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Comptes rendus

Corinne Marache, Les petites villes et le monde agricole. France, xixe siècle

Christophe Tropeau
p. 214-216
Référence(s) :

Corinne Marache, Les petites villes et le monde agricole. France, xixe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes (« Histoire »), 2021, 385 p.

Texte intégral

1L’objectif de Corinne Marache, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Bordeaux-Montaigne, est, dans cet ouvrage – tiré de son dossier d’habilitation à diriger des recherches soutenue en 2016 – de donner toute la place qui leur revient aux petites villes dans la modernisation agricole que connaît la France entre les années 1810 et la Grande guerre.

2L’auteur adopte volontairement une définition « souple » de la « petite ville ». Elle écrit : « l’historien doit accepter qu’il s’agit d’une notion floue, subjective et variable » (p. 16). Cette approche lui permet de ne pas être contrainte par un seuil démographique ou par des marqueurs sociaux et culturels, toutes considérations qui évoluent fortement au cours de la période d’étude. Corinne Marache note toutefois que la « petite ville » est, dans la plupart des cas, sans caractère restrictif, un chef-lieu de canton.

3L’étude s’appuie plus particulièrement sur des recherches menées dans cinq départements du sud-ouest de la France constitutifs de l’ancienne région Aquitaine : Basses-Pyrénées (ancien nom des Pyrénées-Atlantiques), Dordogne, Gironde, Landes et Lot-et-Garonne. Cependant, comme le suggère le sous-titre, l’échelle d’analyse est résolument nationale et intègre les apports d’études extra-aquitaines menées par d’autres historiennes et historiens. En termes de sources, à côté des archives départementales administratives traditionnelles (série M), l’étude tire profit d’archives privées (série J), en particulier de livres de compte d’artisans et de commerçants, mais aussi de l’apport iconographique des cartes postales publiées au début du xxsiècle. L’ouvrage propose d’ailleurs la reproduction d’une quinzaine d’entre elles, dans le texte. Elles permettent judicieusement de mettre des images sur des mots. Cependant, elles ne sont pas là comme de simples illustrations, mais pleinement intégrées au propos.

4Dans une première partie, Corinne Marache montre très bien le creuset que sont les petites villes. Elle resitue le rôle des artisans et des commerçants qui sont souvent les grands oubliés de l’historiographie. Ceux des petites villes se singularisent par leur rayon d’action, leur spécialisation, leur technicité, autant de qualités que le monde agricole ne trouve pas dans les villages ruraux et qu’il n’a pas besoin, de fait, d’aller chercher dans la grande ville. Comme le dit très bien l’historienne, par la diversité des services et des produits (engrais, semences, matériel, etc.) qu’ils offrent, les artisans et commerçants des petites villes « accompagnent » la modernisation agricole. L’étude accorde aussi une place au monde de la santé (vétérinaires, médecins, pharmaciens), à celui de la loi (notaires, juges de paix), mais également aux notables agromanes. Tout ce microcosme génère une « émulation » que l’on observe ni dans les grandes agglomérations, où l’interconnaissance n’existe pas, ni dans les villages ruraux, où la diversité socio-professionnelle est ténue. Le réseau social très serré que les petites villes sont les seules à offrir est le terreau favorable à la diffusion d’idées nouvelles en matière de conceptions et de pratiques agricoles.

5Dans une deuxième partie, Corinne Marache décrit les structures et les organisations qui sont présentes dans les petites villes et qui portent la modernisation agricole. Partant de l’exemple aquitain, elle montre que le comice agricole annuel est certes le « poste avancé de l’agriculture nouvelle » promue par l’État au xixe siècle. Mais, bien plus que cela, l’organisation du comice fait de la petite ville un espace d’interface entre rural et urbain. Le syndicalisme, les caisses mutuelles et les organismes de crédit, en lien avec le monde agricole, ne sont pas une spécificité des petites villes, mais, là encore, la place charnière de ces dernières dans l’organisation territoriale leur permet de jouer un rôle de nœud de réseaux, contribuant ainsi à la mise en place de nouvelles solidarités agricoles, concurrençant et dépassant les anciennes, qu’elles soient familiales ou de voisinage. Enfin, l’interdépendance entre le monde agricole et la petite ville passe par les services proposés par cette dernière. Un enseignement agricole y est dispensé, notamment grâce à l’organisation de conférences. Mais d’autres services indispensables y existent comme les abattoirs, les dépôts de haras ou les magasins de tabac.

6Enfin, dans une dernière partie, l’auteur dépeint le rôle nodal joué par les petites villes dans l’intégration des campagnes dans l’économie globale au xixe siècle. Elles sont tout d’abord carrefours dans le réseau des axes de communication, qu’ils soient routiers, fluviaux et de plus en plus, au xixe siècle, ferroviaires. Les infrastructures dont bénéficient les petites villes encouragent, de la sorte, l’agriculture commerciale. Les foires et les marchés, qui y sont organisés régulièrement, offrent des débouchés. Les métiers de bouche et les marchands de produits alimentaires contribuent à valoriser les produits agricoles locaux, auprès de consommateurs de la petite ville, exigeants en termes de qualité, mais aussi auprès d’une clientèle plus large, à l’échelle régionale, voire nationale. La petite ville est, pour le monde agricole, la porte d’entrée sur le marché, mais c’est aussi, et Corinne Marache le montre très bien, le « premier référent urbain » pour les agriculteurs, le premier lieu d’altérité ouvrant à une autre échelle.

7Cet ouvrage, stimulant, invite à remettre en cause une vision qui verrait la modernisation s’effectuer des métropoles vers les campagnes, par l’intermédiaire des petites villes. En réalité, Corinne Marache démontre qu’une dynamique inverse existe et que le secteur agricole joue un « rôle-moteur dans l’économie » des petites villes. En cela, il y a interaction et une part importante de la modernisation des campagnes françaises se joue au niveau de ce « maillon fondamental ». Il reste encore énormément à faire et à dire sur le sujet et l’étude de Corinne Marache en appelle d’autres, afin d’appréhender pleinement les problématiques territoriales et de dépasser, hier comme aujourd’hui, le clivage d’analyse simpliste qui oppose urbain et rural.

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Pour citer cet article

Référence papier

Christophe Tropeau, « Corinne Marache, Les petites villes et le monde agricole. France, xixe siècle »Études rurales, 209 | 2022, 214-216.

Référence électronique

Christophe Tropeau, « Corinne Marache, Les petites villes et le monde agricole. France, xixe siècle »Études rurales [En ligne], 209 | 2022, mis en ligne le 01 juillet 2022, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/29505 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.29505

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Auteur

Christophe Tropeau

historien, chercheur associé, Temps, Mondes, Sociétés (UMR 9016), Angers

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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