Charles Gadea et Stéphane Olivesi (dir.), Les métiers de la vigne et du vin. Des terroirs aux territoires professionnels
Charles Gadea et Stéphane Olivesi (dir.), Les métiers de la vigne et du vin. Des terroirs aux territoires professionnels, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2019, 335 p.
Texte intégral
1Dans un volume regroupant douze communications et deux entretiens, Charles Gadea et Stéphane Olivesi ont voulu appréhender un « espace professionnel aux contours incertains, réunissant des dizaines de métiers, des plus visibles […] aux plus méconnus, […] des plus connectés aux nouvelles technologies […] aux plus traditionnels » (p. 8) autour de la vigne et du vin. C’est donc clairement en s’inscrivant dans un cadre très actuel qu’ils envisagent cette étude collective, proposant des analyses contemporaines, mises en perspective par la profondeur historique de certains textes. Il en résulte un produit pluridisciplinaire où dialoguent sociologues, historiens, géographes, politistes ou professionnels, dans un vaste regard géographique couvrant la France bien évidemment, mais également d’autres territoires et pratiques vitivinicoles dans le monde (Japon, Argentine ou Chine).
2L’introduction, à la bibliographie solidement étayée, permet de mesurer les enjeux qui ont motivé la tenue du colloque à l’Institut d’études avancées de Paris en novembre 2017 et dont l’ouvrage résulte. Il s’agit, selon les deux directeurs de publications, à la fois de comprendre les évolutions récentes d’un marché en profonde mutation depuis une trentaine d’années (importance accrue de la notoriété, émergence de nouveaux acteurs-prescripteurs tels l’œnologue ou les nouveaux vignerons indépendants non issus du monde viticole) et la manière dont il se structure, autour d’une division du travail hyper segmentée, en dépassant les représentations communes où seul le couple vigneron-œnologue domine.
3Les trois premiers textes permettent de saisir la diversité professionnelle qui façonne la production stricto sensu du vin. Fabien Gaveau, dans une étude historico-lexicale, s’attache à mettre en lumière les débats et évolutions autour des noms qui définissent les producteurs de vin. Ceux-ci, peu à peu, affirment leur indépendance dans le monde agricole, en partie à travers le vocable utilisé pour les désigner. Viniculteur, vinificateur puis surtout vignerons et enfin viticulteurs démontrent la diversité d’une profession qui ne se résume pas qu’à « faire du vin ». Au-delà de ce morcellement sémantique, le débat renvoie à la question des représentations dans un contexte de modernisation voire de luttes sociales au début du xxe siècle. Ces mutations sont également au cœur du propos de Serge Wolikow au sujet des métiers et des qualifications en Champagne depuis 1950. En se penchant sur l’étude de cas de la Côte des Bar, il propose d’étudier sur trois générations l’évolution des métiers, des savoir-faire sur un territoire viticole en profonde transformation, notamment physique (sa superficie passe de 1 000 à 8 000 hectares sur la période) et sociologique (arrivée de nouveaux acteurs). Elle se fait dans un contexte d’abord porteur, puis compliqué en raison de la concurrence qui impose une professionnalisation de plus en plus poussée. Nicolas Baumert nous offre, pour sa part, une contribution originale sur les métiers du saké, ce « vin de riz » japonais. Ici encore les enjeux sont pluriels, notamment dans une dynamique traditionaliste dans laquelle la boisson nationale joue un rôle fondamental mais et évolutif sur un marché très changeant (nécessité de se regrouper et de décloisonner les relations interprofessionnelles pour faire face à la baisse drastique de la consommation). On peut y voir de nombreuses similitudes avec la situation globale de la viticulture française.
4Le second temps consiste dans le regroupement de trois études socio-historiques mettant en relief les fractures, difficultés ou dérives qui animent les mondes du vin à l’époque contemporaine. Le premier texte, celui d’Ibrahima Diallo, est très probablement l’un des plus éclairants de l’ouvrage. Il montre comment la richesse d’une minorité (vignerons et négociants) se fait au détriment d’une majorité d’exploités. Sans tomber dans la caricature moralisatrice, l’auteur décrit avec justesse la pénibilité du travail d’employés saisonniers d’origine subsaharienne sans qui la production de vin en Champagne serait a minima moins profitable et rentable. C’est là une étude toute pertinente qui mériterait d’être prolongée, à la fois chronologiquement et spatialement, pour démontrer les facteurs de domination qui régissent la viticulture française. Ils sont aussi analysés avec finesse et pertinence par Jean-Louis Escudier dans son étude des rapports de genre durant les vendanges. Brisant les clichés, discours faussement paternalistes et autres récits pittoresques, il démontre la dure réalité d’une domination genrée où les femmes – encore plus lorsqu’elles sont immigrées saisonnières – sont discriminées (interdiction de certains lieux comme les chais) et reléguées à des fonctions subalternes sous-rémunérées et pénibles (cueillette), mais essentielles. Essentielles, les femmes le sont aussi dans la transmission de l’exploitation viticole que Christèle Assegond, Hélène Chazal, Charlène Rocafull, Françoise Sitnikoff abordent dans une étude sociologique croisant stratégies individuelles, familiales et professionnelles en Centre-Val-de-Loire. En interrogeant les différentes rationalités qui jouent lors de la transmission d’une exploitation familiale, elles questionnent à la fois les représentations mais aussi les facteurs de fragilité d’un moment de rupture où désormais les « filles de » jouent un rôle fondamental.
5La profession d’œnologue rassemble ensuite un troisième groupement de textes, illustrant l’importance grandissante de ce métier. C’est ainsi qu’Emmanuelle Leclerc s’attache à analyser les parcours professionnels d’œnologues, enfants de vignerons, mettant en perspective une tradition familiale évolutive qui permet une valorisation de l’exploitation familiale à travers la professionnalisation des héritiers. Au détour de parcours personnels s’inscrivant dans un cadre familial parfois complexe, on saisit l’importance de cette plus-value professionnelle et de l’accroissement d’un capital social, économique et culturel. Cette valorisation est le fruit d’un long processus d’institutionnalisation, dont Sénia Fédoul retrace les contours à travers le cas des œnologues en Languedoc-Roussillon entre les années 1950 et 1980. On y lit avec intérêt la triple dimension de l’œnologue : sanitaire, qualitative, commerciale ; trois impératifs s’imbriquant les uns aux autres pour permettre de mieux vendre dans un contexte de profondes évolutions de la demande, et donc, de la nécessaire adaptation de l’offre sous la férule de l’État (nouvel institut garant, nouveau diplôme, promotion de nouvelles pratiques). Enfin, Stéphane Olivesi montre comment l’œnologue est devenu un winemaker, c’est-à-dire un agent incontournable dans l’élaboration de la grille de valeur (symbolique et commerciale) des vins, au détriment du producteur. On voit émerger un professionnel complet, touche-à-tout et fort de sa diversité, aux comportements protéiformes, se conformant avec justesse aux modalités du marché, qu’il colle au mieux voire qu’il influence.
6Le dernier temps est consacré aux défis très contemporains auquel doit faire face la viticulture mondiale. Si le changement climatique anime la réflexion de Camille Hochedez et Benoît Leroux dans leur étude des petits vignobles des îles de Ré ou d’Oléron et la nécessaire écologisation des pratiques culturales ainsi que les difficultés auxquelles les acteurs locaux doivent faire face, Yun Zhang examine les nouveaux enjeux commerciaux liés au e-commerce. Comme pour les évolutions climatiques, il s’agit d’offrir des solutions à des altérations de la filière entre France et Chine. On voit alors apparaître de nouveaux métiers, à la fois dans le domaine de la médiation ou celui de l’apprentissage, dans un environnement numérique devenu omniprésent. Ariel Sevilla conclut l’ouvrage par une étude solide sur les difficultés rencontrées par les producteurs viticoles en Argentine et leurs ripostes – étatiques, individuelles ou surtout collectives – pour trouver un nouveau modèle de développement depuis les années 1980.
7L’ouvrage s’avère un outil utile pour comprendre mutations et phénomènes d’adaptation qui façonnent la filière depuis une cinquantaine d’années. Si l’on peut regretter que certains concepts ne soient pas véritablement discutés (terroir, qualité, domination, pénibilité pour n’en citer que quelques-uns), l’historien notera également une forme de présentisme qui oublie les mutations anciennes et au long cours. Mais ce sont souvent les travers des ouvrages collectifs dont l’équilibre et la cohérence sont parfois compliqués à trouver. Néanmoins la qualité des textes, agrémentés de deux entretiens très instructifs avec des professionnels, fait de ce volume un recueil utile pour appréhender la grande diversité des métiers de la vigne et du vin en France et dans le monde.
Pour citer cet article
Référence papier
Stéphane Le Bras, « Charles Gadea et Stéphane Olivesi (dir.), Les métiers de la vigne et du vin. Des terroirs aux territoires professionnels », Études rurales, 209 | 2022, 211-214.
Référence électronique
Stéphane Le Bras, « Charles Gadea et Stéphane Olivesi (dir.), Les métiers de la vigne et du vin. Des terroirs aux territoires professionnels », Études rurales [En ligne], 209 | 2022, mis en ligne le 01 juillet 2022, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/29485 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.29485
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