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L’implantation rurale des partis politiques en Europe orientale

Rural support for political parties in eastern Europe
Antoine Roger
p. 229-254

Résumés

En Bulgarie et en Roumanie, les relations entre les partis politiques et l’électorat paysan participent de logiques distinctes. Pour caractériser ces logiques, un rapprochement doit être opéré entre les niveaux macroinstitutionnel et microinstitutionnel. Au niveau macroinstitutionnel, il convient d’examiner les modalités selon lesquelles les programmes agraires sont définis et mis en œuvre. Les réformes introduites dans l’agriculture sont largement tributaires des relations agraires instaurées sous le régime communiste : selon que les paysans ont entretenu un rapport harmonieux ou tendu avec le pouvoir, la décollectivisation obéit à des logiques diversifiées. Les variations ainsi relevées s’emboîtent dans le niveau microinstitutionnel. La logique de la décollectivisation conditionne la diffusion des mots d’ordre politiques auprès des paysans. Les programmes agraires sont récupérés par des intermédiaires locaux puis adaptés aux structures locales selon différentes modalités.

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Texte intégral

  • 1 . Entre octobre 1992 et septembre 1994, le BSP a gouverné par procuration, en soutenant le cabinet (...)
  • 2 . Le Front de salut national (Frontul Salvarii National, FSN) a créé un premier gouvernement en mai (...)
  • 3 . La population rurale représente 29,3 % de la population totale en Bulgarie selon le recensement d (...)

1Dans les années qui ont suivi l’effondrement du bloc soviétique, la vie politique a semblé suivre un même cours en Bulgarie et en Roumanie. Dans les deux pays, une formation dirigée par d’anciens communistes reconvertis est parvenue à s’imposer sans coup férir : le Parti socialiste bulgare (Balgarska Socialisticeska Partija, BSP) a exercé le pouvoir en 1991 puis entre 1992 et 19971 ; après avoir gouverné la Roumanie entre 1991 et 1996, le parti de Ion Iliescu est revenu aux affaires en novembre 20002. L’une et l’autre formation ont trouvé leurs principaux soutiens dans l’électorat paysan3. Les élections municipales leur ont permis d’obtenir des mandats exécutifs dans la grande majorité des communes rurales [Berindei 1996 ; Shopov 1999 : 192].

2Pour expliquer cet état de fait, deux thèses ont été avancées que nous appellerons respectivement thèse de la désagrégation et thèse de l’imprégnation.

3La thèse de la désagrégation met l’accent sur la culture politique des pays considérés. Selon ses défenseurs, les autorités communistes ont détruit la « société civile locale » ; pour prévenir la formation de tout système de loyauté concurrent, elles ont éliminé les mécanismes de solidarité traditionnels qui s’étaient formés au sein des communautés villageoises [Baldersheim et Illner 1996 : 4, 11 et 15]. Après le changement de régime, les campagnes se trouvent par conséquent dépourvues de toute « organisation agrégative » susceptible de faire apparaître un « cadre d’opinion structuré » ; en résulte une personnalisation de la vie politique locale [Offerdal et al. 1996 : 109 et 137]. Cette tendance est confortée par le personnel politique lui-même : les représentants locaux des partis s’attachent à construire une clientèle plutôt qu’à animer le débat public ; leurs programmes électoraux ne sont guère tranchés et l’étiquette politique dont ils s’affublent ne remplit qu’une fonction ornementale. Rompus aux techniques de propagande et habiles à manipuler un électorat faiblement informé, les dirigeants locaux qui exerçaient quelque responsabilité sous le régime communiste ont, sur leurs concurrents, un net avantage [Gibson et Hanson 1996 : 309 ; Regulska 1993 : 184-185 ; Rose et al. 1996 : 98-99 ; Szakolczai 1993a : 34-39, 1993b : 11-12, 17]. L’analyse ainsi proposée repose sur des bases fragiles. Des recherches poussées ont montré l’existence de conflits d’intérêts locaux sous le régime communiste ; ces conflits n’entrent pas dans les cadres de référence occidentaux ; ils n’en constituent pas moins des facteurs de structuration significatifs [Creed 1998 : 205-218 ; Kideckel 1993a : 138-148 ; Ragaru 1998 ; Verdery 1983 : 37 et 56].

  • 4 . Le fonctionnement de ces réseaux est lui-même sujet à discussion. Des recherches ont montré que l (...)

4La thèse de l’imprégnation invite pré- cisément à examiner les structures politiques instituées. Selon ses concepteurs, le régime communiste a favorisé la formation de baronnies locales. Les édiles municipaux ont usé de leur influence au sein du Parti pour obtenir que leurs administrés bénéficient d’avantages ponctuels ou de dérogations. Cette pratique était particulièrement répandue dans les zones rurales : le « chaos administratif » qui régnait dans la plupart des villages a permis d’atteindre « un degré d’indépendance locale » sans équivalent et de développer des « systèmes de patronage » très efficaces. Ces systèmes sont demeurés en place après l’effondrement du régime communiste. Les anciennes élites locales sont parvenues à « protéger leur source de pouvoir » ; sitôt accoutumées au nouveau contexte institutionnel, elles se sont réclamées des formations dirigées par des cadres communistes reconvertis et ont recommencé à négocier avec les autorités centrales pour « distribuer des ressources et des faveurs » aux paysans [Coulson 1994 : 9 ; Kideckel 1995 : 51 ; Meurs et Begg 1998 : 247 et 253]. Contrairement à la précédente, cette explication prend en compte les particularités du régime communiste. Elle tend cependant à les réifier : étant admis que des réseaux clientélistes ont été construits dans le passé4, ils ne sauraient fonctionner sur un mode identique dans la période présente ; l’instabilité générée par les réformes économiques nuit à leur bon fonctionnement et compromet leur survie [Prickvance 1997 : 315-318].

5Si les thèses de la désagrégation et de l’imprégnation adoptent des orientations symétriques, elles présentent somme toute un même travers : les variables politiques héritées de la période communiste y sont présentées comme des scories qui empêchent d’accorder la vie politique locale au système de partis institué à l’échelle nationale. La conscience politique de l’électorat rural ayant été étouffée ou les héritiers de l’ancien système faisant obstacle à l’émergence de nouvelles élites municipales, les formations constituées ne pourraient s’implanter significativement dans les espaces politiques locaux. Si le BSP et les partisans de Ion Iliescu recueillent la majorité des suffrages dans les campagnes, ce résultat ne serait aucunement le fait d’une implantation locale supérieure à celle des formations concurrentes. Il révèlerait davantage un défaut généralisé d’implantation. Dès lors que cette optique est retenue, les similitudes observées entre la Bulgarie et la Roumanie peuvent être expliquées de la plus simple façon : des scories de même nature apparaissent dans l’un et l’autre cas ; tout au plus est-il utile de marquer quelques variations volumétriques et d’opérer un classement selon que les liaisons entre les scènes politiques nationale et locale sont plus ou moins obstruées.

6En redéfinissant les postulats de l’analyse, nous pouvons proposer une méthode de comparaison alternative. Plutôt qu’une scorie dont il faudrait attendre l’éventuelle érosion, l’héritage communiste est, d’après notre lecture, un élément de structuration dynamique. Loin de se perpétuer sous une forme inaltérée, il participe d’un « fondu enchaîné » sociologique : il importe d’étudier les modalités selon lesquelles il se « combine » avec des principes d’organisation nouveaux pour donner forme à des arrangements sociaux inédits. Les rapports qui se sont établis entre les campagnes et le pouvoir communiste ne sont pas reproduits à l’identique ; au mieux ils forment une matrice. Aussi des comparaisons qualitatives sont-elles nécessaires : plutôt que de chercher des structures communes dans les campagnes bulgare et roumaine, il faut considérer que des logiques différentes peuvent produire des effets similaires ; plutôt que de marquer des différences de degré entre les exemples retenus, il convient de caractériser plusieurs fondus enchaînés.

7Plusieurs niveaux d’observation doivent être croisés [Sawicki 2000]. Les fondus enchaînés entre dispositifs hérités du régime communiste et nouveaux facteurs de structuration sont envisagés au niveau national aussi bien qu’au niveau local : « les changements à l’œuvre dans les macroinstitutions peuvent affecter le fonctionnement des microinstitutions » ; les tensions observées au niveau microinstitutionnel génèrent dans le même temps des effets propres et contribuent à l’émergence de nouvelles macroinstitutions [Burawoy et Verdery 1999 : 2, 7 et 15].

8Appliqué aux partis politiques bulgares et roumains, ce schéma d’analyse invite à repérer un rapport dynamique entre les programmes agraires définis au niveau national et la structuration des espaces politiques locaux. Les formations qui s’attirent les faveurs des paysans ne sont pas les bénéficiaires indirectes d’une incapacité générale à articuler les divisions politiques nationales et les affrontements locaux. Elles s’imposent pour la raison qu’elles parviennent à combiner plus efficacement que leurs concurrentes les niveaux macro- et microinstitutionnel.

9Les programmes agraires dont se dotent les partis politiques relèvent du niveau macroinstitutionnel. Ils sont modelés par les recom- mandations économiques que formule l’Union européenne dans le cadre du processus d’élargissement. La Commission réclame une décollectivisation complète de la terre, une libéralisation des prix et une privatisation du système de distribution. Elle entend que des grandes unités soient composées et orientées, sur le modèle des fermes occidentales, vers une agriculture intensive. Les fermes collectives doivent être démantelées et céder la place à des grandes exploitations individuelles. Ces principes une fois observés, l’effectif de la paysannerie sera considérablement réduit : l’industrie privée fournira de nouveaux emplois et permettra de prompts recyclages individuels [Commission européenne 1998a et 1998b ; Ezkenazi et Nikolov 1996 : 195-197 ; Lhomel 1999 ; Rauta 1996 : 135-136 et 141]. Les partis politiques bulgares et roumains doivent se positionner face aux mots d’ordre ainsi énoncés. Ils mettent au point trois types de programmes agraires que nous qualifierons respectivement d’« anti- intégrationniste », d’« intégrationniste » et de « conciliatoire » [Roger 2001].

10Le programme anti-intégrationniste propose de suivre une voie originale, adaptée aux ressources locales et aux structures héritées de la période communiste. Selon ses promoteurs, il faut « renoncer » à tout dialogue avec l’Union européenne pour maintenir ou ramener l’économie nationale dans des formes d’organisation collectives et centralisées. Les paysans sont appelés à se rassembler dans des fermes d’État. Ces propositions sont défendues par le Parti communiste bulgare (Balgarska Komunistices ka Partija, BKP) et par son homologue roumain, le Parti socialiste des travailleurs (Partidul Socialist al Muncitorii, PSM). Elles sont également le fait de factions constituées au sein du BSP et du parti de Ion Iliescu [Serb 1994 ; Waller 1995].

11Le programme intégrationniste invite à une stricte observation des réformes exigées par l’Union européenne. Ses concepteurs admettent qu’une telle politique peut être source de souffrances, mais ils estiment qu’elle immunisera la société contre des douleurs plus vives encore. Une privatisation complète de l’agriculture est d’après eux nécessaire. La petite agriculture de subsistance doit par ailleurs être éliminée de façon à favoriser la constitution de grandes exploitations agricoles, capables de pratiquer une agriculture intensive et de se conformer aux normes de productivité européennes. Le programme ainsi formulé a pour porte-drapeaux l’Union des forces démocratiques (Sajuz na Democraticnite Sili, SDS) en Bulgarie et le Parti national paysan-chrétien démocrate (Partidul National Taranesc-Crestin Democrat, PNTCD) en Roumanie. Les formations qui représentent une minorité nationale tendent aussi à s’en faire les défenseurs : lorsqu’il s’agit de nouer un dialogue avec des partis à vocation majoritaire, l’Union démocratique des Magyars de Roumanie (Uniunea Democrata Maghiara din România, UDMR) affiche des positions intégrationnistes ; attaché à défendre les intérêts de la minorité turcophone de Bulgarie, le Mouvement des droits et libertés (Dvisenie za Pravata i Svobodie, DPS) conçoit la même inclination, mais il se montre plus pragmatique et accepte toute forme de partenariat politique qui peut servir son propos [Roger 2001].

12Les défenseurs du programme conciliatoire proposent un moyen terme entre les options jusqu’alors envisagées. Ils sont favorables aux réformes dans la mesure où elles conditionnent l’obtention de crédits communautaires, mais ils demandent qu’elles soient limitées au strict nécessaire. Ils recherchent en somme un dosage optimal entre soumission aux contraintes externes et préservation des équilibres internes. Ils préconisent des formes d’organisation intermédiaires qui échappent aux principes collectivistes et à la planification, mais qui demeurent – au moins partiellement – entre les mains de l’État. À la tête du BSP et dans l’entourage de Ion Iliescu ils défendent ces vues.

13Les trois programmes mis au point ne suffisent pas à expliquer les résultats électoraux contrastés que les formations politiques obtiennent dans les campagnes. Ils n’influent sur le vote des paysans que s’ils participent du fondu enchaîné caractérisé plus haut. Cette logique introduit un facteur de variation à deux niveaux emboîtés.

14Au niveau macroinstitutionnel, il convient d’examiner les modalités selon lesquelles les programmes sont mis en œuvre. Les réformes introduites dans l’agriculture sont largement tributaires des relations agraires instaurées sous le régime communiste : que les paysans aient entretenu un rapport harmonieux ou tendu avec le pouvoir, la décollectivisation obéit à des logiques diversifiées.

15Les variations ainsi relevées s’emboîtent dans le niveau microinstitutionnel. La logique de la décollectivisation conditionne la diffusion des mots d’ordre politiques auprès des paysans. Les programmes agraires sont récupérés par des intermédiaires locaux puis adaptés aux nouvelles structures locales par des moyens différenciés.

Facteur de variation macroinstitutionnel :
la logique de la décollectivisation

16En Bulgarie comme en Roumanie, une politique conciliatoire est menée immédiatement après la chute du régime communiste. Encore ne produit-elle pas des effets identiques dans les deux cas : marquées par leurs expériences passées, les paysanneries ne réagissent pas sur le même mode au changement de contexte économique.

17En Bulgarie, les relations agraires ont conservé un caractère harmonieux jusqu’à la fin de la période communiste. Les paysans ne manifestent donc aucun empressement à quitter les structures collectives. La politique conciliatoire peut être appliquée suivant une « logique de transvasement » : les modes de culture et les normes de travail hérités de l’économie socialiste sont conservés et orientés simplement vers des récipients institutionnels plus conformes aux exigences de l’Union européenne.

18En Roumanie, les autorités communistes ont durci leur politique agraire dans les années quatre-vingt. Après l’effondrement du régime, les paysans entendent s’affranchir de toute contrainte institutionnelle : ils s’empressent de démanteler les structures collectives et s’orientent vers la petite agriculture privée. La politique conciliatoire obéit dès ce moment à une « logique de drainage » : elle consiste à former de nouveaux récipients institutionnels et à y attirer des propriétaires pour lors dispersés.

Une logique de transvasement

19Dans la Bulgarie communiste, la collectivisation s’opère sur un double registre. À la fin des années quarante, des fermes d’État sont constituées à partir des grands domaines expropriés ; elles couvrent 8 % de la surface agricole utile (SAU). Parallèlement, 3 290 coopératives (TKZS) sont formées, dans lesquelles les paysans restent nominalement propriétaires de leurs terres mais sont sommés de les travailler collectivement : 90 % de la SAU sont exploités sur ce mode.

20Dans les coopératives, un « lopin auxiliaire » d’un demi-hectare est mis à la libre disposition de chaque paysan. Il sert le plus souvent à pratiquer une agriculture de subsistance. Un rapport de complémentarité est toutefois observé entre les cultures collectives et les cultures individuelles pratiquées sur les lopins auxiliaires. La production des lopins couvre les besoins alimentaires des paysans et permet d’orienter toutes les récoltes tirées des terres collectives vers les circuits de distribution nationaux. En retour, la coopérative fournit les engrais chimiques, les semences et le matériel agricole nécessaires à l’exploitation des lopins. Elle aménage des pâtures complémentaires pour le bétail que les paysans élèvent sur leur lopin et offre des services vétérinaires [Kaneff 1996 : 86-87 ; Ragaru et Halamska 2001 : 34]. Lorsque la production des lopins individuels outrepasse les besoins des paysans, les surplus sont vendus à l’État sur une base contractuelle et réinsérés dans le secteur socialiste. En guise de paiement, les paysans reçoivent de la nourriture pour leur bétail [Creed 1999 : 233].

21L’imbrication étroite des cultures individuelles et des cultures collectives permet aux autorités d’entretenir de bonnes relations avec les masses rurales. Si la paysannerie tire sa subsistance des lopins auxiliaires, cette orientation est intégrée au fonctionnement des coopératives plus qu’elle n’est conçue comme une échappatoire. Quelques réformes sont introduites dans les campagnes mais elles visent davantage à améliorer la productivité des exploitations qu’à mettre les paysans au pas. Dans les années soixante, une politique de regroupement des unités de production est engagée : les coopératives fusionnent et sont ramenées au nombre de 930. Au début des années soixante-dix, le Comité central décide de soumettre l’agriculture aux méthodes de production industrielles ; un effort de mécanisation est consenti et chaque unité est poussée à se spécialiser dans un type de culture : les coopératives cèdent ainsi la place à 160 « complexes agroindustriels » couvrant 2 400 hectares en moyenne. La réforme se solde par un échec économique. À la fin des années soixante-dix, les autorités décident de revenir sur leurs pas : les complexes agroindustriels sont démantelés et des coopératives de taille plus réduite sont formées. En 1986, les unités de production sont finalement ramenées à leurs dimensions initiales.

22Les réformes successivement mises en œuvre portent sur l’étendue et l’affectation des terres collectives mais ne remettent jamais en cause l’équilibre instauré entre ces terres et les lopins auxiliaires ; elles ne portent donc pas atteinte à l’assise du parti communiste dans les campagnes. Après l’effondrement du régime, les paysans ne manifestent aucune ardeur à démanteler les coopératives. Lorsque le Parlement en vient à voter, au printemps 1991, une « loi sur la propriété et l’utilisation des terres affermées », il n’a garde de détruire l’édifice institué. 4 800 « commissions agraires » sont chargées de procéder à la restitution des terres. Leurs activités sont rigoureusement encadrées : la loi précise qu’un individu ne peut se voir attribuer plus de 30 hectares (la limite est abaissée à 20 ha dans les zones de culture intensive). Les terres restituées doivent être consacrées à l’agriculture sous peine de sanctions fiscales. Elles ne peuvent être vendues avant un délai de trois ans. Seuls des membres de la famille, des propriétaires voisins ou des paysans qui les louaient peuvent ensuite s’en porter acquéreur. L’État et la municipalité ont la possibilité de déroger à cette règle et d’exercer un droit de préemption [Creed 1995a : 27 ; Kopeva et al. 1994 : 204]. Une « loi sur les coopératives » vient compléter ces mesures. Elle autorise les paysans à enregistrer de nouvelles coopératives bénéficiant d’un statut réaménagé. Les propriétaires doivent désormais recevoir des dividendes à proportion de la terre qu’ils engagent dans la coopérative et peuvent reprendre leur liberté quand bon leur semble.

23À peine ces lois sont-elles entrées en vigueur que des élections sont organisées. Le BSP n’obtient que 36,20 % des voix, résultat insuffisant pour prétendre conduire la législature. Le SDS ne réalise pas un meilleur score : il ne recueille que 34,34 % des suffrages exprimés. Avec l’appui du DPS (7,55 % des voix), il parvient cependant à former un gouvernement d’orientation intégrationniste.

24Les nouveaux dirigeants ne goûtent guère le dispositif conciliatoire mis en place par leurs prédécesseurs. Ils y voient un moyen ourdi par les héritiers du régime communiste pour défendre leurs positions acquises dans les campagnes. En mars 1992, ils amendent par conséquent la « loi sur la propriété ». Les restrictions quantitatives sont levées, ainsi que les obstacles posés à la revente des terres. La « loi sur les coopératives » est pareillement remaniée : aux termes du nouveau texte, les terres doivent obligatoirement être redistribuées en considération des découpages établis avant la collectivisation ; il n’est plus question de transformer directement les titres de propriété en titres de participation à une nouvelle coopérative.

25Afin d’accélérer le mouvement de décollectivisation, le gouvernement met en œuvre un double dispositif. Des « commissions agraires » sont tout d’abord chargées d’enregistrer les réclamations et d’examiner les justificatifs des familles désireuses de recouvrer la pleine propriété de leurs terres. Chaque commission est composée d’un président, de trois arpenteurs et de deux agronomes, tous désignés par les autorités politiques départementales. Avant d’entrer en exercice, une commission doit recevoir du ministère de l’Agriculture un agrément qui pourra à tout moment lui être retiré. Le gouvernement entend ainsi s’appuyer sur des hommes de confiance et contourner l’autorité que peuvent exercer localement les anciens responsables de coopératives.

26Des « comités de liquidation » comprenant quatre à six membres sont ensuite affectés à la tête de chaque coopérative en remplacement de l’ancienne direction. Ils ont pour mission de vendre le matériel agricole et les bâtiments puis de redistribuer, sous forme d’actions (dyalov kapital), les sommes collectées. Les membres des comités sont désignés par les autorités politiques régionales. Le plus souvent extérieurs au village, ils sont choisis parmi les militants et les sympathisants affichés du SDS. Leur salaire est prélevé sur les revenus de la coopérative. Dans nombre de localités, les paysans dénoncent le caractère occulte de leurs transactions et font état de malversations. En 1993, la loi est révisée en conséquence : les villageois obtiennent un droit de contrôle sur la composition des comités de liquidation. Leur pouvoir demeure toutefois limité : le ministère de l’Agriculture conserve la possibilité de confirmer dans leurs fonctions les membres qui ont été récusés au niveau local [Billaud 1996 ; Blotnicki 1995:167 ; Kaneff 1995, 1996 : 89-90 ; Kopeva et al. op. cit. : 208 et 213].

27Si le nouveau dispositif apporte satisfaction aux membres du SDS, il suscite quelques dissensions au sein du DPS : les comités de liquidation s’acquittent très rapidement de leur mission dans les régions agricoles où la population turcophone est majoritaire. Spécialisées dans la production du tabac, les coopératives visées n’ont guère été mécanisées ; la revente de leur matériel ne pose donc aucune difficulté. Les familles turcophones n’ayant généralement aucun titre de propriété à faire valoir, les commissions agraires n’ont pas de dossier à traiter. Les exploitations de tabac non rentables sont simplement démantelées et leur main-d’œuvre est licenciée sans autre forme de procès. Les villages turcophones comptent dès ce moment 25 à 90 % de chômeurs. Au nom de leurs mandataires, plusieurs représentants du DPS protestent contre la politique agricole du gouvernement. En octobre 1992, la direction du parti finit par se rallier à leurs vues et par refuser de collaborer plus avant avec le SDS [Bates 1995 : 146 ; Meurs et Begg 1998]. Ce revirement provoque la chute du gouvernement en place. Un cabinet est aussitôt constitué sous l’impulsion du DPS, avec l’appui du BSP.

28Une politique d’accommodement est alors adoptée. Les autorités encouragent la formation de nouvelles coopératives, mais elles ne reviennent pas sur les amendements préalablement votés pour faciliter la revente des terres. Le gouvernement se plaît à expliquer qu’il laisse les paysans libres de leur choix. Dans les faits, les terres sont très largement réinsérées dans les nouvelles coopératives : en 1993, seulement 9,7 % des paysans exploitent individuellement leur terre [Commission européenne 1998a ; Meurs et Spreeuw 1997 ; Yarnal 1994].

29Les relations agraires en Bulgarie pendant la période communiste influent fortement sur le cours des réformes adoptées dans les années qui suivent le changement de régime : elles permettent un transvasement des structures collectives dans des cadres institutionnels réformés pour répondre aux exigences de l’Union européenne. Une comparaison avec la trajectoire empruntée en Roumanie permet de bien saisir la portée de telles caractéristiques. Le Parti communiste roumain n’étant jamais parvenu à instaurer un rapport harmonieux entre les cultures collectives et les cultures individuelles, il a dû recourir à des méthodes de plus en plus coercitives pour soumettre les campagnes à ses volontés. Le régime à peine effondré, les paysans s’affranchissent des structures collectives et se replient sur des petites parcelles privées impropres à la pratique d’une agriculture intensive. La politique conciliatoire ne peut alors se traduire par un simple transvasement institutionnel ; elle consiste plutôt à drainer les paysans vers des formes de coopération plus poussées.

Une logique de drainage

30En octobre 1945, une première réforme agraire est introduite en Roumanie. Elle touche les grands propriétaires fonciers qui possèdent plus de 50 hectares ; avec les terres ainsi libérées, apparaissent des entreprises agricoles d’État (Intreprideri Agricole de Stat). Au même titre que les entreprises industrielles, elles sont soumises au plan : des « objectifs de production » et des « objectifs de rendement » leur sont imposés ; un parc de machines propre et des conducteurs d’engins agricoles (tractoristi) leur sont affectés ; une part des bénéfices réalisés sert à constituer un « fonds de salaire » et à rémunérer les employés.

31En 1949, les paysans qui disposent de 5 à 10 hectares sont à leur tour expropriés. 940 000 hectares sont ainsi accaparés, qui viennent élargir le terrain des entreprises agricoles d’État. Les petits paysans qui détiennent moins de 5 hectares sont, pour leur part, poussés à intégrer des coopératives agricoles de production (Cooperativa Agricola de Productie). Si ces nouvelles unités sont soumises à un régime de planification, elles ne sont pas contrôlées aussi étroitement que les entreprises agricoles d’État. Chacune se voit assigner des objectifs annuels mais reste libre de les atteindre par les moyens qui lui conviennent. Quelques normes d’organisation sont simplement édictées. Les paysans coopérateurs (tarani cooperatorii) sont rassemblés par groupes de quinze dans des « brigades ». Les coopératives ne sont pas dotées d’un parc de machines propre ; elles doivent louer leurs tracteurs à des stations de mécanisation agricole (Statie de Mecanisare Agricola). Les paysans coopérateurs ne travaillent sur les terres collectives que de 7 heures du matin à 3 heures de l’après-midi ; ils peuvent occuper le reste de leur journée à des activités complémentaires. Ils disposent à cet effet de « lopins individuels ». Un lopin n’est pas assimilable à une propriété privée : il est simplement alloué par la coopérative et ne peut ni être vendu ni transmis par héritage. Sa superficie est de 1 500 mètres carrés en moyenne. Ce chiffre dissimule toutefois quelques disparités : aux dirigeants de coopératives on attribue des lopins plus vastes, couvrant jusqu’à 14 hectares. Dans tous les cas, les récoltes tirées du lopin peuvent être vendues sur le marché privé.

32Dans l’optique des dirigeants communistes, les lopins individuels doivent amener les masses rurales à travailler les terres collectives, sans être brusquées ou coupées totalement de leurs pratiques accoutumées : le paysan coopérateur se montrera docile dès l’instant où il restera libre de se livrer à de petites cultures de subsistance sur son lopin individuel. Les intéressés déjouent rapidement ces prévisions en consacrant toute leur énergie à leur lopin et en se dérobant au travail collectif. Plusieurs réformes sont successivement introduites pour les mettre au pas. Elles ne sont jamais couronnées de succès. Dans les années quatre-vingt, les autorités se résolvent à adopter des mesures radicales. Elles décident de confisquer les lopins individuels et de reloger les paysans dans des blocs standardisés. À titre de substitution, elles prévoient d’aménager des « jardins » de 80 à 90 mètres carrés dans le périmètre de construction et de les attribuer collectivement aux habitants d’un même bloc. Les changements intervenus en 1989 interrompent la mise en œuvre de cette politique [Roger 2002].

33Libérés de la menace qui pesait sur eux, les paysans se réapproprient spontanément les terres des coopératives. Lopins individuels et terres collectives confondus, 3 millions d’hectares passent en régime de propriété privée au début de l’année 1990. Cette mutation brutale perturbe les circuits de distribution. Les paysans issus des coopératives dissoutes produisent pour leur propre consommation. Ils stockent les surplus ou les écoulent sur des petits marchés de proximité qui échappent totalement au contrôle de l’État. En conséquence, plusieurs grandes villes connaissent des difficultés d’approvisionnement en huile, sucre et farine durant l’été 1990 [Hirschausen 1995 : 181-184, 1997 : 45 ; Kideckel 1992 : 92-98 ; Lhomel 1995 : 132 ; Sivignon 1993].

34Les autorités sont désarmées. Elles sont placées devant le fait accompli. Sauf à provoquer un soulèvement des campagnes, elles ne sauraient réclamer aux paysans de reconstituer les coopératives. Elles doivent se contenter de régulariser la situation. En février 1991, une « loi sur l’agriculture et les ressources agraires » (loi 18/1991) est ainsi votée.

  • 5 . Les entreprises agricoles d’État employaient dans la période communiste une main-d’œuvre salariée (...)
  • 6 . Le glissement vers l’agriculture individuelle ne s’opère que dans la seconde moitié des années qu (...)

35Les coopératives sont officiellement dissoutes. La terre est redistribuée aux « anciens propriétaires ». Il n’est pas question cependant de redonner vie à la structure agraire de l’entre-deux-guerres. Parmi les paysans qui viennent de s’attribuer une parcelle, beaucoup sont issus de familles qui n’avaient pas ou peu de terres au moment de la collectivisation. Pour éviter toute frustration et tout affrontement, il est nécessaire de leur accorder des titres de propriété. Un correctif doit alors être apporté au principe de la simple restitution. Les titres de propriété anciens sont rabotés en application d’un système de plafonnement : la superficie récupérée au bénéfice de la réforme est limitée à 10 hectares par famille. Chaque paysan qui a travaillé plus de trois ans dans une coopérative agricole de production reçoit une parcelle de 0,5 à 1 hectare. Les mécaniciens et les cadres intermédiaires employés sur place bénéficient du même régime. Lorsque la quantité de terre fournie par la coopérative dissoute ne permet pas de satisfaire toutes les attentes, un coefficient de réduction permet d’opérer une ponction sur les parcelles distribuées aux anciens propriétaires. Lorsqu’à l’inverse un excédent de terre est disponible, il est distribué par lots à des familles qui n’étaient pas engagées dans la coopérative mais qui souhaitent s’adonner à une activité agricole. La cession des terres reçues à titre de restitution est autorisée, mais elle est soumise à l’approbation d’une « commission locale » : composée de fonctionnaires, cette instance doit s’assurer qu’aucune propriété individuelle ne dépasse les 100 hectares5. Pour utiliser le matériel des coopératives démantelées, les paysans sont invités à former des « associations agricoles ». Lorsqu’aucune association n’est créée, le matériel est vendu aux enchères [Constantinescu 1992 ; Otiman 1994 : 51-70 ; Rey, Ianos et Leclerc 1992 ; Topor 1991 : 37 ; Verdery 1994, 1996 : 137]6.

36Si, en Roumanie comme dans toutes les anciennes démocraties populaires, un équilibre est recherché entre « justice réparatrice » et « justice distributive », le fléau de la balance penche résolument vers la seconde [Maurel 1994a : 348-349]. Pressées par la base, les autorités roumaines « reconstituent » les titres de propriété plus qu’elles ne les « restituent ». Elles ne reviennent pas au statu quo ante mais introduisent indirectement une réforme agraire. 3 800 coopératives sont liquidées au total ; 9 millions d’hectares sont redistribués à 5,6 millions de propriétaires. 66 % de la surface agricole totale sont désormais couverts par des propriétés dont la superficie est inférieure à 2 hectares. La taille moyenne des propriétés est de 1,8 hectare [Hirschausen 1997 : 67].

37Les autorités ne renoncent pas à pousser les paysans issus des coopératives agricoles d’État vers des formes d’agriculture plus intensives. Les « stations de mécanisation agricole » héritées de la période communiste sont ainsi transformées en sociétés commerciales et rebaptisées Agromec. Au nombre de 520, elles détiennent 50 % du parc national de tracteurs. Elles sont placées sous le contrôle direct du ministère de l’Agriculture. Les capitaux qui y sont investis sont publics à 100 % ; il est prévu qu’ils se diversifient progressivement. Une société, Semrom, est de même créée dans chaque département (judet) : elle fournit les paysans en engrais et en semailles. Le réseau de collecte des céréales est maintenu sur pied ; il est transformé en trust commercial à participation publique majoritaire et prend le nom de Romcereal. Il achète les céréales en considération des besoins nationaux et assure leur diffusion sur l’ensemble du territoire.

38En articulation avec ces trois institutions, une « loi sur les sociétés agricoles et autres formes d’association agricoles » (loi 36/1991) est votée en avril 1991. Elle vise à édifier des structures collectives intermédiaires qui, sur la base du volontariat, regroupent les petites exploitations individuelles en unités agricoles productives et rentables. Elle établit une distinction entre « associations familiales » et « sociétés agricoles ». Les premières reposent sur un accord informel entre paysans ; elles ne disposent d’aucune personnalité juridique. Les secondes doivent déposer leurs statuts à la préfecture. Les paysans qui fondent une société agricole réalisent leurs investissements et travaillent la terre en commun, mais chacun commercialise sa récolte comme il l’entend. Toute société agricole est gérée par un conseil d’administration ; son capital est divisé en parts ; ses membres sont libres de la quitter à tout moment.

39Les exploitants individuels ne peuvent entrer en relation avec les stations Agromec et Semrom ou avec les bases Romcereal que par l’intermédiaire d’une société agricole. Ils obtiennent de cette façon du matériel, des semences, des engrais et des produits phytosanitaires à des prix préférentiels.

40Agromec, Semrom et Romcereal fonctionnent de façon emboîtée au niveau local : pour chaque campagne agricole, la société Romcereal reçoit un crédit du ministère de l’Agriculture ; elle paie par avance aux stations Agromec et Semrom les services rendus aux sociétés agricoles ; en échange de cette assistance, les paysans concernés lui livrent une partie de leur récolte [Hirschausen 1994 : 322 sq.].

41À l’inverse des coopératives bulgares, les sociétés agricoles ne peuvent dès l’abord regrouper toute la paysannerie. Avant qu’elles ne soient mises sur pied, les populations rurales étaient réparties en deux ensembles, l’un et l’autre attachés à des cultures individuelles.

42Le premier ensemble comprend les grands paysans qui ont pu amorcer une dynamique d’accumulation et ont pu s’essayer rapidement à l’agriculture intensive. Seulement 5 % des propriétaires ont les moyens d’effectuer des investissements à moyen terme. Ils parviennent à orienter la plus grande partie de leur récolte vers les marchés urbains et réalisent des bénéfices substantiels qui leur permettent d’élargir leur propriété. Les anciens directeurs de coopératives agricoles de production représentent le plus gros de leur effectif. Sous le régime communiste, ils ont pu accumuler quelque argent dans l’exercice de leurs fonctions [Marginean 1995 ; Mihailescu et Nicolau 1995 : 73 ; Sampson 1993 ; Verdery 1996 : 137, 1998 : 102-103].

43Le second ensemble est constitué par la petite paysannerie. Les deux tiers des paysans recensés au début des années quatre-vingt-dix ne forment aucun projet d’investissement ; ils consacrent la quasi-totalité de leur récolte à leur propre consommation et se procurent, par un système de troc, les biens qu’ils ne peuvent produire eux-mêmes. Ils se tiennent à l’écart des réseaux de distribution institutionnels [Commission européenne 1998b ; Fulea 1996 ; Hirschausen 1994 : 322, 1997 : 66, 73, 185 et 200-201 ; Kideckel 1992 : 88, 1993b].

44Coexistant dès l’origine avec des régimes de propriété différenciés, les sociétés agricoles ne peuvent avoir le même statut que les coopératives bulgares. Elles ne servent pas à dissuader les paysans de s’orienter vers des cultures individuelles mais à convaincre les propriétaires qui pratiquent ces cultures d’y renoncer et de revenir à des méthodes de travail en commun. Les grands paysans ne sont pas visés : ils se livrent déjà à des cultures intensives, et il n’est pas question de les amener à de nouvelles pratiques. Les petits paysans qui s’adonnent à des cultures de subsistance sont une cible prioritaire. Isolément, leurs parcelles ne sont guère étendues mais, dans leur ensemble, elles couvrent une surface importante et doivent à ce titre être réinsérées dans les circuits de distribution nationaux.

45Entre les trajectoires bulgare et roumaine, on peut relever des écarts significatifs. Dans la période communiste les structures agraires semblent certes présenter des contours identiques : une division est observée entre les fermes d’État et les coopératives dans lesquelles les paysans disposent librement d’une petite parcelle. Mais ces lignes extérieures dissimulent des différences majeures : si les lopins individuels et le secteur socialiste sont étroitement imbriqués en Bulgarie, ils se développent sur un mode antagonique en Roumanie ; les relations agraires peuvent être paisibles dans le premier cas tandis qu’elles ne cessent de se durcir dans le second. La marque de cette division reste perceptible ensuite. Dans les deux pays, une politique conciliatoire est bien mise en œuvre au moment de la décollectivisation, qui permet d’édifier des structures agraires intermédiaires éloignées tant des structures collectivistes que des règles de la libre concurrence. Mais les résultats obtenus sont loin d’être identiques : en Bulgarie, il est possible de former de nouvelles coopératives par un simple réaménagement institutionnel dans la mesure où les paysans demeurent inscrits en grand nombre dans les structures héritées de la période communiste ; en Roumanie, les sociétés agricoles ne peuvent connaître un succès aussi prompt car les paysans ont fui les structures collectives pour se consacrer individuellement à leur parcelle.

46Les divergences ainsi relevées contrastent avec le caractère stéréotypé des projets que les partis politiques élaborent en réponse aux pressions exercées par l’Union européenne. Si les programmes anti-intégrationniste, intégrationniste et conciliatoire défendus au niveau national présentent les mêmes contours en Bulgarie et en Roumanie, ils ne sont pas diffusés sur le même mode dans les campagnes : dès lors que les paysans sont insérés dans des relations agraires différenciées au niveau macroinstitutionnel, ils ne peuvent être mobilisés par des moyens identiques au niveau microinstitutionnel. Les intermédiaires locaux des partis politiques doivent adapter les programmes aux réalités locales.

Facteur de variation microinstitutionnel :
le travail des intermédiaires locaux

47Dans les villages bulgares et roumains, les militants intégrationnistes, anti-intégrationnistes et conciliatoires invitent les paysans à soutenir le programme agraire défini par leur parti. Ils travaillent à collecter des suffrages dans la perspective des prochaines élections nationales en même temps qu’ils servent leurs propres ambitions politiques au niveau local. Les méthodes qu’ils utilisent diffèrent selon que la décollectivisation a obéi à une logique de transvasement ou à une logique de drainage. Dans le premier cas, les paysans sont engagés en grand nombre dans des coopératives réformées. Durant les années qui suivent le changement de régime, les intermédiaires locaux doivent se glisser dans ces structures et les faire fonctionner pour appuyer leur propos ; il s’agit pour eux d’« acclimater » les paysans à des pratiques conformes au programme défendu. Dans le second cas, les intermédiaires locaux ont affaire à une paysannerie dispersée. En utilisant les structures coopératives de manière circonstanciée, ils s’attachent à prouver que les comportements préconisés par leur programme agraire sont les plus porteurs ; ils entendent ainsi montrer l’exemple et inciter les paysans à suivre la voie qu’ils indiquent : les sociétés agricoles sont pour eux des instruments de « démonstration ».

48Des difficultés apparaissent dans l’un et l’autre cas. Et s’amplifient lorsqu’une concurrence s’instaure entre plusieurs types de coopératives au sein d’un même village : chaque intermédiaire cherche alors à démontrer la supériorité de son programme et à attirer les paysans qui adhèrent à un autre modèle. Dès qu’une coopérative connaît quelques déboires, ses rivales en tirent parti. Les intermédiaires conciliatoires se trouvent de prime abord en position de force dans la mesure où ils s’appuient sur des structures agraires conçues pour servir leur propos. Une fois installés, ils sont néanmoins amenés à prendre quelque licence avec le programme que défend leur parti. Leur succès immédiat n’est pas le gage d’une implantation politique pérenne.

Un travail d’acclimatation

  • 7 . En 1995 et 1996, 81,8 % des paysans roumains interrogés déclarent ne posséder en propre aucune ma (...)

49En Bulgarie, la structure agraire présente durant plusieurs années un caractère homogène. La majorité des propriétaires se refuse à travailler la terre isolément et préfère se maintenir dans les nouvelles coopératives7. Les intermédiaires locaux utilisent ces coopératives pour transformer les habitudes des paysans dans l’espoir que leur vote sera orienté en conséquence. Les obstacles rencontrés sont plus ou moins difficiles à surmonter selon que l’objectif est de diffuser un programme anti-intégrationniste, intégrationniste ou conciliatoire.

50Les intermédiaires anti-intégrationnistes sont les anciens responsables locaux du Parti communiste bulgare. Ils intègrent les conseils d’administration de coopératives constituées pour y défendre leurs vues : ils y louent les mérites des structures agraires instaurées sous le régime communiste et expliquent que les représentants corrompus du SDS ont travaillé à leur démembrement contre la volonté des paysans, avec le soutien des puissances occidentales attachées à conquérir de nouveaux marchés. Les malversations observées suffisent selon eux à prouver le caractère néfaste des réformes engagées. Pour assainir les relations agraires, il convient d’écarter de toutes les coopératives les responsables avides de gains individuels et de les remplacer par les dirigeants qui ont fait autrefois la preuve de leur désintéressement [Creed 1995a : 29].

51Ce discours trouve quelque écho dans les campagnes bulgares mais aucun paysan n’y adhère totalement. Les populations rurales lui prêtent attention dans la mesure où le changement de régime leur paraît piloté par des élites urbaines distantes et peu soucieuses des problèmes qui affectent le secteur agricole. L’influence politique qu’elles pouvaient exercer sous le régime communiste leur semble comparativement forte : par des pressions informelles, les paysans parvenaient à faire valoir leurs intérêts ; le nouveau régime leur donne le droit d’élire librement leurs représentants mais il les prive de relais plus efficaces. Les intermédiaires anti-intégrationnistes s’appuient sur ce sentiment diffus mais n’en retirent que des avantages limités : les paysans sont satisfaits de pouvoir vendre leurs récoltes avec des perspectives de profit plutôt que de les livrer systématiquement à l’État. S’ils récriminent contre les inconvénients relatifs du nouveau régime, ils ne manifestent pas la volonté de restaurer un système économique centralisé [Creed 1995b ; Giordano et Kostova 1995 : 165].

52Faute d’obtenir des soutiens fermes, les intermédiaires anti-intégrationnistes ne peuvent constituer des coopératives autonomes. Ils doivent se contenter de défendre leurs arguments au sein d’unités dont le fonctionnement ne répond pas à leurs attentes. Ils se plaisent à souligner les difficultés que connaissent leurs adversaires intégrationnistes.

53Les intermédiaires intégrationnistes sont le plus souvent des jeunes ingénieurs agronomes originaires du village. Confinés à la fin de la période communiste dans des fonctions subalternes ils entendent s’affirmer dans le nouveau régime. Pour adapter le programme défini par le SDS aux réalités locales, ils se glissent dans les nouvelles structures agraires. Leur démarche procède du raisonnement suivant : les paysans sont attachés aux coopératives pour la raison qu’ils y ont vécu sans troubles durant des décennies ; plutôt que de les en chasser par la force comme le SDS a initialement tenté de le faire en mettant sur pied les comités de liquidation, il s’agit de les amener en douceur vers un autre type d’organisation. Il suffit d’imposer, dans les coopératives, quelques principes intégrationnistes pour que les paysans parviennent à appréhender différemment leur avenir. Une fois gagnés par ce nouvel état d’esprit, les petits propriétaires adopteront automatiquement un comportement d’entrepreneur. Leur intérêt leur apparaîtra sous son vrai jour et les incitera à voter pour les candidats intégrationnistes. Dans cette optique, la coopérative n’est pas un modèle pérenne, mais seulement une « matrice d’apprentissage de conduites économiques autonomes » [Maurel 1994b : 138].

54Les intermédiaires intégrationnistes peuvent éprouver quelque difficulté à s’imposer directement à la tête d’une coopérative. Il leur faut alors intégrer le conseil d’administration d’une unité constituée et y imposer petit à petit leurs vues. Lorsqu’un blocage est observé, la solution consiste à faire scission et fonder une nouvelle coopérative avec les terres des paysans d’ores et déjà convertis aux thèses intégrationnistes.

55Dans sa forme la plus commune, une coopérative intégrationniste est dirigée par un conseil d’administration restreint et ne compte aucun salarié. Les membres du conseil d’administration louent la terre des paysans et l’exploitent eux-mêmes. Lorsque la charge est trop lourde – pendant les périodes de labour et de moisson par exemple – ils ont recours aux services d’une main-d’œuvre extérieure qu’ils rémunèrent à la tâche. Les propriétaires sont rétribués sur une base forfaitaire : un revenu par hectare est arrêté au début de la saison pour chaque type de céréale. Les membres du conseil d’administration prennent à leur compte toutes les recettes et les dépenses de la coopérative ; leur revenu dépend des sommes qui restent dans les caisses de la coopérative une fois les loyers versés aux propriétaires [Kaneff 1998 ; Yarnal 1998].

56Les dirigeants des coopératives intégrationnistes ne se contentent pas de reconnaître aux propriétaires le droit de recouvrer le plein usage de leur parcelle. Ils entendent également leur communiquer l’esprit d’initiative et le sens des responsabilités. Dans leur gestion courante, ils élèvent donc la flexibilité au rang de valeur cardinale : les paysans qui leur louent des terres sont encouragés à conserver une partie de leur domaine pour un usage individuel et à vendre librement la récolte qu’ils en tirent. En d’autres termes, ils sont invités à élaborer des stratégies mixtes. En apprenant à jongler avec plusieurs régimes de propriété, les petits exploitants agricoles doivent peu à peu se détourner de la logique d’assistanat à laquelle le régime communiste les a accoutumés [Kaneff 1996 : 101 ; Swinnen 1997].

57Les intermédiaires intégrationnistes se réapproprient de la sorte les coopératives. Ils les détournent des objectifs conciliatoires qui ont présidé à leur édification et s’efforcent de les mettre au service du programme défendu par le SDS. Cette politique se s’applique pas sans encombre. Elle se heurte régulièrement à une double incompréhension.

58Dans les premiers temps, l’appareil dirigeant du SDS peine à identifier ses intermédiaires : coupé des réalités locales et aveuglé par les combats qu’il livre contre l’ancienne nomenklatura au niveau national, il est tenu par la conviction que, indistinctement, tous les dirigeants des coopératives sont des potentats communistes en quête d’une nouvelle sinécure. Ayant travaillé dans les structures collectives sous le régime communiste, les ingénieurs agronomes sont regardés avec méfiance. Le fait qu’ils aient toujours été affectés à des postes secondaires n’est pas pris en considération. S’ils se revendiquent ouvertement du SDS, ils sont encore soupçonnés de se livrer à de basses manœuvres et de travailler secrètement pour le compte du BSP. Ils éprouvent donc les pires difficultés à obtenir les soutiens nationaux qu’ils réclament. Le parti ne leur accorde son investiture que « faute de mieux » et dans l’attente de voir émerger des figures locales plus assurément dévouées à sa cause.

59Il arrive également que les paysans contrarient les desseins des intermédiaires intégrationnistes. Lorsque la récolte est abondante, les dirigeants de la coopérative réalisent des profits substantiels et en comparaison les propriétaires reçoivent bien peu. On réclame alors une répartition plus équitable des bénéfices. Les intérêts individuels s’expriment bien à l’intérieur de la coopérative, mais non sur le registre attendu [Creed 1995a ; Lyons et al. 1994 ; Swinnen op. cit.].

60Les intermédiaires intégrationnistes sont mal compris par les dirigeants nationaux du SDS comme par les paysans auxquels ils s’adressent. La démarche de leurs homologues conciliatoires prête moins à confusion. Son succès n’est pas assuré pour autant.

61Les intermédiaires conciliatoires sont le plus souvent des personnes âgées qui ont quitté le village pour des raisons professionnelles et s’y sont rétablies à l’âge de la retraite. Ils n’ont aucune expérience directe de l’agriculture mais sont prêts à utiliser leurs économies pour fonder une coopérative. Selon eux, la compétition dans l’agriculture est nécessaire, mais doit engager des coopératives plutôt que des individus motivés par des perspectives de gain à court terme. L’État a pour devoir de subventionner les coopératives déficitaires pour les remettre à flots et leur permettre de concourir à chances égales avec des unités plus rentables. Un écart doit être marqué avec l’anticommunisme outrancier du SDS : il s’agit de récuser la thèse selon laquelle le développement de l’agriculture bulgare passe par une éradication pure et simple des structures héritées du communisme [Creed 1999 : 228].

62Les coopératives conciliatoires s’appuient dans une large mesure sur les terres de paysans qui, trop âgés ou contraints de résider en ville, ne peuvent se consacrer aux travaux des champs. Elles recrutent des employés à plein temps qu’elles rémunèrent au moyen de sommes prélevées sur le chiffre d’affaires. Les membres du conseil d’administration reçoivent eux-mêmes un salaire fixe. Les récoltes sont redistribuées aux paysans en fonction de la surface qu’ils ont engagée dans la coopérative. Les délimitations des parcelles ne font pas l’objet d’une attention scrupuleuse : la terre est conçue non comme un bien privé mais comme une possession de la coopérative ; les paysans se la représentent comme une entité unifiée et non comme une agglomération de propriétés individuelles. Dans la gestion quotidienne, les intérêts de la coopérative l’emportent sur les intérêts particuliers. Chaque année, un pourcentage prélevé sur les bénéfices vient alimenter un « fonds général » et sert à subventionner l’école et la bibliothèque municipales [Creed 1991, 1995a, 1995b : 865].

63Les intermédiaires conciliatoires gagnent immédiatement un soutien au niveau national. Le BSP valorise les coopératives qu’ils dirigent et les regarde comme les chevilles ouvrières de son programme agraire. Son jugement se fait plus sévère toutefois lorsque, soucieux d’entretenir leur popularité, les intermédiaires locaux font preuve de complaisance envers les paysans dont ils gèrent les terres. Pour ces derniers, les coopératives permettent avant tout d’obtenir des produits de première nécessité et d’économiser d’autant l’argent obtenu par d’autres moyens. L’équilibre symbiotique établi sous le communisme entre travail des terres collectives et cultures de subsistance trouve dans cette posture un prolongement indirect. Pour contenter les paysans, les responsables des coopératives conciliatoires doivent revoir à la baisse leurs objectifs de rendement et renoncer à produire des céréales uniquement destinées aux circuits de consommation nationaux. Dans certains cas, ils vont jusqu’à doter la coopérative d’une unité de transformation qui achète une partie des céréales et des oléagineux pour revendre aux villageois du pain et de l’huile à bon marché [Creed 1999 ; Kaneff 1996 : 97].

64Un équilibre est recherché entre la fidélité au programme conciliatoire et la nécessité de complaire aux membres de la coopérative. Les intermédiaires locaux tentent de remontrer à leur appareil dirigeant qu’ils s’écartent de leurs préceptes conciliatoires afin que les paysans ne s’orientent pas vers des coopératives moins conformes encore aux desseins du BSP. Mais cet ordre de priorité local échappe le plus souvent aux responsables nationaux. Les relations entre la direction du parti et sa base se font de plus en plus tendues à mesure que les appréciations divergent. Si les intermédiaires conciliatoires bénéficiaient initialement d’un avantage sur leurs concurrents, ils finissent par se heurter à des écueils de même importance.

65Qu’ils défendent des options anti-intégrationnistes, intégrationnistes ou conciliatoires, les intermédiaires locaux bulgares doivent tous se livrer à un travail d’acclimatation : par le fait de la logique de transvasement la grande majorité des paysans reste engagée dans des coopératives. Lorsqu’une logique de drainage est observée, les obstacles sont d’une autre nature ; l’emboîtement des logiques macroinstitutionnelle et microinstitutionnelle ne produit pas les mêmes effets : les intermédiaires locaux se portent à la tête des exploitations coopératives dans le but de démontrer aux paysans la supériorité du programme qu’ils soutiennent.

Un travail de démonstration

66En Roumanie, les intermédiaires locaux doivent composer avec une structure agraire bien différente de celle que connaissent leurs homologues bulgares. Les paysans ne sont pas engagés en grand nombre dans les sociétés agricoles. Les responsables de ces sociétés peuvent défendre des options anti-intégrationnistes, intégrationnistes ou conciliatoires : ils doivent dans tous les cas mettre en lumière les avantages du type d’organisation qu’ils privilégient. Cette entreprise ne peut toujours être menée à bien : par le fait des décalages observés entre les régimes de propriété, des stratégies individuelles sont élaborées qui interfèrent avec les objectifs fixés par les partis politiques.

67Les intermédiaires anti-intégrationnistes sont issus de l’intelligentsia villageoise (médecins, enseignants…). Ils détenaient un pouvoir informel important dans la période communiste. Le changement de régime les indispose dans la mesure où il permet à des paysans peu qualifiés de s’enrichir et de s’élever au rang de notable tandis que leurs propres revenus stagnent et que leur prestige social s’effrite. Pour contrecarrer cette évolution, ils s’efforcent d’acquérir quelque revenu supplémentaire en se portant à la tête de sociétés agricoles [Sampson 1995 : 174].

68Dans les unités ainsi formées, les principes d’organisation restent proches de ceux qui étaient en vigueur dans les coopératives agricoles de production. L’objectif affiché est de cultiver les céréales les plus rentables sur un mode intensif. Une mécanisation maximale est recherchée. Lorsqu’ils distribuent les cultures sur l’ensemble des terres, les responsables de la société agricole ne prennent pas en compte les délimitations des propriétés individuelles. Les sociétaires sont rémunérés en nature et en espèces à hauteur de 30 % de la production totale. Les paysans âgés et les citadins qui confient leur parcelle à la société agricole sans participer aux tâches matérielles ne peuvent prétendre à plus de 10 % des bénéfices [Kideckel 1995 : 57-60].

69Si des paysans intègrent les sociétés agricoles anti-intégrationnistes et s’y maintiennent, les intermédiaires locaux ne peuvent en conclure que leur démarche est payante. Leur succès n’est dû dans la majorité des cas qu’à une absence d’alternative au niveau local : les paysans n’ont pas les moyens d’acquérir le matériel agricole qui leur permettrait de cultiver directement leur parcelle ; faute de pouvoir en louer à un propriétaire plus fortuné, ils doivent se résoudre à intégrer la société agricole constituée. Les dirigeants peuvent alors dicter leurs volontés en brandissant la menace d’une exclusion [Verdery 1999 : 63].

70Les paysans n’adhèrent pas au programme anti-intégrationniste. Dès l’instant où ils observent des sociétés agricoles fondées sur des bases différentes dans d’autres villages, ils se montrent insatisfaits de leur sort et refusent d’apporter leur suffrage aux intermédiaires locaux anti-intégrationnistes. Leur mécontentement se traduit par des comportements individualistes : lorsque les cultures sont affectées par des intempéries, les propriétaires dont les terres ont été épargnées refusent que les pertes soient assumées collectivement ; ils entendent que chacun soit rémunéré en fonction des rendements de sa parcelle et non en fonction du rendement moyen de la société [Creed 1999]. Pour étouffer ces revendications, les dirigeants doivent faire preuve de fermeté. Ils s’aliènent un peu plus encore les paysans. À défaut de compter sur des soutiens immédiats, ils s’attachent à faire la preuve que leur principe d’organisation donne les meilleurs résultats. Ils se persuadent que les tensions observées dans l’immédiat seront levées bientôt par cette démonstration d’efficacité.

71Les efforts livrés par les intermédiaires intégrationnistes visent à convaincre les mêmes électeurs. Pour mettre en œuvre le programme défini par le PNTCD, il suffirait dans l’absolu de soutenir les dynamiques d’accumulation amorcées par les paysans les plus prospères en poussant les petits paysans à céder leurs terres : de grandes exploitations verraient ainsi le jour, qui se prêteraient à une agriculture intensive alignée sur les modèles occidentaux. Logique d’un point de vue économique, cette orientation serait néanmoins préjudiciable sur le plan électoral : les grands propriétaires ne formant que 5 % de la paysannerie, ils ne sauraient permettre à un parti de s’implanter profondément dans les campagnes. La solution la plus indiquée consiste donc à diffuser l’esprit de compétition dans les masses rurales : il s’agit de convaincre les petits paysans d’adopter un comportement d’entrepreneur plutôt que de rester arc-boutés sur des cultures de subsistance. Si la nécessité d’une sélection entre les compétiteurs ne peut être dissimulée, l’idée doit s’imposer qu’un paysan consciencieux et travailleur verra toujours ses efforts récompensés et aura la possibilité d’amorcer à son tour une dynamique d’accumulation.

72Dans cette perspective, les intermédiaires locaux doivent jouer un rôle d’exemple. Il leur faut montrer à tous les villageois que l’esprit d’initiative permet à des propriétaires modestes de se transformer en grands paysans. Chacun doit pouvoir s’identifier à eux et se convaincre qu’il peut suivre la même voie. Les intermédiaires désignés sont jeunes le plus souvent. Ils ont suivi une formation supérieure à la fin de la période communiste et ont exercé des fonctions d’encadrement dans les coopératives agricoles de production ou dans les entreprises agricoles d’État. Après le changement de régime, ils se sont convertis à « la nouvelle idéologie de l’entreprise privée » [Maurel 1994b : 138]. Pour servir leurs desseins, ils se portent à la tête de sociétés agricoles. Ils les utilisent ensuite en tant que tremplins économiques : s’ils ne disposent pas individuellement d’une surface foncière et d’une capacité d’investissement suffisantes pour concurrencer les grands paysans, ils s’affirment par le truchement de structures coopératives. Ils ne s’engagent dans les sociétés agricoles qu’à titre transitoire et prévoient d’en sortir dès qu’ils seront en mesure d’amorcer seuls une dynamique d’accumulation [Hirschausen 1997 : 322 ; Kideckel 1993a, 1993b : 222-223].

73Ces stratégies contrarient parfois la logique de démonstration qu’elles sont supposées servir. À l’intérieur des sociétés agricoles, les intermédiaires intégrationnistes mettent leur savoir et leurs relations au service de quelques manœuvres frauduleuses. S’ils parviennent à s’enrichir, c’est en combinant les avantages que leur procurent les structures coopératives et les activités qu’ils mènent sur des terrains annexes. Ils jouent de l’enchevêtrement des nouveaux statuts : attestation officielle à l’appui, ils déclarent apporter 2 ou 3 hectares de terre dans une société agricole ; une partie de cette superficie est en fait enclose dans une ferme d’État mitoyenne. La même terre permet de cumuler indûment la part de la récolte versée par la société agricole et les dividendes distribués par la ferme d’État. Les intermédiaires intégrationnistes reversent aux petits paysans qui entrent dans leur société agricole une quantité de céréales inférieure à celle que la taille de leur parcelle les autoriserait à réclamer ; ils vendent pour leur propre compte les surplus ponctionnés [Sandu 1999a : 34-36, 1999b : 126-128 ; Verdery 1996 : 141-143 et 162, 1998, 1999 : 59]. Ils s’enrichissent par des moyens détournés, au détriment des électeurs qu’ils ont pour tâche de convaincre : l’exemple qu’ils offrent dessert le modèle intégrationniste plus qu’il ne contribue à sa diffusion.

74Les intermédiaires conciliatoires peuvent espérer tirer profit de ces difficultés. Plus âgés que leurs concurrents intégrationnistes, ils ont, comme eux, exercé des fonctions intermédiaires dans les coopératives agricoles de production et dans les entreprises agricoles d’État. Ils s’efforcent de construire des sociétés agricoles pérennes : ils entendent proposer un modèle d’organisation qui conserve les avantages de la structure agraire instituée par le régime communiste sans renoncer aux perspectives offertes par l’économie de marché. Dans les unités de production qu’ils créent, tous les bénéfices sont redistribués aux propriétaires compte tenu de la quantité de terre fournie. Les paysans qui engagent leur parcelle dans la société agricole ont l’obligation de participer aux travaux des champs ; aucune place n’est faite aux paysans âgés et aux propriétaires qui ne peuvent résider sur place [Kideckel 1995 : 57-60].

75Les sociétés agricoles ainsi constituées sont favorisées : une parfaite cohérence peut être relevée entre leur mode de fonctionnement et le programme agraire qu’elles sous-tendent. Les intermédiaires locaux qui les dirigent n’en connaissent pas moins des difficultés. Les membres de ces sociétés sont libres de recouvrer à tout moment le plein usage de leur parcelle. Ils tirent aisément parti de cette latitude : ils restent engagés dans les structures coopératives jusqu’à ce que leur terre ait été labourée puis s’en retirent pour jouir seuls de leur récolte. Afin de lutter contre ces pratiques, les dirigeants sont parfois tentés de faire signer un contrat pluriannuel aux paysans qui leur confient une terre. Des protestations se font alors entendre et le risque se profile de voir les propriétaires s’orienter vers des formes d’organisation concurrentes. Le seul moyen de les retenir est de leur offrir une rémunération élevée en limitant au strict minimum la part des bénéfices consacrée aux investissements : des semences et des engrais sont achetés pour la saison suivante mais aucun matériel supplémentaire n’est acquis par la société agricole. Si cette option offre des avantages immédiats, elle compromet le développement des activités dans le moyen terme et interdit d’approcher l’objectif de productivité fixé par le programme conciliatoire. Soucieux de mener leur mission à bien, quelques intermédiaires locaux s’efforcent de contourner les menaces de retrait formulées par les paysans ; ils s’attachent à démontrer que des investissements réalisés en commun sont une promesse de gains futurs. Dans le cas de figure où les propriétaires sont sensibles à ce discours, le risque d’instrumentalisation n’est pas écarté : un paysan peut choisir d’engager quelques hectares de terrain dans la société agricole et de conserver le libre usage de la surface restante ; si réduite soit-elle, sa participation à la société lui donne un titre de propriété sur le matériel acheté et lui confère le droit de l’utiliser à son gré, y compris sur les terres qu’il a maintenues à l’écart des structures coopératives [Verdery 1999 : 61 et 77]. La combinaison de plusieurs régimes de propriété permet d’élaborer des stratégies particulières qui interfèrent avec les projets de développement mis au point par les intermédiaires conciliatoires.

76Pour ne pas cumuler l’impopularité et l’inefficacité, les dirigeants des sociétés agricoles optent le plus souvent pour une logique de court terme et se résolvent à redistribuer la quasi-totalité des bénéfices. Cette politique expose ses promoteurs à des retours de bâton : si une société agricole conciliatoire peine à se développer faute d’investissements, elle risque de se trouver en plus mauvaise posture que les unités de production mises au service d’un programme concurrent.

77En Roumanie comme en Bulgarie, des obstacles se dressent sur le chemin que tentent de tracer les intermédiaires locaux. Différents selon que les mesures de décollectivisation ont été guidées par telle ou telle logique, ils sont dans tous les cas conséquents. Les intermédiaires conciliatoires bénéficient au départ d’un net avantage sur leurs concurrents anti-intégrationnistes et intégrationnistes : les coopératives sont en parfait accord avec le programme agraire qu’ils sont chargés de diffuser auprès des paysans ; l’emboîtement est optimal entre les structures macroinstitutionnelles et la démarche adoptée au niveau microinstitutionnel. L’équilibre se révèle pourtant précaire : la prise en compte d’impératifs locaux interfère rapidement avec les objectifs affichés à l’échelle nationale. Cette logique laisse cours à des trajectoires diversifiées. En Bulgarie, les intermédiaires conciliatoires se livrent dans un premier temps à un travail d’acclimatation efficace. À la différence de leurs homologues anti-intégrationnistes, ils peuvent compter sur une adhésion des paysans. Par contraste avec leurs adversaires intégrationnistes, ils sont soutenus sans réserve par la direction de leur parti. Soucieux de ne pas mécontenter les membres de la coopérative, ils en viennent cependant à prendre des mesures qui paraissent contrarier les objectifs définis au niveau national. En Roumanie, les intermédiaires conciliatoires peuvent démontrer que leurs coopératives sont plus efficaces que les concurrentes dans la mesure où elles s’inscrivent dans le prolongement de la politique agraire mise en œuvre au lendemain de la décollectivisation. Pour dissuader les paysans d’expérimenter d’autres formules, il leur faut toutefois dispenser des avantages immédiats et limiter les dépenses d’investissement. La démonstration menace de tourner court dans le moyen terme, sans que les relations avec la direction du parti soient aucunement en cause.

78    

79Pour comprendre les fortunes diverses que rencontrent les partis politiques bulgares et roumains dans leurs tentatives d’implantation locale, il est nécessaire d’écarter les thèses de la désagrégation et de l’imprégnation. Il s’agit de mettre en évidence un fondu enchaîné entre le régime communiste et la période présente, tant au niveau macroinstitutionnel qu’au niveau microinstitutionnel. Quatre plans successifs se relaient ainsi dans une parfaite solution de continuité.

80La relation au pouvoir communiste doit être envisagée en première instance : les cultures individuelles et le secteur socialiste sont restés parfaitement intégrés en Bulgarie tandis qu’ils se sont contrariés en Roumanie ; les relations agraires ont été harmonieuses dans le premier cas et tendues dans le second. Il convient ensuite d’analyser la réaction que la paysannerie oppose au changement de régime : les paysans bulgares se maintiennent dans des structures coopératives alors que leurs voisins roumains s’empressent de jeter bas le système agraire édifié par les autorités communistes. Il est alors possible de saisir le fonctionnement des nouveaux modèles d’organisation introduits dans chaque cas de figure : en Bulgarie, les coopératives demeurent et leur statut est simplement réformé, ce qui permet à la majorité des paysans d’y rester engagés ; en Roumanie, des sociétés agricoles sont formées, qui visent à regrouper les terres de petits paysans pour lors repliés sur des cultures de subsistance. La lumière peut enfin être faite sur le rôle joué par les intermédiaires locaux des partis politiques : dans le contexte bulgare, les coopératives sont utilisées pour amener les paysans qui y travaillent d’ores et déjà à adopter des comportements conformes à tel ou tel programme ; dans le contexte roumain, les sociétés agricoles servent à montrer aux petits propriétaires repliés sur leur parcelle que de nouvelles perspectives peuvent s’ouvrir à eux s’ils adhèrent à tel programme plutôt qu’à tel autre.

81Les paysans ne figurent pas une masse ductile que les partis politiques pourraient manipuler à leur guise. Ils ne votent pas comme un seul homme pour le responsable de la coopérative ou de la société agricole dans laquelle ils travaillent. Ils « réagissent » aux propositions que leur adressent les intermédiaires locaux ; ils les discutent, les comparent et les reformulent au besoin. Le programme conciliatoire s’attire leurs faveurs dans un premier temps pour la raison qu’il permet d’emboîter les structures agraires constituées au niveau macroinstitutionnel et la démarche adoptée par les intermédiaires locaux au niveau microinstitutionnel. Cet emboîtement ne peut être maintenu dans la durée.

82Lorsque les intermédiaires locaux doivent se livrer à un travail d’acclimatation, ils se plient aux exigences du terrain et entretiennent des relations difficiles avec la direction de leur parti. Lorsqu’ils s’essaient à un travail de démonstration, ils doivent satisfaire les demandes immédiates des paysans au risque de compromettre la bonne marche de la coopérative. Dès que l’option conciliatoire perd en efficacité, une grande liberté de choix est offerte aux paysans : aucun programme ne pouvant écraser les autres, chacun peut décider d’en privilégier un, puis, s’orienter vers un autre. Cette ouverture peut néanmoins générer une forme de découragement : puisqu’aucun modèle ne fait la preuve de son efficacité, les paysans perdent espoir et jettent le même opprobre sur tous les partis politiques indistinctement [Ivanova 1995 : 234-235 ; Vultur 1997].

83Cette situation peut expliquer les succès récents de quelques partis atypiques. Créé quelques mois seulement avant les élections législatives bulgares du 19 juin 2001 – et incapable par conséquent de s’appuyer sur des intermédiaires locaux – le Mouvement national Siméon II (Nacionalno Dvisenie Simeon Tvori, NDST) est parvenu à recueillir 43,04 % des voix. Alors qu’il n’a jamais réussi à s’implanter dans les municipalités rurales, le Parti de la Grande Roumanie (Partidul România Mare, PRM) a attiré 19,48 % et 21,01 % des suffrages aux élections législatives et sénatoriales du 26 novembre 2000 ; son président, Corneliu Vadim Tudor, a obtenu 28,34 % des suffrages au premier tour de l’élection présidentielle organisée à la même date, résultat grâce auquel il a pu se présenter au second tour contre Ion Iliescu. Dans les deux cas, l’abstentionnisme des paysans a permis à des formations principalement soutenues par les populations urbaines d’obtenir des scores sans précédent.

84De nouvelles recherches sont nécessaires pour apprécier les effets de cette évolution : il s’agit d’évaluer la capacité de réaction des partis traditionnels et de déterminer dans quelle mesure les problèmes observés à la base peuvent influer sur les programmes élaborés au niveau national.

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Notes

1 . Entre octobre 1992 et septembre 1994, le BSP a gouverné par procuration, en soutenant le cabinet d’expertises dirigé par Zyuben Berov.

2 . Le Front de salut national (Frontul Salvarii National, FSN) a créé un premier gouvernement en mai 1990. Il s’agissait toutefois d’une coalition fragile, regroupant à la fois les proches du Premier ministre Petre Roman et les partisans de Ion Iliescu. La crise gouvernementale de septembre 1991 a permis à ces derniers de faire scission et de constituer le Front démocratrique de salut national (Frontul Democratic Salvarii Nationale, FDSN) pour exercer seuls le pouvoir. Cette formation a été rebaptisée Parti de la démocratie sociale de Roumanie (Partidul Democratiei Sociale din România, PDSR) en juin 1993. En fusionnant en juin 2001 avec le microscopique Parti social démocrate roumain (Partidul Social Democrat Român, PSDR), il s’est enfin transformé en Parti social démocrate (Partidul Social Democrat).

3 . La population rurale représente 29,3 % de la population totale en Bulgarie selon le recensement de 1992 et 52,9 % en Roumanie selon une enquête démographique réalisée en 1995.

4 . Le fonctionnement de ces réseaux est lui-même sujet à discussion. Des recherches ont montré que les autorités communistes s’attachaient à entretenir la confusion entre « intégration verticale » et « intégration horizontale ». L’intégration verticale désigne le « processus par lequel les acteurs politiques locaux cherchent à mobiliser et à organiser les ressources locales en vue d’atteindre les objectifs politiques centraux ». L’intégration horizontale caractérise la capacité des responsables locaux à influer sur les décisions des organes centraux pour faciliter la défense d’intérêts locaux [Nelson 1981 : 210-213]. En introduisant des mesures de décentralisation factices, les dirigeants communistes sont parvenus à renforcer l’intégration verticale tout en laissant croire à un progrès de l’intégration horizontale [Nelson 1976, 1978, 1980, 1988].

5 . Les entreprises agricoles d’État employaient dans la période communiste une main-d’œuvre salariée. Elles n’attribuaient pas de lopins individuels ; elles n’étaient donc pas soumises aux mêmes mesures coercitives que les coopératives agricoles de production. Pour cette raison, elles sont demeurées bien assises sur leurs fondations après la chute de Ceaucescu : elles n’ont pas été démembrées par la base ; leurs terres n’ont pas fait l’objet d’une redistribution spontanée. Les salariés ont simplement ralenti leur rythme de travail après qu’un terme a été mis aux mesures de planification. Ils n’ont pas cherché à imposer un nouveau mode d’organisation interne. En 1991, les autorités décident de privatiser partiellement les entreprises agricoles d’État : elles leur attribuent un statut de « société commerciale » assez comparable à celui des SARL françaises. 25 % des parts sont octroyés aux anciens propriétaires ou à leurs héritiers ; 30 % servent à constituer un « fonds de propriété privée » et reviennent de fait aux salariés ; les 45 % restants sont mis en vente. Toute personne physique ou morale peut légalement les acquérir. En l’absence d’investisseurs intéressés, c’est l’État qui les accapare. Les sociétés commerciales sont ainsi placées sous le contrôle direct du ministère de l’Agriculture. Elles restent soumises à des directives nationales [Henry 1994 : 21].

6 . Le glissement vers l’agriculture individuelle ne s’opère que dans la seconde moitié des années quatre-vingt-dix [Nemenyi 1999 : 72].

7 . En 1995 et 1996, 81,8 % des paysans roumains interrogés déclarent ne posséder en propre aucune machine agricole [Nemenyi op. cit. : 73].

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Pour citer cet article

Référence papier

Antoine Roger, « L’implantation rurale des partis politiques en Europe orientale »Études rurales, 159-160 | 2001, 229-254.

Référence électronique

Antoine Roger, « L’implantation rurale des partis politiques en Europe orientale »Études rurales [En ligne], 159-160 | 2001, mis en ligne le 03 janvier 2017, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/78 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.78

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Auteur

Antoine Roger

Institut d’études politiques, Bordeaux

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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