Fabrice Mouthon, Montagnes médiévales. Les alpages de Savoie, Dauphiné et Provence du xiie au xvie siècle
Fabrice Mouthon, Montagnes médiévales. Les alpages de Savoie, Dauphiné et Provence du xixixiiie au xvie siècle, Chambéry, Université Savoie Mont-Blanc (« Sociétés, religions, politiques »), 2019, 243 p.
Texte intégral
1Après avoir souligné plusieurs fois l’importance de l’élevage et de la transhumance dans ses livres consacrés aux paysans des Alpes et au rapport des hommes du Moyen Âge à leur environnement, Fabrice Mouthon offre au lecteur une synthèse vivante sur les alpages médiévaux, un sujet central pour saisir l’aménagement des espaces de montagne, les usages des communs et l’anthropisation du paysage alpin.
2Comme le note l’auteur, « Le Moyen Âge n’a pas créé les alpages, mais il les a fait entrer dans le monde de l’écrit » (p. 197). De fait, l’ouvrage s’attache à démonter le mythe historiographique qui lie l’aménagement de la montagne à l’action des moines dans la seconde moitié du Moyen Âge. En la matière, les sources écrites ont longtemps constitué un biais : les premiers grands producteurs alpins de l’écrit seraient forcément les pionniers d’un modèle économique voué à durer. Les avancées récentes en archéologie, et notamment dans le recueil de données paléo-environnementales, permettent aujourd’hui d’esquisser une autre chronologie sur la longue durée. La pratique des alpages apparaît à la fin du Néolithique et connaît une forte expansion jusqu’à l’Âge du Fer avant de se stabiliser durant l’Antiquité. Le Haut Moyen Âge assiste à son tour à une nouvelle accélération de l’anthropisation de la montagne. Quand celle-ci est plus documentée par l’écrit, entre les xie et xiie siècles, on note un transfert de droits seigneuriaux vers les établissements monastiques. Ceux-ci construisent alors un monopole sur des espaces pastoraux déjà aménagés au fil des siècles précédents par les paysans qui en avaient l’usage. Cet accaparement s’inscrit cependant dans une toute autre perspective : celle d’un élevage en lien avec le grand commerce et l’approvisionnement des villes.
3Cette volonté d’extension des droits monastiques se solde toutefois par le fait que le droit des communautés est consigné : les archives laissées par les religieux, mais aussi par les seigneurs laïcs, montrent des paysans désireux d’une reconnaissance qu’ils obtiennent par des actes de bornages ou de définition de l’étendue de leurs droits d’usage. En dessous du ban seigneurial, des propriétés collectives sont clairement identifiables pour le xiiie siècle. Les conflits qui ne manquent pas d’apparaître, ainsi que l’extension de l’influence du droit romain, façonnent la formalisation des communautés alpines qui sont chacune désormais reconnues comme universitas. De fait, une partie des alpages est petit à petit transformée en commun. F. Mouthon ne se contente pas d’évoquer l’évolution juridique de ces formes d’occupation de la montagne : il montre également, par des exemples concrets, le rôle-clé du collectif pour maintenir en état et exploiter au mieux les ressources pastorales. Il aborde ainsi les questions d’irrigation, de lutte contre le reboisement, de fertilisation des sols à l’aide de fumier, autant d’opérations qui, à l’échelle de l’alpage, nécessitent une organisation collective pour pérenniser la ressource pastorale. Il évoque enfin la production en commun de fromages élaborés dans des granges collectives d’altitude, dont le fruit est réparti entre les différents acteurs.
4Cette organisation progressive des communs n’est pas le seul phénomène marquant des trois derniers siècles du Moyen Âge dans les Alpes. La destination des pâturages se modifie en effet au gré des évolutions démographiques et économiques. La croissance de la population au xiiie siècle est suivie d’une hausse de la demande de produits divers qui débouche sur une intensification de l’élevage et une pression accrue sur les alpages. Si les monastères ont déjà mis en place la transhumance hivernale (de la montagne à la vallée ou la plaine), elle se généralise au xiiie siècle et se retrouve bientôt concurrencée par la transhumance estivale (de la plaine vers la montagne). La venue de troupeaux étrangers entre dans un premier temps en concurrence avec la croissance de l’élevage local, provoquant l’ire de communautés en phase de construction, avant qu’un encadrement ne se mette en place visant à empêcher une surcharge pastorale. La reprise économique qui succède à la crise de la Peste noire qui affecte durement les Alpes introduit de nouveaux changements. Profitant d’espaces en partie vidés de ces habitants suite à l’épidémie de 1348-1349, des entrepreneurs plus lointains façonnent une économie montagnarde désormais spécialisée pour répondre au marché. Les Alpes septentrionales connaissent une intensification de l’élevage bovin, tandis que le sud du massif se spécialise dans l’élevage ovin. La domination de la bourgeoisie urbaine est en grande partie facilitée par l’abandon quasi général du faire-valoir direct par les seigneuries ecclésiastiques et laïques.
5L’ouvrage de Fabrice Mouthon apporte un éclairage nouveau sur les évolutions de l’économie montagnarde dans les derniers siècles du Moyen Âge. Le propos aurait pu, peut-être, appeler plus de comparatisme : avec les Pyrénées, où on assiste également à une affirmation communautaire au cours des xiiie-xve siècles, mais aussi avec le monde rural en général tant le schéma d’abandon du faire-valoir direct et de la domination de la bourgeoisie marchande sur les campagnes se retrouve dans d’autres espaces. Toutefois, le livre atteint son objectif : montrer qu’on peut penser l’alpage sur le temps long, malgré les lacunes documentaires, relire aussi les sources en contournant le biais induit par les producteurs de l’écrit et, enfin, sortir l’espace pastoral de son supposé immobilisme pour en esquisser les évolutions, les efforts constants pour sa pérennisation et son inscription dans une économie médiévale d’échanges.
Pour citer cet article
Référence papier
Mickaël Wilmart, « Fabrice Mouthon, Montagnes médiévales. Les alpages de Savoie, Dauphiné et Provence du xiie au xvie siècle », Études rurales, 211 | 2023, 173-175.
Référence électronique
Mickaël Wilmart, « Fabrice Mouthon, Montagnes médiévales. Les alpages de Savoie, Dauphiné et Provence du xiie au xvie siècle », Études rurales [En ligne], 211 | 2023, mis en ligne le 01 juillet 2023, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/31449 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.31449
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