Catherine Zabinski, Amber waves. The extraordinary biography of wheat, from wild grass to world megacrop
Catherine Zabinski, Amber waves. The extraordinary biography of wheat, from wild grass to world megacrop, Chicago, University of Chicago Press, 2020, 246, p.
Texte intégral
1Catherine Zabinski, qui est professeur « of plant and soil ecology » à la Montana State University entend faire, dans Amber waves, une biographie du blé. L’ouvrage aurait dû, ou aurait pu, être totalement intéressant si l’auteure ne s’était pas piquée de faire œuvre d’historienne du social et du politique. Son principal intérêt réside dans la capacité de C. Zabinski à nous conter, avec simplicité, la saga du blé à travers ses gènes. En conséquence, la longue durée braudélienne a des allures de nanoseconde au regard des développements de C. Zabinski.
2En effet, elle nous plonge lors du premier chapitre dans la soupe primordiale pour nous faire mieux comprendre comment les plantes ont peu à peu conquis la terre et acquis leur rigidité. Les chapitres suivant nous transportent au paléolithique puis au néolithique, époque à laquelle l’Homme découvre cette céréale. Les premiers ancêtres du blé sont cultivés dans le croissant fertile. On y trouve l’einkorn, qui correspond au petit épeautre. Surtout l’Homme cultive l’emmer (l’amidonnier, proche parent du blé dur), issue d’une hybridation spontanée datant d’environ 500 000 ans entre une « goatgrass » (graminée) et un proche parent de l’einkorn. C’est dans le cadre cette agriculture néolithique qu’il y a près de 8 000 ans l’emmer va s’hybrider naturellement avec une graminée pour donner naissance au blé panifiable que nous connaissons tous et qui va peu à peu conquérir le monde tempéré. Ces phénomènes d’hybridation vont permettre au blé de devenir une céréale particulièrement malléable, susceptible de s’adapter, dans une certaine mesure, à des environnements très divers, depuis la Chine jusqu’à la Baltique et l’Europe de l’ouest, puis dans les nouveaux mondes au-delà de la zone intertropicale.
- 1 « Notre côté prévoyant, comme l’écureuil qui met à l’abri ses vivres, et notre goût, comme les chat (...)
3L’histoire de cette expansion telle que la raconte l’auteure ne nous convainc pas entièrement. Elle imagine, dans le chapitre 3, des groupes d’agriculteurs qui migrent progressivement, à l’époque néolithique, à travers l’Europe le long des axes fluviaux en emportant avec eux leurs graines et leurs savoir-faire. On peut imaginer d’autres scénarios, comme celui d’une diffusion de la culture du blé par percolation de proche en proche, sans que cela s’accompagne nécessairement de migrations. Par ailleurs, elle développe une vision ingénument smithienne de l’échange et s’aventure à affirmer que « our squirrel-like instinct to accumulate and cache our treasures along with a feline-like tendency to relax in a warm spot as been part of the impetus to generate the technologies of agriculture »1 (p. 59-60).
- 2 « Après avoir formé une coalition entre les partis communiste et nazi, Hitler devint chancelier ».
4Cela nous permet de revenir à notre critique initiale. En effet, l’historien est dérouté lorsque Van Helmont, alchimiste du xvie-xviie siècle, est qualifié de « belge », ou lorsque l’auteure date l’œuvre de Malthus de la fin du xixe siècle (p. 112, erreur corrigée p. 185). Une simple relecture aurait permis de le rectifier. L’étonnement fait place à la gêne lorsque l’auteur affirme tout nument que « after forming a coalition between the Communist and the Nazi Parties, Hitler became the chancellor »2 (p. 133).
- 3 « Le glyphosate ne devrait pas affecter les animaux et les insectes, puisque nous ne fabriquons pas (...)
5Je laisse le lecteur tirer ses propres conclusions. Je ne résiste pas au plaisir de livrer un dernier extrait : « glyphosate shouldn’t affect animals and insects, since we don’t make the enzyme that glyphosate targets, although recent studies show that glyphosate can impact honeybees because of its effect on bee’s microbiome »3 (p. 164). Pas de chance pour les abeilles !
6Au-delà de ces passages choisis, les développements historiques sur les périodes anciennes, le Moyen Âge, l’époque moderne et le xixe siècle sont sommaires. Ils sont fondés sur une bibliographie étroitement états-unienne et exclusivement anglo-saxonne. L’appareil critique est pauvre. Le texte ne renvoie jamais aux références bibliographiques (à quelques exceptions en note). Si chaque chapitre est accompagné d’une bibliographie, on ne sait comment elle a été mobilisée. On y croise de bons auteurs, mais on peine parfois à faire le lien avec les développements de Catherine Zabinski. Pour les xixe et xxe siècles, certaines références utiles, parfois incontournables, manquent à l’appel comme les travaux de D. Fitzgerald ou de V. Smil pour ne citer que deux exemples. Enfin, l’auteure méconnaît les questionnements que l’histoire et la sociologie des sciences ont mis en avant depuis plus de quarante ans.
- 4 Norman Borlaug (1914-2009) agronome américain, prix Nobel de la paix 1970, est considéré comme le (...)
7Avec le chapitre 8, en particulier, l’intérêt du lecteur s’éveille de nouveau. L’auteure est décidément beaucoup plus à l’aise avec la science qu’avec l’histoire. Ce chapitre est consacré aux avancées scientifiques liées à la révolution verte 2.0. C. Zabinski s’efforce de rendre intelligible la complexité des problématiques soulevées par les progrès de la génétique depuis le milieu du xxe siècle. Après avoir rappelé que les blés OGM ne sont pas commercialisés, tant pour des raisons économiques qu’agronomiques, elle émet des doutes sur l’emploi des organismes génétiquement modifiés pour faire face aux défis soulevés par la croissance de la population et le changement climatique. En effet, contrairement à la création des variétés qui ont porté la révolution verte (dont le récit dans le ch. 7 magnifie le rôle de N. Borlaug4) ou la mise au point, par le truchement de la génétique, des maïs et sojas OGM destinés à favoriser l’emploi de pesticides, la création de variétés de blé résistantes à la sécheresse ou susceptibles d’avoir un cycle végétatif de plusieurs années (par exemple) met en cause de nombreux gènes et dépasse, sans doute pour longtemps encore, les possibilités de la génétique.
8Dans le chapitre 9, l’auteure se penche sur les deux reproches qui sont faits au blé. Le premier concerne le gluten. L’auteur indique que la question de la tolérance aux produits à base de blé est très complexe et dépasse la seule question de cette protéine. Le second renvoie au fait que la mise en culture des grandes plaines du Middle West a profondément dégradé leur sol. Se référant aux travaux du biologiste américain Wes Jackson, l’auteure s’intéresse à la mise au point et à la culture des variétés de blé pluriannuelles à partir du croisement de graminées et de blé. L’usage de ces nouvelles variétés permettrait de restaurer, au moins en partie, l’équilibre perdu. Une fois de plus, elle souligne les difficultés inhérentes à ce programme de recherche, non seulement en raison des questions scientifiques qu’il soulève, mais aussi parce que ces nouvelles variétés de blé devront répondre aux attentes, parfois contradictoires, des agriculteurs, des meuniers, des boulangers (ou de la chaîne agroalimentaire) et des consommateurs.
9N’étant pas moi-même biologiste, j’ai été intéressé par les explications techniques de l’auteure sur la versatilité du blé grâce aux hybridations successives qu’il a subies. Mais j’avoue avoir eu beaucoup plus de mal à apprécier les développements historiques. En définitive, le livre de C. Zabinski n’est pas inutile. Mais, en aucun cas, il ne saurait être considéré comme un livre d’histoire.
Notes
1 « Notre côté prévoyant, comme l’écureuil qui met à l’abri ses vivres, et notre goût, comme les chats, pour les lieux douillets et chauds, ont été des facteurs motivant l’évolution des techniques agricoles ».
2 « Après avoir formé une coalition entre les partis communiste et nazi, Hitler devint chancelier ».
3 « Le glyphosate ne devrait pas affecter les animaux et les insectes, puisque nous ne fabriquons pas l’enzyme qu’il cible, même si de récentes études montrent qu’il peut avoir un effet sur les abeilles en raison de ses effets sur leur microbiome ».
4 Norman Borlaug (1914-2009) agronome américain, prix Nobel de la paix 1970, est considéré comme le père de la révolution verte.
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Référence papier
Laurent Herment, « Catherine Zabinski, Amber waves. The extraordinary biography of wheat, from wild grass to world megacrop », Études rurales, 209 | 2022, 224-226.
Référence électronique
Laurent Herment, « Catherine Zabinski, Amber waves. The extraordinary biography of wheat, from wild grass to world megacrop », Études rurales [En ligne], 209 | 2022, mis en ligne le 01 juillet 2022, consulté le 11 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/29555 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.29555
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