Valérie Tesnière, Au bureau de la revue. Une histoire de la publication scientifique (xixe-xxe siècle), Paris, EHESS Éditions (« En temps et lieux »), 2021
Valérie Tesnière, Au bureau de la revue. Une histoire de la publication scientifique (xixe-xxe siècle), Paris, EHESS Éditions (« En temps et lieux »), 2021, 414 p.
Texte intégral
1Si l’histoire de l’édition est déjà bien riche, celle des revues et notamment savantes reste à écrire. On comprend, dès lors, que le dernier livre de Valérie Tesnière, directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, vient à point nommé. Son titre (Au bureau de la revue) renvoie à « une mention que l’on voit très souvent figurer dans la première moitié du xixe siècle sur la page de titre des fascicules de publication périodiques » (p. 14), explique l’auteur dans son introduction qui – faute d’archives conservées des éditeurs – s’est beaucoup appuyée sur les revues elles-mêmes. L’ouvrage, composé de trois parties inégales (la deuxième ayant un volume nettement plus important que les deux autres), subdivisées en neuf chapitres, a pour ambition « de retracer une histoire de la publication scientifique contemporaine, dans laquelle la revue occupe une place centrale » (p. 11).
2Afin de réaliser cet ambitieux programme, l’historienne s’est appuyée sur un colossal corpus qu’elle détaille dans la première partie. Il est constitué de 1 385 titres publiés en France entre 1800 et 2002 relevant d’une grande diversité de domaines, dont les plus représentés sont la santé, les sciences de l’ingénieur, l’histoire, l’archéologie, le droit, l’agriculture ou encore le commerce (l’économie et les finances). Si l’étude porte sur les publications des xixe et xxe siècles, l’auteur nous apprend qu’avant la Révolution, il existait déjà en France des titres spécialisés, notamment dans les domaines de la nature, de la médecine ou de la chimie, et que le plus ancien, Le Journal des savants, a été lancé en 1665. Il faut dire qu’à l’époque, la recherche se faisait aussi en dehors de l’université et « publier ne [faisait] pas partie des missions premières des établissements universitaires » (p. 37).
3L’ouvrage commence réellement dans la deuxième partie où sont abordés les fonctions de la revue, les acteurs de la revue, les tirages, les formes éditoriales et la place de ces publications dans les catalogues des librairies scientifiques. On découvre qu’à l’époque moderne, pourtant postérieure à l’imprimerie, « dans les académies, l’échange oral est davantage valorisé que la lecture » (p. 59). D’ailleurs, les étudiants ne prenaient pas de notes mais récupéraient celles des sténographes, lesquels commettaient des erreurs. La publication de revues est surtout l’affaire des sociétés savantes, dont le nombre n’a cessé d’augmenter depuis le xviiie siècle (une trentaine) jusqu’au début du xxe siècle (plus de 600, dont un quart à Paris), les universités se focalisant sur l’enseignement.
4Ces revues, qui relèvent du régime de la propriété privée, sont créées par des juristes, des ingénieurs, des chimistes ou des pharmaciens convaincus que « la diffusion des publications est la condition du progrès scientifique et du progrès tout court » (p. 91). V. Tesnière passe en revue les différents acteurs qui y contribuent. Ainsi, apprend-on qu’un article anonyme est écrit par un collectif et qu’un article signé l’est par un collaborateur régulier. Quant au comité de rédaction, il examine les textes quand l’éditeur fait le lien entre la rédaction et l’imprimeur. Pour la plupart des revues, « la rédaction scientifique […] délègue la gestion commerciale au libraire » (p. 129). Autant d’éléments qui n’ont guère changé…
5Les tirages les plus importants sont, sans surprise, ceux des revues à finalité professionnelle, droit, agriculture et médecine en tête, certains dépassant 10 000 exemplaires. À partir de 1850, apparaissent les premières revues de sciences humaines sociales. Progressivement, le fait de publier devient partie intégrante du travail académique et les formes éditoriales se structurent : articles originaux, comptes rendus critiques, veille bibliographique, sommaire, table des matières et généralisation des tirés-à-part. Les revues, bien qu’étant considérées comme des « avant-textes » (p. 240), préalables aux monographies ou aux traités, suivent le modèle de l’édition (et non de la presse). Elles sont inscrites dans les catalogues des librairies scientifiques comme Dunod, Alcan, et diffusées comme des livres. Cela non plus n’a pas changé, le diffuseur de la présente revue, par exemple, traite essentiellement avec des maisons d’édition.
6L’auteur aborde, dans la troisième partie, « l’économie contemporaine de la connaissance » (ch. 7) et « les défis des revues » (ch. 8). Elle montre notamment comment, à partir du début du xxe siècle, les revues universitaires ont été influencées par le modèle américain. En effet, outre-Atlantique, les presses universitaires (Columbia, Yale, Princeton…) publient dès la fin du xixe siècle ouvrages et revues avec la création de départements consacrés à l’édition. « L’idée principale est que la communauté universitaire doit avoir la maîtrise de la totalité des activités qui la concernent au premier chef, l’enseignement, mais aussi la recherche, et – fait nouveau – les publications » (p. 269). Puis, après le Seconde Guerre mondiale, la croissance s’accélère. En 1960, la communauté scientifique mondiale compte déjà un million de chercheurs professionnels avec plus 500 000 textes scientifiques publiés par an. Depuis, le nombre d’étudiants et de revues n’a cessé de croître. Le dernier chapitre montre les effets de concentration avec l’arrivée de nouveaux acteurs (Elsevier, par exemple), de fusion de titres, de domination des revues anglo-saxonnes et les nouvelles contraintes économiques avec l’augmentation des coûts de fabrication et la concurrence des publications en ligne, dont les gratuites en open access.
7Cet ouvrage très dense croise une quantité d’informations sur une période très large (du xviiie jusqu’au xxie siècle), concernant des objets d’une grande diversité (revues scientifiques, professionnelles…) principalement en France mais aussi avec des comparaisons internationales : autant dire une mine de données. Néanmoins, l’approche thématique (fonctions de la revue, ses acteurs, formes éditoriales, économie éditoriale…) retenue par l’auteur implique de contrarier la chronologie, au risque de troubler le lecteur.
Pour citer cet article
Référence papier
Anne Both, « Valérie Tesnière, Au bureau de la revue. Une histoire de la publication scientifique (xixe-xxe siècle), Paris, EHESS Éditions (« En temps et lieux »), 2021 », Études rurales, 213 | 2024, 180-182.
Référence électronique
Anne Both, « Valérie Tesnière, Au bureau de la revue. Une histoire de la publication scientifique (xixe-xxe siècle), Paris, EHESS Éditions (« En temps et lieux »), 2021 », Études rurales [En ligne], 213 | 2024, mis en ligne le 26 juin 2024, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/33237 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/127dt
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