Jean-Baptiste Durand, Chien de la casse
Jean-Baptiste Durand, Chien de la casse, France, Insolence Productions, 2023, 93 min.
Texte intégral
1L’histoire relatée dans Chien de la casse (expression argotique décrivant un personnage peu scrupuleux, égoïste) premier long métrage de Jean-Baptiste Durand apporte un éclairage saisissant sur la sociabilité de la jeunesse rurale. Celle de deux amis d’enfance, Mirales (incarné par Raphaël Quenard) et Dog (par Anthony Bajon), la vingtaine qui traînent à Pouget (Hérault), leur joli village de 2 000 habitants situé dans l’aire d’attraction de Montpellier. Le premier, grand et sec à la gouaille blessante, revend du shit acheté à des gitans et maltraite le second, petit, râblé, taiseux, introverti qui tue le temps sur sa console de jeux en attendant son incorporation dans l’armée. Le duo est brisé par l’arrivée d’Elsa (interprétée par Galatéa Bellugi), une ravissante étudiante rennaise en littérature comparée, qui a une histoire d’amour improbable avec le timide Dog. Jaloux, Mirales, se retrouve seul et désœuvré avec Malabar, son pitt bull red nose, pour lequel il voue une affection touchante. Un chien, qui contrairement à Dog, lui est d’une fidélité inconditionnelle.
- 1 Propos tirés (et suivants) de son interview dans l’émission Par les temps qui courent diffusée sur (...)
2L’ambition de Jean-Baptiste Durand était de montrer cette jeunesse invisible et trop rarement représentée dans le cinéma, la littérature ou encore le rap. Lui-même originaire d’un village périurbain de l’Hérault, il souhaitait raconter la bande, l’amitié, l’ennui, la solitude et « le paysage, [comme] lieu de vie, qui n’est pas juste pittoresque »1. Le visionnage de cette comédie dramatique confirme que l’objectif de ce diplômé de l’École supérieure des beaux-arts de Montpellier est grandement atteint. Bien qu’il s’agisse d’une fiction, ce film est proche du registre documentaire avec des tranches de vie, des dialogues extrêmement réalistes. On y découvre le duo et le reste de la bande refaisant le monde, à la lumière des réverbères de la place-haute du village, une canette de bière dans une main, un joint dans l’autre. Vêtus de survêtements, de tee-shirt floqué du nom de leur équipe de foot préférée, ils scandent leurs phrasés de « vas-y »… Si on fait exception de ces paramètres – style vestimentaire, rap, nonchalance masculine qu’on retrouve d’ailleurs dans les cités de banlieue –, on est loin des clichés. Par exemple, le dur Mirales, à la verve si arrogante et à la diction improbable, est aussi un fils qui cuisine pour sa veuve de mère dépressive et un grand amateur de musique classique. Le jeune homme, cow-boy languedocien, apparaît sensible, délicat comme lorsqu’il apporte à sa voisine, son ancienne professeure de piano, une boîte métallique contenant des zézettes (sablés sétois) qu’il a confectionnées. Grand lecteur de littérature française, le grand Mirales en pantalon de survêtement rose semble terrifié à l’idée d’être seul, de perdre son ami de collège, qu’il considère comme son frère. Pour le réalisateur, « les clichés n’existent pas ». Il y aurait même urgence à nuancer. Le rapport urbain au monde, où les gens se croisent et n’ont pas le temps de se connaître, tendrait à « tout rendre binaire ». « Le temps n’est pas le même à la campagne qu’à la ville », où l’ennui n’a plus sa place.
3« Dans un village comme ça, si t’as pas de thunes, t’as pas de meuf. T’as pas de meuf, t’as pas de problème. T’as pas de problème, t’as pas de vie », lance Mirales un soir d’automne à la cantonade. Chaque membre de la bande s’interroge sur le sens de sa vie et le peu d’alternative qui s’offre à lui. Sublime, le village vide et perché avec ses ruelles étroites, ressemble à une cage dorée, dont il est difficile, parce que rassurante, de s’extraire. Ceux qui y restent – pour reprendre le titre de l’ouvrage de Benoît Coquard (La Découverte, 2017) – sont surtout des hommes un peu perdus dans ce cocon d’interconnaissance extrême. Évoluer, grandir, prendre son envol est, dans ce contexte, souvent synonyme de départ. « Moi, je ne suis pas adapté à l’environnement dans lequel j’évolue », explique à ses comparses Mirales, qui aspire à travailler dans une ville, une vraie, une grande. Mais le choix est difficile à faire sinon impossible.
4Chien de la casse, triplement primé (prix du public du festival d’Angers, lumière d’or du festival de La Ciotat, Swann d’or de Cabourg…), emporte les spectateurs dans le quotidien d’une jeunesse rurale, à mille lieues des caricatures. Avec beaucoup de cadres sur pied, Jean-Baptiste Durand parvient à créer un petit monde, à la photographie esthétique et poétique. Son film drôle et tendre, avec des personnages attachants, pointe un impensé du cinéma français contemporain : la vie des jeunes d’aujourd’hui dans un village périurbain.
Notes
1 Propos tirés (et suivants) de son interview dans l’émission Par les temps qui courent diffusée sur France culture, le 19 avril 2023, jour de la sortie en salle du film (<https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/par-les-temps-qui-courent/jean-baptiste-durand-realisateur-9297430>).
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Anne Both, « Jean-Baptiste Durand, Chien de la casse », Études rurales, 212 | 2023, 152-154.
Référence électronique
Anne Both, « Jean-Baptiste Durand, Chien de la casse », Études rurales [En ligne], 212 | 2023, mis en ligne le 15 décembre 2023, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/32396 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.32396
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page