Ghislain Brunel, Olivier Guyotjeannin et Jean-Marc Moriceau eds., Terriers et plans-terriers du xiiie au xviiie siècle
Texte intégral
1Les responsables du colloque de Paris sur les terriers et les plans-terriers ont souhaité poursuivre deux objectifs. Le premier est d’approfondir, à travers les différents noms qu’elle porte selon les régions, la typologie de cette source originale qu’est le terrier. Le second est de dresser un panorama des méthodes d’utilisation auxquelles se prêtent ces documents.
2Le terrier est un document foncier et fiscal qui dresse la matrice de la propriété réelle du sol, et il est connu pour affirmer, de fait, le lien existant entre l’organisation féodale de la société et la terre. C’est aussi un document technique issu d’une enquête notariale ou d’un arpentage, et qu’accompagne quelquefois un plan-terrier destiné à montrer la forme des terres arpentées. Une fois levé et compilé, il devient certes un outil de gestion seigneuriale, mais il devient aussi l’affirmation politique du droit des seigneurs sur les hommes, les terres et leurs revenus (Denise Angers, p. 31). C’est donc, au premier niveau, un document historique de premier ordre pour les historiens de la fin du Moyen Âge et de l’époque moderne.
3Sur ce point précis, le colloque apporte une somme de 26 contributions qui, pour n’être pas toujours très neuves (l’article de Gabriel Fournier reprend les données de sa thèse complémentaire de 1962), n’en sont pas moins très utiles. Malgré la contrainte d’une sélection inévitablement partielle, la présentation des documents proprement dits reflète bien la grande variété des sources disponibles : terriers auvergnats (Gabriel Fournier), normands (Denise Angers), lyonnais (Florian Stalder), parisiens (Yvonne-Hélène Le Maresquier-Kesteloot, Marie-Thérèse Lalagué-Guilhemsans), d’Île-de-France (Valérie Bauchet-Cubadda), dauphinois (René Verdier), savoyards (Nicolas Carrier et Fabrice Mouthon), ainsi que plusieurs importants articles généraux portant sur les terriers allemands et autrichiens (Walter Brunner), catalans (Gilbert Larguier), les plans-terriers anglais (Jacques Beauroy) et les cadastres de paroisse en Belgique (Jean-Marie Duvosquel).
4En Angleterre, on dispose depuis quelques années d’un dictionnaire des arpenteurs et cartographes recensant quelque 14 000 noms couvrant la période qui va de 1530 à 1850. La richesse de la production des estate maps par les arpenteurs-cartographes révèle l’avance qu’avaient prise les Anglais dans ce domaine. Les land surveyors et map makers anglais étaient capables, dès la fin du xvie siècle, de produire un plan parcellaire de tout paysage naturel ou construit. L’article de Jacques Beauroy, l’un des plus intéressants du recueil, lie l’essor de la cartographie parcellaire tant à un climat intellectuel et scientifique qu’aux nécessités de la connaissance des rentes. Par comparaison, il suggère que, pour la France, le développement des plans-terriers à partir de 1740 serait dû moins à la « réaction féodale » qu’à ce mouvement irrésistible qui, en France comme en Angleterre, poussait vers l’appropriation individuelle et privée du sol.
5Mais – et c’est une autre dimension bien connue depuis les suggestions émises par Marc Bloch – le terrier et le plan-terrier permettent des exploitations qui vont bien au-delà de leur stricte période de production. C’est là un type de document qui franchit les limites du genre et qui peut être exploité en métrologie historique, en archéologie du paysage, en microtoponymie, en linguistique, etc. À cet égard, Rita Compatangelo-Soussignan et Florent Hautefeuille livrent des pistes autorisant une exploitation des plans-terriers italiens et français pour reconstituer des paysages antiques et médiévaux. Thomas Jarry, tente, en ce qui le concerne, de reconstituer et de mettre en évidence l’évolution du parcellaire médiéval de la baronnie de Rots (Calvados) et, notamment, de la commune de Norrey, pour laquelle il bénéficie d’une série de cartes parcellaires dressées entre 1479 et 1835. Jean-Loup Abbé cherche, lui, à savoir en quoi les terriers et plans-terriers d’Ouveillan, dans l’Aude, peuvent permettre la reconstitution de terroirs et de parcellaires. Il croit pouvoir discerner les « domaines » de plusieurs granges monastiques et il les situe sur le fond de la trame parcellaire d’origine antique.
6Ces trois études montrent qu’il est possible de proposer des cartes évolutives d’un parcellaire tant qu’on dispose de documents permettant d’appliquer la méthode régressive. C’est ce que réalise Thomas Jarry ou que montre Rita Compatangelo pour les formes italiennes du xviiie siècle. Mais dès qu’on quitte la fin du Moyen Âge pour remonter vers des états plus anciens, on reste perplexe. Un tri d’orientation parcellaire suffit-il à fonder la reconnaissance et l’individualisation d’un parcellaire historique ? Comment justifier le choix de telle ou telle orientation ? Sur quelle base dire que telle orientation est ou non rapportable à telle ou telle phase ? Cette démarche appelle un raisonnement acéré, qui fait souvent défaut.
7Enfin, le colloque offre l’opportunité de synthèses historiques ou morpho-historiques bienvenues. En cherchant à dégager la portée pratique des traités, Philippe Béchu se penche sur le corpus de la littérature des feudistes, relativement peu étudiée par les historiens. Pierre Portet traite de la mesure géométrique des champs au Moyen Âge en France, en Catalogne, en Italie et en Angleterre. Il s’emploie à démonter l’inexactitude de l’opinion courante selon laquelle la mesure médiévale serait d’une variabilité infinie et qu’il serait vain de vouloir en connaître la contenance et l’exprimer en mesures contemporaines.
8Annie Antoine clôt le volume par une réflexion sur le rôle des plans-terriers comme supports d’une microhistoire paysagère. Cet article annonce les idées et les qualités du travail qu’elle a effectué sur le bocage, et dont nous rendons compte dans ce volume (pp. 321-323) : le passage de la seigneurie conçue comme un ensemble de droits à une seigneurie conçue comme un espace ; une rationalisation réelle de l’administration seigneuriale ; enfin, une évolution de la cartographie qui cesse d’être figurative pour devenir symbolique.
9Ce recueil présente, en définitive, un véritable intérêt. Il a sa place dans le devenir de l’archéogéographie en ce qu’il attire l’attention sur une source documentaire complexe et insuffisamment exploitée jusqu’ici. Il est aussi le complément indispensable du livre d’Annie Antoine, que nous venons d’évoquer.
Pour citer cet article
Référence papier
Gérard Chouquer, « Ghislain Brunel, Olivier Guyotjeannin et Jean-Marc Moriceau eds., Terriers et plans-terriers du xiiie au xviiie siècle », Études rurales, 167-168 | 2003, 340-341.
Référence électronique
Gérard Chouquer, « Ghislain Brunel, Olivier Guyotjeannin et Jean-Marc Moriceau eds., Terriers et plans-terriers du xiiie au xviiie siècle », Études rurales [En ligne], 167-168 | 2003, mis en ligne le 17 décembre 2004, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/2971 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.2971
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