- 1 La région de la Pampa constitue l’espace agricole central de l’économie argentine. Les domaines de (...)
1Durant les années quatre-vingt-dix, les indicateurs globaux de la région de la Pampa1 montrent des signes de croissance de la production à quasiment tous les niveaux, alors que la crise agricole se propage. Or ce décollage ne se réduit pas à des questions techniques liées au rendement et à l’augmentation quantitative de la production. L’ampleur prise par le processus de modernisation agricole initié durant les années soixante-dix, la diffusion de nouveaux modes d’organisation de la production, plus décentralisés, et la pénétration du capital étranger dans divers segments agro- industriels sont quelques-uns des facteurs qui agissent sur les forces motrices de l’activité agricole locale.
- 2 La notion de système agroalimentaire fait référence au réseau indépendant d’acteurs (entreprises, i (...)
2De profonds changements sont en train de se produire dans les systèmes agroalimentaires de l’Argentine2. Dans ce contexte, la dynamique interne de l’agriculture provoque des tensions entre les stratégies entrepreneuriales – dérivées de la logique sectorielle d’accumulation – et le développement des systèmes locaux de production, construits au cours des cycles d’évolution de l’agriculture de la Pampa. De grandes questions surgissent donc sur les effets du nouveau rapport urbain/rural sur la production et la technologie.
3Le but de cet article est d’approfondir la réflexion concernant ces interrogations, en partant des études conceptuelles récemment développées qui visent à interpréter les nouvelles dynamiques territoriales dérivées des transformations dans les domaines agraires et agro-industriel.
4Depuis quelque temps, nous assistons à un retour du débat théorique global autour de l’organisation spatiale des systèmes de production. Dans le domaine des études agroalimentaires notamment, des perspectives nouvelles sont apparues qui modifient, d’une certaine manière, les façons traditionnelles d’aborder le développement agraire et rural ainsi que les relations entre le rural et l’urbain. Les propos de B. Hervieu illustrent bien les préoccupations que ces bouleversements inspirent :
Comme les autres secteurs économiques et socioprofessionnels, l’activité agricole est en passe de devenir une activité à localisation précaire et révisable. Sans véritablement en avoir conscience, le monde agricole et son économie ont participé à ce mouvement de rupture – encore relatif – entre production et territoire […] la production agricole n’est plus, désormais, liée au sol : au cours des Trente Glorieuses, de 1945 à 1975, une véritable révolution technique, mais aussi juridique et économique, a permis l’invention de l’agriculture hors sol, et, plus largement, celle de la production hors sol [1991 : 66, 70 ].
5Jusqu’à une époque récente, l’industrie de l’alimentation présentait une faible concentration géographique. À présent, elle s’organise dans l’espace selon des modèles de plus en plus proches de ceux des autres industries. La forte corrélation spatiale entre la concentration de la production agraire et celle des activités agro- industrielles de première transformation, historiquement liées, a cessé d’exister [Sanz Cañada 1993a : 81].
6Ces changements ont donné lieu à une bibliographie abondante. L’ensemble des apports qui permettent de cerner les facteurs territoriaux associés à cette problématique proviennent :
- 3 Ces points de vue ont pour point de départ la transformation des conditions historiques de la produ (...)
7• Du courant de recherche qui met l’accent sur les nouvelles dynamiques de l’espace rural3. Le domaine rural n’est plus seulement considéré pour la valeur de sa production agricole, mais aussi pour sa condition d’espace résidentiel et récréatif, fonctions qui prennent de plus en plus d’ampleur et qui génèrent des avantages comparatifs [Saint Julien 1995]. De nouvelles formes d’usage et d’exploitation émergent, liées à la détente (tourisme rural, résidence secondaire, services de ferme) et aux nouvelles valeurs écologiques qui se répandent dans la production et dans la consommation des aliments (recherche d’aliments sains et plus naturels, préoccupations environnementales). La « pluriactivité » ou « l’agriculture de services » en tant que stratégies répondant à la nouvelle logique des espaces ruraux mettent l’accent sur cet aspect multifonctionnel de l’agriculture [Laurent et al. 1998 ; Le Roy 1998 ; Triboulet et Langlet 1999].
8• Des travaux qui effectuent une étude spatiale de la « filière agroalimentaire » du point de vue des «systèmes localisés de production et d’innovation » – territoire, milieu innovateur – et qui mettent l’accent sur les dynamiques de proximité, les relations d’interdépendance et les synergies territoriales qui se manifestent dans des domaines déterminés de spécialisation agricole [Fanfani et Montresor 1991 ; di Fara 1995 ; Sanz Cañada 1993b]. Tout spécialement pour les « nouveaux produits agricoles » ou ceux qui sont inclus dans les stratégies de différenciation – «appellation contrôlée » –, le lien entre l’agroalimentaire et le territoire devient l’un des aspects qui intervient dans la détermination des nouveaux facteurs de qualité et de compétitivité [Caldentey et Gomez Muñoz 1997 ; Dubois 1998 ; Gatti et Valli 1995]. Ainsi la spécification du produit selon les attributs du sol, la tradition et le savoir-faire en matière de production, avec l’ajout d’innovations spécifiques, permettent la création de «revenus différentiels» dans les bassins de production agricole [Birlouez et Episteme 1998 ; Pecqueur 1996].
- 4 Depuis les années quatre-vingt, dans de nombreux pays de l’Organisation de coopération et de dévelo (...)
- 5 Ce concept, propre à l’économie et à la géographie industrielle, fait référence à la concentration (...)
- 6 Durant ces dernières années ce courant de recherche s’est répandu dans les propositions politiques (...)
9• Des études théoriques sur les conditions du développement économique local ou régional, qui intègrent différents facteurs de stimulation induits par la modernisation du milieu agricole. Dans ce type de travaux, la notion de « systèmes locaux de production » suscite un vif intérêt en raison des potentialités qu’elle présente pour interpréter les changements dans les espaces ruraux et, plus spécifiquement, les facteurs ayant une incidence sur les liens entre le milieu rural et le milieu urbain. Dans ce cadre, de nombreuses études examinent les interdépendances urbain/rural en fonction des marchés du travail locaux4. D’autres analyses traitent des effets d’enchaînement, (vers l’avant et vers l’arrière) qui résultent des modes d’articulation entre l’agriculture d’une part et l’agro-industrie et les services d’autre part. Il y a déjà quelques années que des travaux influents de la théorie du développement économique, comme celui de A.O. Hirschman [1958], ont mis en avant de tels effets, qui sont à présent récupérés dans leur valeur conceptuelle. L’intégration des espaces ruraux/urbains se conçoit alors comme une sorte de rassemblement agroalimentaire – cluster [Paniagua 1998]5. Ce rassemblement induit de nouvelles demandes et de nouveaux espaces économiques, des changements novateurs dans l’offre agricole et de nouvelles sources d’emploi urbain. Une partie importante des discussions s’organise autour des nouvelles conditions structurelles qui reposent le problème de la viabilité et les alternatives de développement des petites unités de production agricole6.
10Ces idées suggèrent quelques-unes des nouvelles conditions et mécanismes qui ont une influence sur les systèmes de production agricole locaux. Un trait essentiel est la neutralisation du rôle économique central qu’exerçait auparavant l’agriculture. Néanmoins, de nouvelles stratégies entrepreneuriales à échelle globale et de nouvelles demandes des consommateurs relatives à la sécurité alimentaire et au contrôle environnemental sont apparues et ont une incidence sur la revalorisation des espaces ruraux et le développement des innovations en matière d’organisation. C’est là que la qualité, envisagée comme un processus de construction des conditions de compétitivité agroalimentaire prend toute son importance, ainsi que le « lieu » (le « bassin de la production »), en tant que domaine de production localisé et différencié [Rastoin 1998 ; Wilkinson 1996].
- 7 En réalité il y a assez longtemps que ce débat se profile dans la littérature sur le développement (...)
11Enfin, de nouveaux facteurs existent, induits par un long processus de changements économiques, technologiques, sociaux, culturels et politiques, qui dissolvent la dichotomie classique rural/agraire et urbain/industrie. Cette différenciation conceptuelle ne constitue plus un critère utile, et de nouveaux concepts sont utilisés pour rendre compte de la dimension spatiale et organisationnelle qui résulte de la connexion systémique de ces deux domaines7.
- 8 Voir entre autres Malassis [1979] ; Malassis et Padilla [1986] ; Gutman et Gatto [1990] ; Fanfani e (...)
- 9 La notion de « filière agroalimentaire » [Malassis 1968 et 1979], considère deux aspects inter-reli (...)
12Les écrits sur les facteurs qui subordonnent la production primaire à la logique industrielle sont déjà connus8. Seuls sont résumés ici les axes les plus généraux qui redéfinissent les mécanismes d’échange et les relations respectives entre les étapes de la chaîne agroalimentaire9.
13D’une part l’« industrialisation » de la production primaire suit un double processus : transformation croissante des produits agricoles en matière première industrielle et remplacement par des produits industriels (graines, engrais, outils de travail) de facteurs de production agricole générés autrefois dans l’exploitation rurale. D’autre part, « la distance » entre le producteur primaire et le consommateur grandit. Le produit agricole s’inscrit donc dans un processus complexe de transformation et d’incorporation de valeur ajoutée en services, en fonction des décisions de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution.
14L’exploitation rurale en tant qu’unité décisionnelle en matière de production et de technologies a perdu sa relative autonomie. Et les nouvelles conditions de plus grande interdépendance et/ou subordination avec d’autres secteurs de l’économie reposent sur le développement des connexions spatiales qui renforcent l’intégration ville-campagne. En tenant compte des processus impliqués dans la modernisation des unités de production primaire, on peut identifier trois types d’effets. Tout d’abord, les fonctions des exploitations agricoles sont désormais décentralisées. Différentes tâches et activités (fourniture de facteurs de production, assistance technique et autres services) se trouvent désormais en milieu urbain (réseau d’agglomérations et de centres urbains).
15En second lieu, une plus grande technicité qui augmente la productivité par personne active et la réduction du temps du travail agricole. Ce processus libère de la main-d’œuvre (familiale et salariale) et améliore la disponibilité en temps des producteurs, en favorisant l’urbanisation des familles rurales. Enfin, l’élargissement de la chaîne de valeur ajoutée (entre le produit agraire et le produit agroalimentaire), ce qui entraîne des relations avec d’autres activités, industrielles, commerciales et de services à la production, situées majoritairement en milieu urbain.
16Ces dynamiques rendent plus complexes les fonctions urbaines en relation avec le domaine rural. La caractéristique la plus remarquable est la diminution absolue de la population rurale. Comme le mentionne Schejtman [1998], les migrations vers les centres urbains font partie du processus même de modernisation de l’agriculture et les changements dans la répartition spatiale de la société ont suivi, et suivront, une tendance « naturelle » marquée par la prédominance de l’emplacement urbain. Outre le rôle connu du marché du travail urbain, le renforcement du tissu industriel sert au développement agricole. Les centres urbains constituent les points d’origine et de diffusion des changements technologiques, de l’amélioration de la production et de la diffusion de nouvelles connaissances dans l’environnement rural.
17À la lumière des débats antérieurs, il est opportun de remarquer deux aspects importants pour la lecture territoriale qui a été entreprise dans ce travail : la dissociation entre la dynamique de l’agriculture et la dynamique des espaces ruraux ; et, d’autre part, les effets liés à un nouvel aménagement territorial et à une réorganisation spatiale, stimulés par les nouvelles modalités d’insertion de l’activité primaire dans le système agroalimentaire. Ce sont deux faces d’un même processus qui permet d’intégrer la dimension production dans l’analyse de la dynamique territoriale, dans le cas spécifique de la Pampa.
- 10 Pour un ensemble important de travaux, les observations se nourrissent des processus qui se sont pr (...)
18Il existe donc une tendance structurelle qui, entre autres aspects, modifie le rôle de moteur économique exercé par la production primaire sur le milieu rural. Ce qui a été observé en Europe du Sud peut s’étendre au domaine de la Pampa, toutes proportions gardées10. Il convient de préciser rapidement que ce processus est associé aux répercussions des nouvelles modalités organisationnelles, stimulées par différents facteurs techniques et économiques. Les indicateurs globaux de production et de rendement agricole ne sont certainement pas en train de baisser. La production de la Pampa en matière de céréales et d’oléagineux s’est remise de la chute qu’elle a connue durant la décennie des années quatre-vingt (elle frisait les 26 millions de tonnes), atteignant le niveau des 40 millions de tonnes lors de la récolte 1991-1992 pour passer à plus de 66 millions de tonnes dans le cycle de culture 1997-1998. Entre les premières récoltes de la décennie des années quatre-vingt et la fin des années quatre-vingt-dix, les rendements des céréales ont augmenté à un taux moyen annuel de 1,51 % tandis que les oléagineux sont passés à 1,34 % [Estefanelli ed. 1997].
- 11 Comme le souligne J. Schvarzer [1998], la production de viande et de céréales pour le marché mondia (...)
- 12 D’un point de vue plus général, M. Lattuada [1995] stipule qu’à partir des années quatre-vingt-dix, (...)
19Les changements technologiques et de production qu’a connus l’agriculture de la Pampa ont eu d’autres incidences sociales, économiques et territoriales. L’activité agricole a été le moteur du processus d’accumulation territoriale dans l’étape agro-exportatrice11 et elle a maintenu son rôle stratégique durant la période dite de substitution d’importations. Mais depuis plus de deux décennies on peut repérer des signaux qui révèlent un impact plus limité sur les environnements économiques locaux de l’intérieur de la Pampa12.
- 13 Les caractéristiques de ce processus durant les deux dernières décennies ont été amplement analysée (...)
20En ce qui concerne les causes, plusieurs phénomènes décisifs convergent. La reconversion de l’activité agricole de la Pampa intègre une séquence de cycles, de changements en matière de production et de technologie, initiés depuis un certain temps. Les tendances qui se manifestent le long de ces processus révèlent, au moins, trois caractéristiques fondamentales : une plus grande concentration de la propriété foncière13 ; l’accentuation des processus de déplacement rural pour des raisons technologiques et économiques affectant tout particulièrement les strates de production petites et moyennes, et, enfin, l’aggravation des conditions de reproduction des groupes familiaux situés en milieu rural.
- 14 Ce terme commence à se répandre au début des années quatre-vingt, depuis les recherches de l’Instit (...)
- 15 Entre 1994 et 1997, 50 000 exploitations agricoles, localisées principalement dans l’espace de prod (...)
21Depuis la période de l’expansion de l’agriculture au détriment de l’élevage (agriculturización)14, les problèmes d’insertion des exploitations familiales s’accentuent. L’utilisation plus intensive des facteurs de production et des ensembles technologiques (engrais, pesticides, nouvelles graines, machines agricoles, irrigation, etc.) entraîne des besoins plus importants en moyens de production et en ressources financières consacrés à l’agriculture. En effet les nouvelles orientations technologiques exigent une plus grande échelle économique (taille, investissements et capacité de gestion d’entreprise) malgré les augmentations presque généralisées dans la productivité des différents secteurs d’activité. Dans le contexte d’un secteur primaire subordonné aux décisions du capital industriel, commercial et financier, les processus de concentration économique que connaît la totalité du système agroalimentaire, auxquels s’ajoutent les limites spécifiques des politiques d’ajustement structurel qui ont été mises en application durant la dernière décennie, complètent les causes du processus d’exclusion dont souffrent les petits et moyens producteurs de la Pampa humide15.
22Ces changements dans la structure agricole, combinés à d’autres phénomènes qui touchent l’agriculture de la Pampa, tendent à affaiblir l’intensité des interactions du milieu rural avec les économies locales les plus proches. En d’autres termes, la portée locale des interdépendances techniques et de marché générées par l’activité primaire diminue et les revenus de la base agricole régionale se recyclent de moins en moins à ce niveau.
- 16 Ces évidences sont analysées dans les documents de travail du sous-programme « Diagnostic et propos (...)
23Une série d’évidences récentes de différente nature appuyent cette interprétation. Les résultats des études réalisées dans plusieurs municipalités de l’intérieur de la province de Buenos Aires montrent clairement que l’évolution socio-économique déclinante de ces districts obéit à l’affaiblissement des effets stimulants de l’agriculture zonale16. Selon un autre travail sur la région du sud de la province de Córdoba :
[…] le détournement des excédents générés par le secteur primaire s’intensifie à cause des circuits de commercialisation des facteurs de production et des produits, du réinvestissement des profits hors de la région et du transfert de flux financier [Geymonat et Wehbe 1999 : 81].
- 17 En général les pools de terres ensemencées se constituent selon une organisation de coopération d’e (...)
24Les nouveaux modes d’organisation (pools de champs ensemencés et fonds d’investissement direct) sont des facteurs clés dans ce processus de détournement de l’excédent agricole. La principale stratégie des consortiums de terres ensemencées consiste à profiter des économies en relation avec le type d’échelle, en louant de grandes étendues de champs. Le pool tente de répondre au besoin de diversification de risques des grands producteurs de la Pampa, en louant des exploitations dans des zones différentes et en produisant différentes cultures selon l’évaluation de la rentabilité relative de chaque champ [Basualdo 1996]. Ces opérations sont financées par les investisseurs provenant du secteur agricole ou d’un autre secteur d’activité, qu’il soit ou non situé dans la région17.
- 18 Le premier FID fut créé en 1994 et lors de la récolte agricole 1997-1998 il y en avait déjà 9 qui f (...)
25Les Fonds d’investissement direct (FID), dont l’apparition dans l’agriculture de la Pampa est plus récente, sont également constitués par des parts de capital actionnaire d’origines diverses18. Il s’agit d’instruments financiers avec des objectifs d’investissement qui peuvent transcender le commerce agricole. En cela, ils se différencient des pools de terres ensemencées. Cependant ils opèrent avec une logique d’entreprise similaire à celle des pools : production à grande échelle, diversification géographique et dans l’ensemble des cultures. Ces fonds se développent aussi dans l’élevage destiné à l’exportation de viande.
26La tendance pluriannuelle qui semble se dessiner, particulièrement en ce qui concerne les fonds constitués par de grands actionnaires internationaux et dans les plus grands pools, est de garantir le retour sur certains investissements complémentaires (irrigation, nouvelles techniques d’exploitation des sols) réalisés en vue d’améliorer les niveaux de rentabilité. Bien qu’on ne dispose pas encore d’études détaillées sur la portée et les effets concrets de ces contrats, on peut suggérer qu’ils constituent une nouvelle manifestation de l’avantage pris sur l’autonomie du producteur rural (propriétaire de la terre), en tant qu’agent de décision en matière de production et de technologie.
27On peut déduire de ce qui a été dit précédemment l’impact de ces nouvelles modalités d’organisation sur l’environnement urbain-rural. Il s’agit d’un circuit décentralisé d’agents et d’investissements dont la logique d’accumulation est essentiellement « déterritorialisée » [de Mattos 1990] et qui détermine donc quelques-uns des traditionnels mécanismes de récupération interne de l’excédent généré par l’agriculture régionale.
28D’autres phénomènes conditionnent et limitent le rôle moteur de l’agriculture dans les économies locales. La caractéristique la plus importante, intimement liée aux changements dans l’organisation de la production agricole, est l’intensification des calibrages à travers les circuits financiers, la commercialisation, la fourniture de facteurs de production, la technologie et les produits. Dans cette dynamique on dégage :
29• La consolidation de modalités de production et technologiques présentant une flexibilité géographique, comme les entrepreneurs de machines agricoles. Dans leur mouvement spatial, en suivant les cycles de semailles/récolte du Nord au sud de la Pampa humide, ces entrepreneurs déplacent progressivement l’équipement et la force de travail embauchée, en incluant des tâches en relation avec les services de réparation ainsi que d’entretien et d’autres activités de soutien. Ces équipements mobiles (machines, cabanes roulantes) sont concentrés à l’entrée des villages ou plus précisément dans les carrefours, remplaçant une série de demandes en relation avec le cycle de production de l’agriculture régionale, qui étaient autrefois pourvues à partir des petits centres urbains.
30• La déstructuration de liens entre l’agriculture et autres activités tels que les secteurs locaux de la métallurgie ou de l’outillage qui fabriquaient des éléments et des pièces détachées pour machines et outils agricoles. Le nouvel équipement, souvent importé, annule ce type de demandes et incorpore seulement une série de services fournis extérieurement. De plus, les fonctions d’entreposage des entreprises de stockage locales (privées et coopératives) s’affaiblissent ou se déplacent, dans le cadre d’un processus qui accentue la concentration des intermédiaires commerciaux pour les produits d’exportation traditionnelle [Gorenstein, Gutiérrez et Barbero 1999]. Aussi, les activités locales en relation avec le transport ferroviaire de chargement (prise en charge et contrôle de tâches dans les gares, stockage et chargement de grains), ont-elles été remplacées ou simplifiées par la prédominance du transport automoteur pour le déplacement des produits agricoles à partir du milieu rural.
- 19 À ce sujet, les résultats d’un diagnostic effectué par l’INTA en 1992 sont éloquents : 57 % des pet (...)
31• Le déplacement des petits et moyens producteurs de la structure agricole est un autre facteur qui agit sur le mouvement de revenus induit par l’agriculture zonale19. Dans le même ordre d’idées on observe des conséquences sur l’emploi rural (réduction du temps de travail agricole, moindre utilisation de main-d’œuvre permanente, diffusion de différentes modalités induisant une plus grande flexibilité, etc.). Ces processus induisent de nouveaux flux migratoires vers les principaux centres urbains de la région ou hors de celle-ci, en contribuant à intensifier les problèmes d’emploi sur les marchés locaux du travail.
- 20 Le processus d’appropriation de la terre et la fonctionnalité de la ferme de la Pampa dans le premi (...)
32La tendance « naturelle » déjà citée, à savoir l’urbanisation de la population rurale, a été en vigueur pratiquement depuis la fin du siècle dernier. Historiquement, l’espace de la Pampa a été caractérisé par un taux d’urbanisation élevé découlant, entre autres facteurs, des caractéristiques technologiques et de production qui ont soutenu le déplacement de l’activité agricole depuis l’étape agro-exportatrice20. En conséquence l’analyse de la dynamique récente doit prendre en compte ce trait structurel.
33Dans les différentes zones de production agricole des villes de différentes tailles et des petites localités sont disposées de manière hiérarchique tout au long des réseaux de routes et des couloirs ferroviaires. Tous les centres ne présentent pas le même degré de dépendance par rapport au hinterland rural, ni le même type de liens.
34Dans les centres ayant une structure de production diversifiée, industrielle, commerciale et/ou de services, les répercussions directes de l’agriculture sont beaucoup plus faibles. Pourtant ces centres constituent habituellement des zones d’attraction des flux migratoires ruraux ou des petites villes régionales ainsi que des lieux où il est d’usage de recycler certains revenus de l’agriculture (investissements immobiliers, flux financiers, biens de consommation, etc.) et à partir desquels sont fournis les services les plus complexes (assistance technologique, approvisionnement de quelques facteurs de production, systèmes d’information et de commercialisation, etc.). Schejtman [op. cit.] met en évidence le rôle de ces centres urbains dans la diffusion des innovations et dans les processus de fertilisation croisée qui stimulent le développement agricole.
35Les environnements locaux moins diversifiés sont fonctionnellement dépendants de l’agriculture zonale. Sans réaliser une analyse exhaustive de l’information statistique sur la composition de ces structures de production, on peut avancer comme hypothèse que dans les petites villes et villages de la région de la Pampa, l’organisation économique est fortement liée à la dynamique de la base agricole. Par conséquent l’intensité des impacts des processus signalés dans le paragraphe précédent est directement en relation avec ces profils urbains. Pour les décrire, on peut avoir recours à certains indicateurs démographiques.
- 21 Au moment de la rédaction de ce texte les données du recensement de 2001 n’étaient pas encore dispo (...)
36L’information des recensements de population (de 1970, 1980 et 1991) permet une première description quantitative des localités urbaines qui se répartissent dans les aires de production agricole des provinces de la Pampa (c’est-à-dire : Buenos Aires, Córdoba, entre Ríos, La Pampa et le centre sud de la province de Santa Fe)21.
- 22 Dans le Rapport argentin sur le développement humain (Informe argentino sobre desarrollo humano) [1 (...)
37En suivant la typologie des municipalités développée dans un travail récent22, on observe que l’établissement de la population en localités rurales varie entre 1 % et 3 % des totaux respectifs des provinces en 1991. La province de Buenos Aires est celle qui présente le plus grand nombre de municipalités rurales et de petites villes, bien que ces deux types de localités aient perdu de leur importance entre les deux décennies. On constate également ce déclin dans l’ensemble des petites villes des provinces de Córdoba et de La Pampa, conjointement aux localités rurales dans le cas de La Pampa. Le nombre de villes intermédiaires croît dans toutes les provinces, sauf à Santa Fe où il se maintient au même niveau. Dans le cas de Córdoba, ces villes intermédiaires concentrent plus de 90 % de la population située en dehors de l’aire métropolitaine.
38D’après les mêmes sources concernant cette fois-ci la distribution et la dynamique de la population de la Pampa selon le type d’établissement humain, on constate que ce sont les agglomérations de taille intermédiaire qui comprennent la plus grande proportion de la population résidant dans les aires de production de la Pampa. Néanmoins, c’est le groupe de grandes villes qui présente les plus hauts niveaux de croissance entre les deux décennies 1970-1990, dans le cadre de la chute de population déjà mentionnée que connaissent les petites agglomérations urbaines et les municipalités rurales. Dans le cas de la province de Buenos Aires, où la présence de ce type de centre est quantitativement importante, quelques chiffres sont éloquents : quelques 16 chefs-lieux de districts agricoles présentent des taux de croissance inter-recensement négatifs et quelques-uns présentent des valeurs qui varient de 10 à 50 %. À Córdoba toutes les localités rurales ont rejeté de la population tandis que dans La Pampa la moitié des villages ont enregistré des chutes supérieures à 20 %.
39Cette situation peut être attribuée à la détérioration des stimulants générés par l’agriculture dans un contexte local possédant trop peu d’attributs pour activer de nouvelles énergies de production. Les recherches effectuées dans les districts agraires de la province de Buenos Aires, révèlent que le manque de nouvelles opportunités d’emploi urbain constitue le problème le plus aigu. Dans un travail antérieur on mentionnait que la diffusion généralisée de certaines activités refuge (commerce de détaillants, petit artisanat et même micro entreprises d’aliments) comme réponse à cette situation, était rapidement dépassée par les conditions de création et les dimensions réduites des marchés locaux [Gorenstein et Burachik 1999].
40Même si dans beaucoup de ces centres, des processus d’industrialisation fondés sur les ressources de l’agriculture zonale ont eu lieu, il semble que les effets multiplicateurs sur le revenu et l’emploi souvent mentionnés dans la littérature spécialisée ne se soient pas réalisés.
41Il existe un consensus général selon lequel le développement d’activités agro-industrielles favorise l’intégration de structures rurales dynamiques, des possibilités de formation professionnelle technologique, l’augmentation de la capacité de création d’épargne locale et la multiplication des connexions internes et externes. Naturellement, les caractéristiques de la production et la taille de la structure agro-industrielle ont une incidence sur les possibilités de ces processus. De plus, les produits primaires ne présentent pas tous les mêmes moyens ni la même capacité pour induire des liens avec l’agro-industrie. Ceux de la Pampa (oléagineux, céréales et viande) sont ici analysés en des caractéristiques territoriales du développement agro- industriel. Pour débattre sur les articulations locales et comme hypothèse de travail, on mettra l’accent sur le comportement des petites et moyennes entreprises d’aliments de base, qu’elles soient locales ou régionales, en présentant quelques aspects relatifs au tourisme rural et ses conditionnements dans le milieu de la Pampa.
- 23 En réalité ce comportement n’est pas novateur. Comme le mettent en avant R. Devoto et M. Posada [19 (...)
42L’expansion agricole des dernières décennies a stimulé une augmentation significative de la productivité, ainsi que l’irruption de nouvelles cultures comme le sorgho en premier lieu et le soja ensuite, qui ont donné comme résultat une production agricole soutenue majoritairement par cinq cultures (blé, maïs, sorgho, soja et tournesol) et qui tend à déplacer l’élevage. Ces transformations de la production induisent de nouveaux besoins d’adaptation des produits primaires de la Pampa, selon les exigences industrielles23 ou bien certaines demandes de qualité différentielle qui se répandent dans le circuit de l’agro-exportation.
43Le mode d’organisation le plus important de l’activité agricole de la Pampa apparaît dans la constitution des circuits. Le degré d’autonomie que parvient à maintenir le producteur est subordonné à de multiples facteurs dont l’analyse sort du cadre de ce travail. Il n’est opportun de dégager ici que les éléments ayant une incidence sur ces modalités, qui peuvent se résumer ainsi : approfondissement de la configuration oligopolistique de la structure de commercialisation (entreprises de stockage, exportatrices et industrielles) ; stratégies entrepreneuriales qui visent une intégration croissante des différents maillons de la chaîne, en partant du financement de la production jusqu’à son embarquement ; élimination de tous les organismes et mécanismes d’État qui remplissaient la fonction commerciale d’assurer les prix au moment de la récolte [Gorenstein, Gutiérrez et Barbero op. cit.].
- 24 Les produits meuniers (panification, pâtes fraîches, biscuits et gâteaux), constituent un des sous- (...)
- 25 De 22 000 hectares lors de la récolte 1985-1986 à 83 200 en 1996-1997 [Demarie, Vitteri et Ghezan 1 (...)
44Dans le cas des cultures d’oléagineux, le lien avec l’industrie s’établit majoritairement à travers les intermédiaires commerciaux. Des expériences contractuelles avec l’industrie en vue de « générer » des semences ou des haricots oléagineux n’ont pas été encouragées [Ghezan, Acuña Mateos et Devoto 1997]. La mise en place de contrats, dans laquelle interviennent généralement les entreprises de stockage, a commencé à se répandre pour les variétés de froment24, stimulant ainsi l’augmentation de la surface semée dans toute la région de la Pampa25. Les malteries développent aussi la pratique de contrats d’achat avec les producteurs et les entreprises de stockage [Teubal et Pastore 1995].
- 26 Il s’agit d’un système d’engraissement intensif « dans la basse-cour » au lieu de l’engraissement t (...)
45De même, on observe certaines innovations techniques et organisationnelles qui incorporent une plus grande valeur ajoutée (service) à la production de bétail. Il s’agit de la diffusion des activités de feedlot26, développées par les producteurs, par les intermédiaires commerciaux ou même par les établissements d’abattage de bétail. Aussi, quelques usines de traitement d’aliment pour animaux incorporent le service de feedlot afin de composer et de diversifier leur offre.
- 27 Le débat sur les conditionnements qui émergent d’un modèle d’insertion internationale fondé sur cer (...)
46Le schéma de développement du secteur agricole de la Pampa, avec ses orientations de production cycliques (bétail, céréales, oléagineux), a laissé peu d’espace pour des processus ultérieurs et s’est traduit par des impacts dynamiques limités sur les autres branches de production. Dans ce même ordre d’idées, Schvarzer [1998] souligne que même dans le cas de l’industrie de l’huile, claire représentante du « succès » agro-exportateur le plus récent, on ajoute peu de valeur aux oléagineux, tandis que la plus grande proportion de la production de blé ou de maïs continue à s’exporter en tant que matière première plutôt que comme farine ou dérivés27.
47Durant la dernière décennie, l’augmentation des exportations de l’industrie alimentaire induite en grande partie par la création du Mercosur, n’a pas altéré substantiellement cette caractéristique. La proportion majoritaire d’exportations d’aliments vers ce marché régional est constituée par des aliments non-élaborés ou semi-élaborés, produits principalement par de grandes entreprises [Gutman 1999]. Dans le domaine de la Pampa, la principale incidence s’est portée sur les industries meunières (farine de blé) et laitières (lait en poudre et autres dérivés).
- 28 En termes généraux, le choix d’une localisation fondée sur la proximité des sources de matières pre (...)
48Ce schéma de développement agricole a défini une matrice locale spécifique. Depuis le début du xxe siècle les principales industries alimentaires se sont concentrées dans les centres les plus importants du littoral de la Pampa, attirées, selon les secteurs, par la proximité des zones de production, les débouchés portuaires et par la taille du marché de consommation28. Des indicateurs récents confirment ces observations : 80 % de la production et 72 % de l’emploi de l’industrie alimentaire se situent dans la région de la Pampa et l’aire métropolitaine (Capitale Fédérale et grand Buenos Aires) [Estefanelli ed. op. cit.]. Le flux d’investissements étrangers dans le secteur agro-alimentaire durant les années quatre-vingt-dix n’a pas altéré ce modèle de localisation, quoiqu’on observe, dans le cadre des stratégies larges du secteur (à l’échelle du Mercosur), une certaine préférence pour les aires littorales de la Province de Santa Fe.
49Les activités de première transformation, comme la meunerie, les huiles, malteries et grossistes de viande sont celles qui présentent la plus grande dispersion territoriale à l’intérieur de la Pampa. Cependant, ce schéma de localisation répond, pour une grande part, aux stratégies d’usines multiples que mettent en place quelques grandes entreprises, notamment dans les trois premiers secteurs [Gutman op. cit.].
50Quelques indicateurs en relation avec les petites et moyennes agro-industries (distribution de locaux et emploi) reflètent le degré de diffusion territoriale supérieur de l’industrie alimentaire par rapport à d’autres secteurs manufacturiers du pays. En général, un groupe sélectionné de variables (en termes de demande et d’offre) semble expliquer ce trait et les principaux moments clés dans la trajectoire évolutive de ces entreprises agro-industrielles : la croissance de la population et le processus d’urbanisation, les caractéristiques et dynamiques de changement dans la branche agroalimentaire à laquelle ils appartiennent, les transformations sur le marché des matières premières, l’expansion et/ou les changements dans le système de transport et enfin, les modifications dans les modèles de distribution et commercialisation.
51Voilà un aperçu global des phénomènes endogènes et exogènes qui influencent les processus d’industrialisation rurale fondés sur les petites et moyennes agro-industries locales, dans le cas de la Pampa.
52Jusqu’à la fin de la deuxième après-guerre, la plupart des processus de transformation agroalimentaire produits dans les pays avancés, tant en Europe qu’aux États-Unis, ont eu des bases locales ou régionales. Diverses études sur les processus d’industrialisation rurale rendent compte du rôle significatif joué par les petites et moyennes agro-industries. En revanche, le développement du secteur agroalimentaire argentin montre depuis le début l’importance des entreprises transnationales aussi bien dans la production industrielle (par exemple les grossistes de viande) que dans les investissements en infrastructures matérielles (chemins de fer, ports, distribution d’électricité, etc.). Ces firmes se sont combinées avec un groupe important de grandes sociétés nationales dans les différentes branches de production d’aliments.
53Le poids des petites et moyennes agro- industries ne s’est fait sentir que dans les secteurs agroalimentaires avec de faibles besoins en capital par rapport à la main-d’œuvre active, et orientés vers des marchés différentiés par type de produit et/ou domaine de localisation. Les boulangeries, l’élaboration de pâtes artisanales, la fabrication de fromages, de salaisons, sont quelques-unes des activités qui se sont organisées historiquement sous la forme prédominante d’entreprises familiales (micro, petites et moyennes), avec une présence importante dans les centres urbains de l’intérieur de La Pampa.
- 29 Selon le dernier recensement économique (1993), les PME alimentaires représentaient 23 % des PME in (...)
54Durant la dernière décennie, les incitations et les capacités concurrentielles que pouvaient connaître les PME alimentaires29 se sont trouvées conditionnés face à la recrudescence de la concurrence à l’échelle internationale et au renforcement des grandes entreprises transnationales dans diverses étapes des systèmes agroalimentaires.
55Il existe des évidences partielles dans les études réalisées dans la province de Buenos Aires, avec des structures agro-industrielles d’une certaine importance relative dans des villes comme Bahía Blanca et Tres Arroyos, qui permettent d’identifier les caractéristiques comportementales les plus importantes [Gorenstein et Dichiara 1996 ; Gorenstein et al. 1998] :
56• Les petites et moyennes entreprises d’aliments de dimension locale et/ou régionale présentent des difficultés pour conserver leurs parts de marché à cause de la baisse de la demande à laquelle elles répondent et/ou du durcissement de la concurrence (arrivée de grands concurrents de l’industrie, stratégies des chaînes de vente au détail). En général, elles ont répondu par des ajustements au niveau des effectifs et/ou par un élargissement du portefeuille produits/services offerts.
57• Ces petites et moyennes entreprises connaissent des exigences croissantes, tant organisationnelles que de production. D’une part à cause de l’augmentation des contrôles sanitaires et de la pression fiscale. D’autre part, parce que les chaînes de vente au détail imposent aux entreprises qui souhaitent être leurs fournisseurs des conditions et des impératifs nouveaux (modes de livraison, délais de paiement, qualité, présentation, etc.). Même dans les petits centres urbains, où sont situées les filiales de chaînes de distribution régionale, ces normes conditionnent n’importe quel approvisionnement potentiel que peuvent faire les petites entreprises locales (boulangeries, laiteries, pâtisseries, etc.).
58• Dans quelques activités agro-industrielles, comme l’activité meunière et l’élaboration de pâtes sèches, la concentration économique et technique se renforce à cause de la fermeture ou de l’absorption d’entreprises locales par des sociétés étrangères. On constate aussi le déplacement de petites et moyennes entreprises grossistes de viande.
59• La plus grande partie des firmes locales d’aliments ont des problèmes d’échelle et de retard technologique. Elles sont rarement intégrées à la production primaire et, en général, elles ne présentent pas de relations stables ou d’accords avec leurs fournisseurs, ni avec leurs clients.
60• Les nouvelles agro-industries sont majoritairement des microentreprises de portée locale, orientées vers les productions de type artisanal (fabrication de gâteaux, de fromages artisanaux, de charcuterie et de salaisons, panification, production de miel et marchands de volailles). Dans certains cas, elles proviennent de l’intégration de petites et moyennes exploitations rurales, comme un moyen de compléter et/ou de diversifier les revenus de l’agriculture, en constituant la base d’activité du groupe familial (femme, enfants). Bien qu’il s’agisse d’un groupe hétérogène, on dégage deux modèles de comportement communs : soit l’économie informelle, comme mode de fonctionnement entrepreneurial, comme mécanisme pour surmonter les barrières d’entrée et comme stratégie de survie ; soit la surpopulation de petites unités de production dans un même secteur de production et domaine de localisation, ce qui induit une forte rotation (entrée/sortie).
61Face à ces éléments de diagnostic, que pouvons-nous dire au sujet de l’organisation agro-industrielle en tant que logique qui génère et dynamise les relations entre le monde rural et le monde urbain ? Tout d’abord, les nouvelles conditions concurrentielles, résultat de la force croissante du processus de globalisation, entravent de plus en plus la capacité d’entreprendre des PME dans tous les secteurs agroalimentaires.
62Ensuite, le manque de liens de production avec les producteurs primaires de la région diminue encore les possibilités. Sauf pour les petites entreprises qui se trouvent intégrées dans l’exploitation familiale, le ravitaillement en matières premières dépend des relations aléatoires avec le marché, ce qui influence des synergies diverses (entrepreneuriales, technologiques, commerciales). En ce qui concerne les micro-entreprises familiales situées dans des villages ou de petites villes, les données recueillies montrent qu’elles subissent des restrictions exogènes pour continuer à profiter de certains avantages de proximité et d’économie informelle. De même que les entreprises de plus grande taille relativement, elles sont chaque fois plus exposées aux nouvelles conditions qu’impose l’ouverture généralisée des marchés agroalimentaires. Les nouvelles règles du jeu impliquent l’entrée de nouveaux concurrents. Ces derniers, directement ou indirectement, s’imposent sur l’ancienne segmentation géographique grâce à l’influence de leurs propres chaînes de distribution, et/ou aux stratégies de déploiement spatial qu’effectuent les agents de la vente au détail concentrée.
63En outre, comme les activités agroalimentaires présentent une faible complexité technologique, la compétition se trouve accrue (avec des concurrents de même taille et/ou de même profil) sur les marchés restreints où elles se positionnent. Enfin, les tendances à la déstructuration qui se répandent à partir du milieu rural (déclin économique, perte de population) affectent la taille de ces marchés locaux.
64Naturellement l’importance des facteurs exogènes ne nous dispense pas de tenir compte de l’incidence des forces endogènes qui proviennent d’un niveau plus microéconomique que mésoéconomique. D’après Gutman [op. cit.], pour surmonter les barrières (technologiques et de production, de marché, financières, etc.) qu’affrontent les PME alimentaires, il faut des changements entrepreneuriaux (organisationnels et de gestion), ainsi qu’une reconfiguration des institutions et de l’infrastructure soutenant ces entreprises. Malgré tout, ce seraient des orientations envisageables dans les localités de grande taille ou de taille intermédiaire, car ces dernières possèdent des conditions initiales favorables grâce à la présence d’une « masse critique » de petites et moyennes entreprises spécialisées et d’un tissu industriel. Ce n’est pas partout que l’on pourra reproduire les conditions requises pour voir germer un processus de formation de PME agro-alimentaires modernes.
65Face au diagnostic que nous venons de réaliser, il semble intéressant d’effectuer des recherches, quoique très brèves, sur la capacité du milieu rural de La Pampa d’exploiter son « attrait » naturel ou construit.
66Dans la période récente, on observe quelques tendances politiques visant à la revalorisation de certains attributs du milieu rural (lacs aptes à la pêche récréative, sources d’eau thermales, colonies d’immigrants, fermes, etc.). Dans ce sens, de nombreuses municipalités ont commencé à incorporer dans leur calendrier municipal des lignes d’action spécifiques, locales ou intercommunales (calendrier stratégique pour le développement du tourisme local ou régional, couloirs touristiques, etc.). Une orientation qui se combine avec le soutien offert à des petites mises en production d’aliments, artisanaux ou « typiques », pour compléter l’offre de tourisme rural. Ce développement est cohérent avec les idées qui élargissent la fonctionnalité du milieu rural en tant qu’espace de loisir. Cependant la nature des facteurs qui stimulent le développement de nouvelles possibilités dans l’espace rural, tout comme la qualité patrimoniale des environnements dans lesquels les processus ont eu lieu, diffèrent des conditions et caractéristiques du cas de la Pampa.
- 30 Ceci ne signifie pas que ces activités intensives ne se combinent pas, comme le potager et l’élevag (...)
67D’une part, un bon nombre d’attributs qu’on essaye de revaloriser ne dispose pas des conditions minimales, en termes de proximité et d’aménagement territorial du paysage, ce qui constitue une entrave importante lorsqu’il s’agit d’attirer une certaine demande potentielle. D’autre part et au-delà de la possibilité d’une quelconque offre différenciée pour le « tourisme de ferme », se pose le problème des exploitations typiques de la Pampa caractérisées par une agriculture extensive et un absentéisme peu compatibles avec la nécessité de fournir des prestations requises par la demande de loisirs (fermes, logement, etc.)30.
68Une autre question qui est loin d’être mineure relève des différences substantielles entre les niveaux de revenus et les normes de consommation des sociétés que l’on prend comme référence. Même dans les pays avancés, le choix du tourisme rural en tant que générateur de développement des espaces ruraux est critiqué à partir d’approches similaires. Quelques auteurs insistent sur les problèmes posés par le tourisme rural en tant que phénomène cyclique et non pérenne, en considérant que le logement, les espaces de loisirs et le temps libre, sont des biens supérieurs où l’« élasticité-revenu » de la demande est supérieure à un.
69Enfin, dans les modèles que l’on prend comme exemples, le débouché vers une activité plurielle des exploitations rurales se combine avec la possibilité d’un emploi à temps partiel hors du champ, une alternative plus que limitée face à la détérioration économique et au chômage que traverse une grande partie des petits et moyens centres urbains de la Pampa.
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72Les processus de restructuration agricole et agro-industrielle récents ont entraîné une série d’effets sur les tissus socio-économiques locaux générés par les relations entre les villes de l’intérieur de la Pampa et ses hinterlands ruraux. En premier lieu, l’internationalisation et la décentralisation du secteur agricole ont imposé de nouvelles stratégies de valorisation de l’espace rural permettant d’ébaucher les liens créées par l’agriculture dans les zones urbaines les plus proches. Cette dynamique est le fruit d’un processus qu’il faut associer à la flexibilité en matière de localisation apportée par les nouvelles modalités technologiques et de production (entrepreneur de machines agricoles, pool de terres ensemencées, fonds d’investissement direct) qui remplacent quelques fonctions des centres de services agraires et qui déplacent leurs demandes (stockage, intermédiation commerciale, réparation de machines, etc.) vers des domaines plus lointains. Pour sa part, l’accentuation du processus de concentration de l’activité agricole, avec une présence récente d’importants agents non locaux, a également une répercussion sur l’envergure des revenus agricoles accumulés localement.
73Ce modèle a des implications claires qui peuvent se résumer ainsi : réduction de la portée locale des interdépendances techniques et de marché produits par l’agriculture ; accélération du dépeuplement dans les centres et les localités les plus proches ; détérioration voire disparition de PME agro-alimentaires locales, mécanismes d’articulation agro-industrielle qui mettent en avant la structure urbaine de la Pampa. Tendances qui, dans l’ensemble, paraîtraient diluer les liens territoriaux conçus dans les étapes antérieures de développement de l’intérieur de la Pampa.
74Puis, la dynamisation les liens urbain/rural, à travers l’agro-industrie et certains services à la production, est liée à la nature des produits agroalimentaires spécialisés et aux conditions qu’impose le modèle d’insertion internationale fondé sur les matières premières agricoles. Bien que les tendances qui s’affirment dans les économies avancées y compris pour ces produits montrent que la nature de la concurrence est en train de changer (il y a une plus grande différenciation et de nouvelles stratégies de qualité), il ne semble pas que ces conditions puissent s’appliquer facilement dans le cas de la Pampa.
75Les stratégies de revalorisation de certains attributs de l’espace rural de production, en tant que moyen pour différencier et valoriser des produits alimentaires, sont passées par des processus de construction sociale et politique à long et moyen terme. Cela renvoie non seulement aux innovations techniques, mais encore à la position organisationnelle et institutionnelle des agents des chaînes productives et à la présence importante de niveaux locaux (services à la production, organisations d’entreprise, entités gouvernementales locales/régionales, etc.) dans la coordination des processus.
76Ces remarques, même si elles restent générales, donnent une idée du type de limitations qui dérivent de la propre dynamique spatiale du système agroalimentaire de la Pampa. Le nœud du problème réside dans le fonctionnement de l’espace rural, où les conditions environnementales apparaissent comme le premier facteur, et de poids, pour la création des nouvelles exigences concurrentielles. Comme le mentionne Houée [1990], les facteurs déterminants de changements dans les structures agricoles proviennent des domaines industriel et commercial plus que de la propre évolution rurale. Ce sont ces dynamiques qui stimulent une plus grande complexité des transactions entre les domaines ruraux et urbains et, par conséquent, l’induction de nouvelles synergies territoriales.
77Une question reste en suspens : dans un contexte comme celui de l’hinterland de la Pampa où de nombreux liens locaux et régionaux de l’agriculture se sont déstructurés, où les effets de la désertification de la population et la polarisation urbaine s’amplifient, est-il possible de stimuler d’autres interconnexions stratégiques (technologiques, institutionnelles, d’infrastructure, etc.) qui renforcent les inter- relations urbain/rural et freinent le processus de mise à l’écart d’une bonne partie des petites économies urbaines du milieu rural ? Nous essaierons d’y répondre dans un avenir proche.