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Comptes rendus

Adam M. Romero, Economic poisoning. Industrial waste and the Chemicalization of American agriculture

Laurent Herment
p. 160-163
Référence(s) :

Adam M. Romero, Economic poisoning. Industrial waste and the Chemicalization of American agriculture, Oakland, University of California Press (« Critical environments : Nature, science, and politic »), 2021, 270 p.

Texte intégral

1Depuis le dernier quart du xixesiècle, l’agriculture est en guerre. C’est en substance le message d’Adam Romero. Au-delà du caractère lapidaire et provocateur de cette formule, il faut prendre très au sérieux l’argumentaire dense et clair de l’auteur. Dès que l’on parle de guerre et d’usage des pesticides, on pense à l’ouvrage d’Edmund Russell. Mais il ne faut pas établir un parallèle entre les deux auteurs. En effet, A. Romero adopte parfois une démarche et des conclusions orthogonales à celles de Russell.

2Dans le premier chapitre, A.  Romero indique que les firmes minières, d’abord anglaises puis, à partir des années 1880, états-uniennes, rejettent dans l’environnement des quantités croissantes d’arsenic au cours du processus de raffinage des métaux. À travers cet exemple, il montre que l’agriculture a servi et sert encore d’exutoire pour les industries les plus polluantes. C’est aux États-Unis, notamment dans les champs de pommiers du Nord-Ouest, que les firmes minières vont trouver un espace pour se débarrasser à plus ou moins bon compte, et parfois avec profit, d’un de leurs déchets les plus toxiques. Comme le rappelle l’auteur, en dépit de l’apparition de nouveaux produits, le succès de l’arsenic dans l’agriculture ne se démentira pas avant l’arrivée massive des pesticides de synthèse dans les années 1940-1950.

3Dans le second chapitre, on passe de l’arsenic aux composés cyanurés… Les producteurs d’agrumes californiens vont, à partir du milieu des années 1880, faire la fortune des entreprises qui les approvisionnent et les épandent. Au cours de ce chapitre A. Romero démontre de manière lumineuse que l’état de guerre contre les ennemis des cultures dans lequel l’agriculture est plongée n’a pas grand-chose à voir avec la Première Guerre mondiale. En effet, ce sont les caractéristiques de l’agriculture qui se développe dans le Golden State qui provoquent l’ouverture des hostilités. La monoculture d’une gamme étroite de variétés d’agrumes va offrir à certains insectes, indigènes ou exotiques, un biotope particulièrement propice à leur multiplication. L’uniformisation des produits, la recherche de la qualité visuelle des fruits et le fait qu’ils doivent pouvoir supporter le transport sur de longues distances constituent autant d’incitations supplémentaires pour recourir aux pesticides. Dans le troisième chapitre, l’auteur examine l’émergence des pesticides à base de pétrole à partir des années 1900. À l’orée du xxe siècle, la Californie devient un des pôles majeurs d’extraction. Les derricks voisinent dès lors avec les agrumes. En raison de la qualité du pétrole extrait, les monceaux de sous-produits toxiques s’empilent. Les agrumiculteurs tentent très tôt d’utiliser le pétrole et ses sous-produits comme insecticides, soit pour des raisons économiques (leur coût est très faible), soit parce qu’ils cherchent de nouveaux produits plus efficaces. Leur utilisation intervient à un moment où les effets des composés cyanurés et arsenicaux commencent à s’épuiser, les insectes devenant résistants, même à de très fortes doses. Ainsi s’ouvre un nouveau chapitre de la guerre sans merci que les agriculteurs, avec l’aide de l’industrie chimique, livrent aux insectes. Il faut maintenant réparer les dégâts provoqués par les premières réparations. Mais, loin d’être simple, la mise en ordre de bataille des nouveaux poisons nécessite une meilleure compréhension de la chimie du pétrole dont la composition est infiniment variable. De plus, les pesticides commercialisés sont plus ou moins toxiques pour les plantes elles-mêmes, ce qui permet d’envisager la production d’herbicides ! Dans ce chapitre A. Romero explique que la commercialisation de ces pesticides à base de pétrole, ceux en particulier de Cal-Spray, dirigé par William H.  Volck (qui est aussi salarié de la station expérimentale de l’Université de Californie), permettra de sceller, après la Seconde Guerre mondiale, le mariage entre l’agriculture, la chimie et l’industrie pétrolière (voir ch. 5). Cette dernière prend alors conscience que chaque composante de l’or noir peut être utilisée avec profit dès lors qu’on lui trouve un usage. Enfin, les essais menés en Californie jouèrent un rôle important dans la division du travail entre la sphère publique et privée.

4Le chapitre 4 porte précisément sur la mise en place d’une infrastructure de recherche publique/privée destinée à favoriser la production de « poisons économiques » toujours nouveaux. Forts de l’expérience et du prestige acquis par le National Reseach Council durant la Première Guerre mondiale, les tenants de la lutte contre les pathogènes des cultures et les insectes vont créer le Crop Protection Institut (CPI), chargé de piloter la coopération entre les industriels de la chimie, qui disposent d’une masse colossale de sous-produits qu’ils cherchent à valoriser, les land grant institutions et les laboratoires publics. L’idée sous-jacente est que les insectes attaquant les récoltes représentent une menace plus grave pour la sécurité du pays que les États étrangers. En dépit de mises en garde précoces par certains scientifiques, le CPI, loin d’être simplement une interface entre les demandes des industriels et les moyens dont disposent les laboratoires et universités publiques, va s’avérer être un instrument de mainmise de l’industrie chimique et pétrochimique sur la recherche publique. De plus, si dans l’immédiate après-guerre, les projets sont effectivement coopératifs et les résultats mis à la disposition de tous, comme prévu dans les statuts du CPI, très rapidement, certaines firmes vont contourner le CPI et ses principes fondateurs, en initiant des coopérations directes avec des universités spécifiques et en exigeant que l’ensemble des résultats de la recherche deviennent leur propriété. C’est dans ce cadre non coopératif, aboutissant à une privatisation des recherches effectuées par les laboratoires publics, que s’inscrivent les premières recherches sur les pesticides de nouvelle génération qui domineront le marché après la Seconde Guerre mondiale.

5Dans le cinquième et dernier chapitre, A. Romero s’intéresse à l’émergence des pesticides de synthèse en analysant la trajectoire de l’entreprise Shell. Au tournant des années 1910-1920, l’entreprise, sous la houlette d’August Kessler, son chef des opérations, considère que la pétrochimie est l’avenir de l’industrie pétrolière. C’est à la fois dans le domaine des engrais et celui des pesticides de synthèse que l’entreprise va effectuer des percés. Comme l’indique l’auteur, l’usage massif des engrais commerciaux permet de reconstituer la fertilité des sols et de cultiver année après année la même plante sur le même terrain et de ne plus dépendre des rotations culturales. Cependant, très vite, des organismes pathogènes se développent, annihilant les efforts des exploitants. Shell, comme d’autres entreprises, va faire tester de nombreux nouveaux produits susceptibles de lutter contre la prolifération des pathogènes souterrains. Parallèlement, elle va mettre au point des méthodes pour « purifier » les sols par fumigation. C’est à Hawaï, dans les champs d’ananas, dévastés par des nématodes que le pouvoir miraculeux ces sous-produits toxiques de l’industrie pétrochimique va être mis en évidence.

6L’ouvrage a de nombreux mérites. Nous nous contenterons d’en évoquer quelques-uns. Il parlera directement aux spécialistes de l’histoire rurale et, plus généralement, aux spécialistes des espaces ruraux. En effet, toutes les agricultures ne sont pas en état de guerre. C’est l’agriculture industrielle qui est prioritairement concernée. Par ailleurs, A. Romero, démonte avec précision les mécanismes par lesquels les firmes minières, pétrolières et chimiques vont très rapidement transformer certains espaces ruraux en dépotoir. Enfin, l’auteur tord le cou à l’antienne selon laquelle l’usage des pesticides permet d’une part de lutter contre la faim et d’autre part de garantir aux agriculteurs de meilleurs revenus. Au contraire, sur le plan agricole les pesticides permettent simplement d’empiler des surplus qui ne sont pas destinés à porter secours aux affamés et qui provoquent bien souvent la ruine des agriculteurs. Sur le plan industriel, ils permettent à l’industrie chimique de se délester avec profit de sous-produits toxiques. Les pesticides ont, en fait, tout à voir avec l’avidité des firmes phytopharmaceutiques et pétrochimiques qui ont trouvé le moyen d’engager une guerre sans fin contre des organismes qui n’en peuvent mais.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laurent Herment, « Adam M. Romero, Economic poisoning. Industrial waste and the Chemicalization of American agriculture »Études rurales, 210 | 2022, 160-163.

Référence électronique

Laurent Herment, « Adam M. Romero, Economic poisoning. Industrial waste and the Chemicalization of American agriculture »Études rurales [En ligne], 210 | 2022, mis en ligne le 01 décembre 2022, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/30589 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.30589

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Auteur

Laurent Herment

historien, chargé de recherche, CNRS, Centre de recherche historiques (UMR 8558), Paris

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