Rob J. F. Burton, Jérémie Forney, Paul Stock et Lee-Ann Sutherland, The good Farmer. Culture and identity in food and agriculture
Rob J. F. Burton, Jérémie Forney, Paul Stock et Lee-Ann Sutherland, The good Farmer. Culture and identity in food and agriculture, Oxon et New York, Routledge (« Earthscan food and agriculture »), 2021, 196 p.
Texte intégral
- 1 Émique renvoie à une interprétation de « l’intérieur », c’est-à-dire qui reprend les catégories de (...)
- 2 « As the 18th century came to a close, the good farmer was decreasingly portrayed as the community (...)
1Dans cet ouvrage socioanthropologique, les co-auteurs – J. F. Rob, Jérémie Forney, Paul Stock et Lee-Ann Sutherland – proposent de dresser l’historique et de synthétiser l’idéal-type du « bon paysan » ou de l’éthos paysan. Ils s’interrogent sur cette notion à la fois émique et étic1 et ses différents usages dans un premier chapitre introductif en soulignant la distinction entre le « good farming » – une activité valorisée – et le « good farmer » – une personne ayant incorporé tant les attributs de « good farming » qu’un système de valeurs personnifié et reconnu au sein d’une communauté locale. Le deuxième chapitre dresse l’historique de la notion dans les pays anglophones. On y apprend qu’entre le xive et le xixe siècle, le bon paysan était une personne sachant travailler la terre de bonne manière, mais était également un bon époux régissant la famille et la ferme en accord avec les principes religieux du christianisme. L’efficacité de la production alimentaire n’apparaissait que marginalement dans cette figure où religieux, famille, communauté et beauté du territoire constituaient les éléments fondamentaux. Or, ce sens premier se modifie : « À la fin du xviiie siècle, le bon agriculteur est de moins en moins représenté comme un agriculteur pieux orienté vers la communauté et soutenu par sa femme industrieuse, mais comme un agriculteur scientifique dont la principale préoccupation est d’améliorer la productivité de l’agriculture pour remplir le monde d’une “abondance universelle” »2 (p. 28). Cette transformation s’opère grâce à l’apparition des premières fermes modèles et des écoles d’agriculture aux États-Unis au xixe siècle.
2Le troisième chapitre évoque cette transformation des symboles – ou des valeurs – articulés au sein de l’éthos du bon paysan au cours du xixe siècle et l’abandon progressif de l’image du bon père de famille fidèle à sa religion pour une représentation insistant sur la productivité agricole que l’on distingue dans la « propreté » de l’exploitation et des champs. La mécanisation de la production agricole joue un rôle central dans cette transformation, car elle permet de tracer des sillons rectilignes garants d’une meilleure productivité, alors qu’auparavant, le paysan avait tendance à suivre la morphologie du terrain. Cela entraîne des effets importants sur les compétences et les représentations des paysans. L’auguste geste du semeur – ou de la semeuse – est remplacé par une machine économique et le paysage se transforme, le terrain s’égalise… L’ancienne charrue, qui requérait une grande expérience pour être maniée correctement, fait place à de nouvelles que – presque – n’importe quel ouvrier peut utiliser. On le voit, tant les pratiques que les représentations se transforment à la suite de la modernisation de l’agriculture qui perd en chemin de nombreux paysans « déqualifiés ».
3Le chapitre suivant présente les origines de la théorie du « bon paysan » en soulignant comment une catégorie émique, propre aux représentations et aux valeurs du monde agricole, se transforme en un concept scientifique au moyen de l’interactionnisme symbolique, de l’éthos wébérien et de la théorie de la pratique, des champs sociaux et des capitaux de Pierre Bourdieu. Les auteurs insistent sur l’importance de la transmission des valeurs qui composent la représentation émique du bon paysan et sur le poids des pratiques agricoles dans celle-ci. Le cinquième chapitre porte sur la moralité – ou l’éthique – du bon paysan. Il souligne l’aspect moral de cette représentation et montre comment elle échappe progressivement au monde agricole pour devenir un enjeu pour le grand public et ses conséquences sur les paysans. Dès la fin du xxe siècle, le bien devient un enjeu politique associé à une nature à préserver, à protéger et non plus seulement aux pratiques agricoles productivistes : les préoccupations écologiques envahissent la sphère publique et l’on voit apparaître la figure du paysan-pollueur qui dévalorise la profession. Les programmes de conservation de la biodiversité et de protection du paysage envahissent la politique agricole qui passe d’une productivité louée pour « nourrir la planète » à la multifonctionnalité de l’agriculture. Cela modifie tant les représentations que les pratiques du monde agricole, contraint de les modifier sous la pression du politique et du citoyen qui surpasse aujourd’hui les experts des ministères de l’Agriculture.
- 3 « Because conventional agriculture is rooted in family farm configurations, knowledge systems, and (...)
4Le genre apparaît dans le chapitre suivant qui rappelle l’aspect familial de l’agriculture et que la division sexuelle et générationnelle des tâches au sein de l’exploitation familiale issue de la figure du bon paysan du xvie siècle persiste aujourd’hui, même si la configuration familiale et morale de l’agriculture a bien changé. L’homme reste le chef d’exploitation, héritier du nom et de la terre, chargé des machines et des travaux extérieurs physiquement astreignants et parfois dangereux. Le royaume de la femme se trouve à l’intérieur des bâtiments et aux alentours : elle gère avec économie les provisions qu’elle constitue grâce au jardin accolé à la ferme et dont la tenue signale sa qualité de maîtresse de maison. Certes, elle assiste son époux lors des travaux urgents comme les foins, mais les rôles de chacun sont bien séparés. Toutefois, les transformations que subit l’agriculture suscitent parfois l’apparition de nouvelles configurations familiales : « l’agriculture conventionnelle étant ancrée dans des configurations d’exploitations familiales, des systèmes de connaissances et des relations de pouvoir qui incluent des modèles de rôles sexués spécifiques, les pratiques agricoles alternatives offrent des opportunités de renégocier la manière dont le genre est compris et exécuté dès lors que les pratiques agricoles sont modifiées »3 (p. 120).
- 4 « The double move of progressive market deregulations and greening of agricultural policies has dra (...)
5Le chapitre sept présente les transformations récentes des représentations du bon paysan : la vague de l’agriculture biologique propose d’autres valeurs ; les néoruraux introduisent de nouvelles configurations familiales avec les représentations genrées qui leur sont associées. Les foires où les bestiaux étaient exposés et les qualités du bon éleveur pouvaient s’afficher disparaissent progressivement. Comme le soulignent les auteurs : « Le double mouvement de déréglementation progressive des marchés et d’écologisation des politiques agricoles a radicalement changé les règles du jeu et les pratiques agricoles »4 (p. 143). En outre, le grand public s’immisce toujours plus dans le débat agricole, comme le montre la campagne autour de l’initiative pour le maintien des cornes des vaches en Suisse (2017-2018). Le chapitre conclusif aborde les nouveaux défis qui attendent les paysans aujourd’hui : assurer la durabilité de la production agricole face au changement climatique ; faire face à l’informatisation de l’agriculture et aux risques de piratage des données ou encore affronter la multiplication des images du bon paysan issues de la multifonctionnalité de l’agriculture.
6On le voit, ce bel ouvrage synthétise les travaux de la socio-anthropologie rurale et propose d’en prendre connaissance en moins de deux cents pages rédigées de façon fort pédagogique, comme si les auteurs voulaient intervenir dans le débat public sur l’agriculture en proposant un ensemble de connaissances scientifiques permettant de se faire une opinion informée, initiative louable en cette période de désinformation généralisée. Le seul bémol que le lecteur pointilleux pourrait y trouver est l’absence – ou les rares mentions – à l’« ethical turn » (encore un…) qui affecte l’anthropologie aujourd’hui et les débats qui l’animent. Les développements théoriques de ce courant pourtant très proches de ceux qui concernent le bon paysan auraient mérité d’être abordés et auraient sans doute proposé de nouveaux développements théoriques aux figures du bon paysan.
Notes
1 Émique renvoie à une interprétation de « l’intérieur », c’est-à-dire qui reprend les catégories des groupes locaux, alors qu’étic applique les catégories du chercheur sur les faits observés.
2 « As the 18th century came to a close, the good farmer was decreasingly portrayed as the community oriented godly farmer supported by his industrious wife, but as a farmer scientist whose main concern was to improve the productivity of agriculture to fill the world with ’universal plenty’ ».
3 « Because conventional agriculture is rooted in family farm configurations, knowledge systems, and power relations that include specific gendered role models, alternative agricultural practices offer opportunities to renegotiate how gender is understood and performed at the same time as the farm practices are changed ».
4 « The double move of progressive market deregulations and greening of agricultural policies has dramatically changed the rules of the game and farming practices ».
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Référence papier
Yvan Droz, « Rob J. F. Burton, Jérémie Forney, Paul Stock et Lee-Ann Sutherland, The good Farmer. Culture and identity in food and agriculture », Études rurales, 209 | 2022, 208-211.
Référence électronique
Yvan Droz, « Rob J. F. Burton, Jérémie Forney, Paul Stock et Lee-Ann Sutherland, The good Farmer. Culture and identity in food and agriculture », Études rurales [En ligne], 209 | 2022, mis en ligne le 01 juillet 2022, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/29455 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.29455
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