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AccueilNuméros163-164Territoire et identité

Résumés

Résumé
En Italie, dans les années quatre-vingt-dix, des mouvements politiques appelés « ligues » luttaient pour la reconnaissance d’une identité locale en opposition avec l’appartenance nationale. Bien que le succès de ces ligues revienne aux thèmes spécifiques de leurs programmes politiques qui portaient largement sur les revendications culturelles, un territoire du Nord se distingue du reste du pays et marque une rupture profonde au sein de la tradition régionaliste. L’article étudie l’évolution du rapport entre territoire local et nation depuis l’Unité italienne jusqu’à aujourd’hui et examine les politiques culturelles du fascisme, du communisme et de la Démocratie chrétienne.

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Texte intégral

  • 1 Territoire imaginé par les leghisti et situé dans la plaine du Pô.
  • 2 Sur le rôle de mythe national que jouait la Ligue lombarde en 1167, et sur le rôle du serment de Po (...)
  • 3 Ensemble des ligues.

1Lorsque, en septembre 1996, au cours d’une manifestation que le nombre de ses participants rendait imposante, le sénateur Umberto Bossi recueillit à l’embouchure du Pô une ampoule de l’eau du fleuve qui arrosait la « Padanie1 », la Ligue lombarde – jointe à la Ligue piémontaise et à la Legaveneta (Ligue vénitienne) dans la Ligue du Nord – était devenue le pilier de l’indépendance d’un territoire considéré comme fondateur d’une identité distincte de l’identité nationale. Plus encore que de redécouvrir une identité perdue il s’agissait de réinventer les traditions et de redéfinir les symboles liés au territoire. Ces symboles que la Ligue avait utilisés, à l’instar de la Ligue lombarde dont le nom fait référence à l’alliance des cités lombardes contre l’empereur Barberousse et au personnage d’Alberto da Giussano, condottiere mythique de cette lutte, bien qu’ils aient toujours été constitutifs du patrimoine culturel lombard, étaient autrefois perçus comme des symboles nationaux. Ce n’est que depuis une époque très récente qu’on les envisage sous un angle anti-unitaire [Cavazza 1994a]2. Plus significativement, le succès de la Ligue tient à des facteurs à caractère politique qui ont radicalisé les mécanismes identitaires. La Ligue apparaît en fait comme une entreprise politique par sa capacité à assumer les instances présentes mais minoritaires dans la société civile – en tant que sphère dépolitisée des relations individuelles – et à les placer au cœur du débat. La révolte antifiscale et le refus de l’immigration ont été les traits fondateurs du leghismo3 et ont servi de tremplin à sa réussite [Mannheimer 1991]. Le développement du mouvement a été favorisé de façon décisive par la crise qu’a connu le système politique au terme des années quatre-vingt, la Ligue ayant pu renforcer les revendications identitaires en profitant de l’hostilité qui existait envers le système des partis au sein d’une fraction de la population [Meriggi 2001]. Si la situation de la Ligue est tout sauf rose, ce que montrent les récents résultats électoraux, son enracinement dans le nord du pays reste encore profond, surtout dans la partie piémontaise de la Lombardie et dans quelques zones de la Vénétie.

2Mais l’aspect « localiste » du leghismo qui s’est transformé en une sorte de revendication nationaliste souffre de nombreuses contradictions. D’un côté, cette revendication portée par la Ligue lombarde était et est encore en conflit avec la vocation cosmopolite de Milan, capitale économique du pays, ainsi qu’avec la fierté de cette cité qui se considérait comme la capitale morale et efficiente de l’Italie, par opposition à la Rome corrompue et chaotique. Point de séparatisme dans une prétention qui se projetait dans une dimension nationale de « capitale politique virtuelle » [ibid. : 31]. Cette exigence morale était cependant contredite par la tendance d’une grande part de l’élite locale à s’arroger un rôle hégémonique dans la sphère économique, tout en renonçant à occuper une fonction politique dirigeante de même niveau dans la réalité nationale. Avant le fascisme, bien qu’elle ait fourni des personnages de premier plan comme deux présidents du Conseil, la classe dirigeante lombarde était sous-représentée dans le gouvernement. Cette sous-représentation était largement voulue parce que la majorité des membres de l’élite lombarde boudaient l’administration nationale et préféraient se consacrer à l’administration des affaires locales perçue comme le « prolongement quasi naturel au niveau institutionnel d’une capacité d’autorégulation » propre à la société civile lombarde [Lanaro 1993 ; Meriggi op. cit. : 31].

3D’autre part, l’actuelle Ligue du Nord est le fruit de la rencontre de réalités plurielles, en particulier de la fusion de la Ligue lombarde avec la Legaveneta. Ce n’est certes pas pour rien que les ligues parlent des peuples de Padanie en utilisant le pluriel, tentées qu’elles sont de regrouper cette pluralité de revendications identitaires. La Vénétie, où le dialecte reste un instrument de communication primaire, offrait l’exemple d’une forte identité autonome dans laquelle le culte des traditions linguistiques et populaires – très importantes, nous le verrons – eut un rôle initiateur plus marquant que celui qui échut à la Ligue lombarde. Incidemment, c’est en Vénétie qu’un groupe d’extrémistes, pas très bien organisés d’ailleurs, eut l’idée d’occuper le clocher de la basilique Saint-Marc. L’existence d’une forte identité vénitienne constitue donc un élément d’opposition à l’hégémonie lombarde au sujet des structures de la Ligue proprement dite.

4Le phénomène du leghismo n’est pas l’objet de notre essai mais il en représente le point de départ parce qu’il a introduit une nouveauté substantielle dans l’histoire des relations, de ces cent cinquante dernières années, entre territoire et identité. Je m’intéresse non seulement à la redécouverte d’une identité territoriale locale en tant que référence exclusive pour les habitants, mais aussi et surtout à ses rapports conflictuels avec l’identité nationale. Car ainsi s’est brisé un binôme qui s’était progressivement édifié sous l’Italie unitaire et qui liait de façon indissoluble le régional et le national [Cavazza 1995]. De plus, cette identité devait être à la base d’une politique dont le but initial était de transformer l’Italie en un État fédéral, de donner vie ensuite à un État septentrional indépendant puis de recréer un fédéralisme envisagé comme un transfert des pouvoirs vers les réalités territoriales et qui évoquerait une sorte de séparatisme masqué. Ce parcours se démarque profondément des revendications traditionnelles d’autonomie administrative du régionalisme italien et en partie aussi des propositions fédéralistes. Il est toutefois improbable que la proposition identitaire dans sa version la plus radicale ait dépassé les cercles des militants et sympathisants de la Ligue, ce qu’indiquent les études et dont témoigne le déclin électoral qu’a connu le mouvement lors des dernières élections.

5L’apparente contradiction de cette redécouverte identitaire est due aussi au fait qu’elle est survenue à un moment où la nation présentait un haut niveau d’homogénéisation. Si nous pouvions voyager dans le temps et remonter en 1861, nous aurions devant nous un abîme séparant le Nord du Sud, mais aussi, le Nord-Ouest du Nord-Est. La différence première serait celle de la langue parce qu’en 1861 les dialectes étaient encore l’instrument principal de communication entre les gens, l’italien étant cantonné au rôle de langue littéraire. Comme les recherches de Tullio De Mauro l’ont montré il y a de nombreuses années, l’Italie est restée essentiellement dialectophone jusqu’au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale ; et jusqu’à Victor-Emmanuel II l’usage aurait été de parler le piémontais lors des conseils des ministres [1963 : 32]. En 1872, l’éditeur d’un dictionnaire du dialecte brescian se disait convaincu que le mouvement social aurait rapidement fondu « les dialectes en une langue unique et des plus nobles comme cela s’est déjà produit en France » s’il ne s’était heurté à la persistance de « l’usage de dialectes énergiques mais dont les racines sont bien éloignées de celles de la langue italienne » [Vocabolarietto bresciano-italiano 1872 : 3].

6La seconde différence concerne les infrastructures et les conditions de vie. En 1873, lors d’un voyage dans les provinces du Midi, le baron Léopold Franchetti notait que dans les Abruzzes et à Molise l’obstacle majeur au développement industriel était le manque de routes, ce qu’il voyait comme « la plus grande calamité des provinces méridionales » et comme une « barbarie » en ce qu’il impliquait « l’impossibilité de répondre aux besoins les plus élémentaires d’un peuple civilisé » [1875 : 12]. Ce qui distinguait les régions ne transparaissait pas seulement dans la langue et dans l’économie mais revêtait des traits anthropologiques, comme le laisse entendre l’extrait de Franchetti cité plus haut. Quand, au lendemain de l’unification, Farini, le Piémontais émissaire du gouvernement, se retira dans le sud de l’Italie, la différence anthropologique qu’il put observer l’incita à comparer les Méridionaux aux Africains, c’est-à-dire, dans le langage de l’époque, aux sauvages.

7Aujourd’hui encore il existe de considérables variations de niveau en matière de développement, mais un habitant de Trente et un autre de Catanzaro sont plus homogènes à nos yeux qu’ils ne l’auraient été, en 1861, pour Farini. La télévision et la scolarité de masse ont favorisé la diffusion de la langue italienne. Pour nombre d’entre nous la seule langue est l’italien, mais son processus de diffusion n’a pas supplanté l’usage du dialecte qui est demeuré une seconde langue ou une langue familiale, donnant ainsi souvent lieu à une sorte de bilinguisme [Lepschy, Lepschy et Voghera 1996 : 75]. En outre, les modes de consommation sont assurément les mêmes aujourd’hui du nord au sud de la péninsule. Les différences touchent à la capacité de consommation qui est toujours plus élevée dans le Nord. Les enquêtes des politologues, qui s’appuient sur des sondages, ont montré que, malgré les specificités des territoires, la plupart des valeurs se ressemblent du nord au sud, présentant, s’il y a lieu, pour ce qui est de l’instruction, quelques variantes quant au niveau et à la forme [Cartocci et Belluscio 2000]. En d’autres termes, nous sommes aujourd’hui bien plus proches culturellement les uns des autres que nous ne l’avons été non seulement en 1861 mais en 1911 quand, en grande pompe, furent célébrés le cinquantenaire de l’unification et l’unité, enfin atteinte, du peuple italien.

Aux origines de l’identité

8Au cours du Risorgimento, le sentiment que le pays était profondément hétérogène incita nombre de défenseurs de l’unification à proposer que l’on fédérât les États pour ouvrir la voie à l’unité italienne. Selon la reconstruction opérée en 1922 par le fédéraliste Antonio Monti, la configuration horizontale de la péninsule et la distance séparant les centres urbains avaient convaincu certains adeptes du Risorgimento que l’État unitaire était néfaste à l’économie alors que « la diversité des latitudes », les différences climatiques en particulier, en augmentant la variété ethnographique et anthropologique de l’Italie, rendaient la « péninsule naturellement rétive à toute systématisation politique unitaire ». Ces raisons associées à une forte tradition anti-unitaire fondèrent les propositions fédéralistes du Risorgimento [1922 : 104-105].

9L’idée qu’une administration régionale puisse être la meilleure des solutions pour le gouvernement d’un pays récemment unifié fut discutée à maintes reprises lors des débats politiques. Même les reconstructions historiques venaient souligner l’erreur commise par la classe dirigeante de l’Italie dans son choix de la centralisation comme forme d’administration, et on voyait dans l’extension des autonomies la clé qui permettrait de réformer l’État et l’administration suivant une ligne interprétative transversale aux écoles historiques et aux courants politiques, que l’on pouvait définir comme une « alternative des autonomies » [Meriggi 1992 : 10]. Pour beaucoup, l’introduction de la région semblait et semble aujourd’hui encore être la solution qui s’offre à un État conduisant le pays de manière inefficiente (en matière d’utilisation des ressources) et inefficace (à savoir incapable d’atteindre ses objectifs). Ce qui sous-tend la plupart de ces interprétations c’est que la région serait un agrégat naturel que les habitants pourraient ressentir comme une « patrie ». En réalité, le rapport entre identité et territoire était déjà problématique dès le milieu du xixe siècle vu les différents niveaux d’attachement et d’appartenance dont l’élément d’identification le plus puissant revenait davantage à la ville qu’à la région :

En Italie […] la ville formait avec son territoire un corps inséparable. Traditionnellement, et depuis des temps immémoriaux, le peuple des campagnes, bien qu’il ait aujourd’hui accédé à une grande part de la propriété, prend pour nom celui de sa propre ville, et ce jusqu’à ce qu’il rencontre une autre population qui prend, elle, le nom d’une autre ville. Dans nombre de provinces, la ville est la seule patrie que le peuple connaît et ressent. Notre peuple, dans son usage domestique et spontané, ne s’attribua pas le nom géographique et historique de Lombard ; jamais il ne se familiarisa avec les divisions administratives des départements et des provinces qui passaient hors les anciennes limites municipales. […] Cette adhésion du paysan à la ville peut s’expliquer par des attirances étrangères ou des contraintes exercées par un autre État similaire […]. Mais quand, pour une raison ou une autre, cette attraction ou cette contrainte diminue, l’élasticité originelle resurgit et le tissu municipal retrouve sa vitalité d’autrefois. Le territoire fait alors renaître la cité détruite. La permanence du municipal est un autre fait fondamental et quasi commun à toutes les histoires italiennes.[Cattaneo 1957 : 1000-1001]

10Cette longue citation de Carlo Cattaneo, l’un des savants italiens majeurs de la première moitié du xixe siècle, indique clairement ce qui semble être une caractéristique de l’histoire de l’Italie, à savoir la prédominance du rôle des cités dans la définition de l’espace et l’attachement identitaire. Il n’y a pas si longtemps, le mythe de l’Italie aux cent villes nourrissait la réflexion concernant la permanence des vertus civiques municipales, véritable trame du pays [Putnam 1993]. Ce qui se dissimule derrière cette interprétation, c’est que, en Italie, l’exercice du pouvoir ainsi que les influences économiques et culturelles des centres urbains soumettaient le territoire environnant, faisant ainsi naître un sentiment d’appartenance à la ville et un lieu d’interrelations entre celle-ci et la campagne. J’ai parfois tenté de distinguer le sentiment immédiat et spontané d’appartenance à un lieu d’origine (qui au mieux se poserait en contrepoint d’un autre lieu selon une dialectique « nous » face à « eux » et qu’on pourrait appeler esprit de clocher), souvent de petite dimension, du sentiment d’appartenance à une communauté plus vaste, ce qui suppose l’élaboration de stéréotypes exigeant l’intervention d’intellectuels qui acceptent de les construire et de les diffuser [Cavazza 1997 : 19]. Le stéréotype est donc un élément indispensable à la construction des identités [Dickie 1999 : 5-6]. Dire que Bologne est surnommée « la grasse et la savante », comme on le lit couramment dans les guides touristiques, implique quelque chose de plus que la simple identification au lieu de naissance ; cela signifie que l’on fait référence à la particularité de sa cuisine et au prestige de son université pluriséculaire. Évidemment, ce stéréotype suppose une réélaboration culturelle et l’action de groupes intellectuels qui en soient les facteurs et les propagateurs.

11Notre discours nous fait pénétrer au sein des modèles interprétatifs grâce auxquels on peut mesurer l’importance des mécanismes qui régissent la construction de l’identité, modèles d’une importance capitale pour étudier le processus des nation-building : on pense là à Ernst Gellner et à Benedict Anderson. Le modèle de l’invention de la tradition a connu une certaine vogue parmi les historiens italiens parce qu’on pouvait l’appliquer à une large gamme d’objets d’enquête. Ces modèles peuvent-ils aider à interpréter la relation entre territoire et appartenance ? La réponse ne peut être que positive mais elle doit être bien articulée. En effet, d’un côté le succès indéniable qu’a rencontré en Italie le modèle de l’invention de la tradition [Hobsbawm et Ranger 1983] risquait d’inciter à faire de ces processus un système reproductible dans une sphère artificielle, donc dans une réalité faussée du fait d’une manipulation par le haut, mettant ainsi en question le sens et la réalité des traditions et de l’identité. On a souvent évoqué la nécessité de distinguer les traditions vraies des traditions inventées, les identités authentiques des identités postiches.

12De l’autre côté se trouvent ceux qui insistaient sur la construction de stéréotypes favorisée par l’existence antérieure de structures politiques et de réseaux sociaux. L’historien anglais Adrian Lyttelton, par exemple, a récemment affirmé que les identités de certaines régions ne sont pas nées de rien mais ont tiré avantage de la prééxistence d’États [1996 : 33]. L’exemple le plus édifiant nous est donné par l’identité toscane où la présence du grand duc de Toscane a contribué à cimenter les mécanismes identitaires post-unitaires avant que la région ne soit annexée au royaume d’Italie. Dans la même optique, Carlo Pazzagli a insisté sur ce que l’homogénéité des outils couramment utilisés et la coïncidence des frontières linguistiques ont apporté au phénomène de consolidation de l’identité régionale [1995 : 37-38]. Il conviendrait toutefois de ne pas oublier que la présence d’homogénéités dans le domaine socioéconomique et dans le domaine de la culture matérielle n’induit pas forcément de sentiment d’appartenance. De façon plus générale, parler de « invented traditions » ou de construction d’identité ne veut pas dire que les phénomènes ainsi mis en évidence sont peu réels et peu significatifs. Que les traditions nées de ces processus de construction d’identité soient ou non inventées, qu’elles soient ou non perçues comme vraies ou vraisemblables, avec un caractère artificiel, tout cela n’infirme pas pour autant leur réalité, et, à cet égard, l’exactitude philologique de leurs références culturelles devient secondaire.

13De surcroît, accepter ce mode opératoire n’implique pas que l’on élude la question de la vraisemblance du stéréotype pour garantir le succès d’une construction d’identité. Nous devons commencer par admettre que notre interaction dans le monde qui nous entoure ne peut s’opérer qu’à travers des schémas culturels de médiation et d’interprétation, les sentiments d’appartenance exigeant ce genre de processus cognitifs. Le sociologue américain Walter Lippmann explique que « dans la majorité des cas nous définissons non pas après mais avant d’avoir vu », en sélectionnant selon « ce que notre culture a déjà défini pour nous » et en percevant cette sélection « sous la forme que notre culture a stéréotypée pour nous » [2000 : 79]. Les enquêtes portant sur la psychologie semblent d’ailleurs indiquer que les processus de construction des stéréotypes entrent dans le cadre des processus de catégorisation en tant que « schémas de type général qui orientent la codification des informations dès leur entrée et permettent d’aller au-delà des données » [Arcuri et Cadinu 2000 : 86]. En d’autres termes, les stéréotypes aident à ordonner le flux des informations, même au prix de classifications peu précises.

14Il est donc évident que les mécanismes de construction des identités font appel à des stéréotypes, et ce, non seulement parce qu’ils sont le fruit d’une mauvaise conscience, mais pour des raisons d’exigence cognitive. C’est à cause de sa nature et du manque de soin dont il est l’objet que le stéréotype peut devenir un instrument de discrimination. Dans notre propos on relèvera tout de même la différence qu’il y a entre un processus identitaire que l’on peut transposer à des dynamiques internes aux groupes primaires et l’élaboration de stéréotypes plus complexes qui s’articulent sous une forme littéraire et s’appliquent à certaines stratégies discursives. L’opposition entre Milan et Rome, par exemple, entre la ville active et généreuse et la capitale lente et bureaucratique, servit à mettre en place un leadership moral et un projet de modernisation du pays, tant et si bien que c’est à Milan qu’il revint de publier les guides touristiques du Touring Club, essai parfaitement réussi pour faire connaître la péninsule aux Italiens, du moins aux classes bourgeoises [Meriggi 1996 : 110-111].

15Notre centre d’intérêt passant du municipal au régional, on peut voir qu’en Italie la répartition régionale remonte dans une large mesure à l’époque augustienne mais que, dans certaines seulement de ces régions historiques, les frontières territoriales coïncidaient avec les frontières linguistiques et suivaient les lignes du développement socioéconomique. Au moment de l’unification de 1861, le sentiment d’appartenance à une entité unitaire était très peu répandu au sein de la population. C’est là une des raisons qui poussèrent un défenseur de l’unité aussi ardent que Marco Minghetti à proposer un système administratif régional, convaincu – comme il l’écrivit lui-même quelques années plus tard – qu’« historiquement la région avait des traditions très anciennes, tant au Moyen Âge qu’au temps des Romains » et que, par conséquent, elle aurait très bien pu être « un organe transitoire permettant que s’opérât lentement le passage de sept législations et ordres différents selon les États à la coordination et à l’unité » [1881 : 244]. La décision de la classe dirigeante fut d’adopter au contraire le modèle du centralisme français, de peur de voir mise en péril la toute jeune unité :

Les régions ne feraient que fomenter le séparatisme et le défendre aussi là où jusqu’alors il n’existait pas […]. Beaucoup disent : c’est beau de voir la variété dans l’unité. Oui, dans un poème épique ou dans les beaux-arts, mais pas en politique.[Mayr 1861 : 59]

16Ce que choisirent plus tard les défenseurs des projets d’autonomie pour proposer qu’on réintroduise les régions fut d’en soutenir le caractère naturel et ancien. En vérité, la physionomie des stéréotypes régionaux que nous connaissons aujourd’hui date du xixe siècle, et la constitution d’un centre politique et d’un État unitaire fut le terreau grâce auquel on pourrait redéfinir le sentiment d’appartenance territoriale. Dans le Nord, les allégations de Cattaneo que nous avons déjà mentionnées s’avérèrent tout à fait exactes pour ce qui est de la Lombardie alors que le sentiment d’appartenance au Piémont pouvait se mêler au sentiment de loyauté envers la Maison de Savoie longtemps entretenu par les classes dirigeantes piémontaises [Meriggi 1996 : 10-13]. Le discours n’eût pas été autre si nous nous étions attaché au centre de l’Italie. Si, à l’instar du Piémont, la Toscane pouvait adopter la mémoire de l’État antérieur tout en intégrant des caractéristiques nouvelles et spécifiques, l’Ombrie, elle, vivait une véritable redéfinition de l’espace qui, au xxe siècle, déboucha sur un stéréotype, celui d’une Ombrie sainte et mystique, qui s’était édifié tout au long du xixe [Bracco et Irace 1990 : 646-647]. La difficulté que soulève une identification est commune à la plupart des territoires auparavant soumis à l’État pontifical, ce qu’atteste le cas du Latium. Dans le cas de l’Émilie-Romagne, les deux composantes sont clairement distinctes. La Romagne est représentative du manque de coïncidence pour ce qui est des critères de définition de l’espace régional : bien que privée d’autonomie administrative et économique, la Romagne est homogène en matière d’autoreprésentation et de stéréotypes culturels [Gambi 1990 : 89].

17De fait, c’est récemment que ses frontières ont été définies et c’est à la fin du siècle seulement qu’Emilio Rosetti détermina l’espace qui, aujourd’hui encore, sert à dessiner la géographie de la Romagne [ibid. : 83 sq.]. Dans un ouvrage paru il y a peu de temps, Robert Balzani [2001] nous a montré avec force détails comment le stéréotype régional de la Romagne s’est construit après la fin du xixe siècle [Cavazza 1998]. La situation restait identique quand on descendait vers le sud. Dans un pamphlet de 1882, Pasquale Turiello non seulement ne relevait aucune particularité véritablement régionale et affirmait que « le caractère du Napolitain » était « commun à l’Italien, en plus marqué et superlatif dans les terres du Midi », sans pour autant y voir de spécificité méridionale. En effet, il ne faisait que dépeindre le Napolitain qui ne se distinguait réellement que du Sicilien que l’on sait être « réfractaire lorsqu’il s’agit de témoigner devant les tribunaux », alors que le Napolitain avait plus d’affinités avec le Midi continental :

[…] les lignes communes au caractère italien y étaient seulement plus accentuées et plus pittoresques. […] Dans les attitudes et les conditions morales, sociales et administratives, pour tout ce en quoi le visage de l’Italie se distingue de celui des autres nations, c’est chez le Napolitain que la figure nationale est la plus caractéristique ; et, à l’inverse, il est évident que les similitudes avec l’Europe continentale s’accentuent lorsqu’on remonte des Appenins méridionaux vers les Alpes. […] En outre, le caractère commun italien est, chez le Napolitain, plus proche de celui des origines et moins altéré par une longue habitude de convivialité civile.[1882 : 120-121]

18Dans ce contexte, les stéréotypes négatifs de l’Italie du Sud – comme John Dickie l’a montré dans une étude récente – furent souvent bâtis pour servir un projet pédagogique national, ce que prouve le fait que ces stéréotypes aient été diffusés par des savants d’origine méridionale. À ce sujet le cas du positiviste Alfredo Niceforo est emblématique, et la diffusion de ces stéréotypes avait une fonction contraire à celle de la Ligue aujourd’hui [op. cit. : 146]. Pour compliquer encore les choses, notons que le centralisme, effectif jusqu’à la Première Guerre mondiale, était conçu davantage comme une médiation entre le centre et la périphérie que comme une volonté de modeler la périphérie selon les desiderata du centre. D’ailleurs les contemporains eux-mêmes semblaient pressentir combien, au lendemain de l’Unité, l’administration des provinces viendrait consolider le rôle des élites locales, réduisant ainsi l’effet égalisateur auquel s’employait le centre :

Nos lois ont confié les intérêts locaux à la population aisée de chaque lieu. Les conseillers municipaux sont élus par les personnes qui versent à la commune un certain impôt et c’est parmi elles qu’ils sont élus. Les conseils provinciaux fonctionnent sur le même mode […]. Dans les communes, le maire est choisi par le gouvernement, mais au sein des membres du Conseil municipal.[Franchetti op. cit. : 22]

De l’Italie libérale au fascisme

19Au cours des quinze premières années du xxe siècle, on assista, du fait des intellectuels et des politiciens, à une redécouverte de la dimension territoriale et on proposa à nouveau des projets de réforme allant dans le sens de l’autonomie ou du fédéralisme de l’État. En 1900, après une phase aiguë de crise politique qui mettait en cause les libertés qu’avait sanctionnées le Statuto Albertino, un membre de la revue socialiste, Critica sociale, vit dans le fédéralisme le moyen d’éliminer « le déséquilibre financier et économique artificiel entre les régions d’Italie » et, dans le même temps, « l’unique moyen à même de briser la réaction à laquelle l’Italie méridionale offre aujourd’hui la base la plus solide » [Rerum Scriptor 1900 : 25]. C’est à cette époque que la question du Sud devient l’objet d’interventions spécifiques de la part des classes dirigeantes dont l’acte vraiment symbolique est peut-être le voyage à Basilicata accompli en 1902 par Zanardelli, le Lombard, président du Conseil [Dickie op. cit. : 15]. Y feront suite des lois spéciales concernant le Midi. Le fossé entre le Nord et le Sud n’en sera pas comblé pour autant :

L’état d’âme dans lequel je me trouvais à l’âge de quatorze ans était et est toujours l’état d’âme de 99 % des Méridionaux, tous partis confondus : une sourde rancœur envers ceux du Nord, la conscience indéterminée et profonde d’être victimes de leur rapacité et de leur arrogance, une amère aversion par moments pour les marques de mépris qui nous viennent du Nord, le désir ardent d’en finir une fois pour toutes avec cette situation subordonnée et dévalorisante […]. Si les Méridionaux détestent ceux du Nord, ces derniers le leur rendent bien, et même davantage. On pense volontiers dans le Nord que le Sud paie beaucoup moins de taxes et jouit des faveurs du gouvernement : c’est un parasite qui donne peu et prend beaucoup.[Rerum Scriptor op. cit. : 4]

  • 4 Pour la France, voir A.M. Thiesse [1991 et 1992]. Pour l’Allemagne, voir R. Johler [1995] et R. Pet (...)

20Ces préjugés largement répandus ne s’opposaient toutefois pas à une vision unitaire de la nation. Au contraire, pendant les quinze premières années du xxe siècle, on vit proliférer les revues régionalistes qui, souvent, parlaient, sur un ton critique, de la classe dirigeante libérale que conduisait Giovanni Giolitti. La redécouverte du territoire local alimentait un culte de la « petite patrie » qui se concrétisait soit par l’exaltation du municipal soit par la redécouverte du régional. L’édification de stéréotypes locaux destinés à identifier le territoire passait par la valorisation du paysage, de l’art, de l’histoire et du folklore local, et suivait une évolution comparable à celle d’autres contextes nationaux4. Les intellectuels provinciaux se lancèrent dans une étude des mémoires locales, avec plus ou moins d’intérêt pour la philologie. Dans certaines régions, la liquidation de l’axe ecclésiastique survenue après l’unification incita les institutions communales à élaborer des politiques de conservation et de protection du patrimoine artistique que l’on pouvait associer à la mémoire locale [Troilo 2001a et 2001b]. Le culte du paysage et des monuments poussa quelques intellectuels à monter des associations de conservation des beautés artistiques naturelles. Au début du xxe siècle, on vit se développer les Brigate Amici dei Monumenti, groupements de savants et d’érudits qui organisaient des pèlerinages pour faire connaître le territoire environnant et proposaient concrètement des projets de sauvegarde des trésors naturels ou dus aux artistes italiens. La Toscane fut au premier rang de cette opération de mise en valeur de l’art local [Cavazza 1997 : 178-180 ; Cerasi 2000 : 101 sq. ; Piccioni 1999]. Parallèlement s’intensifièrent les études folkloriques initiées à la fin du xixe siècle par l’École positiviste, et on tenta de communiquer au grand public les particularités attachées aux traditions populaires en organisant, en 1911, une exposition ethnographique dans le cadre des manifestations qui venaient célébrer le cinquantenaire de l’Unité [Cavazza 1997 : 101-102].

21La revalorisation de la région trouva un théoricien en la personne de Giovanni Crocioni, un savant des Marches qui voyait dans la culture régionale un instrument grâce auquel on pouvait renforcer la conscience nationale. Selon lui, seul l’amour de la petite patrie pouvait substantiellement consolider celui de la grande. Réfléchissant sur la pédagogie scolaire et l’enseignement de la langue nationale via l’emploi d’un dialecte, Crocioni proposa que le régionalisme devienne le fondement de la culture nationale. « En évoquant les traditions et en réveillant la civilisation des régions », Crocioni proposait d’en conserver « les meilleurs éléments, de les mêler les uns aux autres, afin de renforcer et amplifier la nouvelle, seule et véritable civilisation nationale » [1914:57]. L’association des idéaux nationaux et du régionalisme était déjà tellement développée avant guerre que, dans la revue littéraire La Voce, Augusto Monti écrivait que le « néorégionalisme » était le « frère germain du néonationalisme » [1914 : 30]. En réalité, la diffusion de cette culture régionale constituait elle aussi un acte pédagogique, ce même Crocioni ayant conscience de ce que la plupart des Italiens ne connaissaient que leur environnement propre. Il reprenait, sans toutefois s’en rendre compte, les thèses de Cattaneo qui défendait la suprématie territoriale du municipal.

22La Grande Guerre marqua une rupture dans les représentations du sentiment d’appartenance parce qu’elle fut l’un des temps forts de la nationalisation du pays, à laquelle concouraient trois éléments. La vie dans les tranchées faisait se rencontrer des gens de tous horizons, mettant en contact des paysans piémontais, des ouvriers agricoles venus des Pouilles, des métayers toscans et des paysans siciliens. De plus, cette rencontre s’effectuait dans un cadre de propagande « national-patriotique » qui s’amplifia après la défaite militaire italienne de Caporetto lorsque la crainte d’une invasion autrichienne vint consolider la cohésion populaire. Enfin, la douloureuse vie des tranchées fut à l’origine de l’idéologie du combat, et le sacrifice pour la patrie doublé de l’exaltation de la communauté que vivaient les soldats devinrent une idéologie d’après-guerre très puissante qui contribua plus tard au processus de nationalisation.

23C’est dans ce contexte que l’appartenance territoriale et ses propositions régionalistes en particulier essayèrent de se frayer un chemin dans l’après-guerre en offrant une réponse possible aux difficultés de fonctionnement de l’État italien, mais en termes rigoureusement patriotiques. Au cœur de cette redécouverte de la tradition locale on vit éclore un courant intellectuel qui défendait la culture régionale en s’opposant à la menace hypothétique du cosmopolitisme, faisant ainsi de nombreux prosélytes, surtout dans le monde des intellectuels de province. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce projet de régionalisme culturel trouvait des défenseurs même parmi les membres du mouvement fasciste. En l’occurrence, l’idée d’appartenance territoriale était perçue comme une étape intermédiaire vers l’intégration dans la nation et comme l’expression du lien direct aux traditions. Aussi, en tant que dépositaire des vertus populaires, le folklore allait jouer un rôle important. Parmi les raisons qui justifiaient que l’on défende la culture locale, les intellectuels fascistes mettaient en tête de liste les rédacteurs intransigeants et agitateurs de la revue Il Selvaggio [Mangoni 1974 : 136-160]. En fait, il s’agissait, en partie du moins, d’intellectuels raffinés et bien différents de ceux qui composaient le monde coloré des érudits de province, professeurs de lycée et spécialistes des arts, des folklores et des dialectes qui envahissaient les rédactions des revues locales. Ils se firent pourtant les porte-drapeaux d’une proposition de réforme de la culture nationale dont les maîtres mots étaient l’anti-modernisme et l’anti-urbanisme, l’exaltation de la dimension locale et des vertus rurales.

24La tendance favorable au régionalisme culturel trouva un vrai soutien au sein de la politique fasciste. En 1923, Giovanni Gentile, ministre de l’Éducation du gouvernement de Benito Mussolini, lança une réforme de l’enseignement qui prévoyait l’usage du dialecte et des cultures régionales dans les écoles élémentaires. Cette réforme fut l’œuvre de Lombardo Radice, un des plus célèbres pédagogues et défenseurs de la méthode consistant à passer du dialecte à la langue, mais c’est au sein des pro-fascistes, ceux surtout qui étaient attachés à l’idéal « gentilien » que la réforme trouva le meilleur accueil. On pouvait donc aisément lire dans la revue Scuola fascista nombre d’opinions louant la culture régionale :

La région est la définition des comportements qui nous sont les plus conformes ; et la somme des expériences de ceux qui existèrent avant nous, plantes d’un même terreau et d’une même pousse. Et nous, nous sommes les plantes dont les racines nous permettent de nous mouvoir et peut-être de nous transplanter ; mais elles empêchent que, sans dommages, nous oubliions nos opinions et que, sans mentir, nous les niions. En fait, sortant de notre essence spirituelle, nous aimons rechercher nos racines, reconnaître le champ dans lequel nous avons germé, la plantation à laquelle nous appartenons, parce que nous portons toujours et partout une sensibilité et une conscience régionales.[Amorosa 1926]

  • 5 Institution qui organise les loisirs des travailleurs.

25Dans les années vingt, le fascisme qui commençait à devenir une dictature laissa une vraie place à ces courants qui vantaient le lien unissant le territoire et l’individu en tant qu’élément de base de l’identité nationale tout en mettant l’accent sur le rôle de la tradition. L’institution nationale Dopolavoro5 introduisit le folklore dans ses programmes de loisirs destinés aux masses. L’intérêt que le fascisme portait à la dimension locale et à la dimension régionale en particulier était toutefois soumis à deux conditions : pour revendiquer ce lien il fallait demeurer à un niveau purement culturel, ne pas entrer dans la sphère politique ni remettre en question la cohésion de l’édifice national. Les défenseurs du régionalisme pro-fasciste pouvaient bien accepter ces conditions. Amy Bernardy, folkloriste et membre du Dopolavoro écrivait :

La revalorisation du critère régional est, profondément et principalement, celle des critères de distribution des meilleures disciplines de l’esprit et les plus élevées, qui tout d’abord subordonne, ensuite enchaîne, en les coordonnant, tous les éléments du groupe national supérieur, incluant ainsi une série très large de motifs qui vont de l’esthétique à l’économique, de la petite industrie à la plus grande, de l’art populaire à l’art monumental, de la tradition à l’histoire. Nous avons souffert de trop de ruptures et de trop de cubismes, étrangers à la pensée et aux spécificités nationales. […] Comme nous avons conservé la notion et la capacité d’apprécier le monument historique dans toute sa pureté, nous ressentons désormais le désir de le compléter avec le détail et le substrat de la tradition et la région…[1930 : 11]

26Non seulement ces pages mêlaient étroitement le local et le national, mais le local devenait l’instrument qui permettait de transmettre les valeurs traditionnelles et saines opposées à celles de la modernité.

27Dans les années trente, le vent tourna et le régime fasciste s’attaqua à l’enthousiasme que suscitaient les régions. C’est Mussolini lui-même qui opéra ce volte-face et prôna l’élimination du dialecte dans les écoles dès le début de la décennie. De plus en plus séduit par la rhétorique romaine et impériale, le régime exorcisa dialecte et régionalisme et, plutôt que de porter haut le sentiment d’appartenance régionale, il préféra exalter les vertus municipales. Malgré ces restrictions, les marques de la culture locale, telles les traditions populaires soutenues par le régime de façon spécieuse et bureaucratique grâce à l’action du Dopolavoro fasciste, ainsi que le dialecte – comme document historique et non comme instrument de communication – conservaient toujours leur place au sein du régime. La condition en était que ces manifestations culturelles mettent l’accent sur l’élément unitaire, en faisant du dialecte, de la région et du folklore les signes de la persistance de l’italianité au cours des siècles. En 1935, dans une conférence tenue devant la Société pour le progrès des sciences, le préfet de Palerme, Gianbattista Marziali, membre du Parti national fasciste, affirma que « la tradition populaire constituait […] le noyau essentiel et originel de notre histoire » qui avait gardé les Italiens unis pendant des siècles et que « durant le Risorgimento la vie de nos régions fut vidée de tout son contenu régional ou régionaliste, si bien qu’il ne reste […] plus aucun chant populaire sicilien ou chant des Abruzzes mais qu’un chant populaire italien » [1936 : 3-4].

28Le fascisme fut donc le défenseur d’une vision traditionnelle du territoire, signe d’une permanence de l’italianité, et il reconnaissait ainsi aux cultures locales un rôle de lien avec le passé, de forme transitoire du rapprochement avec la culture nationale, mais il leur contestait toute individualité autonome.

L’après-guerre et les appartenances territoriales

  • 6 Jusqu’en 1970, seules quelques régions ont bénéficié d’un statut spécial : Trentin-Haut-Adige, Val (...)

29Au moment où se jouait le drame d’un pays devenu le théâtre d’une guerre entre des nations et entre ses citoyens, l’attachement à l’Italie et à ses villages vint conforter la solidarité des groupes de résistants avec des populations activement antifascistes. Le Comité national de libération avait une direction nationale centrale, mais il fonctionnait largement à partir des régions [Rotelli 1967:15-19] et son action s’étendait sur l’ensemble du territoire grâce essentiellement à sa capacité à monter des réseaux et à utiliser ceux qui existaient déjà. Plus tard, le rôle de l’élément territorial qui, sur le plan idéologique, fut loué dans les discours fascistes comme élément constitutif de la plus grande des patries, mais déconsidéré sur le plan administratif, parut revenir avec force dans l’organisation administrative territoriale envisagée par l’Assemblée constituante élue le 2 juin 1946. On chercha alors à repenser la subdivision administrative du territoire pour répondre aux désirs des populations et correspondre à des critères plus rationnels, en proposant par exemple de donner vie à une province de la Lunigiana, en révisant les frontières séparant l’Émilie de la Ligurie et celles de la province umbro-sabine qui coupait le Lazio de l’Ombrie [Bonora 1984 : 17-47]. Aucune de ces propositions ne fut admise soit parce qu’on ne put trouver de critères de répartition satisfaisant tout le monde, soit parce qu’il existait un risque de rendre ces répartitions encore plus confuses et moins naturelles que les précédentes [Gambi 1995 : 170]. Et, après de longues discussions, l’Assemblée constituante introduisit la région comme collectivité aux pouvoirs administratif et législatif limités dans la charte du 1er janvier 1948, réclamant qu’une loi institue sa naissance effective, chose qui ne put se réaliser qu’en 19706.

30Au lendemain de la Libération, le rôle des identités territoriales fut visible aussi dans les processus qui venaient à nouveau légitimer le système politique grâce à l’action des grands partis de masse. Ce n’est certes pas le fait du hasard si une section communiste s’est associée à une fête populaire d’Ombrie largement allégorique et il était tout aussi rare de voir des communistes participer à des manifestations où, dans une chorégraphie plutôt folklorique, ils apparaissaient en costumes traditionnels [Cavazza 1994b : 449]. On ne remarque aucune contradiction entre cette ouverture aux instances territoriales de base et la franche hostilité que rencontrent les revendications autonomistes trop marquées du Parti communiste. Togliatti déclara plus d’une fois que son Parti était favorable à l’introduction d’autonomies locales, mais opposé à l’idée de « faire de chaque région une sorte de petit État autonome ».

  • 7 Entretien avec Togliatti dans L’Unità du 8 octobre 1946.

31Cette définition des attributions du rôle des régions répondait à la vocation unitaire du Parti communiste qui défendait le principe selon lequel « la classe ouvrière est unitaire au niveau national »7. Ce n’était là pas tant – du moins pas seulement – le fruit de l’adhésion des communistes à une idéologie universaliste que la conséquence de leur volonté déclarée de se prétendre héritiers de la tradition unitaire et du Risorgimento, dont l’une des caractéristiques était d’exhiber avec insistance des symboles nationaux tel le drapeau tricolore. Les statuts du Parti en prescrivaient l’utilisation lors de ses manifestations [Ridolfi 1997 : 92-93] et le symbole même du Parti, la faucille et le marteau sur fond rouge, finit par être intégré au drapeau national. Concrètement, dans la vie politique, on essaya d’appliquer ces directives pour attester de l’activité de propagande déployée à l’occasion des premières campagnes électorales [Cavazza 2002 : 210-212]. L’emphase nationale au sein du Parti n’empêcha toutefois pas qu’à l’échelle du pays et des communes le lien reste très étroit entre les cultures locales et la politique. C’est cette même exigence d’éducation politique qui incita les dirigeants communistes à puiser dans le patrimoine symbolique local un langage compris des classes paysannes et ouvrières, tout comme les militants d’un petit pays de la province de Mantoue avaient, en 1950, inséré des colorations politiques dans leurs traditions, faisant intervenir toute une scénographie carnavalesque à l’encontre des États-Unis [Bertolotti 1991 : 16-21].

32En substance, c’est le besoin de construire un parti de masse qui poussa à mêler cultures territoriales, pratique politique et idéologie du Parti. Le mot d’ordre, « une section dans chaque clocher », exprimait une stratégie d’enracinement conduite aussi grâce à la diffusion de formes primaires de sociabilité. Si Togliatti invitait les militants à construire des réseaux de relations « là où se déroule sous sa forme élémentaire la vie de la majorité de la population », Secchia, responsable quelques années durant de l’organisation du Parti, suggérait de resserrer et cultiver les liens de parenté et de voisinage afin d’en étendre la sphère d’influence [Bellassai 2000 : 53-55]. Dans plusieurs régions, le PCI réussit à unir local et national, faisant ainsi coexister des sections qui célébraient des cérémonies religieuses avec une ligne politique louant l’aptitude des communistes à transformer la société [Lazar 1992 : 219-220]. Il serait cependant excessif d’attribuer à son seul talent d’organisateur la profonde implantation du Parti communiste dans certaines aires territoriales, implantation qui pourrait s’expliquer grâce au concours de divers facteurs allant de la structure socioprofessionnelle de la population au soutien économique que le Parti apportait à ses militants et à la valorisation identitaire que le militantisme pouvait offrir à des classes sociales qui souffraient d’un manque de prestige [Marijnen 1997 : 165]. Ces observations aident à comprendre la géographie électorale de l’Italie républicaine qui entretenait un lien étroit avec l’implantation territoriale des formations politiques et constituait ainsi de véritables citadelles en Toscane, en Émilie-Romagne et en Ombrie.

33On peut tenir un même discours dans le cas de la Démocratie chrétienne dont l’activité politique, surtout dans sa phase initiale, devait beaucoup à l’action de ses paroisses. Déjà pendant la guerre, l’Église, avec ses nombreuses ramifications, avait joué un rôle très important auprès de la population pour en atténuer les souffrances. La décision de soutenir, en 1948, l’effort électoral de la Démocratie chrétienne pour contrer les communistes vint certes du sommet mais si cet effort fut couronné de succès c’est qu’au niveau territorial les paroisses s’étaient activées dans ce qui semblait être un conflit de civilisations. Les paroisses constituaient déjà un lien avec les cultures territoriales, lien que la Démocratie chrétienne sut, du reste, cultiver pour son propre compte avec une grande facilité s’attribuant dans certaines régions les réseaux clientélistes et relationnels des notables de l’époque du libéralisme. Cette récupération politique de la religion lors des premières campagnes électorales qui reprenait des pratiques destinées à soutenir le Parti démocrate-chrétien ou utilisait des événements soi-disant miraculeux telles les madones en pleurs, n’était pas vraiment le résultat d’une instrumentalisation de la religion mais traduisait les peurs ressenties par les fidèles, peurs qui trouvaient leur mode d’expression dans les pratiques dévotes et dans les croyances enracinées dans le territoire [Bravo 1997]. Même pour la Démocratie chrétienne l’implantation territoriale avait une importance mejeure en ce qu’elle établissait les aires dominantes en matière électorale, en Vénétie par exemple. Analysant un quartier de Bologne dans les années soixante-dix, David Kertzer a clairement mis en lumière tant l’importance de l’implantation territoriale de l’action politique des deux grands partis que la pluralité des raisons qui motivaient l’appartenance politique [1981 : 198-200]. Dans le même temps on ne peut oublier l’existence, dans les deux partis, d’un projet pédagogique de nationalisation des appartenances politiques qui finit par se refléter sur l’identité nationale elle-même. Ainsi l’admission du paradigme local par les grands partis de masse en tant qu’élément d’acculturation politique ne visait pas seulement à valoriser la qualité et le caractère central des instances territoriales, mais entendait affirmer l’harmonie de sa relation avec la réalité nationale, dans la ligne même de la tradition régionaliste que nous venons d’évoquer.

  • 8 Sur le Tyrol du Sud et en général sur la politique linguistique du fascisme, voir G. Klein [1986].

34Dans la période qui suivit la Deuxième Guerre mondiale on n’a pas manqué de mouvements autonomistes plus marqués, mais ces mouvements s’étaient mis en place dans des régions multilingues (Val d’Aoste et Tyrol du Sud) là où le fascisme avait exercé une véritable coercition pour implanter la culture italienne, et réussi, dans le cas du Tyrol du Sud, non seulement à refuser l’usage de la langue maternelle mais aussi à revoir la toponymie afin d’éliminer tout signe d’identité « alloglotte »8. Par ailleurs sont apparus d’autres mouvements concernant les îles, avec des dynamiques particulières et différentes évolutions : le séparatisme sicilien fut un phénomène de courte durée sans vraie idéologie régionaliste et il fut rapidement absorbé par la Démocratie chrétienne [Mangiameli 1987 : 516 sq.] ; il y a peu de temps encore, le Parti d’action sarde exerçait un rôle politique mais toujours dans un esprit de revendication autonomiste modérée.

35En somme, nous pouvons dire que, jusqu’à la fin des années quatre-vingt, le paradigme d’une idéologie régionaliste et territoriale « solidaire » des autres parties du pays a bien résisté en Italie. Naturellement, on pouvait trouver quelques exceptions : le Mouvement autonomiste piémontais par exemple qui défendait une autonomie antiméridionale était parvenu à un certain consensus lors des élections administratives de 1956, mais ce courant a rapidement décliné au cours des politiques successives après avoir été coopté par la Démocratie chrétienne pour les administrations locales [Signorelli 1995 : 648]. Cela ne veut pas dire qu’il n’y eut pas de conflits à cause des différentes appartenances locales, au contraire, les migrations internes des années soixante favorisèrent l’émergence de points de discorde et de stéréotypes antiméridionaux [ibid. : 645-646]. Et, ce qui faisait défaut, c’est un sujet grâce auquel, transformés, ces sentiments pourraient être récupérés dans la lutte politique.

  • 9 On estime qu’entre 1955 et 1971, 9 140 000 personnes ont été déplacées [Ginsborg 1989 : 295].

36Pour comprendre l’évolution des relations entre identité et territoire, nous devons commencer par considérer l’impact des mouvements migratoires. Du milieu des années cinquante au début des années soixante, les grands flux démographiques du sud vers le nord qui ont accompagné le développement industriel du triangle Turin-Milan-Gênes et déplacé des populations des zones rurales vers des zones urbaines9 ont sensiblement modifié le rapport entre territoire et identité. L’arrivée massive de Méridionaux dans certaines régions du Nord a mis en branle des mécanismes d’identification de l’« autre » qui se fondaient sur la construction de stéréotypes locaux, étaient alimentés par le circuit de la communication de masse et introduisaient souvent des éléments propices aux tensions et aux conflits. Par ailleurs, pour les Méridionaux, la migration accentuait l’attachement à leur identité d’origine, et les contacts qu’ils entretenaient avec leurs compatriotes favorisaient leur insertion dans leur nouveau lieu de travail et de vie [Bravo 2001 : 53]. Un émigré du Midi arrivant à Turin dans les années soixante conservait un lien affectif avec sa terre d’origine tout en étant parfaitement intégré à sa nouvelle réalité. S’il existait certes un mythe du retour, le quotidien poussait à distinguer la vie de tous les jours, associée au lieu d’immigration, de la période des vacances, associée à la terre natale [Signorelli 1995 : 608]. Parallèlement, l’insertion de l’immigré dans le tissu sociopolitique pouvait finir par modifier son comportement et l’aider ainsi à s’assimiler au modèle dominant. Quand ils arrivaient à Bologne, les immigrants méridionaux, étudiés par Kertzer, étaient très fortement attachés à la Démocratie chrétienne et à l’Église, produit de leur culture d’origine. Puis, sous la pression sociale exercée par leurs compagnons de travail communistes, ils finissaient par se rapprocher du PCI et s’éloigner de la pratique religieuse [op. cit. : 151].

37Ce que l’on doit aussi prendre en considération c’est l’impact de la consommation qui a largement crû dans les années soixante-dix et quatre-vingt, et dont l’expansion a favorisé l’homogénéisation du pays dans la façon de vivre et de consommer. L’apparition de la société de consommation a d’ailleurs fait grimper la demande en matière de « folklorisme » et a augmenté l’offre culturelle et touristique liée à la spécificité des lieux et des traditions, avec un effet de retour sur les cultures territoriales, processus auquel la télévision a contribué de façon non négligeable [Clemente 1988]. L’accroissement de la consommation a touché le nord du pays aussi bien que le sud, réduisant la diversité des styles de vie qui avait marqué l’histoire italienne ces cent cinquante dernières années. Mais l’augmentation du pouvoir d’achat dans les régions du Sud ne s’est pas accompagnée d’un ajustement de l’économie dans son ensemble lié à des transferts étatiques vers les régions méridionales. La différence nord-sud a perduré, quoique atténuée, et si certaines régions (les Abruzzes par exemple) ont cessé de faire partie des zones déprimées, la gestion des fonds publics se répercutait sur la vie politique et sociale des régions de l’Italie du Sud [Gribaudi 1990 : 173 sq.].

38Un autre facteur important est l’institution des régions en 1970 qui, au cours de ces trente dernières années, ont, grâce à leurs politiques culturelles ou leur politique de soutien aux activités de production, aidé à asseoir les cultures territoriales en venant s’ajouter aux interventions des communes et des provinces. Selon Clemente, « l’un des aspects remarquables des cultures locales réside désormais dans le fait que celles-ci se manifestent également en termes de politiques culturelles et s’offrent dans un marché de l’image destiné aux “autres”, tout en mobilisant des aspects sociaux de l’identité » [1988].

  • 10 Pour la rencontre entre culture laïque de Croce et marxisme, voir P. Clemente [1976 : 21 sq.]. Pour (...)
  • 11 À la fin des années soixante-dix, Alessandro Portelli écrivait : « Il m’est difficile de penser que (...)
  • 12 Dans un congrès de 1974, Mariano Fresta polémiquait avec « quelqu’un qui a du folklore une vision h (...)

39Le dernier point concerne le rôle joué par les savants et les intellectuels qui, dans l’après-guerre, manifestèrent un véritable intérêt pour les cultures locales et le folklore. Nous ne pouvons à cet égard nous lancer dans une reconstitution des principaux courants de l’étude des traditions populaires, dont certains conduisirent à une relecture de l’historisme de Croce dans la perspective de De Martino, et les autres, partis des analyses de Gramsci, pour les appliquer au domaine du folklore10. Je me contente de rappeler combien, entre les années soixante et soixante-dix, les folkloristes et les anthropologues s’engageaient dans la valorisation des cultures populaires, unissant souvent leur engagement scientifique au militantisme politique. La redécouverte de Gramsci avec l’élaboration du distinguo entre cultures hégémoniques et cultures subalternes effectuée par Alberto Cirese représentait le contexte théorique dans lequel se mettait en place une culture militante qui « découvrait » la complexité culturelle des ouvriers et des paysans. Œuvrant sur le terrain, tour à tour en pleine polémique avec la ligne du parti de gauche le plus important et en accord avec la position de Gianni Bosio, la recherche finit souvent par révéler une culture populaire plus variée et en contradiction avec les représentations politiques11. On essaya d’extraire des données à partir de cette étude pour répondre aux collectivités territoriales et contribuer à la reconstruction d’une culture populaire authentique vidée de son contenu touristique et commercial, ou, plus simplement, tenue à l’écart d’une vision « harmonisatrice » du folklore12. Au folklore du Dopolavoro fasciste qui perdurait dans la République grâce à un organisme national d’assistance aux travailleurs, héritier du Dopolavoro pour ce qui est de l’organisation, s’opposait la recherche d’une vraie culture populaire qui ne pouvait lui être qu’antagoniste mais qui, sur le terrain, finit par révéler une complexité et une articulation supérieures à ce à quoi on s’attendait. La valorisation des cultures populaires n’incitait pas à l’enthousiasme parce que tous les efforts en ce sens traduisaient un désir de rachat social.

40Le climat politique agité, émaillé de manifestations d’étudiants et empreint d’un fort potentiel de conflits ouvriers, risquait de relancer un populisme folklorique qui reprenait les critiques de gauche envers la modernisation culturelle qui commençait à se manifester dans un pays encore empli de poches diffuses de pauvreté.

41Le territoire devint alors un élément central pour les administrations locales et leurs politiques culturelles, certes, mais aussi pour une myriade d’associations et de cercles, archives et musées dont souvent les financements venaient des localités qui plaçaient au cœur de leur activité les cultures territoriales [Clemente 1997 : 21]. N’oublions toutefois pas que si cette période a favorisé l’éclosion de toute une génération de savants de haut niveau elle a parallèlement inspiré un militantisme de base attiré par le mythe populiste qui proposait un idéal de la culture paysanne antimoderne.

42Il semble que dans sa phase initiale le leghismo ait tiré avantage de ces secteurs intellectuels. La Legaveneta naît en 1980 à l’initiative d’un groupe d’intellectuels réunis en une association culturelle, la Società Filologica Veneta [Diamanti 1993 : 43]. Même si le succès électoral du leghismo doit davantage à sa capacité à exploiter certains thèmes politiques qu’à sa capacité à valoriser l’identité, ce qui compte surtout, c’est que ce phénomène attire des intellectuels provinciaux désireux de trouver un espace qui leur permette de mettre en valeur leur propre petite patrie par le biais des politiques culturelles communales et régionales. Certaines régions comme la Vénétie et le Frioul ont développé une politique culturelle visant à exalter les spécificités locales et identitaires en profitant – c’est le cas du Frioul – des lois concernant la tutelle des minorités linguistiques [Bravo 2001 : 49-50]. La Lombardie et la Vénétie ont récemment modifié les appellations des comités régionaux pour la culture, les transformant en « comité pour les cultures, identités et autonomies de la Lombardie » et « comité des politiques pour la culture et l’identité vénitiennes » [Brunello et Pes 2001 : 9]. La promotion de l’identité grâce aux politiques culturelles est évidente, même si leurs dénominations respectives, avec, pour la Lombardie, un rappel générique au pluralisme culturel et, pour la Vénétie, un accent mis sur l’homogénéité ethnique, suggèrent des équilibres politiques différents dans ces deux régions et semblent avoir eu un impact différent de celui qu’avait eu la proposition identitaire. La politique de promotion identitaire de la Vénétie apparaît plus incisive et agressive. Dans le programme de l’Union régionale vénitienne on lit :

Les Vénitiens aiment leurs racines et leurs traditions mais veulent également les défendre, les confronter à d’autres identités. L’extraordinaire patrimoine du savoir, de la créativité et des ressources accumulé dans notre territoire et documenté au cours des siècles constitue le cœur de notre identité future. Une région qui se projette dans le xxie siècle devra cependant assumer une responsabilité plus grande et plus directe envers le secteur culturel avec une attention particulière et soutenue pour la culture dont la matrice ouvertement régionale s’enracine dans la tradition populaire, le répertoire théâtral et musical, les institutions muséographiques et bibliographiques, la valorisation des biens cultuels et des monuments.

43Cependant nous pouvons observer les premiers signes de fléchissement du binôme petite patrie-grande patrie avec le déclin des identifications politiques traditionnelles et la crise d’un système incapable de faire face aux nouveaux problèmes (la manière dont est collectivement perçue l’immigration extracommunautaire, par exemple) et mis dans l’impossibilité de recourir au traditionnel usage des fonds publics comme moyen de neutraliser les conflits. De fait, la revendication d’appartenance territoriale a retrouvé dans les années quatre-vingt-dix un espace autonome qui, en tant qu’élément polémique, viendrait s’opposer à l’État italien sans pour autant montrer, en tout cas jusqu’à aujourd’hui, la moindre aptitude à faire naître un sentiment d’appartenance territoriale largement partagé et véritable alternative au sentiment d’appartenance nationale.

44En outre, le fait de se rapprocher de façon aussi radicale des politiques identitaires, comme le font les régions et les communes où la Ligue est au gouvernement, prouve que le conflit entre identité locale et identité nationale n’est pas encore désamorcé.

* * *

  • 13 Selon un sondage effectué par Censis en 2001, près de 38 % des Italiens souhaitent accorder plus de (...)

45Un sondage effectué à l’occasion de la fête de la République, le 2 juin 2002, a montré que le sentiment d’appartenance nationale était en pleine croissance. La majorité des citoyens (52 %) voient leur appartenance première dans le fait d’être Italiens – une donnée en augmentation par rapport aux années précédentes –, 88 % au moins se déclarent fiers ou assez fiers d’être Italiens tandis que 8 % seulement des personnes consultées choisissent la région comme élément premier d’identification et, 10 % optent pour la ville dans laquelle ils vivent [Mannheimer 2002]. Bien sûr, les sondages sont plus des indicateurs de tendances que des images précises, et il est évident aussi que l’imminence d’une fête nationale rétablie depuis peu et à laquelle les hauts fonctionnaires ont, ces dernières années, conféré une importance nouvelle, ne peut que renforcer le sentiment d’appartenance nationale chez les personnes interrogées, sans parler du fait qu’il conviendrait d’étudier la répartition territoriale des données. D’autres sondages semblent indiquer que les sentiments d’appartenance territoriale persistent tant et plus, ce que confirme une certaine tendance à estimer que la principale instance politique devrait exercer au niveau local13.

46Cependant, après une décennie d’affrontements symboliques entre local et national ayant pris la forme de menaces sécessionnistes et après une campagne obsessionnelle en faveur du fédéralisme, que souhaite la quasi-totalité des politiques et des intellectuels de la presse, il est incontestable que les citadins qui s’identifient à leur région sont largement minoritaires comparés à ceux dont l’attachement va à la grande patrie. Les récents résultats électoraux de la Ligue indiquent, on l’a dit, que le localisme anti-unitaire n’aurait toujours pas atteint son objectif.

47Les considérations auxquelles nous nous sommes livré jusque-là devraient être quelque peu prudentes pour ce qui est d’attribuer l’actuelle faiblesse de la conscience nationale à la persistance des cultures politiques antagonistes de l’après-guerre ou au rôle excessif joué par le territoire. Que l’identité nationale italienne ait été et demeure faible constitue un topos du sens commun et de certains secteurs de la recherche, mais sous-estime l’unification tardive de l’Italie, pays qui au cours de son histoire n’a connu ni État unitaire ni assemblée représentative qui y soit comparable et aurait d’une certaine manière pu offrir une identité à une équipe politique unitaire. Les activités des principaux partis de l’après-guerre, Parti communiste inclus, exprimaient bien des revendications en matière d’identité nationale avec parfois des heurts et des rivalités sur la manière d’interpréter la patrie. Selon moi, la médiation des politiques culturelles aura aidé à consolider la nationalisation du pays en maintenant entre autres le traditionnel binôme des appartenances territoires-nation, du moins jusqu’aux années quatre-vingt.

48Les perspectives d’avenir semblent bien incertaines. Le pays a atteint un niveau élevé d’homogénéisation culturelle, largement supérieur à ce qu’il était dans le passé. La langue italienne, même si elle cohabite souvent avec un dialecte, est commune à l’immense majorité de la population. Les styles de vie et les modes de consommation paraissent très uniformes. Mais cette homogénéisation pourrait inviter à une quête de distinction culturelle qui rappellerait les cultures territoriales, à l’image de ce que l’on souhaitait présenter au monde. L’évolution de la relation entre identité et territoire dépend de quantité de variables au nombre desquelles figurent la stabilité du système politique et sa capacité à répondre à la demande sociale ; la manière dont s’effectuera la réforme fédérale de l’État et les aspects qu’elle revêtira pourra servir soit à catalyser des tendances centrifuges soit à les apaiser.

49Traduit de l’italien par Éva Kempinski

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Notes

1 Territoire imaginé par les leghisti et situé dans la plaine du Pô.

2 Sur le rôle de mythe national que jouait la Ligue lombarde en 1167, et sur le rôle du serment de Pontida, voir A.M. Banti [2000].

3 Ensemble des ligues.

4 Pour la France, voir A.M. Thiesse [1991 et 1992]. Pour l’Allemagne, voir R. Johler [1995] et R. Petri [2000].

5 Institution qui organise les loisirs des travailleurs.

6 Jusqu’en 1970, seules quelques régions ont bénéficié d’un statut spécial : Trentin-Haut-Adige, Val d’Aoste, Frioul-Vénétie-Giulia, Sicile et Sardaigne.

7 Entretien avec Togliatti dans L’Unità du 8 octobre 1946.

8 Sur le Tyrol du Sud et en général sur la politique linguistique du fascisme, voir G. Klein [1986].

9 On estime qu’entre 1955 et 1971, 9 140 000 personnes ont été déplacées [Ginsborg 1989 : 295].

10 Pour la rencontre entre culture laïque de Croce et marxisme, voir P. Clemente [1976 : 21 sq.]. Pour une reconstruction plus générale, voir P. Clemente [1985] et P.G. Solinas [1985].

11 À la fin des années soixante-dix, Alessandro Portelli écrivait : « Il m’est difficile de penser que l’ouvrier de la Snia Viscosa de Rieti, en situation de chômage, se sent prolétaire quand il défile à Rome avec le syndicat et se transforme, tel le carrosse de Cendrillon, en plèbe méridionale quand il passe avec ses compagnons d’usine [en pèlerinage au sanctuaire de] Vallepietra. » [1980 : 196]

12 Dans un congrès de 1974, Mariano Fresta polémiquait avec « quelqu’un qui a du folklore une vision harmonisatrice et tend à conserver, de manière stéréotypée et métahistorique, les produits de la culture traditionnelle, en les utilisant lors de manifestations touristiques spectaculaires » [1978 : 76].

13 Selon un sondage effectué par Censis en 2001, près de 38 % des Italiens souhaitent accorder plus de pouvoir aux régions, et 27 % aux communes [Rapporto annuale 2001 : 91].

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Pour citer cet article

Référence papier

Stefano Cavazza, « Territoire et identité »Études rurales, 163-164 | 2002, 109-131.

Référence électronique

Stefano Cavazza, « Territoire et identité »Études rurales [En ligne], 163-164 | 2002, mis en ligne le 01 janvier 2004, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/7975 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.7975

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