I. Catteddu ed., Les habitats carolingiens de Montours et La Chapelle-Saint-Aubert (Ille-et-Vilaine)
Texte intégral
1Longtemps mal connu sinon inconnu, l’habitat rural du haut Moyen Âge émerge en France, depuis une vingtaine d’années, à la faveur de la multiplication des chantiers d’archéologie préventive. Grâce à des données fiables et de plus en plus nombreuses on peut ainsi discuter aujourd’hui de l’organisation générale de ces sites, de leur datation et de leur chronologie d’occupation, de la forme et de la fonction des bâtiments, de leur mode de construction, de la culture matérielle et technique des sociétés du haut Moyen Âge. Limitées par l’emprise des aménagements, rares sont les fouilles offrant, en revanche, la possibilité d’appréhender le cadre spatial dans lequel s’inséraient les vestiges (voies, chemins, parcellaires), laissant ouvert le champ des spéculations. Alors que des données nouvelles (sur la métallurgie, l’outillage, les cultures, l’élevage) sont désormais disponibles, force est de constater que l’idée d’une agriculture archaïque, extensive et itinérante, héritée de l’interprétation traditionnelle des polyptyques carolingiens, n’a guère été remise en question.
2À cette vision misérabiliste des campagnes du haut Moyen Âge, la publication des fouilles de Montours et de La Chapelle-Saint-Aubert, dont on rend compte ici, oppose des arguments sérieux. Motivées par la construction de l’autoroute A 84, ces fouilles ont conduit à la mise au jour de sites d’habitat que l’étude du mobilier céramique (chap. 7) et plusieurs datations C14 situent entre le viiie et le milieu du xe siècle. Hormis l’absence de cabanes excavées, les structures découvertes sont caractéristiques des habitats ruraux de cette époque : bâtiments sur sablière basse ou sur solin de fondation, constructions sur poteaux (épiers, greniers ?), structures de combustion à usage domestique (fours, foyers excavés ou semi-excavés), silos isolés ou réunis en aires de stockage, fosses-dépotoirs, citernes, forge.
3Associées à ces vestiges, les fouilles ont livré, également, de multiples fossés parcellaires dont la majorité s’avèrent dater de l’époque carolingienne, c’est-à-dire de l’époque de l’installation des habitats. À Montours/le Teilleul (chap. 2), site décapé sur 3 hectares, le réseau fossoyé s’organise avec rigueur selon deux orientations perpendiculaires, délimitant neuf parcelles dont les superficies vont de 1 000 m2 pour la plus petite à 1 700 m2 pour les plus grandes. L’étude des creusements, des intersections et de l’organisation spatiale de ces fossés, couplée à celle du mobilier céramique, montre que ce réseau n’a pas été constitué en une seule étape mais qu’il est le résultat d’un développement progressif, en partie lié à l’évolution des activités à proximité des principaux bâtiments. Une série d’épisodes est proposée (modèle de rigueur et de précision servi par une illustration de grande qualité) au rythme desquels on suit, parcelle par parcelle, l’évolution spatiotemporelle de l’occupation et du dessin des formes. Dans certains cas, le fonctionnement des parcelles est éclairé par la présence de passages et de clôtures légères dont les auteurs restituent le tracé par la mise en évidence d’alignements de trous de poteaux de petite section.
4Sur le site voisin de Montours/Louvaquint (chap. 4), à 200 mètres au sud du Teilleul, de l’autre côté du talweg formé par la confluence des ruisseaux du même nom – objet lui-même d’une investigation poussée (chap. 3) –, d’autres fossés ont été fouillés. Les plus anciens datent de l’Âge du Fer et se rapportent à trois phases d’occupation. La dernière, caractérisée par un enclos quadrangulaire de 39 sur 42 mètres, se révèle déterminante dans l’organisation des formes puisqu’on constate que son orientation est reprise à l’époque carolingienne lors de l’installation d’un nouveau réseau fossoyé. Le tracé de cet enclos protohistorique est même réutilisé à cette époque pour constituer une parcelle. L’hypothèse d’une persistance du plan et de l’élévation de l’enclos durant un millénaire ne suffit pas, à elle seule, à expliquer cette transmission de l’information morphologique, l’orientation du réseau du Teilleul étant identique à celle de Louvaquint et n’étant pas dictée par le pendage du terrain. De puissants effets de structure semblent donc avoir joué entre la protohistoire et le haut Moyen Âge (morphogènes ?) et, au-delà, jusqu’à aujourd’hui puisque les fossés modernes et contemporains fouillés, aussi bien au Teilleul qu’à Louvaquint, pérennisent l’orientation et parfois l’emplacement des fossés carolingiens. Le fait est parfaitement perçu par les auteurs (p. 222), mais un report du plan des deux sites sur un fond cadastral ancien, en lieu et place de la vue aérienne oblique de la figure 172, aurait sans doute permis au lecteur de mieux s’en rendre compte.
5On observe la même chose – mais avec des structures moins spectaculaires – sur les sites de Montours/La Talvassais (chap. 5) et de La Chapelle-Saint-Aubert/La Chaîne (chap. 6), attestant l’importance de la création parcellaire du haut Moyen Âge dans l’auto-organisation locale des formes. Dans tous les cas, l’organisation de l’espace et sa dynamique apparaissent différentes de celle de l’habitat dont l’agencement et l’évolution relèvent d’une logique autre, dictée par l’existence d’aires à fonctions spécialisées. Le rapport d’orientation est donc faible entre l’habitat et les fossés, ce qui doit nous conduire à réfléchir à la pertinence des discours traditionnels qui fondent la naissance du paysage en l’an Mil, entre autres arguments, sur la rupture d’orientation des sites antiques (et, dans une moindre mesure, du haut Moyen Âge) révélés par photographies aériennes, avec les formes agraires qui les environnent. Conjuguées aux apports de la palynologie et de la carpologie, les résultats des fouilles de Montours et de La Chapelle-Saint-Aubert offrent, en somme, une vision très neuve des campagnes carolingiennes, bien éloignée des mythes traditionnels de la clairière culturale et des bocages immémoriaux.
Pour citer cet article
Référence papier
Cédric Lavigne, « I. Catteddu ed., Les habitats carolingiens de Montours et La Chapelle-Saint-Aubert (Ille-et-Vilaine) », Études rurales, 167-168 | 2003, 327-329.
Référence électronique
Cédric Lavigne, « I. Catteddu ed., Les habitats carolingiens de Montours et La Chapelle-Saint-Aubert (Ille-et-Vilaine) », Études rurales [En ligne], 167-168 | 2003, mis en ligne le 17 décembre 2004, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/2967 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.2967
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