
11Nos enquêtes dans les départements de la Ménoua et des Bamboutos nous ont confrontés à une situation complexe, originale et en évolution constante. Cette zone se caractérise par un foisonnement d’expériences associatives très diverses tant dans leur nature que dans leurs résultats.
12En février 2000, une enquête portant sur 10 GIC de la zone de Bangang nous offre une première esquisse de la situation et des tendances actuelles. Ces GIC comprennent un effectif variable mais généralement modeste qui va de 5 à un peu plus de 20 personnes, une majorité de femmes et un grand éventail de classes d’âge. À cela s’ajoute une certaine pluriactivité, presque tous les groupes comptant un ou plusieurs membres ayant une autre profession ou source de revenus (enseignant, infirmière, artisan, commerçant…).
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13Les moyens de production des groupes sont souvent très limités : 4 sur 10 seulement disposent d’un champ collectif dit « communautaire » pris en location pour une durée de une à cinq années ou mis à disposition par l’un des membres, et dont la production est d’ordinaire très inférieure à celle des champs individuels. Les élevages collectifs, assez nombreux au départ, sont pratiquement tous abandonnés (ou récupérés à titre individuel). Cependant, dans certains cas, la solidarité du groupe contribue à l’équipement individuel de membres qui, tour à tour, se construisent des porcheries grâce aux cotisations ordinaires ou spéciales. Un groupe seulement a pu acquérir en 1997, grâce à un crédit FIMAC*, un moulin à maïs qui aujourd’hui remplit une véritable fonction socioéconomique en ce qu’il répond à une importante demande locale. Enfin, à l’exception d’un GIC à caractère essentiellement commercial et peu représentatif du milieu paysan, aucun groupe ne détient de moyens de stockage ou de transport.
14Les GIC ne sont donc fondamentalement pas le lieu d’une production collective distincte de la production individuelle ou familiale. Néanmoins, l’entraide agricole est largement répandue : 8 GIC sur 10 y recourent de manière régulière, bien qu’avec une intensité variable, du moins en période de pointe. Les activités collectives extra-agricoles, notamment artisanales, fortement encouragées il y a peu, sont en recul du fait d’une rentabilité insuffisante : tel est le cas notamment de la fabrication de savon d’huile de palme à la suite de la forte hausse du prix de la matière première sur le marché local depuis 1998. En dehors de l’entraide et des tâches communes, les membres d’un GIC s’associent fréquemment pour acheter des intrants ou vendre des produits, sans toutefois parvenir à consolider leur position sur le marché.
15Les GIC n’évoluent pas de façon homogène. On peut distinguer trois tendances. La première est celle des groupes en état de survie précaire, qui fonctionnent au ralenti, avec des effectifs excessivement réduits, et prennent un caractère de plus en plus familial ; ils contribuent cependant au maintien de certaines formes d’entraide ou de solidarité, comme les tontines, lesquelles constituent parfois leur principale, voire leur seule activité collective. La deuxième tendance concerne surtout des groupes dont l’effectif (une quinzaine de membres en moyenne) garantit au moins un noyau stable relativement actif qui maintient certaines pratiques collectives. La troisième tendance est celle des groupes « dynamiques », parfois les plus récemment créés, qui enregistrent une hausse régulière de leurs effectifs et se distinguent par leur capacité d’initiative et leur ouverture sur l’extérieur.
16À ce stade de l’analyse se pose la question de savoir en quoi l’adhésion à un GIC modifie l’activité ou l’organisation tangible d’une unité de production paysanne. Il est de fait difficile d’apporter une réponse globale, tant sont divers les modes de fonctionnement des groupes. Mais dans la grande majorité des cas il n’y a aucune rupture réelle avec les systèmes de production, les techniques et la répartition familiale des tâches en vigueur dans l’agriculture paysanne. Certes, cette dernière n’est nullement figée, nous l’avons vu, et résister à la crise actuelle implique des transformations de plus en plus profondes. Pourtant, on doit reconnaître que les GIC sont davantage un cadre d’expression des changements en cours qu’ils tendent à légitimer socialement qu’ils ne sont un facteur déterminant de changement.
- 5 Cette distinction est empruntée au regretté P. Bonnafé [1987 : 176-182] dont les analyses minutieus (...)
17La multiplication des GIC ne transforme pas radicalement les techniques de production qui, pour l’essentiel, restent de type manuel et artisanal. La question de la coopération au sein de ces groupes est plus complexe : en quoi celle-ci diffère-t-elle des formes d’entraide traditionnelles ? En dépit d’un « individualisme » qu’on présente régulièrement comme un de leurs traits de caractère, les paysans bamiléké n’hésitent pas à s’associer chaque fois qu’ils le jugent utile ou nécessaire. Leur coopération peut être « objective », c’est-à-dire déterminée par les caractères spécifiques des moyens de travail et visant une économie de travail mort, ou bien être « subjective », c’est-à-dire liée aux caractéristiques propres à la force de travail et visant une économie de travail vivant5 ; elle peut encore combiner ces deux aspects, ce qui semble le cas le plus fréquent. Au sein des GIC comme dans les groupes d’entraide traditionnels c’est généralement la coopération subjective qui prédomine, mais de façon souvent plus marquée dans les GIC, notamment sous une forme « émulative » jouant sur les ressorts psychologiques et sociaux du travail en commun. Tout se passe comme si les GIC contribuaient à revitaliser certaines formes d’entraide affaiblies parce que réduites à la seule coopération objective et à ses contraintes strictement matérielles.
18Mais la vraie question qui sous-tend notre propos est la suivante : quelles fonctions les GIC assument-ils effectivement face aux besoins d’une paysannerie confrontée au désengagement de l’État et à la prolifération d’acteurs dont les prérogatives ne sont pas toujours clairement définies et qui entrent souvent en compétition ? Nos observations dans les départements de la Ménoua et des Bamboutos nous ont révélé une très grande diversité de situations, y compris parmi les groupes les plus actifs. Nous pouvons provisoirement distinguer quelques fonctions, chaque GIC tendant à en privilégier une : diversification de la production individuelle, production collective, commercialisation… Un examen rapide de quelques cas concrets nous permettra de voir de quelle manière dans la pratique les groupes assument ces différentes fonctions.
19Ce groupe, dont le nom signifie « même bouche », initié en 1996 (avec 5 membres seulement) et enregistré en 1998, compte 13 membres en 2000 : 7 hommes et 6 femmes, dont plus de la moitié exercent une autre activité en plus de l’agriculture : couture, menuiserie, enseignement. Le délégué, un quadragénaire aussi actif qu’avisé, a longuement séjourné hors de la zone de Bangang et s’efforce de concilier expérience extérieure et réalités du terroir. Sitôt constitué, le GIC se dote d’un champ communautaire en louant un terrain à un membre pour une durée de deux ans : cette expérience sera renouvelée à plusieurs reprises mais ses résultats seront finalement décevants. En 1999-2000, on modifie la formule : le champ communautaire est divisé en lots individuels, et ce afin de favoriser la « concurrence » au sein du groupe ; 7 membres cultivent la pomme de terre sur ce champ de 2 hectares, 1/10e de la production revenant d’office au propriétaire. Le groupe a également créé 10 parcelles semencières (sur une superficie totale de 1 500 m2) dans le cadre d’un projet de l’Union Madzong La’a Zizi. En juillet 2000, le groupe se lance dans l’élevage porcin et construit 11 porcheries. Les animaux, 10 truies et 1 verrat commandés dans des fermes de la Ménoua, sont livrés en avril 2001. Leur prix d’achat (160 000 francs CFA) est entièrement à la charge du groupe, l’aide extérieure (celle d’une ONG américaine) se limitant à une dotation financière de 10 000 F par porcherie. Une visite chez plusieurs membres du groupe en décembre 2001 permet de constater l’excellent entretien des porcheries et le parfait état des animaux. À moyen terme, le groupe souhaite monter une unité de provenderie puis une charcuterie. D’autres projets plus modestes, comme l’élevage de lapins en 1999 ou l’apiculture, sont lancés à l’initiative exclusive du groupe.
20Ce groupe au nom pittoresque qui littéralement veut dire « ne ris de personne » est, avec le précédent, l’un des plus actifs de la zone. Dirigé par une femme extrêmement dynamique, il rassemble 16 membres d’âges divers, dont 12 femmes. La formule du champ communautaire pratiquée les premières années est actuellement abandonnée, mais les différentes formes d’entraide sur les champs individuels sont très intenses. Les principales activités sont les cultures maraîchères et l’élevage (porcs et lapins). Le groupe participe activement à un projet semencier, à savoir la pomme de terre Cipira, pour lequel il a obtenu du CIPCRE en 2001 un crédit en nature de 1,2 million de francs CFA. Au cours de la même année, il se lance par ses propres moyens dans un projet piscicole qui mobilise tous ses membres : quatre étangs sont creusés successivement, et peuplés l’un de silures, les autres de tilapias. Faute d’aide extérieure pour l’acquisition de tuyaux et autres équipements, on recourt à des moyens rudimentaires : canaux d’amenée d’eau en terre, sacs de sable pour protéger les berges, etc. Mais rien ne semble affecter ni l’enthousiasme du groupe ni sa volonté de multiplier les étangs l’année suivante.
21Malgré un réseau de relations extérieures limité (il ne connaît que le CIPCRE et les services de l’Agriculture), le groupe est loin de vivre en vase clos : échangeant expériences et informations, il entretient des contacts étroits avec les groupes voisins, consulte régulièrement les agents vulgarisateurs et contribue à la formation de nouveaux GIC auxquels il apporte son soutien.
22Ce groupe d’agriculteurs et d’éleveurs, dont le nom signifie « bonne réflexion », a été créé en 1996 mais enregistré seulement en juin 2001, et il a démarré avec 5 membres ; il en compte actuellement 66 : 43 hommes et 23 femmes. Bien que n’adhérant à aucune Union et ne bénéficiant d’aucune forme d’assistance technique ou financière, ce groupe fait preuve d’une remarquable capacité d’initiative. Contrairement à la majorité des GIC de la région qui ont dès le départ adopté la formule du champ communautaire pour ensuite la remettre en cause ou l’abandonner, celui-ci y est venu progressivement, après avoir d’abord encouragé l’entraide dans les champs individuels. Ce groupe cultive en commun un vaste champ de tomates de près de 2 hectares, pris en location et situé, sur un versant de montagne, à plus de 6 kilomètres des habitations. Ce champ, visité en décembre 2001, est entretenu avec le plus grand soin : plants bien alignés et munis de tuteurs, désherbage régulier, etc. En saison sèche, il est irrigué deux fois par semaine au moyen d’une motopompe et de tuyaux loués 38 000 francs CFA par campagne de trois mois. Le reste de l’année la pluviosité rend l’irrigation superflue mais la fréquence des maladies, notamment le mildiou, impose des traitements plus coûteux. La campagne en cours est prometteuse : la production est estimée à environ 500 caisses de tomates, soit une valeur de 800 000 à 1 000 000 de francs CFA. Mais c’est la commercialisation qui pose le problème majeur. Situé dans une zone relativement enclavée et d’accès difficile, le groupe est à la merci des commerçants qui, s’ils viennent enlever la récolte sur place, ne payent qu’au bout de plusieurs semaines et respectent rarement les accords sur le prix. C’est pourquoi le principal projet actuel du GIC est d’organiser la vente directe sur les marchés urbains et l’achat groupé d’intrants auprès des fabricants.
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23Ce GIC, spécialisé dans la production et la vente de produits maraîchers, a été créé en 1998 avec un effectif initial de 53 membres, réduit à 26 en 2000, une partie des anciens membres ayant formé de nouveaux groupes. Il est encadré par la SOCECGICO*, située à Toumaka (arrondissement de Babadjou). Pour la production, entièrement individuelle, le GIC offre à ses membres des crédits de campagne en nature (intrants) à un taux d’intérêt de 5 % ; grâce à une bonne maîtrise des techniques de base, la production ne pose pas de problème majeur. Il en va autrement de la commercialisation. Tout en laissant chaque membre libre du choix de l’acheteur, le GIC procède régulièrement à des ventes groupées : chaque semaine, il organise deux expéditions sur Douala, louant pour chaque voyage un camion adapté au volume estimé. Au début, la marchandise était réceptionnée et vendue par un dépositaire qui percevait une commission, mais des malversations ont incité le groupe à opter pour la vente directe aux grossistes et semi-grossistes. Pourtant, le problème le plus difficile à résoudre réside dans l’instabilité des prix et la faible marge de négociation du groupe auxquelles s’ajoutent les tracasseries policières accompagnées de prélèvements qui grèvent lourdement les frais de transport (40 000 francs CFA par voyage peuvent s’ajouter au prix de location du camion qui est, lui, de l’ordre de 110 000 francs CFA). Le groupe a cependant des projets, notamment celui de créer un champ collectif dont les revenus permettraient de financer des équipements collectifs, voire l’achat d’un camion pour le transport des produits.
- * Se reporter à la liste des sigles p. 75.
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24C’est en 2000 que, de retour au pays, un migrant a initié ce groupe. Il compte 36 membres, dont 27 sont engagés dans le maraîchage. Ceux-ci cultivent chacun sa propre parcelle mais regroupent leur production pour la vente. Tous les membres bénéficient de crédits de campagne en nature (engrais et produits phytosanitaires) et sont régulièrement suivis sur le plan technique par l’agent vulgarisateur de la zone de Fokoué. Le GIC fournit à ses membres des intrants à prix réduit. Il joue à ce titre un rôle majeur dans l’arrondissement de Fokoué, dont il constitue la seule structure de vente de produits phytosanitaires : il permet à des non-membres de s’approvisionner, mais à un prix légèrement supérieur à celui accordé aux membres. Un des membres du GIC assume à titre individuel une autre fonction importante : la multiplication de semences de pomme de terre. Depuis deux ans, avec le concours technique de la station IRAD* de Bambui, cet agriculteur produit les semences sur des parcelles non infestées de 1 hectare ; il livre sa production à cette station qui, à son tour, la vend aux paysans.
- 6 Voici néanmoins deux cas significatifs rencontrés lors de nos enquêtes :
25Ces quelques exemples, à partir desquels on ne saurait généraliser, donnent une idée de la capacité d’initiative des groupes les plus actifs tout en en révélant les limites. En matière de diversification des activités individuelles comme en matière de production collective, leurs réalisations sont impressionnantes vu la faiblesse de leurs ressources et de leurs appuis extérieurs. En revanche, en matière de commercialisation, les difficultés sont sérieuses : manque de moyens matériels, manque de maîtrise des rouages du marché, etc. Certains groupes ont mis au point des formules intéressantes pour surmonter les obstacles actuels, mais il est trop tôt pour juger de leur efficacité. Pour ce qui est de l’approvisionnement en intrants, de la multiplication des semences et de l’expérimentation, les efforts sont indéniables mais on ne peut toutefois en apprécier les résultats. On pourrait certes présenter de brillants contre-exemples, mais il ne s’agirait là que de groupes fort peu représentatifs du milieu paysan, voire d’entreprises commerciales qui ont choisi le statut de GIC à des fins d’exonération fiscale6. Au total, les caractéristiques des groupes de petits producteurs ruraux peuvent se résumer en deux termes : créativité et vulnérabilité. La nécessité d’un encadrement s’impose évidemment au niveau de la formation et de l’appui technique (compte tenu de l’importance des innovations), mais il est indispensable surtout en matière de crédit, de commercialisation et d’approvisionnement, afin d’aider les producteurs à résister aux aléas du marché. À cet égard, quel rôle jouent les instances intermédiaires du mouvement associatif ?
26Aux instances étatiques qui ont si longtemps constitué les interlocuteurs immédiats et quasi exclusifs des producteurs se substitue, depuis plus d’une décennie, une nébuleuse complexe d’acteurs issus de la société civile et se réclamant d’une démarche associative ou solidaire, mais dont les objectifs et les pratiques apparaissent peu homogènes. On peut les répartir en trois grands types : les groupes de services, les unions paysannes et les ONG. Les groupes de services, qui ont généralement le statut de GIC, sont les interlocuteurs directs des producteurs et assument des fonctions bien spécifiques. Les unions paysannes, que compose un libre regroupement de GIC de producteurs, remplissent, elles, des fonctions diverses dont celle d’intermédiaire entre les producteurs et les pouvoirs publics ou les structures d’encadrement en général. Quant aux ONG, elles apportent un appui multiforme aux producteurs par le biais des unions et jouent le rôle d’intermédiaire entre ces dernières et les bailleurs de fonds. Dans la pratique, les prérogatives et les domaines de compétence de chaque type d’instance sont nettement moins circonscrits, d’où des formes de concurrence, ou même des luttes d’influence.
27Parmi ces groupes, deux au moins jouent un rôle particulièrement important à l’échelle locale et régionale : PROCA, implanté surtout dans le département des Bamboutos, et Anoubong, dans le département de la Ménoua.
28Ce groupe est un GIC qui présente toutes les caractéristiques d’une ONG locale. Enregistré en janvier 1996, il fonctionne depuis 1990, c’est-à-dire avant la loi sur les GIC. Implanté dans plusieurs villes de l’Ouest, il a établi à Bangang son siège social et sa première structure villageoise : à un local exigu a succédé, sur la place du marché, un magasin spacieux et bien équipé qui facilite des contacts réguliers avec les producteurs et les commerçants. Son directeur délégué, enseignant à Douala, y assure une présence hebdomadaire assidue. La principale fonction du groupe consiste à mettre en contact producteurs, commerçants et consommateurs afin d’assurer aux premiers des débouchés réguliers et avantageux, aux deuxièmes des marchés stables et aux troisièmes un ravitaillement satisfaisant à prix abordable. Le local sert de centre de collecte pour les légumes et les denrées de base les plus recherchées par les centres urbains. Mais le groupe fournit aussi d’autres services aux producteurs:approvisionnement en intrants (engrais et insecticides à des doses adaptées à leurs besoins réels), avec des instructions précises quant à leur utilisation et leurs dangers éventuels ; collecte de cire d’abeille auprès de grands apiculteurs pour une redistribution aux petits producteurs ; séminaires de formation ou de vulgarisation ; épargne- crédit, etc. PROCA diffuse un guide du producteur, élaboré et édité par ses soins, ainsi que des journaux consacrés au monde rural. Le groupe intervient encore dans le domaine de la santé : il a mis en place une structure médicale mobile qui en 1997 a soigné gratuitement 350 malades ; il projette de créer une pharmacie au profit de ses membres.
29Le nombre des adhérents augmente régulièrement : il passe de 800 en 1997 à 3 375 (dont 90 % de femmes) en 2000 mais son encadrement toucherait plusieurs milliers de paysans sur la zone de Bangang. Le groupe dispose d’un réseau de partenaires nationaux et étrangers qui fournissent notamment des engrais et des produits phytosanitaires au prix de gros. Son principal appui extérieur est Afrique-Solidarité, ONG franco-africaine basée à Bobigny, en région parisienne. Avec un capital social de 4,8 millions de francs CFA en 1999, le groupe peut négocier directement avec les banques et n’importe quelle institution, au même titre que tout opérateur économique. Hormis certaines actions à caractère social telle la santé, il fonctionne essentiellement selon une «logique d’entreprise», qui tranche avec la «logique communautaire » de certaines unions et ONG.
- * Se reporter à la liste des sigles p. 75.
- 7 Qui prévoit des projets comme celui de « l’Autoroute alimentaire nord-sud » qui vise, à partir des (...)
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30Le GIC Anoubong, que l’on peut traduire par « quelque chose est bon », s’est constitué au début de 1998 autour d’un « projet d’encadrement des agriculteurs et éleveurs de la Ménoua » élaboré par quelques techniciens et intellectuels issus du monde rural, projet qui s’est fixé trois objectifs : l’assistance-conseil et l’encadrement technique ; la commercialisation des produits ; l’approvisionnement en intrants et en petit matériel agricole. Fin 2001, il compte plus de 600 membres officiels (dont 300 « effectifs »), en majorité membres de GIC d’agriculteurs ou éleveurs, mais inclut aussi des commerçants. Tous se retrouvent en assemblée générale une fois par an ; une fois par mois une réunion regroupe une cinquantaine de personnes et tous les six mois un comité de gestion siège pour un bilan d’activité. Le GIC emploie quatre salariés permanents, dont un « coordonnateur des planteurs » chargé de la sensibilisation (espèces à encourager), de la prospection de marchés, de l’information sur les prix… Le GIC dispose, dans la ville de Dschang, d’un vaste hangar loué à un particulier et dont la capacité totale (quelque 4 800 mètres) permet de stocker récoltes et intrants. Mais il ne possède qu’un petit pick-up de 2 tonnes pour l’enlèvement des récoltes et la livraison d’intrants aux producteurs, et se trouve souvent contraint de louer des camions. La forte personnalité de son délégué, économiste de formation et élu président national d’une toute nouvelle confédération, la très ambitieuse CORCAM*7, contribue au renforcement de son assise sociale et politique. Toutefois, depuis sa création, Anoubong n’a obtenu aucune subvention de l’État. Son expérience de partenariat avec une grosse association interprofessionnelle (AGROCOM*), notamment pour faire bénéficier la filière pomme de terre d’un financement extérieur, a été peu concluante. Sa priorité actuelle est le renforcement des infrastructures de stockage : il prévoit l’ouverture de trois magasins de relais et l’acquisition de containers frigorifiques.
- 8 Les groupements Naam, issus d’une tentative visant à adapter, à des fins de développement endogène, (...)
- * Se reporter à la liste des sigles p. 75.
31Cette Union est née en octobre 1989 – donc avant la promulgation de la loi de 1992 sur les GIC – à l’initiative des responsables de 8 groupes répartis en divers secteurs autour du village pionnier de Galim. Cette zone longtemps sous-peuplée a fait l’objet, à partir des années soixante, de multiples essais de mise en valeur initiés soit par l’État camerounais soit par l’Église catholique. Ses terres vierges souvent très fertiles ont attiré de nombreux migrants venus des zones voisines. Tous ces facteurs expliquent pour une large part l’émergence et le rôle précurseur de cette organisation paysanne. En 1988, trois paysans locaux participent, au Burkina Faso, à un voyage d’échange organisé par le SAILD : impressionnés par l’expérience des groupements Naam8, ils entreprennent, à leur retour, d’impulser un mouvement paysan local en fédérant des groupes de producteurs. Leurs efforts, suivis de résultats probants, assurent à l’Union une audience croissante qui lui permet même, au bout de quelques années, de bénéficier d’aides extérieures, lesquelles s’avèreront cependant génératrices de dissensions et de conflits internes préjudiciables à l’organisation et au mouvement paysan [Njonga et Dikongue Matam 1996]. Toutefois, l’UGAPAB surmonte la crise. En 2000, elle fonctionne toujours avec 15 groupes qui, autour d’objectifs plus clairs et sur des bases apparemment saines, rassemblent quelque 200 membres. Elle se charge, entre les GIC et l’extérieur, des relations en matière d’approvisionnement, de commercialisation et aussi d’épargne et de crédit (en liaison avec la COOPEC* de Galim notamment). L’Union comporte un comité de gestion de 9 membres et un comité de surveillance de 5 membres, lesquels se réunissent tous les trois mois pour évaluer la situation générale ; par ailleurs, en fin de mois, se rencontrent les délégués des GIC et ceux des deux comités. L’Union s’efforce d’élargir le champ de ses partenaires et d’élaborer des projets très divers (savon artisanal, biogaz, agroforesterie, etc.). Enfin, dans une perspective de professionnalisation, elle encourage fortement les regroupements par filière : ce processus serait déjà bien avancé, à l’échelle du département, pour les producteurs de maïs des Bamboutos.
32Cette Union, basée à Litieu-Foréké Dschang et créée en mai 1995, regroupe 19 GIC qui rassemblent 234 membres, dont 133 femmes et 101 hommes (chiffres de 1999). L’émergence tant de ces GIC que de l’Union semble directement liée à l’essor du maraîchage au début des années quatre-vingt-dix dans cette zone toute proche de la ville de Dschang et traversée par un axe routier très fréquenté. Les premiers GIC voient le jour en 1992, sous l’impulsion de jeunes scolarisés, parfois diplômés, confrontés à la réduction drastique des emplois salariés. L’UGAPAM bénéficie d’un appui important du SAILD, qui intervient dans la zone depuis la fin des années soixante-dix et a fait de l’arrondissement de Litieu l’une de ses zones pilotes. Du fait de la priorité accordée au maraîchage, l’Union concentre ses efforts sur les principales contraintes de cette spéculation, à savoir l’approvisionnement en intrants et la commercialisation des produits. Elle a monté un magasin de produits phytosanitaires répondant à une forte demande locale (son fonds de roulement est passé en trois ans de 260 000 à plus de 700 000 francs CFA), même si actuellement on peut enregistrer un certain recul face à une concurrence commerciale de plus en plus sévère. De surcroît, l’UGAPAM participe activement, avec le soutien du SAILD, à la mise en œuvre d’une formule aussi originale que digne d’intérêt : celle de la « formation des paysans par les paysans ». À cet égard le délégué de l’un des GIC membres a accueilli, entre 1998 et 2001, 46 stagiaires paysans venus de toute l’Afrique centrale. Enfin, toujours avec le soutien du SAILD et en collaboration avec Binum (littéralement « coucher de soleil »), grande association paysanne de plus de 2 000 adhérents et couvrant surtout la Province de l’Ouest, l’Union participe à la mise en place d’un réseau de caisses d’épargne et de crédit : en 2001, 60 membres de l’UGAPAM sont, à titre individuel, adhérents de Binum. En dehors de ses relations privilégiées avec le SAILD, l’UGAPAM entretient des contacts plus ou moins étroits avec d’autres ONG d’envergure locale ou nationale et avec d’autres unions de GIC – par exemple pour lancer une action de promotion féminine s’appuyant sur l’expérience des femmes de l’UGAPAB de Galim.
- 9 En fait, il s’agit uniquement de crédits de campagne d’une durée de un an, à partir d’un fonds rota (...)
- 10 Ainsi, les initiatives en direction de nouveaux partenaires seraient souvent écartées de crainte de (...)
33L’Union de groupes paysans Madzong La’a Zizi, dont le nom signifie « le groupe va de l’avant », est née en juin 1993 de 5 groupes ; elle en compte 12 en 2000 (après avoir en 1997 réuni 18 groupes et rassemblé plus de 250 membres). L’Union comporte 6 comités spécialisés : épargne-crédit, artisanat, sport et culture, femmes et environnement, commercialisation, information et communication. Mais seul le premier semble jouer un rôle précis et effectif en ce qu’il négocie avec les organismes extérieurs des microcrédits pour le compte des groupes de producteurs9. L’Union bénéficie d’un appui substantiel du CIPCRE dans divers domaines tels le crédit, la formation, le conseil technique, etc. Bien que globalement fort apprécié, cet appui tendrait, selon certains témoignages, à prendre la forme d’une tutelle qui étoufferait les initiatives autonomes des groupes10. L’une des faiblesses de l’Union semble être précisément son manque de contacts avec l’extérieur et son manque d’informations concernant les activités des autres GIC de la région ou de la zone.
34Une multitude d’ONG, d’origine et de dimension très diverses, interviennent dans les campagnes de l’Ouest-Cameroun. Les plus actives en matière d’encadrement des groupements paysans sont deux ONG de dimension nationale avec toutefois des statuts différents : le SAILD et le CIPCRE.
- 11 Notamment à travers l’édition du mensuel La Voix du Paysan (tiré à plus de 40 000 exemplaires) et g (...)
35Il s’agit d’une ONG internationale de droit suisse, à but non lucratif, basée au Cameroun (tout en intervenant également au Tchad) et engagée dans un ensemble d’actions de soutien au mouvement paysan, dans la formation, l’expertise, la communication11, etc. Bien implantée dans la Province de l’Ouest depuis la fin des années soixante-dix, cette ONG intervient principalement dans trois zones pilotes, à travers divers programmes : après avoir longtemps privilégié la création et la promotion de groupes de producteurs (avant même les GIC), elle s’oriente actuellement vers des fonctions plus spécifiques, à savoir la microfinance et la microentreprise, par l’intermédiaire notamment de Binum, association paysanne fondée sur l’adhésion individuelle et qui s’efforce de mettre en place des structures locales autogérées (caisses d’épargne-crédit, magasins d’intrants, etc.).
- 12 Le CIPCRE a toujours rejeté les engrais chimiques et longtemps donné la priorité aux plantes médici (...)
36Il s’agit d’une ONG de droit camerounais, d’obédience chrétienne, née en 1990 et basée à Bafoussam (chef-lieu de la Province de l’Ouest) mais disposant de « bureaux nationaux » au Bénin et au Tchad. Cette ONG s’attache à la promotion des initiatives populaires dans une perspective empreinte de valeurs évangéliques et démocratiques mais porteuse aussi d’une orientation très écologiste. Elle encadre 3 unions paysannes dans la Province de l’Ouest (et 6 dans celle du Nord-Ouest). Sa capacité à financer des microprojets lui assure une certaine audience auprès des GIC paysans, même si ces derniers ne partagent pas toujours ses options ou ses priorités12.
37Ces quelques exemples illustrent la diversité des logiques et des formes d’intervention des acteurs : diversité qui, à travers la confrontation des idées et des méthodes, peut être un facteur d’enrichissement certes, mais qui ne facilite guère l’harmonisation des efforts. L’indispensable complémentarité se heurte souvent à des formes de concurrence (notamment entre groupes de services et unions paysannes) ainsi qu’à la tendance qu’ont les ONG à «régner» sur leurs zones d’intervention respectives. Les relations que tous ces intervenants entretiennent les uns avec les autres et avec les groupes de producteurs ne sont donc jamais sans ambiguïté.
- 13 Ne disposant pas (malgré les textes officiels) de la personnalité morale auprès des institutions fi (...)
38Trop récente pour faire l’objet d’un véritable bilan, l’expérience des organisations paysannes camerounaises constitue un phénomène complexe et original susceptible d’interprétations diverses. Soumis à des pressions multiples et contradictoires, la majorité des groupes de petits paysans cherchent à trouver leur voie entre un accroissement de la production marchande, qui les rend plus vulnérables, et une sécurité alimentaire dans la marginalisation. Ne maîtrisant ni les rouages du marché ni ceux de l’administration ou des institutions financières13, ils n’ont guère le choix qu’entre le repli sur soi et le recours à des partenaires (GIC de services, unions paysannes et ONG) censés répondre à leurs besoins les plus urgents. Ces structures assurent-elles une prise en charge plus efficace et plus démocratique des fonctions assumées auparavant par les seules instances étatiques ? Il est actuellement bien difficile de se prononcer sur ce point : le mouvement paysan est dans une phase transitoire dont nul ne saurait prévoir l’issue. Mais il est certain qu’une dynamique profonde est en cours, laquelle devrait permettre à la paysannerie de l’Ouest-Cameroun de mieux maîtriser ses conditions d’activité et son devenir.