Pascal Reigniez, L’outil agricole en France au Moyen Âge. Paris, Errance, 2002, 446 p. (« Collection des Hespérides »).
Texte intégral
1Cette première étude systématique de l’outillage agricole médiéval en France, malheureusement limitée à la culture des végétaux – l’élevage et l’utilisation d’animaux en sont donc exclus –, vient combler une lacune maintes fois déplorée par les historiens.
2Son intérêt réside dans l’exploitation d’un vaste corpus puisé à trois sources principales que leurs limites respectives obligent à croiser (chap. I) : 1) les sources archéologiques, dans lesquelles les outils agricoles se signalent par leur rareté, rareté surprenante si l’on songe qu’encore en 1780, 1 Français sur 4 était paysan : c’est que les archéologues ne se sont longtemps intéressés qu’aux vestiges gréco-romains, au détriment de leurs homologues médiévaux ; 2) les sources documentaires, textes et iconographie, difficilement accessibles et entachées de nombreux anachronismes qui résultent de la tentation des raisonnements par analogie, à laquelle les chercheurs cèdent trop souvent pour compenser les déficiences de leur documentation ; 3) les sources ethnographiques, qui doivent être utilisées avec discernement si l’on veut éviter de tomber dans le travers évoqué précédemment. La bibliographie, comprenant quelque 700 titres, témoigne de l’ampleur de l’effort documentaire accompli.
3Les trois chapitres suivants, assortis d’une iconographie exhaustive de 351 figures et de 5 planches hors-texte, présentent les outils en suivant le cycle de développement de la plante. Selon un ordre inspiré, au moins dans ses grandes lignes, de la classification des techniques d’André Leroi-Gourhan (Milieu et techniques, Albin Michel, 1945).
4Le chapitre II commence sur le travail de la terre, avec les outils tractés – herse et rouleau surtout, l’araire et la charrue n’étant qu’effleurés, et l’attelage totalement ignoré (mais il est vrai que ces vastes questions ont déjà fait ou pourraient faire, à elles seules, la matière d’un livre) –, puis avec les outils maniés et, donc, emmanchés – râteau, pioches, houes, bêches. Pascal Reigniez aborde ensuite l’élimination des végétaux, avec les outils à lames : émondoirs, serpes, faux, couteaux, ciseaux (à noter l’absence, inexpliquée, des haches).
5Au chapitre III, il est question de la récolte, avec les outils utilisés à la volée (faux, faucilles), et du ramassage avec les « outils de préhension et de manipulation » (pince à chardons, peigne à moissonner, râteaux, fourches).
6Enfin, le chapitre IV est consacré à deux catégories assez dissemblables : en premier lieu, aux « outils de transformation » – bâton à battre, fléau, aire à battre, coupe-foin (mal placé p. 315), rouleau et planche à dépiquer, van et crible – ; en second lieu, à l’outil « objet de vie et de survie ». Sous ce curieux titre, qui conviendrait à peu près pour tous les outils agricoles, l’auteur traite d’abord de la fabrication, de ses lieux – forge, taillanderie (serpiers)… –, de ses diffusions, de l’entretien et de la réparation – aiguisage, rebattage… (c’est ici l’occasion de rappeler cette mine qu’est l’indispensable et monumental Marcel Lachiver, Dictionnaire du monde rural. Les mots du passé, Fayard, 1997). P. Reigniez s’intéresse alors aux outils agricoles utilisés comme armes (« armes par destination », comme disent les juristes) pour se défendre, notamment contre les bandes de « routiers », d’où le qualificatif d’« outils de survie » : bâtons, fléaux, fourches, faux, dont les lames étaient parfois redressées, mais aussi redoutables chars à faux qui laissent deviner des échauffourées d’envergure. Une typologie des emmanchements – à œil, à col, à douille, à soie, à ergot, par plaques rivées – vient clore ce dernier chapitre.
7Les incohérences de classification signalées ici se reflètent dans la table des matières qui n’est pas toujours explicite.
8De cette riche matière, l’auteur tente d’extraire, en conclusion, quelques enseignements pour l’histoire générale des techniques. Exception faite du couteau pliant, dont l’apparition en grande quantité daterait du xviie siècle, et, bien sûr, des machines, l’outillage agricole de l’époque moderne (jusqu’au milieu du xxe siècle) était en place, en France, depuis le Moyen Âge et même, dans une large mesure, depuis l’Antiquité. Ses seuls perfectionnements notables tiennent à l’amélioration de la qualité des composants métalliques due aux progrès de la métallurgie industrielle. P. Reigniez rappelle aussi opportunément que « l’objet se déplace avec celui qui sait le forger » (p. 334) : ce n’est donc pas l’objet forgé qui se déplace mais le forgeron ; mieux, « ce n’est pas la forme matérielle qui se déplace, mais c’est l’idée de cette forme, c’est le savoir-faire qui lui donne naissance et qui migre avec les hommes » (p. 388).
9En revanche, il paraît moins inspiré quand il s’en prend à ce qu’il appelle le « darwinisme de l’outil » (il aurait été plus simple et surtout plus juste de parler d’évolutionnisme) : « L’outil le plus ancien n’est pas forcément le plus archaïque, pas toujours le moins efficace. » (P. 47) De Leroi-Gourhan, dont il se réclamait pour sa classification, P. Reigniez se démarque ici, notamment lorsqu’il écarte la problématique de la « tendance » et du « fait » qu’il n’a visiblement pas bien comprise, au profit de celle du « principe » et du « perfectionnement » (p. 390), dont on ne saisit pas bien l’avantage. L’auteur propose aussi d’appeler « ergaléologie » (p. 391 et p. 392, note 18) l’étude de l’outil incluant le fait humain, qu’il distingue de l’étude des techniques, réduite, pour les besoins de la cause, à une caricature de technologie, statique et désincarnée.
10On aura deviné que l’apport véritable de L’outil agricole en France au Moyen Âge réside, non dans ces fausses innovations mais dans le sujet même et dans l’ampleur de la documentation de l’inventaire réalisé par P. Reigniez. Et cela n’est pas rien.
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Pierre Digard, « Pascal Reigniez, L’outil agricole en France au Moyen Âge. Paris, Errance, 2002, 446 p. (« Collection des Hespérides »). », Études rurales, 169-170 | 2004, 302-303.
Référence électronique
Jean-Pierre Digard, « Pascal Reigniez, L’outil agricole en France au Moyen Âge. Paris, Errance, 2002, 446 p. (« Collection des Hespérides »). », Études rurales [En ligne], 169-170 | 2004, mis en ligne le 13 avril 2005, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/3018 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.3018
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