Ilse Köhler-Rollefson, Hoofprints on the land. How traditional herding and grazing can restore the soil and bring animal agriculture back in balance with the Earth
Ilse Köhler-Rollefson, Hoofprints on the land. How traditional herding and grazing can restore the soil and bring animal agriculture back in balance with the Earth, Londres, Chelsea Green Publishing, 2022, 269 p.
Texte intégral
1Dans Hoofprints on the land, Ilse Köhler-Rollefson aborde l’épineuse question – enfin pour les véganes – du travail animal à travers ce qui pourrait s’apparenter à une défense de l’élevage pastoral et transhumant. Vétérinaire et archéo-zoologiste, elle a consacré sa vie professionnelle à ce système économique, écologique et sociale. Elle fait partie du cercle assez restreint des personnes spécialisées dans ce domaine marginalisé par la recherche et par les activités de politique publique, qui représente un mode de vie considéré à tort comme archaïque, politiquement délicat et contraire aux exigences d’une production alimentaire mondialisée.
- 1 Voir le rapport, Analytical Brief Series 28, de la FAO, FAOSTAT, Rome, 2021. L’auteure présente ces (...)
- 2 « thinking of pastoralism as a minor and marginal phenomenon is a view from the North, a figment of (...)
2Ilse Köhler-Rollefson part du constat que, d’une manière très approximative, un tiers des terres émergées est formé par des terres agricoles, un tiers par des forêts et le dernier par des montagnes, des déserts, des terres arides, des agglomérations urbaines ou encore des infrastructures. Les terres agricoles ne sont pas uniquement constituées de sols fertiles, arables. Seulement un tiers d’entre elles appartiennent à cette dernière catégorie et les deux autres sont composées de prairies et de pâturages qui, pour des diverses raisons, climatiques, géomorphologiques, ne sont pas aptes à la culture de plantes1. Cependant, ils sont exploités par des éleveurs, souvent transhumants. Ce système d’élevage se trouve également sur une partie des soi-disant « autres terres », par exemple sur les déserts et sur les zones arides, où il est la seule forme de mise en valeur de ces vastes régions marginales. Il forme la base de vie de nombreuses populations, qui seront condamnées, sans le travail animal, à la misère, à l’exode, car « […] considérer le pastoralisme comme un phénomène mineur et marginal est un point de vue du Nord, une invention de nos perceptions urbaines biaisées »2 (p. 22).
3Ces gens sont ciblés par des critiques de différente nature, mais concordantes dans leurs effets, de la part du mouvement végétalien, des défenseurs des droits animaux d’un côté, et des représentants de la « production animale » scientifique et dite moderne de l’autre. Si les premiers visent à abandonner pur et simplement l’élevage, considéré comme exploitation, les seconds cherchent à diffuser les techniques de la production intensive qui sont pourtant à la base de tous les abus justement dénoncés. En outre, il ne faut pas passer sous silence les intérêts lucratifs de l’industrie des substituts de viande, notamment ceux liés au soja et à d’autres légumineuses, en pleine croissance.
4Ces positions convergent vers le refus de l’élevage transhumant ou pastoral, même si leurs propositions pour en sortir de cette impasse sont diamétralement opposées. Les principaux arguments avancés sont les suivants : la culture des plantes permet de produire proportionnellement plus de protéines que l’élevage animal, lequel dégrade de manière significative l’environnement notamment en favorisant la désertification et émet des gaz à effet de serre.
- 3 Voir Roy Behnke et Michael Montimore (dir.), The end of desertification ? Disputing environmental (...)
- 4 « Overall, we can conclude that pastoralists have, or had, a variety of mechanisms to maintain the (...)
5La discussion de ces questions thématiques est au centre de ce livre. L’auteure démontre que les arguments avancés ne sont guère valables concernant le cas de l’élevage transhumant. Comme on l’a vu en présentant la distribution des formes de l’occupation des terres, une grande partie d’entre elles ne sont pas aptes à la culture. L’élevage est le seul moyen de leur mise en valeur. Leur conversion en terres arables serait vouée à l’échec, avec de graves conséquences écologiques. La contribution de l’élevage transhumant à la désertification, souvent décriée, n’a pas lieu, tout simplement à cause de l’observation qu’un avancement des déserts à l’échelle globale est plus que contestable3. En revanche, l’auteure souligne l’importance du pâturage régénératif pour la conservation des sols et pour la sauvegarde du milieu naturel. Là, où on peut constater une dégradation de l’environnement due à l’élevage, il s’agit souvent de la suite d’interventions extérieures insensées. « Globalement, nous pouvons conclure que les pasteurs disposent, ou disposaient, d’une variété de mécanismes pour maintenir l’équilibre entre leur environnement et la taille de leurs troupeaux »4 (p. 151).
- 5 Voir les deux rapports de la FAO, Livestock’s long shadow. Environmental issues and options, Rome, (...)
6Ilse Köhler-Rollefson discute, bien sûr aussi, de la question devenue crucial de la part de l’élevage, plus précisément des ruminants, dans le changement climatique. Sa contribution à l’émission des gaz nuisibles au climat a d’abord été évaluée en 2006 par la FAO à 18 %, puis à 14,5 % en 2013 des émissions totales, soit plus que le secteur des transports5. On ne peut pas entrer, dans une recension, dans la complexité d’une telle estimation, qui est certes alarmante, mais parfois fallacieuse. On note seulement que dans le calcul des émissions de transport ne sont incluses que les émissions directes des véhicules, alors que pour l’élevage on compte les émissions de toute la filière. Il est évident que la responsabilité principale pour ces émissions incombe au secteur de l’élevage industriel. Toute réflexion sur une autre forme d’élevage, neutre sur le plan climatologique ou avec des émissions encore tolérables, sera obligée de changer radicalement le système destructeur actuel, en cherchant un équilibre entre les émissions et leur absorption par la couverture végétale des pâturages, entre nombre d’animaux et surfaces pâturées. C’est cet aspect de la problématique qui concerne également des grandes régions dans nos pays européens, comme les prairies des Alpes, des Pyrénéens, des Abruzzes, des montagnes moyennes. Il faut être conscient qu’une telle réorientation des systèmes d’élevage vers l’utilisation extensive des pâturages aura pour conséquence une réduction significative du bétail.
7Au-delà de ces questions fondamentales, l’auteure propose un rapport ethnographique des pratique pastorales très riche en détails, surtout dans la région où elle vit au Rajasthan (Inde). Parfois, ses descriptions des relations entre hommes et animaux sont empruntées d’un certain lyrisme. On veut bien croire qu’il y ait des groupes de pasteurs qui mènent une vie en harmonie avec les prédateurs (comme les loups), mais les contre exemples sont également nombreux.
8On regrette de ne trouver que peu d’information à caractère quantitatif dans ce livre, comme le nombre des gens qui pratiquent l’élevage transhumant, la taille de leur bétail ou le volume de leur production. C’est sur la base de ces données chiffrées qu’il sera possible d’évaluer l’impact actuel et potentiel de l’élevage pastoral sur l’alimentation des hommes et d’éviter le cliché d’un mode de vie datant des temps anciens, idyllique, situé au bout du monde.
9Il s’agit, en somme, d’un livre qui informe sur un système de production rurale souvent sans alternative pour des vastes régions de notre planète, qui est porteur de solutions à nos problèmes vitaux et qui reste pourtant mal connu, marginalisé, voire accusé de tous les maux. Il nous invite à reprendre la recherche sur les modes de vie pastorale et les systèmes d’élevage transhumant afin de faciliter un avenir articulant plus harmonieusement besoins des hommes et besoin des animaux.
Notes
1 Voir le rapport, Analytical Brief Series 28, de la FAO, FAOSTAT, Rome, 2021. L’auteure présente ces chiffres, mais sans référence précises.
2 « thinking of pastoralism as a minor and marginal phenomenon is a view from the North, a figment of our biased urban perceptions. »
3 Voir Roy Behnke et Michael Montimore (dir.), The end of desertification ? Disputing environmental change in the drylands, Berlin, Springer, 2016.
4 « Overall, we can conclude that pastoralists have, or had, a variety of mechanisms to maintain the balance between their environment and the size of their herds. »
5 Voir les deux rapports de la FAO, Livestock’s long shadow. Environmental issues and options, Rome, 2006, p. 79-124, et Tackling climate change through livestock, Rome, 2013, p. 15.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Volker Stamm, « Ilse Köhler-Rollefson, Hoofprints on the land. How traditional herding and grazing can restore the soil and bring animal agriculture back in balance with the Earth », Études rurales, 211 | 2023, 170-172.
Référence électronique
Volker Stamm, « Ilse Köhler-Rollefson, Hoofprints on the land. How traditional herding and grazing can restore the soil and bring animal agriculture back in balance with the Earth », Études rurales [En ligne], 211 | 2023, mis en ligne le 01 juillet 2023, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/31444 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.31444
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page