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AccueilNuméros163-164Peut-on devenir Allemand ?

Résumés

Résumé
L’assouplissement de la loi allemande sur la citoyenneté de 2000 (Staatsangehörigkeitsgesetz) trouve une limite majeure dans les restrictions imposées à la reconnaissance de la double nationalité. Si le principe de la filiation est atténué, l’exclusivité du lien entre citoyen et État reste affirmée. Partant, l’objet du présent article est d’examiner, dans une perspective anthropologico-historique, les possibles articulations du refus du Parlement d’établir une parité entre droit du sang et droit du sol, et la persistance de la notion juridique d’appartenance au peuple allemand (Volkszugehörigkeit). Car cette dernière, en maintenant la distinction entre postulants à la nationalité considérés comme « membres du peuple » et ceux classés « étrangers », risque de générer, de droit et de fait, une hiérarchie des citoyens relevant d’un classement ethnique. Aussi peut-elle contribuer à renforcer le cloisonnement d’aires d’endogamie, ce qui doterait d’une force sociale nouvelle le principe de la filiation au moment même où la loi, allemande comme turque, entreprend d’atténuer les rigueurs du jus sanguinis.

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Texte intégral

  • 1 Staatsangehörigkeitsgesetz de 2000, § 4, alin. 3, qui énonce que cette disposition opère « lorsque (...)

1Ce n’est qu’au terme d’un âpre débat parlementaire et public que le Bundestag allemand approuva l’entrée en vigueur au 1er janvier 2000 de la Loi sur la nationalité ou Staatsangehörigkeitsgesetz. Ce statut entame, fût-ce de manière réticente, l’empire exclusif du « droit du sang », clé de voûte de la Loi sur la citoyenneté du Reich et de l’État ou Reichs- und Staatsangehörigkeitsgesetz, promulguée le 22 juillet 1913 et restée en vigueur depuis lors, y compris sous la dictature nazie, puis en République fédérale d’Allemagne. Cette loi permet à des étrangers d’origine non germanique ayant résidé pendant huit ans en Allemagne, au lieu de quinze précédemment, de demander la nationalité allemande sous réserve d’être titulaires d’un permis de séjour, de jurer fidélité à la Loi fondamentale et de réussir une épreuve de langue dont les modalités varient d’un Land à l’autre. Par ailleurs, elle stipule que « par la naissance sur le territoire du pays (im Inland) un enfant de parents étrangers acquiert la nationalité allemande »1. Toutefois, l’enfant y ayant accédé jure soli doit opter entre 18 et 23 ans pour la conserver et renoncer à celle(s) que ses parents lui ont transmise(s) jure sanguinis. L’assouplissement des conditions d’accès à la nationalité trouve ainsi une limite majeure dans les restrictions imposées à la reconnaissance de la double citoyenneté. Si le principe de la filiation est atténué, l’exclusivité du lien entre citoyen et État reste affirmée. Or, c’est ce large refus de la double allégeance, plus que la centralité du jus sanguinis, me semble-t-il, qui distingue désormais le droit allemand du droit français ou turc, pour ne citer que ces exemples, tout en le rapprochant des traditions de certains pays d’Europe centrale.

2Tandis que la définition de la citoyenneté allemande se modifie sans changer de nature, assiste-t-on aujourd’hui, pour la première fois de l’histoire, au regroupement de presque tous les Européens d’origine allemande sur le sol d’un État unique aux frontières incontestées ? Si tel est le cas, cette consécration tardive d’une nation, dont l’identité et l’autoperception se déclinent encore largement en termes monoethniques, s’opère au moment où l’Union européenne, pour sa part, se dote d’une loi constitutionnelle supranationale, esquisse une citoyenneté commune et débat de l’éventuelle adhésion de la Turquie. En même temps que cette Europe s’élargit ainsi à un espace (inter)continental, les populations des pays qui la composent affichent une diversité culturelle et confessionnelle croissante. En Allemagne, l’établissement d’importantes communautés étrangères, de traditions souvent islamiques, conduit à poser en termes hiérarchiques les rapports entre cultures. Le « débat sur la culture dirigeante », Leitkulturdebatte [Arns 2001], lancé par la droite parlementaire (CDU/CSU) en 1999 pour contrer l’introduction de la double nationalité prônée par le SPD et les Verts en est sans doute la meilleure illustration. Il pourrait se résumer comme suit : dans un pays où la multiculturalité est une donnée de fait, la coexistence de communautés diverses, maintenant chacune sa spécificité, ne requiert-elle pas de la part de toutes la reconnaissance active des valeurs « essentielles » de la culture autochtone ? Mais, pourrait-on répondre, le fait même que l’on forge le concept de Leitkultur indiquerait que l’hégémonie de cette dernière ne va nullement de soi [Nassehi 2001 : 8]. Or, le décalage manifeste des tendances ici évoquées, allemandes et autocentrées d’un côté, européennes et transnationales de l’autre, ne peut se comprendre sans faire référence aux mutations politiques et systémiques que connut l’Allemagne au xxe siècle.

  • 2 Cf., par exemple, la carte « Allemagne, articulation politique » de l’atlas scolaire Diercke (1957)

3Le Reich allemand, dont la République fédérale d’Allemagne s’érigea en État successeur, ne cessa d’exister en droit, à bien des égards, qu’avec la réunification. Après 1945, le Reich hanta longtemps et significativement les cartes administratives et atlas scolaires2 de RFA. La patrie virtuelle était dessinée par un tracé rouge qui visualisait « pour mémoire » les frontières telles que fixées au 31 décembre 1937, avant, donc, l’Anschluß, le dépècement de la Tchécoslovaquie, l’écrasement de la Pologne et la « réintégration » de l’Alsace-Lorraine. Selon ce graphisme, officiellement sanctionné, l’emprise étatique s’étendait encore, symboliquement sinon juridiquement, « de la Meuse jusqu’au Niémen », rappelant ce verset bien connu, pourtant interdit, de l’hymne national. Sur les zones représentant les régions cédées à l’est de la ligne Oder-Neisse en 1945 figurait la mention « sous administration polonaise » ou « soviétique », comme pour mieux souligner la nature à la fois provisoire et injuste de ces amputations territoriales. Les frontières de la RDA, quant à elles, étaient suggérées par un discret pointillé…

  • 3 Avec la translation vers l’ouest de l’État polonais, plus de 9 millions d’Allemands sont expulsés d (...)

4En cette « heure zéro » de démembrement territorial, de transposition des frontières, d’expulsions et de transferts, par millions d’individus, de populations allemandes, certes, mais également baltes, polonaises, ukrainiennes et autres3, clairement conduits dans un esprit de revanche, avec l’appui du pouvoir soviétique, seule la citoyenneté incarnait, aux yeux des fondateurs de la RFA, une intégrité nationale qu’aucun aléa politique, aucune défaite ne pouvait ébranler. Cette citoyenneté allemande unique devait maintenir intègre la « Germanité », das Deutschtum, en tant que communauté supraterritoriale mais juridiquement structurée. Aussi la volonté de la RFA de représenter tous les Allemands, dite Alleinvertretungsanspruch, fut-elle maintenue après la reconnaissance réciproque de la RDA et de la RFA en tant qu’États en 1972. Dans le cas de la RFA, la non-correspondance entre citoyenneté et juridiction territoriale eut pour conséquence, entre autres, un renforcement notoire du rôle de la raison généalogique dans la reconstruction de la nationalité.

  • 4 Art. 116 de la Loi fondamentale de 1949, Loi sur les étrangers de 1993, Loi réformant le droit de l (...)

5Compte tenu de ces antécédents, le jus sanguinis de 1949 n’est ni celui de 1913, ni celui de 1933. Le « droit du sang », terme combien propice aux glissements sémantiques, ne relève pas, en 2000, comme on l’affirme parfois hâtivement, d’une tradition allemande univoque, figée depuis le début du xixe siècle, voire d’un tropisme culturel propre au Volksgeist [Brubaker 1992 ; Gosewinkel 2001 : 18 sq.]. En revanche, sa mise en œuvre reflète les séquelles de la perte forte de souveraineté étatique, intervenue en 1945, aussi bien que les courants migratoires émanant de l’Est et du Sud, qui, bon gré mal gré, firent de la RFA une terre d’immigration. En droit, il persiste, certes, à travers le xxe siècle, un principe généalogique, une quasi-exclusivité accordée à la filiation, patrilinéaire jusqu’en 1953, pour assurer la transmission individuelle de la nationalité. Cependant, le jus sanguinis s’articule de manière fort différente, selon les époques, aux critères, également fondateurs du droit de la nationalité, d’affiliation par descendance au peuple allemand et d’appartenance revendiquée à une communauté de civilisation transnationale, c’est-à-dire la Volkszugehörigkeit. Après 1945, le droit de la RFA consacra par étapes successives4 ce double fondement de l’appartenance, créant l’illusion d’une continuité juridique pour mieux maintenir le rêve d’une Allemagne unie. Cette jurisprudence offrait une réponse, en apparence codifiée et neutre mais en réalité émotionnellement très chargée, aux expulsions de masse des anciens territoires orientaux intervenues de 1944 à 1950. Aussi était-ce un rejet du communisme. Puis, victime de l’image, qu’elle avait elle-même forgée, d’une permanence du droit par-delà les vicissitudes de l’histoire, la jurisprudence aboutit à nier par défaut l’évidence d’une pluralité culturelle croissante, désormais au cœur de l’identité allemande.

6L’objet du présent article est d’examiner, dans une perspective anthropologico-historique, les possibles articulations du récent refus du Parlement d’établir une parité entre droit du sang et droit du sol dans la Loi sur la nationalité, et la persistance, au-delà du 1er janvier 2000, de la notion juridique d’appartenance au peuple allemand (la Volkszugehörigkeit) [Röben 1998]. Le point de départ de cette réflexion est anecdotique, mais mérite, je crois, d’être mentionné : un matin d’août 1999, les informations diffusées par la Deutsche Welle, radio publique, firent état de l’avancement d’une enquête criminelle sur un attentat commis quelques jours auparavant ; la locutrice évoqua l’éventuelle implication d’un Marokkaner mit deutschem Paß, d’un « Marocain au passeport allemand ». Certes, les références aux « Allemands de passeport » (Paßdeutsche) ne sont pas absentes du discours quotidien. Mais la diffusion, même ponctuelle, d’un tel lapsus par un média officiel soulève une question de fond que les sciences sociales ne peuvent esquiver. Peut-on devenir allemand et, si oui, sur quelles bases culturelles, juridiques et sociologiques ? L’approche adoptée ici, pour tenter de répondre à cette interrogation, ne pourra être que très partielle. Elle ne saurait rendre justice à la vaste littérature allemande de ces dernières années – scientifique, technique et journalistique – sur le thème des transformations de la citoyenneté. Aussi me bornerai-je à considérer les effets de la notion de filiation (Abstammung), dans certains de ses avatars historiques, sur la disponibilité ou, au contraire, sur le refus du législateur – ou du citoyen – d’admettre que l’affiliation à la nation puisse être autre qu’exclusive.

Qu’est-ce qu’être Allemand ?

7Il serait inexact de prétendre que la tradition juridique allemande rejette en bloc la double nationalité [Röper 1999 : 548-554]. Mais elle tend en effet à subordonner celle-ci à l’appartenance à la communauté culturelle germanique, indépendamment de la provenance territoriale des personnes. Il en résulte une application asymétrique du droit de la citoyenneté. D’un côté, la double appartenance est largement tolérée lorsqu’il s’agit de « préserver la germanité » de personnes désignées, dans un foisonnement lexical qui traduit la gêne du législateur, comme appartenant au peuple allemand, ces Volkszugehörige se subdivisant, selon leurs âge, pays ou circonstances d’émigration, en « Allemands de l’étranger », Auslandsdeutsche, « de souche », Deutschstämmige, « du peuple », Volksdeutsche, « expulsés », Vertriebene, « émigrés », Aussiedler, ou « émigrés tardifs », Spätaussiedler [Bundeszentrale für Politische Bildung 2000 ; Münz 1998]. De l’autre, même depuis le 1er janvier 2000, elle n’est accordée qu’au gré de longs détours et de complexes décrets d’application à des postulants dont on ne reconnaît pas la germanité [Beauftragte der Bundesregierung für Ausländerfragen 2002 : 53-58]. On comprend mieux que certains observateurs, et en tout premier lieu les intéressés non germaniques, puissent considérer que la qualité d’Allemand est perçue par les autochtones comme primordiale. Dès lors, la double citoyenneté d’un membre du peuple – allemande-ukrainienne, par exemple – apparaît aux yeux de la loi comme un fait de circonstance qui n’effleure ni l’identité première de la personne ni son allégeance à l’Allemagne. Inversement, dans cette perspective, l’acquisition de la nationalité allemande par toute autre personne – notamment non européenne – ne saurait transmuter son identité première, permanence susceptible, en revanche, de miner son allégeance à l’Allemagne. D’où le « Marocain au passeport allemand ».

  • 5 « Es kennzeichnet die Deutschen, dass bei ihnen die Frage “was ist deutsch ?” nie ausstirbt. » [Nie (...)

8Revenons donc à cette question lancinante, « qu’est-ce qui est allemand ? », dont la spécificité, en Allemagne, serait, selon Nietzsche, de demeurer posée à jamais5. Selon l’article 116 de la Loi fondamentale de 1949 : « Est Allemand […] quiconque possède la nationalité (Staatsangehörigkeit) allemande ou a été admis sur le territoire du Reich allemand tel qu’il existait au 31 décembre 1937, en qualité de réfugié ou d’expulsé appartenant au peuple allemand (Vertriebener deutscher Volkszugehörigkeit), ou de conjoint ou de descendant de ces derniers. » Tautologie assortie d’une restriction territoriale et d’une extension parentale. La constitution combine ainsi deux modes d’accession à la nationalité allemande qu’il importe de distinguer. D’une part, la nationalité est conférée, lors d’une naissance légitime, par un père ou, depuis 1975, également par une mère allemande, quel que soit le lieu de naissance de l’enfant : l’application du jus sanguinis ne connaît nulle frontière étatique. Ce mode d’accession découle de la filiation directe de l’individu et non de l’appartenance à une quelconque communauté. D’autre part, un jus soli défini par la résidence légale sur un territoire administré en partie seulement par des autorités d’occupation, puis allemandes après le 8 mai 1945, à la condition d’avoir été expulsé des provinces cédées par le Reich à cette même date. Cette stipulation, formellement non exclusive en termes ethniques, repose, nous l’avons vu, sur une fiction juridique destinée à préserver l’idée d’une continuité étatique par-delà les changements de régime et la fragmentation territoriale qui s’ensuivit. Elle est inscrite dans la durée grâce à une clause d’alliance matrimoniale non conditionnée par une appartenance culturelle héritée de l’un des époux et grâce à un critère de descendance impliquant non plus le seul enfant biologique mais un ensemble peu spécifique de consanguins et d’alliés de culture allemande ou non. Ainsi, l’unité parentale de référence, non délimitée pour ce qui est des générations, n’est plus la seule progéniture légitime d’un Allemand mais bien la Sippe, unité cognatique aux contours flous, terme que l’on peut rendre, faute de mieux, par « famille étendue » ou « parentèle ».

9De la sorte, l’expulsion, vers le territoire de 1937, désigné dans le jargon nazi comme l’Altreich ou « ancien Reich » (par opposition au Großdeustches Reich ou « Reich grand-allemand »), d’une personne originaire d’Europe centrale ou orientale, considérée comme allemande, établit en définitive une possible continuité en matière d’octroi de la citoyenneté dépassant de plusieurs générations la chute du régime hitlérien. Cette définition fut acceptée comme politiquement correcte par les Alliés occidentaux dans la mesure où elle n’entérinait pas symboliquement les conquêtes nazies tout en niant la légitimité de la RDA et, par prétérition, des autres régimes communistes européens. Elle exclut pourtant d’un légitime droit d’accueil les millions de personnes, germaniques mais en quelque sorte extra-territoriaux, pouvant être considérées, à divers titres, comme allemandes mais non établies à l’intérieur des frontières de 1937, et dont le nombre était estimé, en 1939, à 8,6 millions [Bundeszentrale für Politische Bildung 2000 : 3].

  • 6 Il s’agit des Reichsbürgergesetz et Gesetz zum Schutz des deutschen Blutes und der deutschen Ehre d (...)

10Cette discordance notoire ne pouvait être explicitée dans la Loi fondamentale de la RFA – et a fortiori dans la constitution de la RDA – sous peine de paraître justifier une conception culturelle mais aussi biologique de l’identité nationale. Il fallait en effet éviter toute allusion à la Volksgemeinschaft ou « communauté du peuple ». Car ce terme de démographie, entré en vogue avant 1933, fut dévoyé par les idéologues nazis. Pour ces derniers il dénotait l’ensemble des Volksgenossen ou « camarades du peuple » ayant en partage « le sang allemand » tel que défini par les lois raciales dites de Nuremberg6, dont l’une traitait de la « citoyenneté du Reich » et l’autre, étroitement complémentaire, de la « protection du sang allemand et de l’honneur allemand ». Il s’agissait donc de circonscrire sans référence « organique » l’entité constituée par tous ceux qui, après la chute de la dictature brune, se reconnaissaient encore en la Germanité sans pourtant exclure ceux qui lui furent assignés de force, notamment en Pologne occupée. Or, l’expression « appartenance au peuple allemand », considérée après 1945 comme plus symbolique que pratique, eut un destin inespéré : face à l’afflux massif d’Allemands « ethniques » d’Europe centrale et orientale après 1988, la Volkszugehörigkeit dut être redéfinie dans un souci de justice historique, certes, mais également pour en cerner la portée juridique.

  • 7 Bundesvertriebenengesetz, § 6 (Volkszugehörigkeit) : « Deutscher Volkszugehöriger […] ist, wer sich (...)

11Ce fut tout l’objet de la Loi fédérale sur les expulsés de 1993, révisée en 2001, selon laquelle est « membre du peuple allemand quiconque, dans sa terre d’origine, s’est reconnu dans la Germanité dans la mesure où cette profession [d’appartenance] est corroborée par certains traits comme la descendance, la langue, l’éducation [ou] la culture »7. Selon Röben [op. cit.], « la manifestation d’appartenance à la Germanité (Bekenntnis zum deutschen Volkstum), qui présuppose la capacité d’exprimer cette profession et qui dut intervenir avant le commencement des mesures générales d’expulsion, est constituée d’un fait intérieur, qu’est la volonté, portée par une conscience correspondante, d’appartenir exclusivement au peuple allemand en tant que communauté de culture [ou civilisation], et d’un fait extérieur, consistant à faire connaître cet état de conscience ». Bref, il s’agit de la reconnaissance du fait que sa personne est animée par l’esprit d’un peuple, et de nul autre : le Volksgeist. À cette profession identitaire, qu’un Leo Frobenius aurait qualifiée d’Ergriffenheit, de « saisissement », acte politique fort dans le contexte d’après 1945, mais également conviction de nature quasi religieuse, s’ajoutent d’autres critères ou traits manifestes, ci-dessus énumérés. Ceux-ci nuancent singulièrement l’importance de la filiation directe parent-enfant au profit de celle d’appartenance à une Sippe, cette parentèle au sein de laquelle la descendance et l’ethnicité, ciments d’une civilisation (Kultur), s’allient pour donner la définition à la fois la plus large possible et la plus immune au passage du temps de la Germanité. Cette lecture presque essentialiste donnerait à penser que l’on naît allemand, l’on est Allemand, que nulle conversion ne peut faire surgir cette qualité. Mais, restant dans une perspective plus étroitement anthropologique, on peut conclure que l’appartenance au Deutschtum n’est pas déterminée par le seul jus sanguinis, au sens restrictif du droit romain, mais par une transmission généalogique double, qui associe filiation directe et affiliation parentale et culturelle. Cela correspond d’ailleurs à la double connotation du terme Abstammung qui désigne à la fois la filiation et la descendance. Cette appartenance intime est posée en droit comme psychologiquement et moralement exclusive. Elle n’exclut certes pas à titre formel la double nationalité mais peut paraître questionner, par anticipation, l’authenticité de toute conversion culturelle. Ainsi, en termes logiques, l’appartenance au peuple précède, fonde la citoyenneté qui, dès lors, plus qu’un statut juridique, relève d’une « profession de foi », Bekenntnis.

Antécédents historiques

  • 8 En 1910 la Prusse comptait 11,6 % d’habitants d’origine non allemande [Röper op. cit. : 546].

12Dans l’Allemagne d’avant 1871, chaque État fédéré disposait d’une citoyenneté, mais la nation allemande en était dépourvue. La condition de sujet n’impliquait pas de partager l’appartenance nationale du souverain. Frédéric-Guillaume III de Prusse (1770-1840) avait, en son temps, reconnu à ses sujets polonais le droit de s’affirmer en tant que tels, notamment par l’usage de leur langue et le droit d’assemblée. Car son objectif était l’intégration étatique et non l’imposition de l’homogénéité ethnique8. Cependant, la loi prussienne « sur [le statut] des sujets » (Unterntanengesetz) de 1842, comme celle des autres États allemands, pose la filiation patrilinéaire, établie dans le cadre du mariage ou par légitimation, hormis toute référence à l’appartenance nationale, comme source première de la citoyenneté.

13L’adoption, en revanche, n’était reconnue à cette fin que dans une minorité d’États. Doit-on interpréter cette restriction comme le reflet précoce d’arrière-pensées « biologisantes » ? En effet, la non-reconnaissance de l’adoption pouvait être invoquée de manière discriminatoire pour empêcher l’accès de juifs adultes, notamment polonais, à la citoyenneté. Toutefois, rien ne démontre que la réaffirmation du principe de la filiation biologique en 1871, à l’échelle du Reich, fût attribuable à une démarche d’inspiration raciologique. La question de l’adoption peut paraître secondaire mais nous met en garde contre une lecture anachronique de la notion de Abstammung, qui viendrait appuyer une thèse abusive de continuité dans la « voie vers Nuremberg ». D. Gosewinkel [op. cit. : 170-171] avance une autre interprétation de la disparité entre filiation biologique et adoptive, selon laquelle l’enjeu pour l’État était de préserver intact son monopole décisionnel en matière d’attribution de la nationalité. Cette hypothèse paraît d’autant plus convaincante qu’à l’époque de la fondation du IIe Reich, la vision de l’appartenance au peuple allemand propagée par des chantres de la pensée völkisch aussi « éminents » que le pasteur Adolf Stoecker ou Paul de Lagarde ne renvoyait nullement à un racisme biologique. En 1878, dans une déclaration devenue quasi proverbiale, ce dernier affirmait que « la germanité ne réside pas dans le sang mais dans l’âme ». Dans cette perspective, la nationalité ne se fonde pas sur « la descendance d’un seul et même ancêtre apical » mais consiste à partager une certaine conception du sacré, bref une « religion de la nation » [Lagarde 1933 : 93-94]. Cette vision exclut, il est vrai, ceux qui ne partagent pas cet « idéal », mais non en raison d’une altérité biologique.

14Le Reich de Bismarck s’empressa d’établir une citoyenneté impériale ou Reichsangehörigkeit, mais le domaine d’application de celle-ci ne convergeait pas avec l’aire d’implantation, combien dispersée, des communautés qui se reconnaissaient dans la nationalité allemande, soit en deçà des nouvelles frontières de l’Allemagne, empire pluriethnique, soit au-delà, dans la diaspora germanique de l’Est européen. L’unification territoriale opère donc de façon à la fois intégrante et excluante. Tandis qu’elle confère citoyenneté – et obligations militaires – aux germanophones d’Alsace-Lorraine, elle entérine la non-intégration des germanophones d’Autriche-Hongrie et de l’Empire russe. Elle marque la fondation d’un État national mais non d’un État-nation. Ainsi, en 1871, « l’appartenance au Reich » ne préjuge aucunement de la germanité de la personne, ni inversement. Et cela suppose, dans la bonne tradition d’Europe centrale et orientale, de distinguer citoyenneté et nationalité : Nationalität, néologisme d’emprunt, apparaît ici comme presque synonyme de Volkszugehörigkeit.

  • 9 Reichs- und Staatsangehörigkeitsgesetz de 1913, § 8.
  • 10 Selon le recensement de 1910, 5,9 millions des 65 millions de sujets du Kaiser n’étaient pas de lan (...)

15Tout comme la Prusse de Frédéric-Guillaume III, l’empire wilhelminien reconnaissait à ses sujets, bon gré mal gré, un droit à la diversité culturelle. La maîtrise de l’allemand n’était pas une condition sine qua non de la naturalisation9, et, perpétuant la tradition prussienne, assez libérale en la matière, le sujet de langue ou de culture non allemande10 transmettait la citoyenneté à ses enfants. Cependant, la politique des nationalités éroda assez rapidement les droits effectifs des minorités, codifiant une xénophobie qui culmina dans l’expulsion de quelque 32 000 résidents polonais non citoyens en 1885. Si la Reichsangehörigkeit des sujets non allemands de l’empereur ne fut pas remise en cause, une politique foncière visant à germaniser les terres de propriétaires polonais de l’Est prussien fut mise en œuvre en 1886 et maintes restrictions furent imposées dans l’usage des langues minoritaires. « Ces mesures, prises dans leur ensemble, constituèrent un droit étatique d’exception, qui créa, à partir de critères ethnoculturels, des classes de citoyens par nationalité. Il émergea un droit “à double fond”, en contradiction avec l’idée fondamentale de l’égalité devant la loi, qui était à la base autant du principe de l’État de droit que de la constitution prussienne. » [Gosewinkel op. cit. : 216]

16Dans l’Allemagne impériale, toutefois, la primauté du principe de filiation biologique et l’émergence d’une politique des nationalités discriminatoire n’impliquaient pas un refus de principe de la double nationalité. « L’étranger qui souhaite être naturalisé dans le Reich allemand ne doit pas – selon le droit allemand – renoncer à sa citoyenneté allemande. De même, selon la loi du Reich du 1er juin 1870, « l’acquisition d’une citoyenneté étrangère par un Allemand n’a pas pour conséquence la perte de la citoyenneté allemande » [Meyers et Anschütz 1905 : 259, cités in Röper 1999 : 549]. La tolérance de la double nationalité s’exerçait, de manière sexuellement asymétrique, dans le cadre du mariage. L’épouse étrangère d’un Allemand ainsi que leurs enfants devenaient aussi Allemands, tandis que l’Allemande qui épousait un étranger prenait la nationalité du mari. Les étrangers au service du Reich – militaires, fonctionnaires ou assimilés – pouvaient également prétendre à la nationalité. Néanmoins, ces dispositions ne relevaient pas d’un droit universel du citoyen mais étaient conçues pour renforcer, selon le cas, les prérogatives du mari ou de l’État.

17Les traits que nous venons d’évoquer trouvèrent toute leur place dans la loi de 1913, destinée à rester en vigueur sans changements majeurs, sur une partie du territoire, jusqu’à l’an 2000 et, à bien des égards, au-delà. Mais comment avaler l’idée d’une continuité juridique dans la définition de la citoyenneté alors que la nature même de l’État qui confère cette dernière connut, après 1918, plusieurs mutations brutales ?

18Das deutsche Volk, einig in seinen Stämmen… : « Le peuple allemand, uni dans ses tribus [ou souches]… » C’est par ces paroles que débute la constitution républicaine du 11 août 1919, rédigée en opposition marquée à celle de 1871, qui avait fondé entre le roi de Prusse, au nom de la Confédération de l’Allemagne du Nord, et les souverains du Sud une « alliance éternelle […] pour la défense du territoire de la fédération […] et pour promouvoir le bien-être du peuple allemand ». Ainsi, le Reich de 1871 fut une union des États allemands ; celui de 1919 se proclame État-nation. La Loi fondamentale de 1919 définit une « communauté étatique de tout le peuple allemand », un Staatsvolk, lequel, souverain, dote « son Reich » d’une constitution [Anschütz 1960 : 32]. Ce Reich, qui a cessé d’être une monarchie, n’est autre que le peuple souverain dans son unité juridique ; il n’est conçu ni comme un empire ni comme une entité territoriale : « Le Reich, c’est nous », à savoir la communauté des Allemands [id.]. L’unité de ce peuple-nation, Volk, paraît reposer sur une vision biologique dans la mesure où elle suppose la fusion des souches, des lignées, Stämme, ces « membres naturellement constitués », naturwuchsige Gliederungen [id.]. Cette métaphore corporelle pose en creux la question du devenir des communautés allemandes qui subsistent hors de la juridiction du Reich. Toutefois, les conditions politiques dans lesquelles furent opérées les cessions territoriales au profit de la France ou de la Pologne reconstituée interdirent de formuler ouvertement la non-convergence flagrante entre les aires d’implantation dispersées du peuple allemand et les frontières de son État territorial amputé. De la sorte, aucune allusion aux populations de traditions allemandes des États nés des ex-empires déchus, austro-hongrois et russe, ne transperce dans ce texte. De surcroît, l’instrument qui définit l’« appartenance au Reich et à l’État », Reichs- und Staatsangehörigkeit, de la personne, c’est-à-dire la citoyenneté, demeure fondé, comme sous le régime impérial, sur le principe presque exclusif de la descendance, Abstammung, et, plus spécifiquement, de la filiation en ligne paternelle. Cette norme prévaut quel que soit le lieu de naissance de l’individu. Ainsi, en droit, est citoyen(ne) allemand(e) tout enfant biologique et légitime d’un citoyen du Reich allemand. L’affiliation culturelle à la Germanité n’entre pas en considération.

19Rapidement, pourtant, la relation entre filiation individuelle et affiliation nationale émerge, sous la république de Weimar, comme objet de débat politique. D. Gosewinkel [op. cit. : 361] relate à ce propos une discussion fort significative, survenue en 1926 entre le ministre de l’Intérieur de Prusse, Albert Grzesinski, et ses collègues d’autres Länder, concernant la politique de naturalisation. Grzesinski, préfigurant une controverse tout à fait actuelle, propose de remplacer la notion de Deutschstämmigkeit, le fait d’être « Allemand de souche », par celle de Kulturdeutscher ou « Allemand de culture ». Par ce biais serait remise en cause la primauté du jus sanguinis comme critère d’appartenance. Cela donnerait accès à la citoyenneté, non seulement aux « Allemands ethniques » non enfants de citoyens, mais, en théorie du moins, à tout Mitteleuropäer de culture germanique. Il importe d’ajouter que « l’initiative [prussienne] visait à ne pas exclure de juifs [notamment polonais] par l’exigence de filiation allemande » [ibid.] et rencontra une vive opposition des autres Länder. L’argument des contradicteurs de Grzesinski pourrait se résumer ainsi : la Germanité réside certes dans l’âme et non dans le sang, mais cette âme s’hérite, elle ne se réduit nullement à un vernis culturel que tout un chacun peut s’approprier. Cette dispute conduit à s’interroger sur l’ambivalence des notions de Volk et de Volkstum, qui sous-tendaient alors la politique de naturalisation.

  • 11 Le terme est développé pour la première fois par le théologue et philologue Friedrich Ludwig Jahn ( (...)
  • 12 Cf. Der Grosse Brockhaus (1957, T. III, pp. 128-130).

20Le Volkstum11 peut être défini comme l’ensemble des manifestations vitales (Lebensäusserungen) ou expressions culturelles d’un peuple, codéterminées par la communauté de descendance (Abstammung), d’espace vital (Lebensraum) et de destin national (Volksschicksal). S’y articulent donc spécificité ethnique et transmission identitaire par filiation ou affiliation. Or Volkstum trouve des résonances dans les termes Deutschtum, germanité, Polentum et Judentum, se référant à des peuples qui ont largement partagé territoire et histoire. Cependant, ils n’ont pas d’analogues applicables aux nations, sans doute plus « étrangères », qui avoisinent les Allemands à l’ouest ou au sud. Ces vocables, tantôt assez neutres, tantôt chargés de connotations racistes, désignent aussi bien l’ensemble des personnes appartenant à une communauté ethnonationale donnée que les valeurs identitaires censées fonder leur particularité. Ils sont non homologues : dans le cas des juifs, Judentum se réfère-t-il à une identité nationale ou religieuse ? Ces ambiguïtés renvoient à celles qui caractérisent le terme Volk lui-même, « peuple » au sens courant mais également « ethnonation », alliance de ces souches ou « tribus » auxquelles se réfère la constitution de Weimar (Bavarois, Francs, Saxons, etc.), bref die deutschen Stämme se reconnaissant dans une communauté culturelle qui transcende leurs particularismes12.

21Une spécificité majeure de la politique nazie consista à essentialiser la notion de Abstammung en postulant une différence qualitative des hérédités biologiques censées la transmettre. Dès lors, on ne reconnaissait plus de filiation, au sens strictement générationnel, vecteur d’une citoyenneté unique, mais des filiations substantiellement incompatibles qui devaient être distinguées et hiérarchisées en droit afin d’assurer ou de rétablir la « pureté du sang », désormais national. Cela eut pour conséquence, sur le plan de la logique raciale, de fondre les ascendances individuelles et collectives « propres à l’espèce », attribuant ainsi, par répercussion, à la notion de « communauté du peuple », Volksgemeinschaft, le caractère d’un groupe de descendance homogène. Dans cette perspective, l’individu disparaît dans la Sippe, la Sippe dans le Stamm, le Stamm dans le Volk, le Volk dans la Rasse. Par le biais de ces transformations sémantiques en série, le citoyen fut gommé au profit du Volksgenosse, du « camarade du peuple » partageant avec ses pairs un héritage racial et culturel qui transcendait le mélange de « souches raciales » dont était prétendument issu le peuple allemand [Conte et Essner 1995]. On comprendra que la notion de « citoyen du Reich » ou Reichsbürger des juristes nazis n’avait que peu de référents en commun avec celle de Reichsangehörige, au sens de la loi de 1913, qui demeura pourtant, formellement, en vigueur après la proclamation des lois raciales [Essner 2002].

22À cette mutation de la notion d’appartenance nationale s’ajouta une politique de regroupement territorial visant à « rappeler dans le Reich », au gré de l’extension du concept de filiation, les populations « de souche allemande » établies au-delà des frontières. En sens inverse, les terres d’Europe centrale et orientale où cohabitaient, depuis des générations, Allemands et non-Allemands étaient déclarées zone de colonisation, où le concept de « degré de germanité », analogue à celui de « degré de judaïté », allait donner naissance à une hiérarchisation interne de la « communauté du peuple », liant organiquement le sang et le sol, Blut und Boden.

L’ère nazie

  • 13 Lettre de Himmler à Forster du 26 novembre 1941, citée in M. Burleigh [1988 : 185].
  • 14 Archives fédérales de Coblence (BAK) R 22/852, f° 207 et 209, citées in É. Conte et C. Essner [1995 (...)

23Avec l’extension des conquêtes nazies s’imposa la nécessité d’identifier l’« allogène » afin de mieux le neutraliser dans la « lutte des races », Rassenkampf. L’exigence classificatoire amène à vouloir définir le « corps du peuple » allemand, non en termes de substrats raciaux collectifs (alpin, dinarique, nordique, etc.), à l’enseigne de l’anthropologie classique, mais, d’après Himmler, par une sélection raciologique, à l’individu et à la famille près. Car, comme ce dernier le rappela au Gauleiter Forster de Dantzig-Prusse-Orientale, soupçonné de « germaniser du tout-venant racial », « vous-même êtes un national-socialiste de si longue date que vous devez savoir qu’une gouttelette de mauvais sang qui pénètre dans les veines d’un individu ne peut jamais plus en être extraite »13. Or, bien des obstacles scientifiques et pratiques entravent le recensement exhaustif. Comme le précisa d’emblée le ministre du Reich de la Justice, Gürtner, en mai 1934 lors d’une délibération relative aux lois raciales : « Dans l’état actuel des choses, nous ne pouvons cerner la notion d’allogénéité raciale qu’en travaillant à partir de la généalogie. Cela est de notre point de vue quelque chose d’affreusement primitif, parce que […] les traits raciaux héréditaires récessifs et dominants sautent des générations. Cela nous oblige à être méfiants. Il nous faut une charpente, serait-elle grossière, et cette charpente, c’est l’arbre généalogique. »14

24Le mode de calcul généalogique adopté par les « experts-raciologues » suppose une vision à la fois essentialiste et fractionnelle de la « pureté du sang ». Cette méthode dérive de celle fixée par les décrets d’application du 14 novembre 1935 des lois de Nuremberg. Est considérée juive toute personne ayant deux parents ou trois grands-parents juifs. Mais qui est Juif ? Tandis que la Loi sur la protection du sang allemand et de l’honneur allemand du 15 septembre 1935 est conçue autour du concept de « sang allemand », nulle mention n’est faite d’un « sang juif », comme si l’on estimait, à l’instar de Dühring [1881 : 143], que la « religion des Juifs devient le signe distinctif de la race ».

  • 15 Cf. commentaire du premier décret d’application de la Loi de protection du sang allemand, in A. Güt (...)

25Même si l’on considère résolue par décret l’opposition entre race et religion comme critère déterminant de l’appartenance au peuple juif, lui-même défini par les nazis comme le résultat d’un métissage racial, force est de constater que la loi se heurte à une deuxième pierre d’achoppement, à savoir la « question des métis ». Certes, le Mischling naît d’un parent « de sang allemand » et d’un parent « juif », mais nul ne parvient à établir une classification logiquement adéquate des degrés de métissage. Car la contradiction persiste, aux yeux des raciologues et juristes, entre les statuts biologique, confessionnel et politique du « demi-juif » ou « métis de premier degré ». Quelle part en lui prévaut sur l’autre ? Contrairement aux « métis de deuxième degré » dont le « quart de sang juif » peut, maintient-on, être « résorbé » par le « corps du peuple allemand », raison suffisante pour autoriser les intéressés à épouser des Allemands « de pur sang », la catégorie des « métis de premier degré » est scindée en deux au regard du mariage. Les « demi-juifs » classés « juifs » en raison de leur appartenance confessionnelle ou de celle de leur conjoint sont déclarés « valant-juifs » (Geltungsjuden) et exclus en conséquence du champ de la citoyenneté du Reich. Ceux comptant deux « pleins juifs » parmi leurs grands-parents se voient octroyer le statut de « citoyens du Reich à titre préliminaire », comme la majorité des « citoyens de l’État de sang allemand ou apparenté ». Mais tout « citoyens du Reich » qu’ils sont, les « métis de premier degré » se singularisent par le mode de choix du conjoint qui leur est prescrit15. L’élection d’un époux juif, perçue comme une infamante hypogamie raciale, était tolérée mais entraînait l’attribution automatique du statut de « plein juif ». Le mariage avec un partenaire « de sang allemand » était inscrit dans la loi et subordonné à la délivrance d’une autorisation. Seul le mariage avec un individu de même classe est universellement admis et ne suscite aucun danger d’affectation à une nouvelle catégorie. L’exigence d’« isogamie raciale », qui vise à restreindre les « capacités de reproduction » des « demi-juifs », devait occasionner à terme la ségrégation totale de la « race des métis », garantissant ainsi la « pureté » de la population « de sang allemand » sans même que l’on dût envisager un « traitement spécial » [cf. Essner 2002].

26Cette logique inspirera directement la politique raciale appliquée dans les régions, anciennement prussiennes pour une large part, annexées au Reich après l’occupation de la Pologne. Malgré leur incorporation territoriale à l’État hitlérien, ces provinces devinrent un laboratoire du « transpeuplement » (Umvolkung), car le droit allemand, notamment civil, n’y était pas appliqué d’office. Ici, les raciologues et les juristes nazis sont amenés à préciser sans délai la catégorie d’allogène tant ethnique (fremdvölkisch) que raciale (fremdartig) [Majer 1993]. Ils reconnaissent, malgré leurs désaccords théoriques, deux postulats qui présideront à la construction, puis à la négation, de l’Autre.

27Le premier reconnaît la prépotence et l’inéradicabilité du « sang juif » [Hitler 1933 : 340], croyance qui inspire les lois raciales, même si ce dernier terme y est absent. Ce fondamentalisme essentialiste, patent dans les déclarations de Himmler, s’articule, diversement selon les « écoles » raciologiques, à la croyance en l’éternité potentielle d’une race aryenne supérieure mais fragile, toujours menacée par le métissage, par le « sang étranger à l’espèce » (artfremdes Blut). Les apports néfastes sont perçus comme d’autant plus dangereux qu’ils ne sont pas toujours manifestes et peuvent resurgir d’après les lois de Mendel.

28Le second maintient que l’allogénéité au sein de l’espèce est une affaire de degrés : on doit donc refouler de manière sélective les Fremdvölkischen, étrangers au Volk germanique, Aryens aux ascendances suspectes mais non juives, dont on ne sait quelle part de « sang inférieur » les « infecte » ou, au contraire, quelle part de précieux « sang nordique » les habite.

29Tandis que les juifs sont promptement « évacués » des territoires annexés, la première frontière, absolue, s’estompe tragiquement. En revanche, le caractère relatif et erratique de l’allogénéité rend très difficile le classement hiérarchique des éléments raciaux « propres à l’espèce » mais inférieurs à la divine souche nordique (alpin, ostique…). Dès lors, comment fixer le seuil fatidique (75 %, 50 %, 25 %…) à partir duquel le sang allogène devient assimilable par le sang allemand ? Comment faire émerger du « marécage racial » (Rassensumpf) slave la figure potentiellement rédemptrice de l’« Allemand de souche », der Deutschstämmige, métis des marches orientales qu’il importe désormais de « regermaniser » (wiedereindeutschen) ?

  • 16 Le Reichskommissariat für die Festigung Deutschen Volkstums, responsable de la germanisation et, pl (...)

30À l’extension meurtrière de la catégorie « juif » aux personnes dont parfois un seul grand-parent est classé comme tel répond l’« absorption » (Aufsaugung) toujours plus extensive des « allogènes de valeur ». Cela, soutient Himmler, nommé Commissaire du Reich pour le Renforcement de la Germanité16, afin que ne se perde « aucune goutte de sang allemand ». Il s’agit ici, aux yeux du Reichsführer SS, de processus inverses mais symétriques, reflétant les volets « négatif » et « positif » d’une seule et même politique raciale. Chez les « métis de juif », le sang « allogène » posséderait une force délétère plus que proportionnelle à sa part arithmétique : cela justifierait l’assimilation des Judenmischlinge aux « pleins juifs » et le « traitement » aggravé qui leur est réservé en Pologne occupée. En revanche, chez les « Allemands de souche », le « bon sang », même délayé au cours des générations, doit être « raffraichi », notamment par une politique matrimoniale appropriée, pour prévaloir à nouveau sur les souches slaves, aryennes certes mais « de moindre valeur ». Mais cette exigence récupératrice pose à rebours le danger du métissage, de l’« infiltration ethnoraciale », die völkische Unterwanderung, qu’il est indispensable de maîtriser, individu par individu, famille par famille, pour garantir le « renforcement de la Germanité » et, à terme, espère-t-on, la « re-nordification » (Wiederaufnordung), non seulement des citoyens du Reich mais des peuples germaniques dans leur ensemble.

31Pareille visée ne serait-elle que l’expression perverse de ce que l’on désigne parfois comme la « folie raciale » (Rassenwahn) nazie, déviance idéologique insolite qui échapperait par définition à toute analyse rationnelle ? Non, car l’application systématique, à des millions de personnes, des classifications – généalogiques, « culturelles » et politiques – qui sous-tendent la volonté de domination se fera sentir, des décennies durant, rendant souvent aléatoire, parfois même après l’unification des deux Allemagnes, la réponse à une question apparemment simple : à l’est de l’Oder, qui était (est) allemand ? Elle sape, aujourd’hui encore, fût-ce de manière résiduelle ou symbolique, les fondements du droit de la citoyenneté en Allemagne et, parfois même, en d’autres contrées d’Europe centrale et orientale.

  • 17 Cf. K.M. Pospieszalski ed. [1946], M. Broszat [1961 : 118-137], D. Majer [1993], C. Madajczyk [1988 (...)

32L’opération « Recherche du sang allemand occulté » sera poursuivie par Himmler dans l’ensemble des territoires polonais sous domination nazie. Il s’agit non seulement de recenser, afin de les absorber, la totalité des Allemands ethniques déclarés, mais de capter toutes les personnes d’ascendance allemande proche, lointaine ou fictive, et racialement assimilables, qu’elles soient ou non conscientes de leur « germanité ». Cette politique se traduira par un filtrage massif ou « éclusage » (Schleusung) de la population polonaise en vue de la constitution, dans les territoires polonais annexés par décret du 12 septembre 1940, puis dans d’autres régions occupées (pays baltes, Ukraine, etc.), de la « Liste du Peuple allemand » ou Deutsche Volksliste17. Les critères régissant la sélection incluent la « fraction de sang allemand » dont l’individu a héritée, ses caractéristiques morphologiques, sa pratique culturelle et linguistique, notamment dans l’ex-République polonaise, et son attitude politique au regard de la Germanité.

33Pour résoudre en termes classificatoires l’équation a priori insoluble qui intègre ces facteurs d’ordre différent, on aura recours à la notion de citoyenneté. Les juristes nazis, tout en se référant formellement à la Loi sur la citoyenneté de 1913, en détruisent le fondement même par l’établissement d’un système de quasi-castes, basé sur le principe énoncé dès 1920 dans le programme du parti nazi : « Seul un camarade du peuple [ou compatriote] peut être citoyen. Seule peut être camarade du peuple une personne de sang allemand, sans référence à la confession. Donc, aucun juif ne peut être camarade du peuple… » Dès lors, la citoyenneté ne régit plus le rapport entre l’individu, sujet de droit autonome, et l’État auquel il prête allégeance, mais entre un statut racial, fixé en termes généalogiques, et un degré variable d’« appartenance au peuple ». En Pologne occupée, les « élus », élevés à la Germanité mais récalcitrants pour la plupart, sont répartis en quatre catégories répondant à un subtil et erratique dosage de critères politiques et raciologiques :

34I) Les « membres du peuple allemand » à plein titre, déclarés « citoyens du Reich et de l’État » (Reichsbürger und Staatsangehörige), et pouvant être admis au Parti, sont des Allemands ethniques (Volksdeutsche) qui se sont activement engagés dans la lutte pour la Germanité (Volkstumskampf) sous la domination polonaise (1919-1939).

35II) Les « citoyens du Reich et de l’État » ne pouvant accéder au Parti sont des Allemands ethniques qui, sans avoir milité pour la Germanité, « ont préservé [leur identité] de manière attestée ».

36III) Les « Allemands de souche », « allogènes de valeur », mis sur un pied d’égalité avec les « renégats allemands », classés « nationaux révocables » (Staatsangehörige auf Widerruf), à regermaniser, forment une catégorie plus composite, comprenant des personnes ayant noué des liens avec la « Polonité » (das Polentum) mais qui, en raison de leur comportement, présentent les qualités requises (notamment la force de travail et la capacité de porter les armes) pour (ré)intégrer la « communauté du peuple ». Relèvent aussi de ce groupe des personnes de filiation non allemande, vivant en « mariage ethnoracial mixte » (völkische Mischehe) avec un membre du peuple allemand, si tant est que le conjoint allemand s’est « imposé ».

37IV) Les « protégés aux droits civiques internes restreints » (Schutzangehörige mit beschränkten Inländerrechten) ou « allogènes racialement apparentés » (artverwandte Fremdvölkische) sont des « Allemands de souche » qui ont été polonisés, autrement dit des « renégats ». Ils sont seuls à échapper aux obligations militaires, mais leur part de « sang allemand » oblige néanmoins à les rapprocher de la Germanité. Toutefois, « ceux qui refusent la regermanisation, précise Himmler, doivent faire l’objet de mesures policières de sécurité ».

  • 18 Cf. K.M. Pospieszalski ed. [op. cit. : 359], M. Broszat [op. cit. : 125], C. Madajczyk [op. cit. : (...)

38Les membres des groupes III et IV, entre lesquels tout mariage est interdit, doivent, en principe, subir une socialisation intensive dans l’« ancien Reich » pour devenir, le temps aidant, des Allemands à plein titre18. De l’ensemble de ces dispositions émerge une communauté allemande, censée être racialement homogène mais en réalité pluriethnique et à structure interne fortement hiérarchique [Madajczyk op. cit. : 474]. Les relations avec ceux qui lui sont extérieurs sont régies en termes d’apartheid.

39La mise en œuvre de cette politique souffre de l’antagonisme acerbe qui oppose les « fondamentalistes », tel Greiser, Gauleiter du Warthegau (Poznanie), et les « assimilateurs », tel Forster, Gauleiter de Dantzig-Prusse-Occidentale. Ce conflit ne fait que refléter l’impossibilité logique à formuler des critères de sélection discrets, répondant tout à la fois aux exigences généalogiques, politiques et raciologiques gouvernant l’« élévation à la Germanité ». Le désaccord, analogue à celui concernant la classification des « métis de juif », porte avant tout sur la délimitation de la Catégorie III qui rassemble les « Allemands de souche ». Numériquement le plus important, ce « groupe d’évaluation » (Wertungsgruppe) est considéré comme politiquement précaire et racialement labile, incarnation de cette « ethnicité flottante » (schwebendes Volkstum) propre aux marches de l’Est, disputées depuis un millénaire par Slaves et Germains.

  • 19 Cf. K.M. Pospieszalski ed. [1946], M. Broszat [op. cit. : 134], C. Madajczyk [op. cit. : 492], C. Ł (...)

40Quelles conséquences concrètes eut le différend entre les deux Gauleiter ? Dans le Warthegau, les statistiques montrent qu’en janvier 1944, 82,4 % des 510 000 inscrits de la Volksliste relevaient des catégories I et II, et 17,6 % seulement des catégories III et IV : ici a prévalu la conviction que tout métissage, même faible et atténué par une adhésion morale à la Germanité, était susceptible de dénaturer et de pervertir le peuple. En fin de compte, toutes catégories confondues, « seulement » 12,9 % des Polonais seront « germanisés ». Au contraire, dans le Gau de Dantzig-Prusse-Occidentale (ville de Dantzig non comprise), 77,6 % des 937 000 inscrits étaient, à la même époque, affectés aux catégories III et IV, et 22,4 % seulement aux catégories I et II : dans cette région, le métissage ciblé est admis comme un facteur de « renforcement de la Germanité », à telle enseigne que 60,8 % de la population polonaise seront déclarés Allemands19 !

41Il va de soi que cette germanisation, résultant d’une contrainte administrative ou policière, n’était souvent que nominale. L’occupant se trouvait devant un dilemme : à trop multiplier les inscriptions sur la Volksliste, il risquait de décourager ceux qui étaient susceptibles d’engager cette démarche sans coercition ; à trop accueillir de Polonais de fait et de cœur, il risquait d’aliéner les « vrais » Allemands ethniques [Boberach ed. 1984]. L’historien polonais Madajczyk nous transmet un témoignage qui illustre bien la confusion qui s’ensuivit :

Un Ortsgruppenleiter, chef local du Parti, fut chargé de faire inscrire à 80 % la population de son village [de Pomérélie] sur la Liste du Peuple allemand alors même qu’elle était polonaise à 80 %. Le Ortsgruppenleiter s’y refusant, son Kreisleiter, chef de cercle, le dénonça auprès du Gauleiter. Sur ce, le Gauleiter [Forster] se rendit lui-même dans le village et passa un tel savon au Ortsgruppenleiter devant l’ensemble des habitants allemands comme polonais du village, réunis dans une auberge, que ledit Ortsgruppenleiter s’assit tout de suite, fit venir tous les Polonais et les inscrivit, sans autre ménagement, sur la Liste du Peuple allemand. La nuit suivante, les Polonais germanisés de force glissèrent leur dédit dans la boîte aux lettres du Ortsgruppenleiter, se déclarant ainsi de nouveau Polonais.[op. cit. : 496, n. 58]

42Le caractère presque burlesque de telles opérations ne signifie toutefois pas que les sanctions prises contre les récalcitrants aient été moins rudes, notamment à l’endroit de ceux que l’on désignait comme renégats. Les personnes aux ascendances allemandes attestées risquaient des sanctions lourdes en cas de refus d’inscription, allant jusqu’à l’internement en camp de concentration. Aussi les inscrits de force de la Catégorie III étaient-ils passibles de peines exemplaires s’ils manquaient à leurs devoirs « nationaux », notamment militaires.

43Dans l’ensemble des « territoires orientaux incorporés », l’inscription sur la Volksliste allait concerner quelque 2 900 000 citoyens polonais dont environ 2 200 000 n’avaient aucun « lien fort » avec la culture allemande. Parmi eux, plusieurs centaines de milliers d’hommes durent payer leur « élévation à la Germanité » en défendant, « malgré eux », le Reich qui les avait sélectionnés. Par ailleurs, environ 200 000 enfants polonais classés « nordiques » furent enlevés et versés à la réserve biologique et génétique du Volk. Aujourd’hui, beaucoup d’entre eux, ignorant leurs origines, vivent encore en Allemagne.

Citoyennetés et identités après 1945

44Mais ce n’est là qu’un chapitre du conflit germano-polonais. Avec la translation de la frontière occidentale polonaise jusqu’à la ligne Oder-Neisse, conformément aux accords de Potsdam du 2 août 1945, 3 200 000 Allemands furent déportés de Pologne, vers l’ouest, dans des conditions souvent épouvantables, faisant place à des Polonais expulsés des territoires orientaux polonais annexés par l’Union soviétique. Quant aux citoyens polonais inscrits sur la Volksliste, ils furent soumis à une vérification de la nationalité (werifikacja narodowościowa), destinée à déterminer si cette inscription s’était opérée de gré ou de force. Les individus affectés à la Catégorie I furent déportés d’office ou, pire, condamnés aux travaux forcés, tandis que ceux relevant de la Catégorie II pouvaient demander leur réhabilitation devant les tribunaux. Les inscrits des catégories III et IV, enfin, furent quittes avec une déclaration d’allégeance envers le peuple et l’État polonais [Sakson 1991 ; Sword 1999 : 240-242]. En pratique, cependant, cette procédure ne pouvait que favoriser la délation et les règlements de comptes, en particulier dans les régions où l’interpénétration des cultures allemande et polonaise était réelle. Quelque 1 100 000 Cachoubes, Masures, Silésiens et Warmiens avaient été germanisés à divers degrés sous la domination prussienne mais ne souhaitaient nullement abandonner leur terre natale [ibid.]. Devenus ou redevenus citoyens polonais en 1945, ils furent soumis à une virulente polonisation culturelle légitimée en invoquant à rebours le principe de la Volksliste : ces personnes n’étaient allemandes que superficiellement, étant en réalité les lointains descendants de Slaves autrefois germanisés par l’ennemi héréditaire. Pour le nouveau régime communiste, la République populaire devait être un État mono-ethnique. Et en effet elle le devint. En accord avec ce précepte, la grande majorité des Ukrainiens fut brutalement déportée vers l’Union soviétique, tandis qu’au terme de la werifikacja, la Germanité (niemieckość) fut déclarée inexistante en terre polonaise. Et cette politique de négation des nationalités fut maintenue jusqu’à la fin des années quatre-vingt.

45Après la guerre, le fonds de la Deutsche Volksliste fut transféré au Berlin Document Center, impressionnant bunker du sud-ouest de la capitale allemande, où étaient regroupés par millions, sous contrôle militaire américain, les dossiers personnels des membres du parti nazi. En 1992, les archives du BDC furent restituées à l’Allemagne. Au moment de ce transfert, il apparut que, jusque-là, la Volksliste pouvait être consultée en vue d’établir ou de vérifier les ascendances ou liens de parenté de personnes, notamment de nationalité polonaise, désireuses d’acquérir la nationalité fédérale allemande. À côté de chaque nom figurait un chiffre romain, de I à IV, qui indiquait le « groupe d’évaluation » auquel l’intéressé avait été affecté par la SS en fonction de son degré généalogique de germanité.

  • 20 Source : Statistik des Bundesverwaltungsamtes Köln ; Beauftragter der Bundesrepublik für Aussiedler (...)
  • 21 Voir, par exemple, le site consacré aux affaires de nationalité par le Bureau de l’état civil de la (...)

46À l’époque de la guerre froide, la RFA accueillait en citoyens tous les Allemands ethniques des pays socialistes qui parvenaient à gagner l’Ouest. De 1951 à 1987, 1 419 997 émigrants (Aussiedler) se sont ainsi installés en RFA, dont 847 450 en provenance de la seule Pologne, soit, en moyenne, 40 000 personnes par an. Du 1er janvier 1988 au 30 juin 2000, 2 653 685 d’entre eux, dont 595 115 de Pologne, firent valoir la « loi du retour » vers la patrie de leurs lointains ancêtres20. Face à ce bouleversement mais également en raison de protestations diverses, les autorités allemandes mirent opportunément un frein aux consultations directes de la Volksliste. Toutefois, même après l’adoption successive de la Loi de 1990 sur les étrangers (Ausländergesetz), de la Loi de 1993 pour l’apurement des suites de la guerre (Kriegsfolgenbereinigungsgesetz) et, enfin, de la nouvelle Loi de 2000 sur la nationalité (Staatsangehörigkeitsgesetz) [Green 2000 ; Hogwood 2000], l’inscription sur la Volksliste figure encore parmi les critères admis de plein droit pour démontrer la qualité d’Allemand, à laquelle les enfants des inscrits peuvent également prétendre21. Cette politique, poursuivie avec certaines restrictions stipulées par la loi de 1993, répond à des motivations historiques très compréhensibles. Cependant, plus d’un demi-siècle après la chute du IIIe Reich, l’« appartenance au peuple allemand », la deutsche Volkszugehörigkeit, peut être prouvée en droit par la perversion grotesque du jus sanguinis que fut la Deutsche Volksliste. Certes, au fil des générations, les séquelles pratiques de cette anomalie s’estomperont. C’est précisément ce que font valoir les juges, juristes et historiens allemands avec qui je me suis entretenu de cette question. Mais cette banalisation ne laisse-t-elle pas planer une ombre malvenue, voire un stigmate symbolique, sur la réforme actuelle du droit allemand de la citoyenneté, dont l’objet est de concilier le droit dit du sang et le droit du sol ? Est-ce compatible avec l’égalité de tous devant la loi, principe qui fonde aujourd’hui le droit allemand, que certains puissent se prévaloir de la qualité de citoyen en invoquant un classement autrefois établi selon une hiérarchie « raciale » et imposée par la terreur ?

47Nul doute que la dénonciation officielle de cette délétère rémanence contribuerait à présenter en des termes nouveaux le débat sur l’identité nationale allemande. Elle réduirait un dangereux écart qualitatif entre deux catégories de postulants à la nationalité que sont les « membres du peuple » non nationaux et les « étrangers ». Or, pareille dichotomie recèle un risque manifeste, car elle est susceptible de générer, de droit et de fait, une hiérarchie relevant d’un classement ethnique. Lever cette ambiguïté paraît d’autant plus important que le principe généalogique, qui établit la primauté de la filiation sur la territorialité comme critère d’appartenance culturelle et sous-tend la catégorie « Allemand », opère sous d’autres guises parmi nombre de communautés nationales désormais établies en RFA. L’exemple le plus patent est celui des plus de 2 millions de Turcs qui représentent 28 % du total des résidents étrangers en Allemagne.

48Dans une perspective « ethnonationale », la question de l’altérité turque pourrait se poser ainsi : si l’« Allemand de l’étranger » (Auslandsdeutsche) reste allemand de génération en génération, pourquoi ne pourrait-on rester indéfiniment « Turc de l’intérieur » (Inlandstürke) ? Car les deux états répondent à une transmission généalogique ininterrompue de l’identité, quel que soit le lieu où celle-ci s’exerce. Toutefois, le salutaire maintien de cette chaîne présuppose, dans la situation de multiculturalité qui caractérise l’Allemagne actuelle, différentes formes de cloisonnement, en particulier dans les domaines de la double citoyenneté et de l’intermariage. Dans cet esprit, l’octroi de la nationalité à un Allemand de la Volga peut ne pas être perçu comme une naturalisation, au sens étymologique, mais comme la régularisation d’une « anomalie historique ». S’agissant d’un Turc né étranger en Allemagne, en revanche, la nationalité peut sembler conférer un statut mais non établir une condition.

49La situation de la communauté turque au regard de la nationalité allemande souffre d’un paradoxe apparent. De 1972 à 2000, seul un cinquième des détenteurs de passeports turcs ont obtenu la nationalité allemande alors même que les trois quarts d’entre eux remplissaient les conditions, de naissance en Allemagne ou de durée de résidence, qui garantissent l’accession à la citoyenneté selon la loi du 1er janvier 2000. Cette disparité, que reflète un faible taux annuel de naturalisation en termes européens22, incite à s’interroger sur les causes de l’inertie, sinon de la résistance, sans doute réciproque, qui freinent les processus d’intégration. Une enquête récente du Centre d’études sur la Turquie de l’Université de Essen indique que 30 % seulement des citoyens turcs en Allemagne envisagent de demander la nationalité allemande. Ceux qui le souhaitent sont souvent des « Turcs de deuxième génération », au nombre de 750 000, aspirant à l’égalité politique dans ce qui est, après tout, leur pays natal. Cependant, il ressort qu’une majorité de Turcs d’Allemagne les suivraient dans cette intention s’ils pouvaient détenir les deux passeports à la fois23. La question de l’allégeance – exclusive ou non ? – est donc au cœur de ce débat.

50Pour sa part, l’État allemand exige, avec un taux d’exceptions qui atteint néanmoins 28 %, que le citoyen turc qui obtient la nationalité allemande renonce à sa nationalité d’origine. Face à cette disposition, l’État turc, qui a des raisons culturelles et économiques fortes de ne pas « perdre » ses émigrants, a adopté, par étapes, une tactique plurielle. Dès 1964, il a accepté que l’acquisition d’une seconde nationalité, notamment pour les enfants issus de mariages mixtes, n’entraîne pas la perte de la nationalité turque [Ansay 1999]. Précisons que, jusqu’à récemment, l’administration traitait avec une lenteur calculée les demandes de renonciation à la nationalité turque. Au contraire, elle fait encore preuve d’une singulière souplesse lorsqu’il s’agit de réintégrer les émigrés ayant enfin obtenu la nationalité allemande [Röper op. cit. : 552]. À ces pratiques s’ajoute la création de la « carte rose » délivrée à des ex-citoyens non réintégrés, qui restitue au porteur bien des droits d’un citoyen (hormis le vote), y compris d’hériter de la terre.

51Lorsque, en 1999, le Bundestag refusa d’adopter la clause de double nationalité applicable aux non-Allemands « ethniques », proposée par le ministre social-démocrate de l’Intérieur, Otto Schilly, les législateurs étaient parfaitement au fait de l’attitude officielle de la Turquie. En revanche, nul ne sembla se préoccuper des fondements culturels de la citoyenneté : Allemands et Turcs reconnaissent, chaque nation à sa manière, que la filiation parent-enfant est un critère déterminant de la citoyenneté, mais ils sont divisés à bien des égards sur le poids respectif des sources d’autorité, étatiques ou parentales, qui fondent les affiliations primaires de la personne. Est-il concevable que la citoyenneté, perçue comme une allégeance première en Allemagne, soit considérée, en Turquie, surtout pour les femmes, comme une affiliation dérivée du statut parental ou matrimonial ? La renonciation à la citoyenneté serait-elle susceptible de représenter un reniement des liens de parenté, voire de certaines valeurs de la foi ? La peur d’être renié par les siens pour avoir renoncé à sa nationalité d’origine, de ne pouvoir posséder des biens dans la patrie première, de ne pouvoir y être enterré, n’éclaire-t-elle pas certaines réticences à se conformer à un code étranger qui présente la citoyenneté comme un contrat exclusif entre l’individu et l’État, dissocié par principe des attachements parentaux et confessionnels ? Et même si tout cela était exact, conviendrait-il de penser qu’un Turc résidant à Berlin ou Düsseldorf ne puisse se comporter en « bon citoyen » tout en attribuant à la notion même de nationalité une valence culturelle très distincte de celle qui prévaut en Allemagne ?

52L’exploration de tels questionnements, malheureusement guère engagée par les anthropologues, conduirait d’emblée à examiner un domaine de la vie sociale où appartenances culturelles, droit, foi et parenté interagissent de manière privilégiée et complexe, à savoir celui du mariage. Dans ce contexte, l’Allemagne, nonobstant la force de certaines représentations identitaires abordées dans les pages qui précèdent, connaît, depuis les années soixante, une évolution remarquable. En 1996, 7,6 % des mariages ont été conclus entre un partenaire allemand et un partenaire étranger [Schmidt et Weick 1998 : 5]. À Berlin, cette même année, où, fait préoccupant, il n’y eut que 2,6 % de mariages entre gens de l’Ouest et de l’Est, on a relevé 26 % de mariages binationaux. Toutefois, seul un pourcentage minime de ces unions concernait des citoyens allemands et turcs, les mariages avec des ressortissants d’autres pays européens étant en revanche fort nombreux. Quels éléments peuvent élucider ce qu’il faut bien appeler le penchant endogamique de la communauté turque, qui s’oppose à l’ouverture culturelle croissante en matière matrimoniale des « Allemands allemands » ?

  • 24 Je m’appuie ici sur les données réunies par G. Straßburger [1999]. L’étude des pratiques matrimonia (...)

53Selon une étude sociopsychologique conduite par l’Université de Hambourg [Bleich et al. 2000], les Turcs issus de l’immigration, tout en maîtrisant pleinement la langue du pays, ne se sentiraient pas « moins turcs » que leurs parents nés « au pays » et orientent largement leurs choix matrimoniaux en fonction de ce sentiment d’appartenance. D’après Morgenroth [1999, cité in Bleich et al. 2000], 39 % des jeunes Turcs interrogés excluent d’épouser un(e) Allemand(e), tandis que 31 % tiennent cette option pour peu probable. Seulement 29 % estiment possible une telle union. Ces appréciations réservées sur l’opportunité de mariages interethniques semblent étayées par les quelques données dont on dispose concernant les choix matrimoniaux effectifs de la population turque en Allemagne. Pour l’année 1996 on a enregistré quelque 29 000 mariages dont 80 % unissaient deux personnes de nationalité turque. Cela dénotait cependant un taux d’« endogamie ethnique » encore plus fort dans la mesure où certains autres époux étaient des citoyens allemands de parents turcs. Par ailleurs, 61 % des mariages recensés impliquaient un partenaire en provenance de Turquie. En Allemagne, les unions entre cousins seraient plus fréquentes qu’en Turquie. L’alliance matrimoniale tisse ainsi un réseau transnational qui nourrit la migration tout en renouvelant constamment les liens entre patrie et diaspora24. Ainsi se renforcent dans la société allemande des sphères matrimoniales autonomes, pour ne pas dire autarciques. Or, ce fait est susceptible d’influer directement sur la manière dont la citoyenneté peut être vécue dans une société multiculturelle mais non nécessairement interculturelle.

54Dans l’Allemagne contemporaine, deux conceptions de la filiation, logiquement analogues mais constitutives de Volkszugehörigkeiten bien distinctes, se déploient en parallèle. Tout se passe comme si, en RFA, les généalogies allemandes et turques, toutes deux éminemment transnationales, se construisaient de décennie en décennie sans se croiser. L’une reflète la concentration spatiale d’un peuple et sa consolidation en Staatsvolk. L’autre transforme en nations diasporiques des peuples – turc, kurde et arménien de Turquie – qu’Atatürk avait tenté d’ériger en Staatsvolk. Or, le débat sur la double nationalité offre un point d’accumulation de ces processus liés mais inverses, qui, pris ensemble, paraissent, ironie de l’histoire, doter d’une force nouvelle le principe de la filiation à un moment où la loi, allemande comme turque, propose d’atténuer les rigueurs du jus sanguinis. Tant que persistent en Allemagne des aires d’endogamie aussi nettement cloisonnées, il est peu probable qu’une modification, même radicale, de la loi, qui autoriserait la double nationalité, porte pleinement ses fruits en termes d’intégration culturelle et politique. Mais cela n’empêche pas que l’ouverture culturelle et matrimoniale croissante, si sensible dans la société civile allemande, serait facilitée si la transformation actuelle du droit de la citoyenneté pouvait apurer définitivement les rémanences d’idéologies révolues tout en appréciant, dans une perspective comparative, la portée des idéaux distincts mais compatibles de l’appartenance et de la loyauté, qui animent les peuples d’Allemagne.

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Notes

1 Staatsangehörigkeitsgesetz de 2000, § 4, alin. 3, qui énonce que cette disposition opère « lorsque la mère ou le père 1) réside de façon légale depuis huit ans dans ce pays et 2) possède une autorisation ou un permis de séjour illimité depuis trois ans ». Les conditions d’application de cette loi sont précisées dans C. Dornis [1999 : 1].

2 Cf., par exemple, la carte « Allemagne, articulation politique » de l’atlas scolaire Diercke (1957).

3 Avec la translation vers l’ouest de l’État polonais, plus de 9 millions d’Allemands sont expulsés des provinces orientales, sans compter les 2,5 millions de transfuges des Sudètes. Cependant, 2 millions de Polonais sont transférés de force depuis les provinces de l’Est polonais, qui passent sous contrôle soviétique, tandis que 2 millions d’émigrants installés en Europe occidentale regagnent la Pologne. En 1947, le régime de Varsovie déclenche l’« Action Vistule », au cours de laquelle 150 000 Ukrainiens sont déportés vers les territoires prussiens et poméraniens « regagnés » sur le Reich, alors qu’en 1939, déjà, 500 000 Ukrainiens de Pologne avaient été expédiés vers la « patrie soviétique ». Dans les pays baltes, près de 300 000 personnes fuient vers l’Occident, sur les pas des Allemands ; un contingent de même ordre est « déplacé » vers les autres républiques soviétiques et notamment en Sibérie. Simultanément près de 800 000 Russes s’installent dans les pays baltes et en Prusse-Orientale.

4 Art. 116 de la Loi fondamentale de 1949, Loi sur les étrangers de 1993, Loi réformant le droit de la citoyenneté de 2000.

5 « Es kennzeichnet die Deutschen, dass bei ihnen die Frage “was ist deutsch ?” nie ausstirbt. » [Nietzsche 1886, cité in Nassehi op. cit. : 1]

6 Il s’agit des Reichsbürgergesetz et Gesetz zum Schutz des deutschen Blutes und der deutschen Ehre du 15 septembre 1939 (Reichsgesetzblatt 1935 : 1 146 sqq.).

7 Bundesvertriebenengesetz, § 6 (Volkszugehörigkeit) : « Deutscher Volkszugehöriger […] ist, wer sich in seiner Heimat zum deutschen Volkstum bekannt hat, sofern dieses Bekenntnis durch bestimmte Merkmale wie Abstammung, Sprache, Erziehung, Kultur bestätigt wird. » E. Röper [op. cit. : 547-548 et n. 35] attire à juste titre notre attention sur de surprenants rapprochements terminologiques de cette disposition avec le décret du ministre de l’Intérieur du Reich du 29 mars 1939 sur « l’appartenance au peuple [allemand] dans le protectorat de Bohême et de Moravie », qui stipule : « Deutscher Volkszugehöriger ist, wer sich als Angehöriger des deutschen Volkes bekennt, sofern dieses Bekenntnis durch bestimmte Tatsachen, wie Sprache, Kultur usw. bestätigt wird. Personen artfremden Blutes, insbesondere Juden, sind niemals deutsche Volkszugehörige, auch wenn sie sich bisher als solche bezeichnet haben. » Disparaît bien entendu dans la Loi sur les expulsés la référence au « sang allogène », tandis qu’à rebours y fait son apparition la notion d’Abstammung (filiation/descendance) dans son inquiétante polysémie.

8 En 1910 la Prusse comptait 11,6 % d’habitants d’origine non allemande [Röper op. cit. : 546].

9 Reichs- und Staatsangehörigkeitsgesetz de 1913, § 8.

10 Selon le recensement de 1910, 5,9 millions des 65 millions de sujets du Kaiser n’étaient pas de langue allemande.

11 Le terme est développé pour la première fois par le théologue et philologue Friedrich Ludwig Jahn (1778-1852) dans son ouvrage Deutsches Volkstum (1810). Toutefois, les mots volkstümlich, conforme à la tradition du peuple, et Volkstümlichkeit, spécificité ethnopopulaire, apparaissent déjà chez Johann Gottfried Herder (1744-1803). Cf. l’encyclopédie Der Grosse Brockhaus (1957, T. XII, p. 245).

12 Cf. Der Grosse Brockhaus (1957, T. III, pp. 128-130).

13 Lettre de Himmler à Forster du 26 novembre 1941, citée in M. Burleigh [1988 : 185].

14 Archives fédérales de Coblence (BAK) R 22/852, f° 207 et 209, citées in É. Conte et C. Essner [1995 : 219].

15 Cf. commentaire du premier décret d’application de la Loi de protection du sang allemand, in A. Gütt, H. Linden et F. Maßfeller [1936 : 221].

16 Le Reichskommissariat für die Festigung Deutschen Volkstums, responsable de la germanisation et, plus largement, de la purification ethnoraciale, die rassische Reinigung, dans les territoires orientaux occupés, résulta de la fusion du Volksdeutsche Mittelstelle ou Office de liaison pour les Allemands ethniques et du Rasse- und Siedlungshauptamt ou Bureau central pour la race et la colonisation de la SS, qui veillait à la pureté généalogique des membres du Corps noir.

17 Cf. K.M. Pospieszalski ed. [1946], M. Broszat [1961 : 118-137], D. Majer [1993], C. Madajczyk [1988 : 389-539], H.C. Harten [1996 : 69-121], C. Łuczak [1996 : 57-65], É. Conte et C. Essner [1999], É. Conte [2002].

18 Cf. K.M. Pospieszalski ed. [op. cit. : 359], M. Broszat [op. cit. : 125], C. Madajczyk [op. cit. : 471].

19 Cf. K.M. Pospieszalski ed. [1946], M. Broszat [op. cit. : 134], C. Madajczyk [op. cit. : 492], C. Łuczak [op. cit. : 61].

20 Source : Statistik des Bundesverwaltungsamtes Köln ; Beauftragter der Bundesrepublik für Aussiedlerfragen, citée in Bundeszentrale für Politische Bildung [2000 : 7]. Cf. K. Schönwälder [1999].

21 Voir, par exemple, le site consacré aux affaires de nationalité par le Bureau de l’état civil de la mairie de Düsseldorf : hhttp:// www. duesseldorf. de/ w4hr/ htlm/ ag697.shtlm.

22 Il varie d’un minimum de 1,57 % en 1995 à un maximum de 2,54 % en 1998 [Bundesbeauftragte… 2000 : 13], rythme auquel il faudrait au moins deux générations pour « intégrer » tous les Turcs d’Allemagne.

23 Cf. http:// www. arte-tv. com/ societe/ tuerken, Bundesbeauftragte… 2000 : 12-13, 36 et P. Schmidt et S. Weick [1998 : 3].

24 Je m’appuie ici sur les données réunies par G. Straßburger [1999]. L’étude des pratiques matrimoniales dans l’immigration turque en Belgique fait l’objet d’études sociologiques précises dont on pourrait utilement s’inspirer dans le domaine allemand. Cf. J. Lievens [1999] et G. Reniers [2001].

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Pour citer cet article

Référence papier

Édouard Conte, « Peut-on devenir Allemand ? »Études rurales, 163-164 | 2002, 67-90.

Référence électronique

Édouard Conte, « Peut-on devenir Allemand ? »Études rurales [En ligne], 163-164 | 2002, mis en ligne le 01 janvier 2004, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/7973 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.7973

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Édouard Conte

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