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Comptes rendus

Guillaume Lebaudy, Abécédaire un peu vache des alpages

Yves Michelin
p. 175-177
Référence(s) :

Guillaume Lebaudy, Abécédaire un peu vache des alpages, Boulogne-Billancourt, Glénat (« Hommes et montagnes »), 2021, 190 p.

Texte intégral

1Alpage : « lieu montagnard de villégiature estivale des brebis et des vaches qui passent leurs journées à se promener et leurs nuits à dormir à la belle étoile » (p. 13). Ainsi commence une des premières entrées de cet ouvrage que l’auteur, Guillaume Lebaudy, spécialiste de la transhumance alpine et ancien directeur de la Maison du berger Champoléon (Hautes-Alpes), a conçu comme un pas de côté de ses travaux académiques afin de faire découvrir aux non-spécialistes la richesse et la complexité de l’activité pastorale dans les Alpes.

2L’idée était séduisante. Les textes sont écrits dans un style alerte qui facilite la lecture. Le contenu est souvent bien documenté, combinant aspects factuels et anecdotes issues de la très bonne connaissance qu’à l’auteur de son sujet. Son point de vue est clair. La montagne pastorale n’est ni la nature sauvage dont rêvent les citadins qui la visitent, ni un vaste terrain de jeu que parcourent des acharnés de la performance, en particulier ces VTTistes « aux tenues ridicules, perché(s) sur [leur] vétété dont le bruit de chaîne effraie les brebis et agace les chiens » (p. 166). L’ethnologue, qui a côtoyé de près, pendant des décennies, bergers et éleveurs se fait, à travers cet ouvrage, leur porte-parole et défend les systèmes pastoraux actuels, garants du maintien de la richesse écologique et paysagère de la montagne alpine. Sans méchanceté mais avec une pointe d’ironie, il fustige les « zécolos, terme à connotation péjorative quand il est utilisé par certains éleveurs et agriculteurs […] pour désigner une population qui, selon eux, voudrait leur réapprendre leur métier après avoir remis en cause maladroitement leurs compétences professionnelles » (p. 63). Il s’insurge aussi contre la vision passéiste de l’activité pastorale par des urbains qui ont du mal à accepter que les bergers, bien que vivant plusieurs mois d’affilée dans des cabanes isolées, soient à la fois des taiseux et capables d’utiliser des téléphones portables et d’autres outils technologiques comme les drones pour améliorer l’efficacité de leurs pratiques. Il fustige aussi certains scientifiques qui se sont spécialisés dans l’étude du pastoralisme tant sur un plan technique qu’anthropologique et qui « s’honoreraient de dire qu’ils travaillent non pas “sur” le métier de berger ou d’éleveur, mais grâce à lui, et avec des gens et des animaux dont ils ont encore beaucoup à apprendre en matière d’expertise… pastoraliste » (p. 121). Ethnologue de formation, il n’est pas dupe des travers de son métier dont il sait se moquer dans une démarche d’autodérision qui ne manque pas de panache, affirmant par exemple que « l’ethnologue sera d’une piètre utilité pour éleveurs ou bergers auxquels il fera d’abord perdre pas mal de temps en les harassant de questions que ces derniers trouveront au mieux curieuses ou amusantes, au pire incompréhensibles, voire sans objet » (p. 65).

3Le propos est souvent pertinent, s’appuyant sur sa longue expérience de terrain. Trempée d’une touche humoristique, sa plume titille gentiment l’esprit et peut aider le lecteur à s’affranchir des nombreuses idées reçues qui planent autour de cette activité traditionnelle fortement ancrée dans notre culture. Mais cette originalité est aussi une faiblesse car en voulant rendre l’ouvrage accessible au plus grand nombre, certaines entrées de ce dictionnaire restent très générales, ce qui nuit à son argumentaire. Ainsi, dans la rubrique « sorcier », l’auteur mentionne que « certains détracteurs se font une mission de s’opposer aux adorateurs des ovins, qui voient les troupeaux comme une invasion qui dégrade les sols et la végétation, pollue sources et cours d’eau, détériore les écosystèmes » (p. 144). Dans le même article, il critique les forestiers « prêchant leur croisade contre les troupeaux » (idem). Son point de vue est judicieux. La notion de wilderness, chère à l’écrivain John Muir auquel il se réfère plusieurs fois, est une hérésie quand on parle des espaces pastoraux. Mais qui sont précisément ces détracteurs écologistes ou forestiers ? Sur quoi fondent-ils leurs critiques à l’égard du pastoralisme ? Pour pouvoir leur répondre, plutôt que de donner des leçons, il faudrait en savoir plus sur leurs arguments. En omettant de mentionner ses sources, en n’allant pas au bout de son argumentaire pour justifier son opinion qui semble parfois s’apparenter à des règlements de compte, en s’appuyant dans plusieurs articles seulement sur des propos glanés durant les multiples rencontres de terrain sans mise en perspective, il reste de temps à autre à la surface des choses, dans une démarche à teinture polémiste qui risque de ne pas faire beaucoup évoluer les mentalités qu’il critique. Même s’il ne s’agit que d’une boutade, était-il nécessaire de se moquer de la « très sérieuse et vénérable Association française de pastoralisme et sa revue Pastum » (p. 121) dont les membres « sont tenus de lire un verset [de l’ouvrage Pastoralisme] le soir avant de s’endormir » (p. 120) alors qu’elle réunit tous ceux, éleveurs, bergers, techniciens, enseignants, chercheurs, qui comme l’auteur, défendent cette activité ? Pourquoi être aussi critique vis-à-vis des chercheurs et techniciens de terrain dont la plupart ont tissé avec les éleveurs et les bergers des relations de confiance et travaillent ensemble pour trouver des solutions techniques afin que le pastoralisme puisse continuer d’exister dans un monde en plein bouleversement, écologique, social et économique. Les lecteurs qui voudraient en savoir plus, qui aimeraient approfondir le sujet, ne pourront satisfaire pleinement leur curiosité car la liste des références proposées à la fin de l’ouvrage est assez succincte.

4Sans doute est-ce un travers propre à la notion même d’abécédaire qui oblige à la concision et à la simplification. Mais malgré sa générosité et sa pertinence, ce texte sympathique et stimulant, tout à la gloire des alpages et de leurs gardiens, qui voulait aller à l’encontre des idées réductrices toutes faites, portées par des tenants d’une nature sauvage qui n’existe pas, aurait pu aussi vulgariser les connaissances et donner à ses lecteurs plus d’arguments pour défendre les alpages et leurs gardiens et combattre ses détracteurs !

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Pour citer cet article

Référence papier

Yves Michelin, « Guillaume Lebaudy, Abécédaire un peu vache des alpages »Études rurales, 213 | 2024, 175-177.

Référence électronique

Yves Michelin, « Guillaume Lebaudy, Abécédaire un peu vache des alpages »Études rurales [En ligne], 213 | 2024, mis en ligne le 26 juin 2024, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/33222 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/127dr

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Auteur

Yves Michelin

agronome et géographe

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