1Dans les études sur les milieux « naturels », un ensemble de travaux pluridisciplinaires ont émergé au cours des années soixante-dix. Ces travaux ont montré la diversité des facettes impliquées dans les questions d’environnement mais n’ont généralement pas su dépasser la juxtaposition des approches disciplinaires ; ils sont rarement parvenus à une véritable interdisciplinarité en métissant de façon plus poussée les concepts utilisés par chaque discipline et en produisant un retour méthodologique sur les outils employés.
2Nous présentons ici les premiers résultats d’une démarche exploratoire visant à analyser la structure spatiale d’un paysage. Inspirée du croisement de la morphologie dynamique des paysages et de l’écologie du paysage, notre démarche entend bâtir une recherche réellement interdisciplinaire à partir de deux postulats communs et par le biais du transfert de certaines notions.
- 1 Se reporter au glossaire p. 295.
3Le premier postulat réside dans le fait que nos objets d’étude sont des hybrides1 mélangeant de manière intrinsèque des composantes sociales et physiques, mélange dont il nous paraît vain de quantifier les proportions tant elles sont confondues.
4Le deuxième postulat concerne l’importance des caractéristiques spatiales d’un territoire comme source principale d’information, postulat qui fonde nos deux approches qui, bien qu’issues de disciplines très différentes (au sens académique), sont pareillement influencées par le champ de la géographie.
5En archéologie, l’introduction du concept d’espace dans la compréhension des sites et des organisations paysagères (agraires et urbaines) date des années 1930-1940 avec l’apport fondamental de la photographie aérienne verticale. Cet apport a généré maints courants comme la géographie historique ou géohistoire, l’archéologie spatialiste, l’archéologie des paysages et, depuis les années quatrevingt, l’archéomorphologie dite aujourd’hui « morphologie dynamique des paysages ». On est ainsi passé de l’approche traditionnelle, selon laquelle le site archéologique, ponctuel (l’habitat) ou linéaire (la voie), est pensé en termes de point sans possibilité de l’insérer dans le paysage, à de nouvelles approches qui, cette fois, intègrent le site archéologique dans le paysage pensé en termes d’espace. La morphologie dynamique des paysages propose, d’une part, de dépasser la distinction entre la forme archéologique ponctuelle (l’habitat) et les formes archéologiques étendues (réseaux parcellaires, cadastre…) en s’appuyant sur l’idée que « la forme, comme matériau paysager, est l’articulation de ces différents niveaux d’organisation qui concourent à dessiner l’espace » [Chouquer 1990 : 3]. Elle suggère, d’autre part, de partir directement de l’espace appréhendé à l’aide des documents planimétriques (cartes, plans, photographies aériennes obliques et verticales, images satellitales) [Chouquer 2000].
6En écologie, l’importance de l’espace en ce qu’il détermine des dynamiques écologiques à plusieurs échelles s’est imposée dans les années quatre-vingt et a fait naître une branche de la discipline appelée « écologie du paysage ». Le paysage apparaît comme un niveau d’organisation nouveau englobant plusieurs écosystèmes dont on étudie l’articulation spatiale. Cette perspective spatiale, dont les prémisses ont été posées dès la fin des années soixante par la théorie biogéographique des îles, a profondément renouvelé des domaines traditionnels de l’écologie, telles l’écologie des populations et l’écologie des communautés, en postulant que l’hétérogénéité spatiale, aspect autrefois négligé, jouait un rôle de premier plan dans les dynamiques écologiques, et en postulant que la structure spatiale du paysage, donnée autrefois négligeable, modifiait les dynamiques écologiques.
7Toutefois les éléments spatiaux sur lesquels portent nos réflexions ne sont pas les mêmes. La morphologie dynamique fonde son analyse sur l’organisation planimétrique des formes, notamment leur orientation, leur périodicité et leur mode d’agencement, tandis que la définition des objets, en écologie du paysage, s’appuie sur l’occupation du sol et peut être affinée par l’examen de son mode d’utilisation.
8Les échelles de temps envisagées par ces deux disciplines ne sont, elles non plus, pas les mêmes. L’écologie du paysage travaille sur les paysages actuels, le recul historique adopté ne dépassant généralement pas les cinquante dernières années, années au cours desquelles ont été observées les modifications majeures de la plupart des paysages agraires. En effet la période de référence pour débuter l’observation est généralement celle des années cinquante, et ce non parce que les modifications antérieures des paysages sont niées mais parce qu’elles sont considérées comme négligeables au vu des changements constatés par la suite. La morphologie dynamique des paysages, quant à elle, travaille sur des échelles de temps plus longues et, même lorsque l’analyse morphologique concerne les paysages actuels, c’est la dynamique de la structuration du paysage sur la longue durée qui est mise en évidence.
9Cet article porte bien sur le paysage actuel du bassin-versant de l’Aubrière (Indre-et-Loire), sujet que nous allons aborder à l’aide de concepts issus de la morphologie et de l’écologie du paysage. Afin de compléter la présentation, nous emprunterons des références à la structuration paysagère du xixe siècle à l’étude archéogéographique de cet espace que l’une d’entre nous réalise pour la Zone Atelier Loire (ZAL) [Pinoteau 2003].
10Le choix d’une échelle d’observation pertinente pour appréhender un niveau d’organisation est crucial car les conclusions en seront fortement influencées ; ainsi, nous ne pouvons conclure à une absence de réseaux écologiques dans un paysage lorsque l’échelle retenue ne permet simplement pas de les déceler. En morphologie dynamique des paysages, ce n’est pas l’objet d’étude – la forme paysagère – qui détermine le choix d’une échelle d’observation mais l’analyse spatiale elle-même. En écologie du paysage ce choix découle en théorie de l’analyse multiscalaire de la structure du paysage : quand cette dernière change le niveau d’organisation change et on doit y adapter une nouvelle échelle d’observation [Wiens 1989]. Il est en outre difficile de définir une échelle spatiale pertinente pour tous les paysages et pour toutes les dynamiques à l’œuvre dans un paysage (circulation d’espèces, de polluants, de particules érosives, etc.). Le bassin-versant est souvent considéré comme un niveau d’organisation acceptable : il offre une échelle supérieure aux échelles « microlocales » (telles la parcelle, l’exploitation agricole, la station) et permet de mettre en évidence la distance (ou la convergence) qui sépare les conclusions issues d’échelles microlocales de celles qui proviennent de l’échelle macroscopique représentée par le bassin-versant. Cependant nous sommes bien conscientes que c’est là une approximation commode car ni les dynamiques agricoles ni les dynamiques écologiques ne s’intègrent parfaitement à l’échelle du bassin-versant. S’agit-il d’une échelle d’observation admissible pour analyser la structure du paysage sur le temps long ? Telle sera toutefois l’hypothèse sur laquelle nous fonderons notre étude.
11Sur le territoire de la commune d’Orbigny, le bassin-versant de l’Aubrière fait l’objet, depuis quatre ans, d’investigations ayant trait à la structure et à la dynamique du paysage, dans le cadre de différents programmes de recherche dont celui de la ZAL dans lequel s’inscrit le présent travail. Ce bassin-versant se compose de quatre ruisseaux débouchant dans la rivière Olivet par un exutoire commun. Représentatif des Gâtines, ce paysage est constitué de vallons en très faible pente (généralement inférieure à 5 %) sillonnant de petits plateaux aux sols acides et hydromorphes ayant connu plusieurs plans de drainage et de recalcification entre les années soixante et quatre-vingt. Dominé par l’agriculture, ce bassin comprend onze exploitations destinées aux céréales et aux oléagineux et cinq orientées vers l’élevage bovin-lait. Loin d’être considéré comme patrimonial, c’est là un paysage ordinaire sans contrainte physique ni vulnérabilité particulières et, à ce titre, dépourvu de mesures de protection spécifiques.
- 2 Carte IGN 2023 O et 2023 E.
- 1 Se reporter au glossaire p. 295.
- 1 Se reporter au glossaire p. 295.
- 3 Mission 1972 FR 2265, clichés nos 243 à 247, 316 à 319, 322 à 326.
- 4 Mission 1981 37 IFN 07 200 P, clichés nos 821 à 832, 931 à 947, 949, 951, 1045 à 1054, 1056 à 1064.
- 5 Mission 1997 FD 37-41/250, clichés nos 1356, 1358, 1684 à 1686, 1720 à 1722, 1360, 1520, 1521, 1687 (...)
12Les principaux habitats écologiques actuels ont été définis sur la base de l’analyse de l’occupation du sol à partir d’une carte de l’IGN2 et de photographies aériennes. L’analyse montre la présence d’une matrice représentée par le parcellaire agricole (majoritairement céréales et oléagineux) et de quelques autres types d’occupation du sol. Ceux-ci peuvent avoir une forme linéaire et s’apparentent en écologie du paysage à des corridors1 et des réseaux, par connexion de corridors [Burel et Baudry 1999 ; Forman et Godron 1986]. Sur notre site nous observons des réseaux boisés (ripisylves, peupleraies, haies) ou enherbés (fossés, bordures de champs). Les occupations du sol secondaires ont également une forme arrondie et peuvent être qualifiées de taches1 : ce sont des îlots boisés situés principalement en tête de bassin (souvent de grandes forêts) et/ou en fond de vallée (petits bois). Ainsi une première caractérisation de ce paysage fait apparaître la faiblesse des réseaux écologiques (réseau fluvial peu marqué) [Di Pietro et al. 2003], composés de corridors peu connectés et peu dispersés, et la prépondérance des taches disséminées dans l’espace, comme l’indique la figure 1 ci-contre. Cette situation s’est même accentuée ces trente dernières années, et l’interprétation de photographies aériennes de 19723, 19814 et 19975 révèle une relative stabilité des îlots boisés et une formidable diminution de la plupart des réseaux (ripisylves, bordures de champs, haies) [Di Pietro et Doreau 2002].
Fig. 1. Réseau écologique actuel. Bassin-versant de l’Aubrière (Indre-et-Loire)
Source : mission aérienne verticale de l’IGN, 1997 FD 37-41 250 24x24 P N&B, nos 1686, 1720, 1722, 1356 et 1358 ; enquête réalisée auprès des agriculteurs en 2002.
- 6 Source : enquêtes sur l’exploitation agricole et relevés de terrain réalisés en 2002.
13L’interface champ-bois, apparemment stable sur le plan spatial mais sujette à des modes de gestion fort différents6, est l’élément paysager saillant, ce qui est confirmé par l’analyse de la composition botanique des bordures de champs [Di Pietro et Génin 2003]. Bref, selon une typologie utilisée en écologie du paysage, il s’agit ici d’un paysage « en taches ».
14Or la structuration du bassin-versant n’est pas perçue ainsi par le morphologue. En effet, à la fin du xxe et au début du xxie siècle, dans le secteur de la Gâtine lochoise, un paysage en réseau semble émerger, bien que non apparent sur le terrain et sur les cartes (notamment les récentes cartes topographiques IGN aux 1 : 25 000e, 1 : 50 000e et 1 : 100 000e) [Pinoteau op. cit.].
- 7 Le niveau supérieur du paysage contient la plupart des éléments structurants. Le niveau intermédiai (...)
- 1 Se reporter au glossaire p. 295.
15Pour définir le paysage, le morphologue se base sur des éléments autres que l’occupation du sol. Il s’intéresse aux éléments structurants, caractéristiques de chaque forme paysagère qui constituent l’articulation entre les niveaux7 d’organisation du paysage – supérieur, intermédiaire et inférieur. Les éléments structurants sont des faits paysagers déterminants, pérennes, émergeant sur les documents planimétriques – grands axes, alignements remarquables, physiques (cours d’eau, végétation, etc.) et/ou anthropiques (la voirie, le parcellaire) –, capables d’avoir une action morphogénétique sur le reste du paysage : provoquer l’orientation de formes, de grande ampleur (le réseau de lignes) comme de petite ampleur (l’unité morphologique), qui prennent appui sur ces morphogènes1 plus ou moins longtemps après leur implantation [Chouquer 2000].
16L’hypothèse d’une structuration morphologique discrète en réseau s’appuie sur différents indices.
17L’observation a été réalisée, dans un premier temps, à l’échelle de la Gâtine lochoise dont la superficie correspond, en morphologie dynamique des paysages, aux dimensions spatiales nécessaires à la mise en évidence de formes de grande ampleur telles que les réseaux.
- 8 Cartes topographiques IGN au 1 : 50 000e (Saint-Aignan, feuille n° 2023, 1988), au 1 : 100 000e (Or (...)
18On pose l’hypothèse que la structuration du bassin-versant de l’Aubrière a des chances de s’insérer dans ces formes spatiales étendues [Pinoteau op. cit.]. Plusieurs éléments paysagers remarquables, morphologiquement structurants, ont été identifiés à partir de cartes topographiques IGN récentes aux 1 : 50 000e, 1 : 100 000e et 1 : 125 000e8 (fig. 2 ci-contre). Il s’agit de la forêt de Brouard avec une orientation globale de 32° W, du réseau hydrographique (bassin-versant de l’Aubrière, une partie du bassin-versant de l’Olivet et les microbassins-versants situés à l’est de la forêt de Brouard), orienté à 56° E, de la limite communale entre Orbigny, Mareuil-sur-Cher, Saint-Aignan, Châteauvieux et Faverolles, orientée à 32° W, ainsi que de la voirie : les routes départementales et nationale D 81 (orientée à 32° W), D 675 (orientée à 20° E), D 9 et les routes locales dans l’alignement de la route nationale (orientées à 51° E), D 52 (orientée à 51° E), D 760 et N 76 (orientées globalement à 1° E). Les orientations à 32° W et à 56° E sont dominantes dans la partie sud-est de la Gâtine, à travers le réseau hydrographique, la forêt de Brouard, la limite communale et le réseau des routes départementales et nationales.
Fig. 2. Axes majeurs et alignements remarquables
Source : cartes du ministère de l’Intérieur, nos 19XIV, 21XIV, 21XV, 20XIV, 19XV, 20XV, au 1 : 100 000e, 1881.
- 9 Mission aérienne 1997 FD 37-41 250 24x24 P N&B, clichés nos 1686, 1720, 1722, 1356, 1358.
- 10 Mission aérienne 1986 Langeais-Saint-Aignan 1823-2023 300 24x24 50x50 P N&B, clichés nos 160, 272, (...)
19L’observation a ensuite été effectuée à l’échelle du bassin-versant de l’Aubrière qui correspond à un secteur d’environ 35 km2, surface susceptible de montrer la spécificité globale (structuration par des formes spatiales étendues, tel le réseau) et détaillée (unités morphologiques paysagères) de cette forme paysagère. Différents éléments remarquables ont été identifiés à partir des cartes topographiques IGN aux 1 : 25 000e et 1 : 50 000e, des clichés de la mission aérienne 19979 et des agrandissements de la mission aérienne 198610. Il s’agit de la forêt de Brouard avec une orientation globale à 32° W, des ruisseaux de l’Aubrière, de l’Étang Rouillé, des Paillis, de l’Étang orientés à 56° E, de la limite communale entre Orbigny, Mareuil-sur-Cher, Saint-Aignan et Châteauvieux, orientée à 32° W, ainsi que de la voirie : les routes départementales D 81 (orientée à 32° W) et D 89 (orientée à 56° E) (fig. 2). Les orientations à 32° W et à 56° E sont aussi dominantes sur le bassin-versant.
20Nous noterons que la Gâtine lochoise et le bassin-versant de l’Aubrière ne présentent pas, sur de grandes distances, d’alignements ou de successions de limites parcellaires pouvant être qualifiées d’éléments paysagers structurants.
- 11 Feuille n° 30 dressée par Cassini, publiée en 1768 au 1 : 86 400e.
- 12 Cartes 1881 : Amboise, feuille n° 19XIV ; Châtillon-sur-Indre, feuille n° 21XIV ; Châteauroux, feui (...)
- 13 Cartes 1840 : Valençay Nord-Ouest, feuille n° 121 et Valençay Sud-Ouest, feuille n° 121.
21Certains des éléments morphologiques remarquables sont déjà apparents dans le paysage au xviiie siècle : la carte de Cassini11 représente la forêt de Brouard – dans les mêmes dimensions –, le réseau hydrographique et une grande voie rectiligne, l’actuelle D 675. Au xixe siècle, les cartes de la Nouvelle France du ministère de l’Intérieur au 1 : 100 000e12 et les cartes d’État-Major au 1 : 40 000e13 indiquent que les éléments structurants deviennent prégnants. Qu’ils soient hydrographiques, viaires, communaux ou forestiers, ces éléments ne varient pas ou peu dans leur orientation ; ils seront pérennisés jusqu’à l’époque actuelle.
22Les formes paysagères spécifiques du bassin-versant de l’Aubrière révèlent une structuration générale en réseau dans laquelle s’insèrent des unités morphologiques ponctuelles.
- 1 Se reporter au glossaire p. 295.
23Un réseau quadrillé « souple » (à savoir une forme globalement quadrillée mais sans la rigidité d’orientation et la métrique d’une planification) a été mis en évidence. Il s’appuie sur les éléments structurants d’orientations dominantes proches de 32° W et 56° E : la forêt de Brouard ; les ruisseaux de l’Aubrière, de l’Étang Rouillé, des Paillis, de l’Étang ; la limite communale entre Orbigny, Mareuil-sur-Cher, Saint-Aignan et Châteauvieux, ainsi que les routes départementales D 81 et D 89. Ces axes et alignements ont été considérés dans leur linéarité et sans distinction des données physiques et sociales. À ces alignements s’ajoutent nombre de limites parcellaires et tronçons de voies isoclines1 (de même orientation, parallèles ou perpendiculaires aux éléments structurants), qui forment le niveau intermédiaire du réseau. Des petites limites de parcelles et masses parcellaires moins nombreuses appuient leur orientation sur les éléments des deux autres niveaux (principe de l’isoclinie).
24On peut donc parler d’un réseau car les niveaux d’organisation sont très présents sur le bassin-versant. À l’exception de la partie sud-ouest, ce réseau s’étend largement et densément sur le reste de la fenêtre d’étude. Cette forme spatiale étendue ne prend véritablement son sens qu’à l’échelle de la Gâtine lochoise où l’on observe des éléments structurants, selon les mêmes orientations dominantes 32°Wet 56° E, constituant un large réseau quadrillé souple dans la partie sud-est de ce secteur. Ce réseau quadrillé souple est déjà identifié sur les documents planimétriques du xixe siècle, tant à l’échelle de la Gâtine lochoise qu’à celle du bassin-versant ; toutefois le réseau perçu à l’échelle de la Gâtine est de même prégnance tandis que la focalisation sur le bassin-versant fait apparaître une structuration plus dense par la multiplication des limites parcellaires du niveau inférieur, les éléments structurants des niveaux supérieur et intermédiaire étant sensiblement identiques.
25Dans une lecture traditionnelle des formes, la mise en évidence de cette trame géométrique de lignes aurait été interprétée comme l’indice d’une possible planification. On aurait cherché à faire coïncider l’extension de cette trame avec une « circonscription » historique donnée afin de disposer d’un fil conducteur pour la datation. Nous préférons y voir une forme auto-organisée, c’est-à-dire produite par de multiples dynamiques locales de transformation, qui, paradoxalement, construisent la permanence de la forme.
26En effet, articuler ces observations morphodynamiques avec les données historiques reste un exercice des plus difficiles. Une synthèse sur le Lochois médiéval rassemble et analyse toute la documentation disponible du haut Moyen Âge jusqu’au xiiie siècle [Lorans 1996]. En l’état, les deux enquêtes paraissent, pour une grande part, autonomes. Bien entendu il existe des points d’ancrage comme l’importance de la forêt de Chedon – dont le bois de Brouard est un fragment –, qui forme la limite orientale de la zone de Céré, d’Orbigny et de Nouans, dans une situation d’interfluve entre les bassins du Cher et de l’Indre. La rectilinéarité du dessin de cet interfluve forestier est à cet égard essentielle pour expliquer la géométrie naturelle de cet espace. Autre point d’ancrage : la mention d’un moulin à Orbigny au xiie siècle [ibid. : 176], qui intéresse le rapport que la communauté villageoise entretient avec la rivière. Mais deux indications exploitables sur six à sept siècles d’histoire ne permettent pas de fonder une interprétation historique.
27Que faire, par ailleurs, des autres mentions éparses que propose la documentation historique ? Que penser d’un vicus à Orbigny, à l’époque de Grégoire de Tours, qui est aussi le siège d’une paroisse précoce [ibid. : 50-51 et 58-59] ? Quel territoire restituer, connaissant les incertitudes de plus en plus légitimes des historiens dès qu’il s’agit de se prononcer sur le sens des termes (vicus, villa par exemple) et de définir des circonscriptions médiévales ?
28On assiste donc bien à une prise de distance par rapport à l’interprétation classique des historiens au profit de la qualification d’objets, ici parcellaires, disposant d’une forme d’historicité et de périodisations autres que les leurs.
29En réalité la question est moins celle de l’interprétation historique de cette forme que celle d’une réflexion critique sur sa dynamique.
30L’étude a permis de suggérer un autre mode d’organisation des formes en associant le réseau fluvial et le réseau parcellaire pour voir en quoi ils constitueraient une forme mixte, de type fluvio-parcellaire. Cette élaboration n’est en aucun cas perceptible en tant que telle sur les documents planimétriques, en raison tout simplement de la représentation cartographique courante qui sépare orographie (en brun), hydrographie (en bleu), végétation (en vert), voirie (en orange) et planimétrie (en noir). Pour la faire apparaître, il faut associer deux ou plusieurs de ces niveaux.
31Cette forme mixte (fig. 3 p. 272) est une combinaison d’éléments physiques et sociaux : des ruisseaux du bassin-versant, des axes viaires et parcellaires structurants (niveau supérieur) sur lesquels s’appuient, perpendiculairement ou parallèlement, des limites parcellaires et des tronçons de voies (niveau intermédiaire) ainsi que des petites limites de parcelles (niveau inférieur) produites par les deux niveaux précédents.
Fig. 3. Complexe fluvio-parcellaire : réseau fluvio-parcellaire et formes parcellaires induites
Source : carte compilée d’après la carte de la fin du xixe siècle.
32Traditionnellement, on aurait été tenté de renvoyer ce type de forme à un déterminisme organique à faible valeur historique, par opposition à des formes planifiées à forte valeur sociale et historique. Néanmoins cette opposition semble dépassée et on préfère montrer que l’hybridation n’est pas la marque d’une moindre socialisation du paysage.
33Dans ce réseau émergent des corridors morphologiques : espaces linéaires à considérer tant dans leur linéarité que dans leur épaisseur et correspondant, par leur morphologie, aux corridors écologiques [Burel et Baudry op. cit. ; Forman et Godron op. cit.]. Ces corridors, qui s’appuient essentiellement sur l’orientation locale des cours d’eau et des grands axes parcellaires et viaires reprenant eux-mêmes l’orientation des cours d’eau, sont constitués de limites parcellaires, de tronçons de voies et de tronçons de ruisseaux. Ils sont de grande extension, couvrant les trois-quarts du bassin-versant [Pinoteau op. cit.].
- 1 Se reporter au glossaire p. 295.
34Ce réseau fluvio-parcellaire1 génère des ensembles cohérents de limites parcellaires et tronçons de voie, qui, d’une part, reprennent l’orientation (isoclinie), générale ou ponctuelle, des corridors morphologiques déjà cités et, d’autre part reposent sur les trois niveaux d’organisation du réseau fluvio-parcellaire. Ces systèmes sont composés de longs axes structurants (routes, limites parcellaires) et d’éléments de moyenne dimension, peu denses (limites parcellaires et tronçons de voies). Ils se développent le long du ruisseau de l’Aubrière, de celui des Paillis et de celui de l’Étang. Finalement, ce réseau fluvio-parcellaire et ses systèmes parcellaires induits forment une structuration spatiale, prégnante, désignée ici comme un « complexe morphologique fluvio-parcellaire ». Cette structuration est visible sur les documents planimétriques du xixe siècle. L’étude morphologique révèle qu’elle ne varie pas, les éléments structurants du niveau supérieur étant pour ainsi dire les mêmes. Les éléments des niveaux intermédiaire et inférieur sont plus nombreux. Le réseau apparaît donc plus densément structuré. Les corridors morphologiques émergent de la structure. Le réseau génère, dès le xixe siècle, des systèmes parcellaires isoclines aux corridors morphologiques et aux ruisseaux.
- 1 Se reporter au glossaire p. 295.
- 1 Se reporter au glossaire p. 295.
35L’étude morphologique montre également que le complexe fluvio-parcellaire s’imbrique dans le réseau quadrillé souple : des éléments structurants (des niveaux supérieur et intermédiaire) et des limites de masses parcellaires des deux structures sont superposables, c’est-à-dire communs aux deux formes spatiales. Cette observation vaut aussi pour les deux réseaux mis en évidence sur les documents du xixe siècle. Ainsi, les corridors, espaces de flux et lieux de dynamiques complexes, semblent jouer un rôle important dans la production des formes et dans la résilience1 de la forme auto-organisée1. Ce sont bien des espaces dynamiques (du point de vue hydrographique, sédimentaire, végétal et social) qui contribuent à la création d’effets de pérennité. Le niveau d’hybridation est triple : dans l’espace (entre corridors et parcellaires géométriques) ; dans le type même des formes associées (entre formes géomorphologiques, écologiques et sociales) ; dans le temps (entre des dynamiques courtes et longues).
36Le complexe morphologique fluvio-parcellaire apparaît structurant pour les autres formes paysagères, notamment pour le réseau viaire (fig. 4 p. 274) et les unités morphologiques parcellaires associées ou non à l’habitat.
Fig. 4. Effets du complexe fluvio-parcellaire sur le réseau viaire
Source : carte compilée d’après la carte de la fin du xixe siècle.
37La plupart des grandes routes locales et supralocales, ainsi que certains chemins secondaires du réseau viaire reprennent, en effet, les orientations générales du réseau fluvio-parcellaire (principe de l’isoclinie). Parmi les routes superposables aux bordures des corridors morphologiques (traits épais rouges sur la carte), quelques tronçons correspondent aux éléments structurants du réseau fluvio-parcellaire, d’autres aux éléments structurants des systèmes induits – tronçons de routes locales et supralocales (traits épais jaunes ou jaune orangé sur la carte). Rares sont les routes et tronçons de voies qui, sur le bassin-versant, ne suivent pas l’orientation de la forme fluvio-parcellaire. Ces routes et tronçons de voies engendrent à leur tour des structurations spatiales ponctuelles, certaines limites parcellaires et chemins ruraux étant parallèles ou perpendiculaires à ces axes (principe de l’isoclinie). Ces limites parcellaires et chemins ruraux sont assez denses et se répartissent sur l’ensemble du bassin-versant. L’étude morphologique montre que ce réseau viaire, isocline, dans son ensemble, au complexe morphologique fluvio-parcellaire, existe déjà au xixe siècle.
38De nombreuses unités morphologiques parcellaires, appelées aussi formes parcellaires ponctuelles, liées ou non à l’habitat, ont été identifiées dans le paysage de la fin du xxe siècle (fig. 5 p. 276). Ces unités morphologiques sont principalement produites par des morphogènes relevant de la voirie. Ces formes parcellaires ponctuelles sont le plus souvent associées à un habitat actuel (10 unités morphologiques sur 16). On notera que la forme parcellaire 17 est créée à partir d’un carrefour d’anciennes routes antérieures au xixe siècle, carrefour susceptible d’être le siège d’un site archéologique fossile (habitat, croix, etc.).
Fig. 5. Insertion des formes parcellaires ponctuelles (liées ou non à l’habitat) dans le complexe fluvio-parcellaire
Source : carte compilée d’après la carte de la fin du xxe siècle.
- 1 Se reporter au glossaire p. 295.
- 1 Se reporter au glossaire p. 295.
39Certaines unités morphologiques apparaissent déjà au XIX e siècle : il s’agit des formes 1, 2, 5, 15 et 19. A contrario, les formes 7, 8, 12 et 16 n’existent pas à cette époque. Les formes 3, 4, 13 et 14, identifiées au xxe siècle, succèdent à des formes du xixe, géométriquement similaires, les axes structurants de la forme étant alors déjà présents. Seuls changent, à différents degrés, le nombre et l’agencement des masses parcellaires internes. On observe une simplification, au xxe siècle, des formes 3, 4, 13 et 14. Les unités morphologiques 6, 13 et 18 du xxe siècle se situent à l’emplacement de formes parcellaires, morphologiquement différentes. Les formes parcellaires ponctuelles 9, 10, 11 et 17 enfin, observées au xxe siècle, n’apparaissent pas, au xixe, en tant qu’unités morphologiques distinctes de l’ensemble de la trame parcellaire. Cependant, la plupart des limites parcellaires et tronçons de voies existent bien au xixe siècle. Mais les formes ponctuelles n’émergent pas encore : les axes structurants ne jouent pas, ou peu, leur rôle de morphogène1. Ces formes, futures unités morphologiques, sont en cours de continentalisation1 et sont toutes connectées au complexe morphologique fluvio-parcellaire. Les formes 1, 3 et 4 sont connectées aux systèmes parcellaires induits, par superposition des bordures des deux types de formes spatiales (limites parcellaires, tronçons de voies). Les formes 11 et 13 sont connectées aux corridors morphologiques et aux systèmes parcellaires induits, par superposition des bordures des deux types de formes spatiales. Les formes 8, 14 et 15 sont connectées aux corridors morphologiques par intégration totale de leur structure, tant du point de vue du figuré linéaire que du point de vue du figuré zonal (limites parcellaires et tronçons de voies). Les autres formes (2, 5, 6, 7, 9, 12, 16, 17, 18 et 19) sont connectées aux corridors morphologiques, par superposition des figurés linéaires et des figurés zonaux (limites parcellaires et tronçons de voies), et aux systèmes parcellaires induits, par superposition des figurés linéaires (limites parcellaires et tronçons de voies). Les critères de connexion des unités morphologiques au complexe fluvio-parcellaire relèvent donc des notions de géométrie (superposition de traits) et de cartographie (étude des figurés linéaires et zonaux) exploitées en morphologie dynamique des paysages. Soulignons que ces connexions ont une réalité paysagère puisqu’elles correspondent à chaque fois à une limite parcellaire, un tronçon de voie, une parcelle ou une masse parcellaire. Par conséquent il ne s’agit pas de constructions géométriques abstraites, de représentations mentales.
- 1 Se reporter au glossaire p. 295.
40Le mode d’insertion de ces unités morphologiques de plus petite taille que les corridors du complexe fluvio-parcellaire présente une réelle originalité. La comparaison des figures 3 et 5 montre que les unités locales créent des liens géométriques entre les corridors. C’est le cas de l’unité 11 de la figure 5 qui unit des corridors principaux et des corridors secondaires. Les lignes et les surfaces les plus orthogonales ne sont pas là pour délivrer la forme globale dans laquelle seraient repérées des anomalies plus ou moins curvilignes, c’est exactement le contraire. Les unités les plus géométriques sont des connecteurs morphologiques1 entre des réalités hybrides de niveau hiérarchique supérieur, les corridors, dessinant une géométrie plus souple. On voit comment ces unités géométriques microlocales, qui peuvent représenter des formes discrètes (discontinues) d’aménagement parcellaire planifié ou des fonctions agronomiques précises à un moment donné de l’exploitation de l’espace agricole, construisent, par leur diversité même, la résilience de la forme géométrique d’ensemble. On a donc toutes les raisons de penser que le réseau quadrillé souple auto-organisé est une forme résultante et non initiale, le produit d’une série de dynamiques complexes et non une planification en soi. C’est l’association d’un niveau de grandes formes intermédiaires, qui empruntent leur orientation et leur disposition aux corridors hybrides, et d’un niveau de petites formes parcellaires issues de projets agraires ponctuels.
41Ainsi, la forme du bassin-versant de l’Aubrière, à la fin du xxe siècle, semble structurée principalement par un réseau mixte, en apparence discret mais en définitive très efficace : le complexe morphologique fluvio-parcellaire qui, d’une part, s’imbrique dans un réseau quadrillé, lui-même produit par des unités morphologiques géométriques et, d’autre part, oriente le réseau viaire et les unités morphologiques.
42D’un point de vue archéogéographique, le réseau des haies s’intègre, à l’exception de quelques unités, dans le complexe morphologique fluvio-parcellaire, par superposition des haies aux figurés zonaux du parcellaire (fig. 6 p. 278). La connexion des îlots boisés au complexe morphologique fluvio-parcellaire est plus nuancée. De rares parcelles boisées ne lui appartiennent pas mais lui sont rattachées par superposition de leurs bordures (figuré linéaire) à celles des systèmes parcellaires induits (limites parcellaires, tronçons de voies) ou à celles des corridors morphologiques. Les autres îlots sont intégrés, par leur positionnement et leur géométrie, au complexe fluvio-parcellaire. Certains y sont connectés par la superposition de leurs bordures aux bordures et éléments structurants du complexe fluvio-parcellaire (figuré linéaire). D’autres (parcelles boisées isolées ou associées) y sont connectés par leur figuré zonal qui représente une forme quadrangulaire de même orientation que celle des corridors morphologiques. La plupart des îlots boisés s’intègrent donc dans ce complexe morpho-écologique fluvio-parcellaire, soit au niveau des corridors du réseau fluvio-parcellaire, soit parce qu’ils sont connectés avec les systèmes parcellaires induits par le réseau fluvio-parcellaire ou avec des tronçons de voies.
Fig. 6. Complexe écomorphologique
Source : carte compilée et carte du réseau écologique actuel.
43Cette imbrication du complexe fluvio-parcellaire et des réseaux écologiques (réseau des haies, îlots boisés) existait déjà au xixe siècle ; le réseau des haies était à cette époque plus dense et renforçait la structure en réseau.
44Les principaux habitats écologiques (îlots boisés, haies, fossés et, a fortiori, ripisylves et peupleraies) entrent dans le complexe fluvio-parcellaire pour former un véritable « réseau fluvio-végétalo-parcellaire » ou « complexe écomorphologique en réseau ».
45En outre, si l’on prend en considération les principales fonctions agricoles des parcelles, définies par l’orientation de la production des exploitations, on voit se confirmer l’importance du réseau fluvial dans ce bassin-versant. En effet, comme dans une grande partie des paysages agricoles européens, on distingue : des parcelles incluses dans des exploitations de grande culture, dont la rotation culturale est basée essentiellement sur l’alternance céréales-oléagineux ; des parcelles incluses dans des exploitations d’élevage (bovin-lait), sur lesquelles la rotation culturale peut comprendre la présence de prairies temporaires.
46La distribution spatiale des principales fonctions agricoles dans le bassin-versant permet de localiser les prairies et les exploitations d’élevage dans le complexe morphologique fluvio-parcellaire (fig. 7 p. 280) et dans les formes ponctuelles 8, 9, 10, 11 et 17 (fig. 8 p. 281). La connexion repose sur le positionnement et les superpositions de figurés linéaires et zonaux (limites parcellaires, tronçons de voies) des prairies et exploitations agricoles laitières au complexe fluvio-parcellaire et aux unités morphologiques.
Fig. 7. Insertion des exploitations agricoles laitières dans le complexe écomorphologique
Source : carte compilée et carte du réseau écologique actuel.
Fig. 8. Connexion des exploitations agricoles laitières aux formes parcellaires ponctuelles
Source : carte compilée d’après la carte de la fin du xxe siècle.
47Nous constatons une remarquable association d’habitats écologiques et de fonctions d’élevage (exploitations laitières et prairies) qui s’inscrivent dans le réseau fluvio-parcellaire.
48C’est ici qu’il faut souligner que cette structuration du paysage est le produit d’une longue histoire, même si nous ne pouvons en fixer les termes en l’absence d’une enquête archéologique, héritage qui représente localement un potentiel pour la gestion actuelle des fonctions et des formes. Il est par exemple intéressant d’observer que les exploitations laitières ne se contentent pas d’être connectées au réseau des corridors et au complexe écomorphologique mais qu’elles épousent les formes et les emplacements des connecteurs géométriques qui ont été définis plus haut (et dont on peut être certain qu’ils sont en place depuis plusieurs siècles tout en se transformant), alors que les fonctions peuvent avoir changé par rapport aux différents passés agronomiques du site.
- 1 Se reporter au glossaire p. 295.
49Les activités agricoles tout comme les fonctions écologiques les plus actuelles pérennisent et peuvent donc transmettre les potentialités organisatrices de paysages occupés depuis longtemps déjà. Nous y voyons l’application de ce principe de « transformaction1 » selon lequel une forme est à la fois agie et agissante, transformée par les fonctions nouvelles et transformatrice par l’action résiliente qu’elle induit dans le long terme. On mesure ainsi comment des habitats écologiques, des formes de biodiversité, des activités agricoles peuvent transmettre des géométries, à l’inverse de l’opinion courante pour laquelle la géométrie serait l’apanage de l’aménagement dans sa version éradicatrice.
50Un réseau de formes sous-tend ce paysage en taches. La présence du réseau fluvial, bien que peu marquante dans l’espace écologique, influence les fonctions agricoles de ce bassin-versant.
51Contrairement à ce que l’analyse de l’occupation du sol laissait entrevoir, le paysage du bassin-versant de l’Aubrière apparaît au morphologue non seulement structuré par un réseau mais, en outre, par un réseau fluvial qui semblait au premier abord peu significatif. Grâce à ce parcellaire on peut en effet connecter les taches boisées. Cette connexion, essentiellement fondée sur l’orientation similaire des parcelles, a-t-elle, ou a-t-elle eu, une valeur écologique ? Seules des études sur les populations forestières pourraient le dire.
52Comme nous l’avons mentionné, cette structuration était encore plus évidente au xixe siècle. L’évolution des pratiques agricoles et de l’aménagement rural, notamment le remembrement de 1983, n’a pas bouleversé cette structuration fondamentale (ce qui aurait été le cas si on avait réorganisé le parcellaire selon d’autres orientations que celles du réseau fluvial par exemple). En agrégeant les parcelles orientées suivant le réseau fluvial, elle a simplement été simplifiée : une grande partie des haies a disparu, dont la densité donnait à ce paysage une allure bocagère.
53Ce bassin-versant s’est révélé être une échelle spatiale pertinente pour l’analyse de la structuration du paysage car sa taille est suffisante pour faire émerger une structure et le paysage y est bien différent de celui des alentours.
54En écologie du paysage le concept de corridor est défini par sa nature et par sa forme [Forman et Godron op. cit.]. Par rapport à la matrice qui constitue l’occupation du sol dominante, le corridor offre une occupation du sol secondaire. Par rapport aux taches qui constituent l’occupation du sol de forme arrondie, il représente une forme linéaire. La linéarité lui confère des propriétés particulièrement importantes dans des milieux caractérisés par la fragmentation des habitats naturels et la rareté de milieux naturels continus de grande étendue. En permettant la circulation de certaines espèces et en bloquant les déplacements d’autres, le corridor agit comme un filtre d’espèces [Burel et Baudry op. cit.] favorisant la survie ou l’extinction de populations. Il est également l’habitat d’espèces propres. Le développement des études sur les corridors a conduit les écologues à s’intéresser à des habitats relativement nouveaux, généralement dépourvus d’espèces « patrimoniales » (au sens de rares ou menacées) et le plus souvent bâtis et gérés par les sociétés (haies, ripisylves, bords de routes, etc.), bref, à ce qu’on peut convenir d’appeler des « hybrides » à la suite des propositions des morphologues.
55Ce travail exploratoire met donc en évidence l’intérêt du transfert de notions entre champs disciplinaires partageant une position épistémologique commune.
56La définition du complexe fluvio-parcellaire a été rendue possible par le transfert du concept de corridor, de l’écologie du paysage à la morphologie dynamique des paysages. Toutefois cette dernière s’en est emparée en donnant à celui-ci un nouveau contenu lié au concept d’isoclinie, ce qui a permis d’introduire la notion de corridor parcellaire. De surcroît le corridor, défini sur ces nouvelles bases, suggère une nouvelle lecture de l’analyse écologique du paysage, qui met en lumière des connexions auparavant invisibles. Le critère de l’orientation des formes est absent en écologie du paysage. Aussi la prise en compte de ce critère a-t-elle fait apparaître une structure différente et plus pérenne que celle qu’on voit à partir de la seule occupation du sol. Le sens écologique de cette nouvelle structure reste à explorer mais elle ouvre d’ores et déjà des perspectives, grâce à la notion de « taches connectées » qui qualifie le paysage du bassin-versant de l’Aubrière. Par ailleurs, la prise en compte de l’occupation du sol livre au morphologue une articulation avec l’utilisation sociale de l’espace.
57Le réseau fluvial est ainsi un élément prégnant dans l’organisation spatiale du paysage même lorsqu’il ne constitue pas la contrainte majeure habituellement définie par la notion de « zone humide ». Il s’agit là d’un paysage ordinaire qui possède des spécificités non immédiatement visibles.