Gérard Béaur (dir.), Le Mouvement social. « Revisiter l’histoire des sociétés rurales »
Gérard Béaur (dir.), Le Mouvement social. « Revisiter l’histoire des sociétés rurales », 277, octobre-décembre 2021, 228 p.
Texte intégral
1Le numéro thématique « Revisiter l’histoire des sociétés rurales » de la revue Le Mouvement social part du constat très pertinent de riches renouvellements récents en histoire rurale française. L’objectif de ce volume, dirigé par Gérard Béaur, est de rendre compte et de mettre en valeur ces perspectives nouvelles. C’est un pari réussi, une contribution bienvenue et dont on peut se réjouir, qui donne à voir une histoire rurale française « dynamique, internationale et interdisciplinaire » (p. 4). Un élan nouveau que l’on perçoit par exemple dans l’activité forte de la revue Histoire & sociétés rurales et de l’Association d’histoire des sociétés rurales (toutes deux fondées au début des années 1990). À travers sa lettre d’information, cette dernière se fait ainsi le relai des thèses, mémoires de master et des conférences toujours plus nombreuses sur les thématiques rurales.
2Comme le rappelle G. Béaur, dans un point historiographique introductif très à propos, après une période où l’histoire rurale avait été florissante (voire dominante) dans les années 1960-1970, certains ont pu croire que l’histoire des campagnes était « morte et enterrée » (p. 3). Pendant de longues années, les mondes ruraux furent de moins en moins une priorité pour la recherche française, ce qui contraste avec la vivacité de l’historiographie dans d’autres pays sur les mêmes thématiques, en particulier dans le nord de l’Europe et de l’Amérique. Loin des clichés anciens sur la ruralité, de paysans vus comme des sujets passifs, aux pratiques économiques routinières et rétifs au progrès, mais sans pour autant être aveugles aux pesanteurs et aux rigidités qui peuvent opérer dans les sociétés rurales (p. 7), les auteurs et autrices de ce numéro adoptent un regard nouveau sur ces objets de recherche.
3Le volume de 228 pages comprend un éditorial, neuf articles ainsi qu’une table ronde, organisés en trois thématiques structurantes : la production, le rapport à la terre, les identités paysannes. En outre, la quinzaine de notes de lecture finales offrent une fenêtre utile sur les publications récentes (2016-2021) en matière d’histoire des campagnes dans des perspectives internationales, d’histoire économique et technique des campagnes françaises et enfin d’histoire politique des mondes paysans. Avec un tel format, la visée n’est évidemment pas celle d’une synthèse, mais plutôt d’une sélection de thématiques « en passe de renouveler profondément nos connaissances et notre compréhension du rural » (p. 8), en croisant des approches d’histoire économique, sociale, des savoirs et du genre.
4À l’exception de l’éditorial de G. Béaur (p. 3-20, dont le rappel historiographique inclut à raison le Moyen Âge et l’époque moderne), de la table ronde (p. 21-34, discussion à la perspective volontairement diachronique) et de l’article de Pablo Luna (p. 83-98, qui adopte une perspective de longue durée depuis les débuts de la colonisation européenne), la majorité des contributions du numéro porte sur l’époque contemporaine. Cela s’explique certes par le cadrage chronologique de la revue, mais reflète aussi une des évolutions importantes de l’histoire rurale française, longtemps dominée par les époques moderne et médiévale, mais où les contemporanéistes sont aujourd’hui de plus en plus présents et présentes. Une grande partie des articles portent sur la France, mais le numéro traite aussi des colonies et anciennes colonies (en Afrique principalement) (p. 83-132), ainsi que d’Amérique du Nord (p. 167-179).
5Parmi les fils rouges qui tissent ce numéro, citons d’abord le spectre des considérations actuelles. Que l’on pense au formidable défi de nourrir bientôt dix milliards d’êtres humains, aux impacts environnementaux de l’agriculture et au rôle qu’elle peut jouer dans la lutte contre le dérèglement climatique et la perte de biodiversité, ou bien à la crise de la main-d’œuvre (et de vocation) que rencontre le secteur en France, ou encore aux dangers liés à l’accaparement des terres (landgrabbing), il y a une urgence nouvelle pour les historiens et historiennes à travailler sur les thématiques agricoles et rurales. Grâce à la compréhension des enjeux passés, la discipline historique permet de réfléchir aux rapports entre agriculture et sociétés.
6Ensuite, et ce depuis les années 1990, l’histoire rurale française, à l’image d’autres champs, s’est internationalisée et même « désenclavée » (p. 8). Les rencontres internationales (à l’image de la conférence de la European rural history organisation, dont la quatrième édition a eu lieu à Paris en 2019) ont permis un croisement des historiographies, jusque-là plutôt pensées à l’intérieur de frontières nationales, et une remise en question de certaines « certitudes » historiographiques (p. 9). Soulignons sur ce point, la très riche bibliographie, résolument internationale, constituée dans les notes de bas de page de l’éditorial, qui offre d’excellentes orientations de lecture. Cet aspect est aussi perceptible dans la table ronde entre Paul Brassley, Antoni Furió et Alessandro Stanziani, animée par Nadine Vivier (p. 21-34), qui aborde aussi bien le marché mondial des céréales, que les disettes dans l’Europe médiévale ou les innovations dans la culture des framboises au Royaume-Uni.
7Adopter un regard neuf sur les sources permet aussi de réexaminer à nouveaux frais des objets « classiques » de l’histoire rurale tels que la famille et l’héritage, le foncier, le travail. C’est le cas de l’article de Fabrice Boudjaaba (p. 133-148) sur l’identité paysanne dans la commune d’Ivry en pleine industrialisation, suivant les méthodes de la démographie historique et mesurant le « degré d’enracinement » des habitants et habitantes. L’article de G. Béaur (p. 35-50) réexamine les liens entre la crise de 1929 et l’agriculture en internationalisant le propos (comparaison États-Unis, France, Italie, Royaume-Uni). P. Luna (p. 83-98) propose une lecture globale et dans la longue durée des pratiques d’accaparement foncier en contextes coloniaux. Les articles de Katherine Jellison et de Niccolò Mignemi rappellent le caractère central du travail dès qu’il est question d’agriculture, en s’appuyant tous deux sur des sources statistiques, pour ce dernier dans le cas des productions spécialisées dans le Vaucluse (p. 51-66). Outre l’article de P. Lun a, ceux articles de Didier Guignard (p. 99-116) et Jean-Philippe Colin (p. 117-132) revisitent les questions foncières malgré les difficultés d’accès aux sources, d’une part en Algérie pendant et après la colonisation, d’autre part en Afrique de l’Ouest à l’époque très contemporaine. L’article de N. Vivier (p. 149-166) analyse les renouveaux des trente dernières années en matière d’histoire sociale des campagnes françaises au xixe siècle autour de la catégorie d’« élites rurales ».
8Enfin, à travers des croisements féconds avec d’autres perspectives historiographiques comme l’histoire du genre, l’histoire environnementale ou l’histoire des sciences, des techniques et des savoirs, l’histoire rurale s’est aussi enrichie de nouveaux objets. L’article de Céline Pessis (p. 67-82) revisite ainsi l’historiographie existante sur la motorisation, si symptomatique de la modernisation agricole d’après 1945, en retraçant les savoirs et les discours savants portés sur les labours et le travail du sol dans leur pluralité, exposant ainsi les controverses et potentielles résistances à l’œuvre à l’époque.
9L’article de K. Jellison clôt le numéro (p. 167-179) et analyse le travail agricole au prisme du genre dans une communauté amish, en s’appuyant sur une enquête statistique des années 1930.
Pour citer cet article
Référence papier
Margot Lyautey, « Gérard Béaur (dir.), Le Mouvement social. « Revisiter l’histoire des sociétés rurales » », Études rurales, 213 | 2024, 169-171.
Référence électronique
Margot Lyautey, « Gérard Béaur (dir.), Le Mouvement social. « Revisiter l’histoire des sociétés rurales » », Études rurales [En ligne], 213 | 2024, mis en ligne le 26 juin 2024, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/33177 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/127dp
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