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Comptes rendus

Marie-Pierre Julien et Céline Rosselin, La culture matérielle

Paris, La Découverte (« Repères »), 2005, 121 p.
Bruno Villalba

Texte intégral

1Comment définir un objet, élément de la culture matérielle, laquelle semble ne pouvoir s’apprécier qu’à travers une approche interdisciplinaire ? Comment en délimiter le champ d’analyse alors que les exemples dont fourmille le livre proviennent des techniques les plus récentes ou des outils les plus communs de notre vie quotidienne ?

2Le travail de Marie-Pierre Julien et Céline Rosselin, respectivement docteur en anthropologie sociale et maître de conférences à l’université d’Orléans, relève le défi. En une centaine de pages, d’une écriture soignée, toutes deux explorent de nombreuses disciplines scientifiques, croisant les sources théoriques et fécondant les courants afin de circonscrire la définition de la culture matérielle, mais surtout préciser l’usage de l’objet. « Ce terme, expliquent-elles en introduction, peut, en effet, être employé aussi bien par des historiens, des historiens de l’art, des archéologues, des primatologues, des muséologues, des anthropologues, mais aussi des ergonomes, des collectionneurs et des antiquaires. » (P. 4) La liste s’enrichit d’ailleurs au fur et à mesure que les auteurs étudient les interactions entre l’objet et son utilisateur d’une part, l’objet et son observateur d’autre part. L’ouvrage aurait gagné à davantage mobiliser d’autres disciplines (ainsi la sociologie politique, évoquée trop tardivement page 95, et les réflexions qu’elle inspire sur le sens des usages techniques dans l’organisation des rapports de pouvoir). Toutefois le nombre des références dont l’ouvrage fait mention est tel qu’il est parfois difficile au lecteur d’apprécier au plus juste les différences doctrinales de cette pléthore d’auteurs.

3Devant tant d’interrogations, comment Marie-Pierre Julien et Céline Rosselin structurent-elles leur démonstration ? L’objectif méthodologique, affirmé, revendiqué et parfaitement assumé, est de faire « dialoguer » ces disciplines pour montrer combien la diversité des interprétations portant sur le rôle des objets multiplie les clés de compréhension de nos sociétés humaines. Par conséquent, afin de ne pas seulement valoriser un courant disciplinaire, les auteurs procèdent à une véritable évaluation historique de la réflexion scientifique qui s’est développée autour de ce sujet.

4Cinq chapitres et une conclusion (extrêmement courte et décevante vu l’ampleur du sujet) examinent des questions centrales, regroupées comme suit : « Objets matériels et société », « Les objets au musée », « Technique versus consommation », « Culture matérielle et construction des sujets », « Culture matérielle et société ». Ces chapitres sont aussi l’occasion d’affirmer tout le bénéfice qu’il y a à croiser des modes d’interprétation des données scientifiques recueillies à des moments et en des lieux aussi différents que les continents – soulignons ici l’important travail de confrontation des travaux internationaux.

5À travers cette approche épistémologique qui se penche sur la genèse et l’évolution des réflexions scientifiques qui voient en l’objet un facteur explicatif de nos relations sociales, matérielles et symboliques, Marie-Pierre Julien et Céline Rosselin montrent que notre capacité à voir et à comprendre le monde est indissociable de ce qui nous lie à la complexité, à la technicité et à la signification des objets. Loin d’être accessoires dans nos organisations sociales, les objets en deviennent constitutifs.

6Tout au long du livre on découvre les interactions étroites, physiques et spirituelles – et qui restent encore à explorer – entre l’homme et l’objet. Sans doute les auteurs auraient-elles dû accorder plus d’attention, notamment dans la partie intitulée « Culture matérielle et société », au matérialisme du monde productiviste dans son opposition aux sociétés plus spiritualistes.

7La culture matérielle se présente tout à la fois comme une réflexion sur les conditions de la définition même de la culture (par exemple, pourquoi décide-t-on de faire entrer un « objet identitaire » dans un musée ?) et sur les conditions sociales, économiques et politiques de production de l’objet comme support de significations (« objet-signe »). Les espaces sociaux de la production d’objet (économique, technique) ou ceux de leur légitimation culturelle (religions, musées, mais aussi les recherches scientifiques sélectionnant l’objet signifiant) illustrent l’extrême diversité des acteurs intervenant dans le mécanisme de construction de cette culture matérielle.

8La matérialité est, elle aussi, interrogée : où se situe-t-elle entre la possession et la transmission d’un objet et sa nature « immatérielle » ? Tout cela ne nous offre qu’une vision extrêmement floue de la frontière effective de l’objet, raison pour laquelle les réflexions proposées sur la signification du corps humain en tant qu’objet sont particulièrement stimulantes. En une dizaine de pages Marie-Pierre Julien et Céline Josselin montrent à quel point, dans nos sociétés technicistes – où l’objet se consomme et se jette – le corps humain, imperceptiblement, devient à son tour objet de cette approche matérielle. D’extérieur, l’objet s’insère progressivement dans le sujet humain ; la possession de l’objet demeure certes un acte signifiant (stratification sociale, hiérarchie symbolique, etc.) mais lorsqu’il se confond avec son possesseur, c’est le possédant qui s’aligne sur l’objet. Étonnante perspective de la culture matérielle, qui, par le biais des innovations techniques, semble permettre une abolition des frontières entre l’objet et l’humain.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Bruno Villalba, « Marie-Pierre Julien et Céline Rosselin, La culture matérielle »Études rurales [En ligne], 175-176 | 2005, mis en ligne le 12 juillet 2006, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/3259 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.3259

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Auteur

Bruno Villalba

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