Abû Bakr ibn Badr, Le Nâçerî. Hippologie et médecine du cheval en terre d’Islam au xive siècle. Le traité des deux arts en médecine vétérinaire
Texte intégral
1Ce texte – le Kitâb kâmil al-sinâ catayn d’Abû Bakr ibn Badr – est l’un des textes les plus connus, notamment grâce à une précédente traduction en français1, et l’un des textes les plus représentatifs de la littérature hippologique arabe classique. Il a été rédigé sur commande du sultan Malik al-Nâsir ibn Sayf al-Dîn Qalawûn, d’où le nom de al-Nâsirî (« Le Nâçerî ») par lequel ce traité est le plus souvent désigné. Ce souverain régna sur l’Égypte mamelouke de 1294 à 1341, à une époque qui, malgré des guerres périphériques (contre les Mongols), reste l’une des plus brillantes de l’histoire arabe, avec un mécénat officiel dont profitèrent notoirement les sciences (dont l’hippiatrie) et les arts de la guerre (dont l’équitation).
2Le contenu du Nâçerî est divisé en douze exposés (traduits ici par « expositions »), chacun comprenant un nombre de courts chapitres allant de 10 à 71. L’auteur évoque tout d’abord les écrits à la gloire du cheval ; puis il passe à la description des chevaux (morphologie, robe, comportement) ; enfin, il traite de la pathologie équine et de la thérapeutique. Si les vétérinaires d’aujourd’hui reconnaissent quelque valeur au Nâçerî, et même quelque « subtilité » et « originalité » à certains des diagnostics et interventions qu’il propose (notamment par rapport à l’hippiatrie grecque ancienne : voir page 8 de l’introduction de Christophe Degueurce), pour le reste, il s’agit d’un texte fort déroutant pour un lecteur occidental de ce début du xxie siècle. C’est un texte surtout représentatif de l’esprit de système qui a longtemps caractérisé la pensée arabe dès les premiers siècles de l’islam : penchant pour les classifications, s’accompagnant d’un rejet de tout ce qui se révèle inclassable ; tendance à lier aspect extérieur et qualités des êtres ; indifférence voire mépris pour les descriptions et les explications techniques, d’où, par exemple, le quasi-silence du Nâçerî sur les matériels de l’équitation et le harnachement du cheval, qui se trouvent expédiés en moins de deux pages (pp. 31-32).
3Qu’apporte la présente édition, tirée d’une thèse de médecine vétérinaire soutenue à l’École d’Alfort, par rapport à l’édition de 1852-1860 ? Outre la traduction proprement dite, Perron avait réalisé un considérable effort de documentation, d’explication et de commentaire, hélas trop entremêlés dans les volumes II et III de 1859 et 1860, sans doute dans un louable souci pédagogique. Hakimi tombe dans l’excès inverse : aucune note, aucun commentaire ne vient éclairer sa traduction qui en aurait pourtant eu le plus grand besoin, en raison des zones d’ombre qu’elle introduit. En effet – et c’est l’autre différence majeure entre les deux éditions –, alors que Perron avait pris soin de donner, même approximativement, une transcription des mots arabes qu’il n’avait pas pu ou pas voulu traduire, faute d’exact équivalent français, Hakimi a traduit tous les mots arabes, y compris les termes techniques, au risque de déformer leur sens et d’induire le lecteur en erreur. Par exemple, il emploie systématiquement le mot français « filet » en lieu et place de « bride » pour traduire les mots arabes fikk, hakamah (mors arabe à anneau-gourmette) et djerâdjir, qui désignent pourtant des types de mors fort différents. Il traduit djakwah (caveçon) par le français « martingale », ce qui constitue un contresens manifeste. La plus grande confusion règne également s’agissant des types de selle. Mais il faut rendre justice à Hakimi : Perron ne s’était guère montré moins flou sur ce point !
4Ainsi, la nouvelle édition en français du Nâçerî est, comme l’ancienne, la traduction, plus ou moins exacte, d’un texte bourré de faits et d’informations, mais dont il reste, aujourd’hui autant qu’hier, à donner une version incontestable et à tirer les enseignements, et pour l’histoire du cheval, et pour l’histoire de la civilisation arabe.
Notes
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Pierre Digard, « Abû Bakr ibn Badr, Le Nâçerî. Hippologie et médecine du cheval en terre d’Islam au xive siècle. Le traité des deux arts en médecine vétérinaire », Études rurales, 178 | 2006, 267-268.
Référence électronique
Jean-Pierre Digard, « Abû Bakr ibn Badr, Le Nâçerî. Hippologie et médecine du cheval en terre d’Islam au xive siècle. Le traité des deux arts en médecine vétérinaire », Études rurales [En ligne], 178 | 2006, mis en ligne le 08 juin 2007, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/4356 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.4356
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page