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Comptes rendus

Dominique Ganibenc, Vin et architecture dans l’ancien Languedoc-Roussillon. Des châteaux aux coopératives : l’épopée du monde vitivinicole depuis les années 1860. T. 1 : De la genèse aux maîtres d’œuvre. T. 2 : Typologie, architecture, patrimoine et œnotourisme

Jacques Lauze
p. 147-149
Référence(s) :

Dominique Ganibenc, Vin et architecture dans l’ancien Languedoc-Roussillon. Des châteaux aux coopératives : l’épopée du monde vitivinicole depuis les années 1860. T. 1 : De la genèse aux maîtres d’œuvre. T. 2 : Typologie, architecture, patrimoine et œnotourisme, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2021, 432 p. et 416 p.

Texte intégral

1Dominique Ganibenc, historien de l’art propose dans cet ouvrage une démarche novatrice qui, outre ses contenus originaux, fédère divers apports historiographiques existants. Son ambition est de montrer comment a été forgé un patrimoine physique et immatériel autour de la viticulture du Languedoc ancien, avant d’en proposer plusieurs grilles d’évaluation (technique, artistique, sociale) et d’amorcer une analyse sur les conditions de sa transmission dans un contexte rendu difficile par le violent recul du vignoble de masse, sur fond de réchauffement climatique. Il s’agit de la version réorganisée, précisée et enrichie de sa thèse soutenue en 2012 à l’Université Paul-Valéry, Montpellier III. Le livre est une œuvre monumentale à la fois par sa taille (846 p. réparties en deux tomes), par l’approche transdisciplinaire choisie, enfin par la profondeur et le niveau de détail des explorations menées. Cette monumentalité est heureusement aérée par une abondante et éclairante documentation photographique et par des aquarelles de l’auteur.

2Dans le premier tome, après avoir parcouru l’histoire de la création, des ruptures et des recompositions de l’infrastructure vinicole privée du Languedoc entre le viiie siècle avant J. C et la naissance du mouvement coopératif, D. Ganibenc montre comment à partir du xixe siècle, le passage de la connaissance intuitive à une démarche scientifique a structuré et dynamisé l’essor du vignoble méridional, avant d’aborder la naissance de ce mouvement coopératif à travers ses « rouages », ses forces et ses contradictions, et d’en constater l’essor limité jusqu’en 1918 à cause de la crise de 1907 et du premier conflit mondial. La vie des sociétés coopératives et la dynamique de leurs réseaux ont été ensuite fortement influencées par de fortes affirmations identitaires, d’abord locales, puis progressivement centrées sur la qualité des vins produits. Une relation est aussi établie d’abord pour le xixe siècle entre régulation des marchés et rôle des distilleries coopératives, puis pour le xxe entre rétractation du vignoble et violent recul de leur activité. La somme présentée sur la dynamique des réseaux, chiffres et illustrations à l’appui permettra au lecteur d’accéder à un luxe de détails souvent datés dans la triple dimension de la région, du département et de la localité. 

3Un long dictionnaire biographique présentant 147 ingénieurs et architectes dont 136 intervenants en Languedoc-Roussillon est habilement agrémenté de photographies de réalisations.

4La conclusion du premier tome montre que l’histoire du vignoble explique la richesse et l’originalité du patrimoine actuel, malgré une rétractation alarmante à partir de 1960 et réchauffement climatique. Elle introduit la problématique du tome 2 sur le constat de ce patrimoine en évolution, mais également en péril. Pour y répondre, l’auteur propose d’appréhender ces sites viticoles avant de les inscrire dans les mouvements architecturaux et « l’implication de leurs principaux maîtres d’œuvre » (p. 133-229) ; puis de se poser la question de « leur devenir et de leur héritage » (p. 233-337).

5Pour présenter ces sites, la cuverie viticole fait l’objet d’une étude rétrospective, typologique et très technique. On s’intéresse ensuite à la constitution du bâtiment viticole et à son histoire, des voûtes traditionnelles du début du xixe aux charpentes métalliques des coopératives après 1945. L’analyse des éléments constitutifs distingue vignerons indépendants (avec caves intégrées à la maison ou périphériques) et sites coopératifs. Des petites caves privées aux grands châteaux viticoles, avec une digression autour du Bordelais, où sont nés les châteaux, sont ensuite évoqués le style souvent localiste des premières, puis l’importance du couple concepteur-bourgeois propriétaire pour les seconds, et le luxe des matériaux exotiques utilisés. Pour le secteur coopératif, l’exigence d’économie a influencé l’esthétique, et la variété des éléments constitutifs des caves a souvent gêné les opérations d’agrandissement menées avant que la pratique de la cuverie extérieure ne se généralise.

6À propos des mouvements architecturaux impliqués dans ces créations l’auteur découvre pour nous, entre xixe et xxe siècles, le « passage des styles néo-antiques au médiéval et la marche vers l’éclectisme et l’orientalisme » (p.138-141), puis l’utilisation de nouveaux matériaux (béton, fer, verre), avant un détour par les arts nouveaux, l’affirmation des arts décoratifs, et enfin, après l’exposition universelle de 1937 le fort « courant de régionalisme artistique » (p.146-152). Ces styles ont principalement concerné en milieu urbain les maisons de maîtres souvent traitées en style classique et en polychromie ainsi que les hôtels particuliers et les villas habitées par une bourgeoisie vigneronne. Les châteaux viticoles, souvent concentrés dans la région de Béziers, ont servi à affirmer la défense de la possession foncière et de la puissance sociale, avec quatre groupes représentatifs (médiéval, Louis xiii, renaissance, néo-classicisme xviiie s.). Pour les coopératives viticoles, on observe jusqu’en 1920 des évocations sans systématisation de divers styles, mais aussi la présence d’environ cinquante caves de style régionaliste, construites entre 1937 et 1955. Les distilleries coopératives sont manifestement le parent pauvre de la rubrique avec seulement quelques réalisations stylées. Une géographie de ces styles, confrontée à l’apport architectural et à l’évolution artistique des principaux maîtres d’œuvre, apparaît finalement hypothétique. Pour les châteaux, l’étude menée montre que leur sensibilité a été souvent bridée par celle des maîtres d’ouvrage. Pour le réseau coopératif, on note avant 1920 une tendance à l’utilitarisme fonctionnel si l’on excepte l’apport de l’architecte Pierre Paul, concepteur en 1905 de la cave de Maraussan et en 1913 de celle d’Aigues-Mortes. Après cette date, Henri Floutier, auteur de 53 réalisations, a affirmé brillamment le style régionaliste avec en 1937 la cave coopérative de Tavel, puis en 1952 celle de Gallican.

  • 1 Label créé en 1999 par le ministère de la Culture, remplacé en 2016 par le dispositif « Architectu (...)

7Comment enfin organiser la transmission et la valorisation de ce patrimoine, sous la contrainte de son rapport à un œnotourisme en fort développement ? L’examen du rapport entre caves et autres bâtiments communaux existants ne révèle pas de vraies parentés architecturales mais seulement quelques affinités. Les bâtiments nouveaux sont maintenant dessinés par de nouveaux maîtres d’œuvre, alliant optimisation technique et construction d’une image adaptée aux nouveaux marchés du vin. Finalement l’état clinique des lieux compte tenu de l’arrêt de 445 coopératives sur les 645 recensées apparaît assez alarmant à quelques reconversions réussies près. Pourtant, les sgraffites d’Armand Pellier et d’André Clair, puis les sculptures d’Armand Pellier témoignent d’une richesse passée, Le niveau de reconnaissance de ce patrimoine est encore trop faible en Occitanie. Les châteaux viticoles ne sont que 16 à être inscrits « au titre des monuments historiques »1. En 2013, seulement six caves l’étaient (dont Maraussan et Paulhan) et vingt d’entre elles arboraient le logotype patrimoine du xxsiècle1.

8On peut, sur la forme, regretter une lecture rendue parfois difficile par les longues énumérations, ainsi que par l’emploi d’un vocabulaire technique, certes éclairé par un glossaire d’architecture (t. 2), même si un souci d’exhaustivité et l’exigence de profondeur déjà signalée les imposaient sûrement. On peut aussi sur le fond, discuter une analyse historique, à partir de 1907 de l’histoire contemporaine de la vigne méridionale (prééminence notamment de la surproduction sur la fraude en tant que cause première de la crise) qui s’inscrit dans un débat historiographique toujours ouvert à ce jour, mais sans systématiquement mobiliser les sources qui auraient pu la renforcer. Toutefois, l’ouvrage de D. Ganibenc nous propose bien un voyage attractif et souvent passionnant dans le temps et l’espace du patrimoine viticole languedocien. Il constitue à ce titre une incontournable référence sur l’histoire viticole languedocienne.

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Notes

1 Label créé en 1999 par le ministère de la Culture, remplacé en 2016 par le dispositif « Architecture contemporaine remarquable ».

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Pour citer cet article

Référence papier

Jacques Lauze, « Dominique Ganibenc, Vin et architecture dans l’ancien Languedoc-Roussillon. Des châteaux aux coopératives : l’épopée du monde vitivinicole depuis les années 1860. T. 1 : De la genèse aux maîtres d’œuvre. T. 2 : Typologie, architecture, patrimoine et œnotourisme »Études rurales, 210 | 2022, 147-149.

Référence électronique

Jacques Lauze, « Dominique Ganibenc, Vin et architecture dans l’ancien Languedoc-Roussillon. Des châteaux aux coopératives : l’épopée du monde vitivinicole depuis les années 1860. T. 1 : De la genèse aux maîtres d’œuvre. T. 2 : Typologie, architecture, patrimoine et œnotourisme »Études rurales [En ligne], 210 | 2022, mis en ligne le 01 décembre 2022, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/30524 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.30524

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Auteur

Jacques Lauze

historien, chercheur associé au Centre de recherche interdisciplinaire en sciences humaines et sociales (EA 4424), Université Paul-Valéry, Montpellier III, Montpellier.

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Droits d’auteur

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