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Comptes rendus

Sarah Réault-Mille, Les marais charentais. Géohistoire des paysages du sel. Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, 270 p. (« Espace et territoires »).

Sophie Normand-Collignon
p. 286-288

Texte intégral

1Sarah Réault-Mille entraîne le lecteur dans un passionnant voyage, historique et actuel, entre les méandres de la terre et de l’eau, au cœur d’une zone littorale humide : le marais charentais. Cet espace comprend les marais de Brouage, de Rochefort, de la Seudre et des îles d’Oléron et de Ré.

2L’auteur définit l’histoire des relations entre les hommes et leur milieu de marais maritime, de marais salicole, afin de saisir l’évolution des paysages et de leurs représentations. Comment celui-ci s’est-il construit en paysage (comme espace visible), aujourd’hui objet de contemplation ou enjeu de politiques de développement ?

3Son analyse du géopaysage, association entre le paysage visuel et les paysages culturels issus des différentes représentations, repose sur trois strates de compréhension qui donnent par ailleurs le plan de l’ouvrage :

4• la strate structurelle « relève de sa mise en place géologique et humaine par la poldérisation […] c’est elle qui nous laisse supposer qu’une lecture archéologique du paysage salicole est possible car cette strate est fossile » (p. 20). Elle nous donne à lire les marais salants dans leur contexte spatial et territorial ;

5• la strate superficielle concerne tous les éléments qui rendent compte de la surface du paysage et de ses usages. Elle nous donne à voir les différents modes d’occupation du sol, les évolutions des techniques et les modifications du milieu ;

6• la strate culturelle « assemble les éléments paysagers témoignant des représentations que l’on se fait du milieu, mais aussi du paysage. Elle permet de poser la question de la place du paysage dans les aménagements successifs du lieu » (p. 20).

7La démarche de S. Réault-Mille consiste, dans un premier temps, à relier des données historiques (exemple des cartulaires), archéologiques (pour les fours à sel), économiques (notamment pour les grandes étapes de la commercialisation des sels) et sociales afin de proposer une chronologie de l’évolution des paysages. Le lecteur suit ainsi les étapes de la mise en place de l’espace du marais (en termes de dynamique spatiale) et les dégradations des paysages de marais salants productifs.

8L’auteur s’arrête sur le phénomène de déprise salicole pour combattre l’idée, communément admise, de deux phases successives : l’emprise suivie de la déprise.

9La diversité des formes des salines permet une lecture archéologique de leur construction car la structure salicole est fossile malgré certaines dégradations superficielles. Les structures, plus précisément les types de prise, sont les clefs de compréhension de cet espace. En s’appuyant sur les travaux de Raymond Regain, S. Réault-Mille en dénombre cinq qu’elle caractérise. Le marais charentais est le résultat d’une longue construction qui commence au début du Moyen Âge et se poursuit jusqu’au début du XIXe siècle.

10Pour l’auteur, le marais permet « le passage d’un système alternant le maritime et le continental, à un système alternant un territoire semicontinental à un territoire continental » (p. 87). Territoire où la navigation jouera un rôle important (seul moyen pour sortir les sels du marais) avant la fermeture de certains chenaux par la sédimentation. Ce dernier élément est ambivalent ; il est la base de la construction du marais mais également la cause de sa destruction.

11Nous sommes au niveau de la strate structurelle qui est en quelque sorte la fondation, le soubassement de tous les éléments paysagers. Le paysage que nous voyons aujourd’hui est un indice qui complète les sources car il est porteur d’une histoire.

12Dans un deuxième temps, l’auteur s’interroge sur les rapports entre l’homme et son milieu en analysant la technique salicole (comme lieu d’interactions). Elle pose également la question du déterminisme de la matière : incidence de l’argile, le bri, formant le fond des bassins du circuit d’eau, sur la qualité et la couleur du sel récolté. Peut-on dire que la saliculture est une aéroculture ?

13Le langage technique (par exemple pour nommer les différents bassins du circuit hydraulique d’un marais salant) est le révélateur de l’appropriation ou non par les sauniers du milieu, selon la terminologie employée. Il est aussi le témoin de croisements culturels et probablement de transferts de techniques.

14Ces techniques sont à leur tour le témoin de la culture des différents groupes se trouvant sur un même espace.

15Le paysage du marais n’est pas seulement fait de salines, et le sel n’est pas la seule production qui sort de l’espace du marais. Ainsi l’auteur nous décrit-il le système polycultural qui avait cours autrefois, fondé sur l’élevage, l’agriculture et la pisciculture.

16L’élevage se pratique sur les espaces plats : on parle alors de marais d’élevage (il faut savoir que l’hygiène interdit le voisinage du sel et de l’animal).

17Depuis le milieu de l’époque médiévale, dans les cartulaires ou les chartes, est évoquée la culture sur les bosses des marais. On y plantait des céréales, des légumineuses ou de la vigne. Par un ingénieux système de culture en sillon ou en billon, on drainait le sol. Cette culture s’apparentait au jardinage et n’a pas été, semble-t-il, mécanisée du fait de l’étroitesse des parcelles. Cette production agricole s’inscrivait en complémentarité de la production salicole dans le paysage (entretien des bosses) mais également dans le revenu du saunier. Elle a perduré à Ré jusqu’au début des années soixante.

18Le réservoir de la saline était le seul bassin employé à des fins préaquacoles car le taux de salinité de ces eaux est proche de celui de l’eau de mer. Aujourd’hui, il est utilisé pour la pêche aux anguilles ou aux mulets ainsi que pour le stockage des coquillages. La pêche y est tantôt collective tantôt indépendante.

19Parallèlement à la description très précise de ce système polycultural, l’auteur s’interroge sur le statut et l’appellation de saunier. Dans ce cas précis, pour elle, le saunier est plus paysan que saunier.

20Aujourd’hui le marais a connu un renversement de situation : les activités qu’on y développe s’apparentent plus à de la monoculture, mais elles sont pratiquées de manière plutôt intensive. Cette monoculture tire, néanmoins, son existence du système polycultural.

21Ce changement s’accompagne d’une évolution des usages et des paysages, donc d’une recomposition des aspects du milieu. Les trois éléments clés de la saliculture, à savoir l’eau, l’air et la terre, sont moins valorisés ou différemment, selon les besoins dus aux transformations techniques. Les paysages conservent leurs structures salicoles. Quelques constructions (cabanes ostréicoles) sont apparues mais elles ne ferment pas la vue.

22La saliculture a été abandonnée au profit d’un marais agricole et ostréicole (avec les claires de sartières puis de salines). Ce phénomène a été accentué par l’arrivée de l’aquaculture, qui a bénéficié, au début des années quatre-vingt, d’encouragements politiques et financiers des collectivités.

23Dans un troisième temps, celui de la strate culturelle, l’auteur aborde les représentations des lieux de marais maritime afin de saisir la place du paysage dans chacun d’eux.

24Dans notre société, on porte un intérêt croissant au patrimoine culturel du lieu, au paysage et à l’écologie. Le marais et l’activité salicole en phase de reprise répondent à ces trois attentes et acquièrent par là même un pouvoir d’attraction. Les schémas de représentations d’un lieu dépendent des individus et de la place qu’ils y occupent : ainsi l’esthétique paysagère des producteurs sera-t-elle liée à l’entretien productif des lieux.

25Dans cette partie sont également abordés la propriété, l’entretien des salines, la naissance des syndicats de propriétaires, les questions de travaux et d’aménagements sur le long terme. En fait, tous ces sujets ont un dénominateur commun, à savoir la gestion des eaux et la salubrité du marais.

26L’idée du marais comme patrimoine s’est développée dans les années quatre-vingt. Cette prise de conscience coïncide avec la période charnière pour la saliculture. Les sauniers sont toujours intervenus dans la gestion de ce milieu car ils s’en servent comme moyen de production. Même si l’on peut noter aujourd’hui un décalage avec la saliculture traditionnelle, les nouveaux acteurs du paysage reconstruisent le marais sur des valeurs nouvelles afin de composer une image d’authenticité. Pour l’auteur, « la mise en place des politiques patrimoniales se fonde sur une réalité qui n’est en rien un patrimoine » (p. 229). La mémoire s’efface, même si les structures paysagères salicoles se maintiennent.

27Le processus de « paysagisation » est le fil conducteur du livre. Les trois strates décrites s’intègrent totalement dans ce processus. Je reprendrai les termes de l’auteur dans sa conclusion générale : « Le paysage fossile est la scène, le paysage mobile fait défiler les différents actes avec les décors et une partie des acteurs, ici producteurs. Le paysage est le fruit de mises en scène faites dans un premier temps pour les producteurs, confrontant dans un second temps deux objectifs : satisfaire les producteurs et les spectateurs. » (P. 236)

28Les différentes populations donnent des statuts différents aux paysages. S. Réault-Mille en distingue trois : un pré-paysage, un paysage et un arte-paysage. Le lecteur qui s’intéresse aux zones humides trouvera dans cet ouvrage des pistes de réflexion et une démarche originale pour traiter des marges d’un territoire.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sophie Normand-Collignon, « Sarah Réault-Mille, Les marais charentais. Géohistoire des paysages du sel. Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, 270 p. (« Espace et territoires »). »Études rurales, 169-170 | 2004, 286-288.

Référence électronique

Sophie Normand-Collignon, « Sarah Réault-Mille, Les marais charentais. Géohistoire des paysages du sel. Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, 270 p. (« Espace et territoires »). »Études rurales [En ligne], 169-170 | 2004, mis en ligne le 13 avril 2005, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/3011 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.3011

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