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Comptes rendus

Philippe Artières, Le peuple du Larzac. Une histoire de crânes, sorcières, croisés, paysans, prisonniers, soldats, ouvrières, militants, touristes et brebis

Mahaut Cazals
p. 142-144
Référence(s) :

Philippe Artières, Le peuple du Larzac. Une histoire de crânes, sorcières, croisés, paysans, prisonniers, soldats, ouvrières, militants, touristes et brebis…, Paris, La Découverte (« Sciences humaines »), 2021, 304 p.

Texte intégral

1Le projet de Philippe Artières est ambitieux : écrire une « histoire plurielle : locale, populaire et mondiale, animale et humaine, masculine et féminine, une histoire matérielle voisinant avec celle des imaginaires et des concepts » (p. 15) du Causse de Larzac, ce vaste plateau calcaire de 1 000 km2 partagé entre l’Hérault et l’Aveyron, haut lieu de lutte paysanne dans les années 1970, puis altermondialiste dans les années 2000. Cette histoire se veut également une histoire personnelle et familiale qui s’entrelace, par « télescopage[s] temporel[s] » (p. 8), avec celle du Causse, de la France et du monde.

2Cette approche « nomade » (p. 15) plutôt que totalisante vise à rendre compte de la diversité des groupes impliqués dans l’histoire du Larzac, ces « crânes, sorcières, croisés, paysans, prisonniers, soldats, ouvrières, militants, touristes et brebis… » qui, comme l’affiche le titre de l’ouvrage, ont peuplé le plateau à travers les siècles et à la rencontre desquels Philippe Artières conduit son lecteur, chapitre après chapitre.

3La plus originale de ces rencontres est sans doute celle qui, inspirée par les propositions de l’histoire environnementale, entend retracer celle des brebis du Larzac, ses habitants les plus anciens et peut-être les plus importants, dont il évoque les rythmes d’existence et les interactions avec les humains. Suivant le titre de la troisième partie, « Des brebis et des femmes », une relation particulièrement forte est établie entre ces deux groupes appartenant à la catégorie des « dominés », dont l’auteur cherche à faire entendre la voix. Il évoque ainsi les figures des cabanières, ouvrières de Roquefort, et des gantières de Millau qui, à partir du xixe siècle et de concert avec les ovins dont elles exploitent les productions corporelles, placent le Larzac « sur la carte du monde » (p. 112).

4Proposer une histoire mondiale du Larzac constitue un autre fil conducteur de l’ouvrage de Philippe Artières. Ce dernier a bien raison d’insister : ce causse, à première vue isolé et désertique, est « relié en permanence aux fracas du monde » (p. 294). La quatrième partie, « Le temps des camps », le montre particulièrement bien. Au xixe et au xxe  siècle, le Larzac devient en effet un « espace de relégation et d’incarcération » (p. 119) qui correspond aux évolutions du pouvoir dans les sociétés européennes, dont le camp serait un lieu emblématique. Y sont successivement enfermés des enfants, à Luc, à la suite de la loi de 1850 sur « l’éducation et le patronage des jeunes détenus » (ch. 12), entraînés des réservistes au début du xxe   siècle (ch. 13) et des volontaires espagnols en 1940 (ch. 14), puis parqués des officiers allemands dans le cadre de la « dénazification » (ch. 15). À leur suite, dans le même camp du Larzac, aux alentours de la Cavalerie, des Algériens accusés d’appartenir au FLN y sont internés (ch. 16), des harkis hébergés (ch. 17), avant que ne reviennent les militaires (ch. 18). Tous ces groupes, arrivés volontairement ou non, ont rejoint, par leur potentiel subversif (pacifisme des réservistes, grèves des Algériens…), le rebelle « peuple du Larzac » que l’auteur cherche à dépeindre, malgré la difficulté que constitue l’inévitable filtre des « archives du pouvoir » (p. 119). Cette indiscipline éclate véritablement à partir de 1970, contre les projets d’extension de ce camp sans cesse réemployé. Naît alors « La cause du causse » (cinquième partie).

  • 1 Voir notamment Pierre-Marie Terral, Le Larzac, de la lutte paysanne à l’altermondialisme. Entre hi (...)

5C’est ce combat, passionnant quoique bien connu1, qui est à la fois le point d’orgue et la « source de motivation pour écrire ce livre » (p. 181), ainsi que, semble-t-il, une clé de compréhension essentielle pour comprendre l’histoire du causse. En effet, cet épisode fait éclater la véritable identité du Larzac : « lieu d’invention, […] espace laboratoire » (p. 263) dont l’apothéose semble la création, en 1985, de la Société civile des terres du Larzac, mode de gestion foncière unique en France. Telle est la proposition la plus forte de l’ouvrage et, peut-être, la plus contestable : ce causse serait, presque par essence, une marge où ne cessent de s’inventer des formes de vie collective originales, du squat de la ferme des Truels en 1964 jusqu’à la « communauté » de sorcières gauloises du Ier siècle ap. J.-C., révélée par une plaque de plomb, en passant par la fameuse commanderie templière de Sainte-Eulalie-Larzac. L’hypothèse d’un Larzac « espace d’invention permanente » (p. 294) oriente l’ensemble de la lecture historique de l’auteur et laisse entrevoir un lien presque généalogique entre tous ces phénomènes, dont certains semblent pourtant très éloignés et auxquels seuls la lutte des années 1970 et ses prolongements donnent une cohérence a posteriori.

6Contribue à cette impression la construction chronologique que l’auteur donne à son ouvrage, ainsi accessible au large public, mais qui aurait pu être nourrie par la mobilisation de temporalités plus complexes, à l’image du chapitre 28 qui se penche sur la marchandisation du passé médiéval au service de la patrimonialisation du causse. Ici, plus classiquement, Philippe Artières débute par les « Commencements » (première partie), c’est-à-dire le paysage, « premier énoncé » (p. 23), et la Préhistoire, puis aborde, dans la partie suivante (« À la croisée des mondes »), l’Antiquité et le Moyen Âge, avant de dérouler son récit plus avant.

  • 2 Antoine-Régis Carcenac, La Commanderie du Temple de Sainte Eulalie de Larzac: recherche d’histoir (...)

7Assumant de travailler largement à partir de sources secondaires, ce que l’ampleur chronologique et géographique du propos rend nécessaire, il est tributaire des vides historiographiques relatifs (par exemple, le Haut Moyen Âge, totalement absent de l’ouvrage), ce que l’auteur reconnaît, et d’études souvent datées. Les travaux d’Antoine-Régis Carcenac sur les Templiers du Larzac2, par exemple, bien que très sérieux, sont redevables à une histoire rurale du Moyen Âge aujourd’hui largement retravaillée par l’archéologie et le « tournant documentaire ».

8En dépit de ces difficultés auxquelles fait nécessairement face tout ouvrage de synthèse à destination du grand public, qui se réjouira également de ses qualités d’écritures, il faut souligner la pertinence de la démarche : offrir à tous de nouvelles histoires locales à la fois enjouées et savantes, étoffées par le renouvellement des approches historiographiques (histoire globale, environnementale, du genre…) et de concepts porteurs issus des sciences sociales.

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Notes

1 Voir notamment Pierre-Marie Terral, Le Larzac, de la lutte paysanne à l’altermondialisme. Entre histoire et mémoire (1971-2010), thèse d’histoire, Montpellier, Université Paul Valéry, 2010 et le documentaire (120 min) de Christian Rouaud, Tous au Larzac, Elzévir Films et Arte France Cinéma, 2011.

2 Antoine-Régis Carcenac, La Commanderie du Temple de Sainte Eulalie de Larzac: recherche d’histoire économique et sociale milieu xiie

-début xive siècle, thèse de doctorat en histoire, Toulouse, Université Toulouse Jean Jaurès, 1987 ; « L’élevage dans le Rouergue méridional au temps des Templiers », Annales du Midi: revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, t. 103, n° 195, 1991, p. 293-306.Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Mahaut Cazals, « Philippe Artières, Le peuple du Larzac. Une histoire de crânes, sorcières, croisés, paysans, prisonniers, soldats, ouvrières, militants, touristes et brebis… »Études rurales, 210 | 2022, 142-144.

Référence électronique

Mahaut Cazals, « Philippe Artières, Le peuple du Larzac. Une histoire de crânes, sorcières, croisés, paysans, prisonniers, soldats, ouvrières, militants, touristes et brebis… »Études rurales [En ligne], 210 | 2022, mis en ligne le 01 décembre 2022, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/30499 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.30499

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Auteur

Mahaut Cazals

historienne, doctorante, Fondation des sciences du Patrimoine, Dynamiques patrimoniales et culturelles (EA 2449) Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, Guyancourt 

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Droits d’auteur

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