Paul Brassley, Michael Winter, Matt Lobley et David Harvey, The Real agricultural revolution. The transformation of English farming, 1939-1985
Paul Brassley, Michael Winter, Matt Lobley et David Harvey, The Real agricultural revolution. The transformation of English farming, 1939-1985, Martlesham, Boydell Press (« Boydell studies in rural history »), 2021, 300 p.
Texte intégral
1Si les historiens de l’agriculture britannique ont bien montré l’ampleur des changements techniques et l’essor sans précédent de la production dans la seconde moitié du xxe siècle, l’histoire de ces transformations a souvent fait l’objet d’une saisie globale et surplombante, fondée sur l’utilisation des statistiques nationales. Ce type d’approche a ainsi fréquemment tendance à proposer un récit fondé sur une modernisation technique relativement linéaire et homogène, les techniques « obsolètes » étant assez naturellement remplacées par d’autres plus efficaces. Les auteurs de The real agricultural revolution, comme son titre l’indique, ne remettent absolument pas en cause l’idée d’une transformation sans précédent de l’agriculture britannique, ni ne minimisent le rôle des nouvelles techniques dans l’accroissement de la production. Ils s’emploient, en revanche, à rendre ce récit moins lisse en examinant les ressorts de ces profondes évolutions à un niveau plus local et individuel, avec une focalisation particulière sur le sud-ouest de l’Angleterre. Leur étude repose sur la découverte d’une source jamais utilisée jusqu’ici. Il s’agit de l’enquête de grande ampleur, lancée en 1936 par le ministère de l’Agriculture britannique, le Farm management survey, visant à collecter des informations détaillées sur un échantillon de plusieurs centaines d’exploitations. Cet ouvrage est ainsi principalement fondé sur l’analyse des registres utilisés dans le cadre de l’enquête sur le sud-ouest de l’Angleterre jusque dans les années 1980, qui semblent être les seuls conservés. Les auteurs ont complété ces données en les croisant avec des entretiens auprès d’une trentaine d’agriculteurs, dont les témoignages ne sont pas utilisés ici comme de simples illustrations de tendances profondes mais permettent, au contraire, de mettre en évidence la diversité des situations et des points de vue et ainsi de proposer une vision plus complexe que les grands récits fondés sur les statistiques nationales.
2Le livre est composé d’une introduction, d’une conclusion et de huit chapitres, que l’on peut eux-mêmes diviser en deux grandes parties. Dans la première (chap. 2 à 4), les auteurs retracent le contexte national, en termes de développement de la recherche, de diffusion des savoirs et de politique agricole. Le chapitre 2 est consacré à l’essor considérable du financement (public et privé) de la recherche agronomique à partir des années 1930, à travers la création d’instituts de recherche spécialisés. Les auteurs montrent bien que les objectifs et les priorités assignés à la recherche agronomique n’étaient pas consensuels et mettent notamment au jour les tensions et les évolutions existant entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Dans le chapitre 3, les auteurs reviennent sur l’histoire des instances d’enseignement et de conseil, qu’il s’agisse d’institutions publiques, ou d’autres canaux (presse spécialisée, radio). Même si ce chapitre propose un grand tour d’horizon au niveau national, les entretiens conduits auprès d’agriculteurs montrent les variations importantes de leur attitude vis-à-vis de ces sources d’information. Le chapitre 4 retrace l’évolution des politiques nationales en matière d’agriculture visant à développer la production agricole du pays et à inciter les agriculteurs à adopter de nouvelles technologies. D’une façon générale, ces trois chapitres proposent une synthèse très claire et pédagogique et s’ils reviennent sur des éléments déjà en grande partie bien étudiés, la richesse des sources officielles utilisées permet d’enrichir et de complexifier l’histoire des principaux développements politiques, scientifiques et agricoles que la Grande-Bretagne a connus après 1945.
3Mais c’est surtout dans les chapitres 5 à 9 que ce travail propose de nouvelles perspectives, lorsque leurs auteurs analysent l’impact de ces politiques et ces nouvelles institutions sur des agriculteurs du sud-ouest de l’Angleterre. Le chapitre 5 est consacré à la production laitière, principale spécialité de la région étudiée. Les auteurs passent en revue une série d’évolutions, du point de vue des races utilisées, de l’alimentation du bétail, de l’utilisation d’engrais sur les prairies, de la stabulation, de la gestion des excréments, ou de la traite. L’analyse des données d’une région en particulier, couplée aux entretiens, permet d’analyser l’interdépendance de tous ces éléments et les nombreux paramètres pris en compte par les agriculteurs pour décider d’adopter ou non une nouvelle technologie. Poursuivant leur exploration de la pluralité des variables influant sur les décisions des agriculteurs, les auteurs reviennent dans le chapitre 6, sur la question des régimes fonciers, de la taille des exploitations et de l’accès au capital, et leur influence sur les itinéraires agro-techniques. Le chapitre 7 s’attache à étudier les évolutions en termes de main-d’œuvre, montrant le déclin important du nombre de salariés et le recentrage du travail à la ferme autour de la cellule familiale. Les entretiens recueillis par les auteurs s’avèrent, ici, particulièrement utiles en permettant de mettre au jour des phénomènes que les statistiques occultent le plus souvent, à savoir la division genrée ou générationnelle des tâches au sein d’une exploitation et, plus généralement, la question des dynamiques familiales, en montrant par exemple l’importance des discussions et des négociations intra-familiales sur les évolutions agricoles et techniques au sein d’une exploitation.
4Le chapitre 8 porte sur les questions de l’expansion et de la spécialisation des exploitations autour d’une activité, principalement la production de lait dans le cas de la région étudiée. Si la spécialisation croissante des activités agricoles, soutenue par les politiques de l’État britannique, est indéniable, les auteurs évitent néanmoins tout jugement téléologique ou condescendant consistant à postuler l’inévitabilité de ce phénomène et à assigner tout « retard » au conservatisme ou à l’ignorance des agriculteurs. Au contraire, les auteurs s’emploient à montrer l’importance des rationalités des acteurs et la multiplicité des facteurs à prendre en compte dans le choix ou non de se spécialiser (incluant les dimensions économiques comme les dynamiques familiales, les préférences personnelles et les compétences particulières des agriculteurs). Dans le chapitre 9, est étudié le pendant de ce phénomène de spécialisation avec le déclin de la pluriactivité et notamment de l’élevage de cochons et de volailles au sein d’exploitations mixtes. S’il ne s’agit pas là de son sujet principal, il est intéressant de noter que ce chapitre aborde aussi la question des attitudes critiques à l’égard de l’industrialisation de l’élevage, en particulier celui des volailles, au cours des années 1960.
5L’ouvrage ne cherche ni à célébrer, ni à condamner, les évolutions du système agricole britannique de la seconde moitié du xxe siècle. Son propos n’en est pas moins incisif, car il rompt avec la vision encore souvent surplombante de l’histoire agricole de cette période en se plaçant le plus possible au niveau des acteurs et de leurs exploitations, permettant ainsi de remettre en question l’idée même du « fermier typique » ou d’une trajectoire nationale plus ou moins universelle. Rentrer dans le détail des innovations techniques permet de voir que celles-ci n’étaient pas toujours un progrès ou bien devaient être intégrées à un ensemble complexe de contraintes agricoles, personnelles et familiales. Cette approche permet également de mieux cerner la complexité des objectifs poursuivis par les agriculteurs dont la maximisation des profits à court terme était rarement le seul objectif. Les premiers chapitres auraient pu, sans doute, intégrer davantage les points de vue des agriculteurs, comme les auteurs le font notamment dans le chapitre 3. Mais, dans l’ensemble, il ne fait aucun doute qu’il s’agit là d’une contribution importante, faisant preuve de pédagogie, de précision dans l’utilisation des statistiques, de distance critique et de transparence vis-à-vis des apports et des limites des sources mobilisées, et qui permet de complexifier l’histoire de la « révolution agricole » qu’a connue la Grande-Bretagne en restituant la pluralité des savoirs, des savoirs-faires et des expériences des agriculteurs qui l’ont vécue.
Pour citer cet article
Référence papier
Arnaud Page, « Paul Brassley, Michael Winter, Matt Lobley et David Harvey, The Real agricultural revolution. The transformation of English farming, 1939-1985 », Études rurales, 213 | 2024, 172-174.
Référence électronique
Arnaud Page, « Paul Brassley, Michael Winter, Matt Lobley et David Harvey, The Real agricultural revolution. The transformation of English farming, 1939-1985 », Études rurales [En ligne], 213 | 2024, mis en ligne le 26 juin 2024, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/33192 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/127dq
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