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Varia

Consolidation d’une paysannerie émiettée…

Ou accaparement de terres par des estates (Inde du Sud) ?
The unification of a diminishing class of rural farm workers… or land grabs by estates (South India)?
Roma Hooge, Frédéric Landy, Camille Noûs et Laurent Ruiz
p. 162-185

Résumés

Alors que la superficie moyenne des exploitations en Inde ne cesse de diminuer, il y a dans notre zone d’étude (Karnataka) des exploitations d’assez grande taille et avec une forte productivité de la terre : les estates. S’agit-il de l’embryon d’une « consolidation » de l’agriculture, voire de « firmes agricoles » ? Après avoir présenté l’environnement régional et la petite paysannerie locale, l’article définit les estates, fondées en général sur une agroforesterie irriguée et appartenant à des étrangers à la région. Leurs bilans au niveau hydrique et de l’emploi sont négatifs et on peut même parler d’un accaparement (relatif) de la terre et de l’eau. Le développement de ces estates ne peut donc être considéré comme une solution durable aux problèmes structurels des campagnes indiennes.

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Texte intégral

  • 1 Voir le rapport, All India Report on agriculture census 2015-16, 2020, Department of agriculture, (...)
  • 2 Voir B. Hervieu et F. Purseigle, « Les fermes du monde : un kaléidoscope », 2012, Cahier Demeter, (...)

1Comment définir une « grande exploitation » ? Selon l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les exploitations de moins de 10 hectares sont considérées comme « petites » et peuvent, à ce titre, bénéficier de subventions. En Inde, c’est pourtant ce seuil de 10 hectares qui définit les « big farms » selon le recensement agricole, alors que 86 % des exploitations du pays couvrent moins de 2 hectares1… Cela témoigne des difficultés pour définir à l’échelle mondiale les « grandes » exploitations par de simples seuils quantitatifs. On comprend tout l’intérêt d’une recherche française qui a fleuri ces dernières années2 [Cochet 2011 ; Purseigle et al. 2017] pour tenter de bâtir des typologies plus fines, tenant compte des effets de la mondialisation sur les agricultures et illustrant notamment le déclin relatif des exploitations familiales ; celles-ci avaient su développer l’agriculture capitaliste du xxe siècle, mais semblent désormais supplantées par un autre pôle, celui de la firme agricole, tendant vers des « agricultures sans agriculteurs » [Purseigle et al. op. cit : 10].

  • 3 Adaptation of irrigated agriculture to climate change (2017-2020), ANR-16-CE03-0006, financé par l (...)
  • 4 « La grande exploitation : formes et contours dans un nouvel âge du capitalisme agricole et des ra (...)
  • 5 Voir B. Hervieu et F. Purseigle, « Les fermes du monde : un kaléidoscope »…

2Notre recherche dans le bassin versant de Berambadi (Karnataka, Inde du sud), objet du projet Atcha3, porte sur des exploitations appelées localement estates, qui peuvent atteindre 60 hectares. Vouées au maraîchage ou à l’agroforesterie, elles ont acheté ou loué les terres de petits paysans. S’agit-il d’un nouvel exemple d’évolution « de la ferme à la firme » [ibid] ? Comment définir ces estates et les replacer dans une typologie mondiale des exploitations ? Certaines peuvent être de la taille d’exploitations paysannes de la région, de deux hectares. Faut-il alors, plutôt, parler d’agriculture managériale, ou, comme le suggérait l’appel à communications à l’origine de ce texte4, de « firmes de production agricole », voire d’« agriculture de firme »5  ? Or il existe, on le verra, des exploitations qualifiées localement d’estates qui sont des exploitations familiales, gérées directement par un agriculteur, ce qui les rapproche par exemple des « investisseurs » décrits pour la Tunisie par M. Fautras [2021]. Ces estates illustrent bien la difficulté à utiliser des typologies valables à l’échelle mondiale pour analyser un terrain de façon fine, caractérisé par l’hybridité.

3Considérer les estates en les plaçant dans leur environnement régional peut fournir une perspective éclairante. Dans le bassin versant étudié ici, l’irrigation par forages a été développée depuis la révolution verte et concerne même les très petites exploitations paysannes de moins d’un hectare. Mais les aquifères ont des ressources limitées, et l’on assiste à un retour à l’agriculture pluviale dans les zones où la recharge par les précipitations est faible, ou dans celles précocement mises en irrigation. Voilà qui inverse complètement la tendance indienne multiséculaire à l’intensification des systèmes de culture [Landy et Varrel 2015]. Les estates sont-ils responsables de l’épuisement des ressources en eau souterraine ? Se trouve-t-on dans la situation classique de « l’agriculture minière » [Poncet 1964], avec le départ des investisseurs une fois les ressources épuisées ? Il faudrait alors prouver que les plantations de café sous ombre des estates utilisent plus d’eau que l’agriculture irriguée paysanne. Assiste-t-on à un nouvel épisode de « land grabbing » ou d’« accumulation par dépossession » [Harvey 2003], de privatisation d’un bien commun dans le cas des eaux souterraines ? En Inde, les restrictions concernant l’achat de terres par des non-agriculteurs rendent cependant la situation très complexe. Le développement des estates réduit-il les possibilités d’emploi pour les ouvriers agricoles, engagés d’habitude dans les petites exploitations paysannes lors de la moisson ou des labours ? Or, le dédain pour le travail agricole et les migrations saisonnières vers le Kerala voisin fragilisaient déjà le marché de la main-d’œuvre.

4Peut-on alors soutenir un discours politiquement incorrect, affirmant que le développement de ces estates est plutôt positif pour les trois composantes d’un développement « durable », socialement, économiquement et écologiquement ? Car la taille moyenne des exploitations en Inde n’est que d’un hectare, et continue de baisser : une extension des exploitations comme celle qui a permis la « modernisation » de l’agriculture européenne sur moins d’un siècle, semble pour l’heure impossible [Dorin 2017]. Des innovations sont nécessaires pour garantir la survie de cette agriculture familiale. Cela ne peut-il pas passer par ces estates ? Ces « micro-grandes » exploitations de Berambadi seraient-elles la bonne réponse, hérauts d’une « consolidation » bien venue des systèmes de production ?

5La réponse à ces questions s’avère malheureusement négative. L’article présente le cadre régional et la petite paysannerie locale dans une première partie, puis définit les estates, fondées en général sur une agroforesterie irriguée et appartenant à des étrangers à la région. Or, leurs bilans en termes d’eau comme d’emplois apparaissent tous négatifs selon les calculs présentés en troisième partie, tandis que la quatrième suggère même un accaparement (relatif) de la terre et de l’eau. Le développement de ces estates ne peut donc apparaître comme une solution durable aux problèmes structurels des campagnes indiennes.

Une région favorisée mais menacée

6L’essentiel de l’État du Karnataka, au sud de l’Inde, se trouve dans la partie péninsulaire du pays (Dekkan), dans un climat semi-aride. Pourtant, à l’ouest de la petite ville de Gundlupet, dans notre zone d’étude, les précipitations frôlent les 800 mm (772 mm à Gundlupet sur la période 1951-2000), avec deux courtes saisons des pluies autour de mai et d’octobre. Autrement dit, les bonnes années, les agriculteurs peuvent faire sans irrigation deux cultures par an (typiquement : céréales puis légumineuses), ou bien cultiver des cultures relativement gourmandes en eau mais rémunératrices, comme l’œillet d’Inde ou le tournesol.

Figure 1 : Localisation de Gundlupet et de Berambadi (État du Karnataka).

Figure 1 : Localisation de Gundlupet et de Berambadi (État du Karnataka).

7C’est cependant moins par le milieu naturel que par la géographie humaine que cette zone est relativement favorisée (fig. 2). On se trouve au carrefour de trois États : à une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau du Tamil Nadu au sud et du Kerala à l’ouest. La zone est délimitée au nord par Bangalore, la capitale du Karnataka à 4 heures de route, au sud par Coimbatore, ville industrielle tamoule dynamique et millionnaire, et à l’ouest par Calicut (Kozhikode) sur le littoral kéralais. Plus proches se trouvent de hauts lieux du tourisme, comme Ooty au Tamil Nadu et, bordant quasiment les villages étudiés, le parc national de Bandipur. Ces derniers ne sont pas loin de la national highway 766, qui relie Mysore au Kérala. Autant dire que les possibilités commerciales et d’investissement sont nombreuses : les acteurs économiques peuvent jouer des différences entre les trois États fédérés, tant pour ce qui concerne leurs niveaux de vie, leurs milieux naturels que pour leurs prix agricoles et leurs législations. Le sous-développement social de la région demeure une contrainte : 50 % de la population du canton était encore analphabète lors du recensement de 2011.

8La relative abondance des pluies n’est pourtant pas synonyme d’une eau aisément accessible. Dans ce climat semi-aride, en moyenne annuelle, le potentiel climatique d’évaporation est supérieur à la pluviométrie, et moins de 10 % des eaux de pluie contribuent à la recharge de l’aquifère, lequel – localisé dans la partie superficielle altérée et fissurée de la roche granito-gneissique – ne permet de stocker que de faibles quantités d’eau. En outre, sa faible transmissivité limite le débit des dispositifs d’extraction [Boisson et al. 2015]. Le niveau piézométrique de cette nappe phréatique était pourtant peu profond jusque dans les années 1980, et on pouvait y accéder grâce à des puits ouverts, de 4 à 5 mètres de diamètre et d’une dizaine de mètres de profondeur, et à quelques anciens étangs villageois alimentés par l’écoulement de la nappe, qui appartiennent désormais à l’État [Shah 2003].

Figure 2. Flux des migrants et des capitaux d’une région transfrontalière (Gundlupet, Inde).

Figure 2. Flux des migrants et des capitaux d’une région transfrontalière (Gundlupet, Inde).

9Depuis une dizaine d’années, les agriculteurs déplorent la raréfaction de l’eau, se plaignent que leurs récoltes pâtissent de l’avarice des nuages. Pourtant, il ne pleut pas moins en quantités annuelles. Mais les puits ouverts, comme les étangs villageois, sont à sec, et les vieux cocotiers non irrigués meurent de sécheresse. Pourquoi en est-il ainsi, si les précipitations n’ont pas diminué en quantité ?

10Dans le bassin versant étudié, celui de Berambadi (une bande est-ouest d’environ 80 km), les années 1980 ont connu un premier essor des forages (borewells) individuels, munis bientôt de pompes submersibles pour arroser les cultures. Formidables outils, ils permirent de cultiver de la canne à sucre, exigeante en eau, sur ces terres « ingrates » qui n’avaient connu, à quelques exceptions près, que l’éleusine, le sorgho, les légumineuses et les plantes fourragères. Depuis, le niveau piézométrique de la nappe n’a cessé de baisser [Landy et al. 2021], sauf en 2019 et 2020 grâce à de très forts épisodes de pluies de fin de mousson. Cette diminution est directement corrélée au nombre de forages présents [Sharma et al. 2018]. De fait, la période faste de l’agriculture de Berambadi fut de courte durée ; il n’en reste aujourd’hui pour témoin que les toits des anciens moulins servant à extraire le sucre de la canne. En réponse à l’assèchement des puits, les agriculteurs qui en ont la capacité forent toujours plus profond, dans une course pour l’eau [Aubriot 2006 ; Shah 2009].

11Les deux villages étudiés particulièrement par notre équipe, Gopalpura et Kunagahalli, sont mitoyens. Le premier est presque entièrement peuplé de Lingayats, une communauté végétarienne qui prétend à une position dans la hiérarchie des castes égale à celle des Brahmanes, alors que Kunagahalli est plus hétérogène. Au total, 67 % des 1 925 habitants sont Lingayats ou de haute caste, tandis que 23 % sont des Scheduled Castes (Dalits, ex-Intouchables) et 10 % des Scheduled Tribes (populations « autochtones »). Ils sont presque tous agriculteurs, mais la moitié de ces agriculteurs travaillent comme salariés agricoles la majeure partie de l’année. Quelque 50 % des propriétaires pratiquent l’irrigation sur au moins une partie de leur exploitation, grâce à des forages, alors que les autres dépendent de l’agriculture pluviale.

  • 6 Voir C. Fischer, 2016, Diagnostic agraire en Inde du sud semi-aride. Vulnérabilité et adaptabilité (...)

12Un diagnostic agraire établi pour tout le bassin versant6 avait abouti à une typologie de huit systèmes de production. Dans la zone étudiée autour de nos villages, on n’en rencontre que sept : les ménages sans terre (se livrant à l’élevage ovin et au salariat, agricole ou non agricole) ; trois types d’exploitations en agriculture pluviale (distingués selon la taille, de 0,1 à 3 ha), deux types d’exploitations pour l’essentiel irriguées (de 0,4 à 6 ha, le type le plus favorisé n’existant que chez les Lingayats) et les estates (voir infra).

13Une telle classification, qui correspond à une véritable hiérarchie agraire, est fondée sur deux composantes : la propriété foncière et la disponibilité en eau (sans compter la hiérarchie des castes, très corrélée aux deux autres). L’irrigation est un facteur clé pour l’enrichissement ou simplement la viabilité de l’exploitation : un demi-hectare irrigué est en général suffisant pour une famille de taille moyenne, quand il en faut deux en agriculture pluviale [Landy 2014]. L’irrigation est elle-même très liée à la propriété foncière, puisque les gros exploitants ont les moyens d’investir plus facilement dans des forages, de plus en plus profonds à mesure que s’épuise l’aquifère. Les subventions publiques pour creuser des puits sont importantes et ciblent parfois les basses castes. Néanmoins, la question majeure, pour la survie des exploitations, demeure la terre, plus que l’eau.

14En dépit de ces contraintes, le canton (taluk) de Gundlupet avait une densité de population rurale de 143 hab/km2 lors du recensement de 2011. Une pression démographique non négligeable pour un climat sahélo-soudanais ! De fait, ici, comme dans la plupart des campagnes indiennes, l’exode rural est très limité [Landy et Varrel op. cit.]. Cela ne signifie pas pour autant sédentarité : très nombreux sont les petits paysans, sans terre ou dépourvus d’irrigation, à compléter leurs revenus par une émigration en saison sèche, le plus souvent dans les plantations de café ou les chantiers du bâtiment au Kerala voisin.

Les estates : quelle définition ?

  • 7 Roma Hooge, co-autrice de ce texte, a passé deux mois et demi dans un village pour comparer les ex (...)

15L’imagerie satellitaire et le recensement de la taille des parcelles issu de la trentaine d’entretiens semi-directifs réalisés7 avec les propriétaires ou gérants ont permis d’estimer à 7 % la part de la surface agricole du bassin versant occupée par les estates. Elles se trouvent concentrées le long des routes en direction du Kerala et du Tamil Nadu.

16Les estates, type hybride et pourtant clairement présent dans les représentations des populations locales, ne peuvent être définies par le seul critère de la taille des exploitations, ni par la façon dont elles sont gérées (familiale, patronale, capitaliste), ni par le type de main-d'œuvre agricole (permanente ou saisonnière). Elles sont en premier lieu reconnaissables par leur spécificité agronomique sur le territoire de Berambadi : une partie de leur assolement est dédiée à l’agroforesterie irriguée. Sous le couvert arboré (constitué de cocotiers ou de divers bois de coupe comme le Melia dubia), on peut distinguer deux modèles selon le type de rotation mis en place, l’un formant un pôle « agricole » et l’autre plus « forestier ». Les rotations courtes, avec un travail de la terre maintenu et des espèces annuelles ou bisannuelles (maraîchage, curcuma, bananier), gourmand en main-d’œuvre tout au long de l’année, définissent le modèle « agricole ». Inversement, les espèces pérennes arbustives comme le caféier ou le pamplemoussier installés en rotation longue (parfois plus de dix ans) forment le pôle « forestier » : le sol n’y est plus travaillé et les soins sont ponctuels, souvent limités au cours de l’année à la récolte des fruits.

17Cette agroforesterie irriguée n’est pratiquée dans la région que par les estates, à de rares exceptions. Une telle particularité agronomique renseigne sur les capacités du propriétaire à assumer économiquement un risque dans ses choix de cultures et un retour sur investissement à long terme, inaccessibles pour la plupart des agriculteurs de Berambadi. En effet, l’implantation de cultures pérennes et de bois de coupe demande plusieurs années avant de générer un revenu. De plus, le système est maintenu irrigué : cela implique d’avoir la capacité financière pour envisager de nouveaux forages au vu de l’incertitude de leur approvisionnement en eau. Enfin, il est souvent mis en place sur de grandes surfaces pour les valoriser à moindre effort. L’agroforesterie dans un territoire semi-aride tel que celui de Berambadi révèle donc la robustesse du capital économique des propriétaires.

18Ceux-ci sont majoritairement étrangers à la zone de Berambadi, autre caractéristique des estates. Leur présence remonte à deux générations (voire trois) et elle est à peu près contemporaine de l’expansion des forages à la fin des années 1980, à laquelle ils ont fortement contribué. Ils viennent des États limitrophes, Kerala et Tamil Nadu, mais parfois aussi du Karnataka, et ont comme point commun une grande facilité d’investissement. Ce sont des citadins souhaitant placer leurs économies dans une nouvelle agriculture, des fils d’agriculteurs décidant de revenir à la terre après avoir fait carrière dans d’autres secteurs, ou bien des agriculteurs aisés ayant d’autres terres ailleurs. En fait, l’agriculture des estates est rarement leur source de revenus principale. Voilà qui les oppose aux agriculteurs villageois dont le revenu majeur est agricole et qui explique également leur différente conception du système de production.

19On distingue deux logiques chez les propriétaires d’estate : celle des « agriculteurs patrons » et celle des « investisseurs capitalistes ». Les premiers résident sur leur terre, isolés spatialement de l’habitat groupé caractéristique des villages de la zone, et dirigent directement leurs ouvriers. Leur présence sur place permet de surveiller la conduite des cultures et de mettre en place l’agroforesterie « agricole » citée précédemment : des plantes maraîchères au cycle court (3 mois) et exigeantes en travaux divers (repiquage, pose de tuteurs, formation de buttes…), des bananiers ou encore du curcuma associé aux oignons, dont une partie au moins est cultivée en agroforesterie, le reste étant en plein champ. Tout est irrigué, sauf certaines parcelles où les forages ont échoué qui sont valorisées en cultures pluviales. Les propriétaires rencontrés, des « agriculteurs patrons », sont le plus souvent originaires du Tamil Nadu, qui ont migré en famille dans les années 1980 en apportant la technologie du forage et des cultures comme le curcuma.

20Les propriétaires « investisseurs capitalistes » se différencient des précédents par leur résidence hors de la zone, et pratiquent une agriculture proche de celle « de firme » définie par F. Purseigle et G. Chouquer [2013]. N’ayant pas pour activité principale l’agriculture, ils sont davantage des actionnaires qui investissent dans une entreprise potentiellement rentable grâce à l’argent qu’ils ont épargné d’autres secteurs économiques. Une diversité de logiques mène à investir dans la terre à Berambadi, le faible coût du foncier et de la main-d’œuvre expliquant l’installation d’allochtones.

21Ces investisseurs optent généralement pour le modèle « forestier » de l’agroforesterie irriguée, qui nécessite peu de visites : du bois de coupe (renouvelé tous les dix, quinze ans voire quarante ou cinquante selon la croissance de l’espèce) protégeant des arbustes fruitiers aux récoltes annuelles qui garantissent un revenu plus fréquent. Ces boisements agroforestiers présentent l’avantage de ne pas nécessiter beaucoup de travail et de soins, sauf les premiers mois. Sur ce modèle, on trouvera des caféiers sous Grevillea robusta (chêne soyeux, silver oak), des pamplemoussiers sous Melia dubia (bois d’œuvre), ou des cultures fourragères complantées de manguiers, de citronniers ou de cocotiers. Le propriétaire, originaire le plus souvent du Kérala voisin, et plus rarement des grandes métropoles du Karnataka comme Bangalore, pourra alors déléguer la bonne conduite des champs à son manager et se limiter à quelques visites occasionnelles (d’annuelles à hebdomadaires). Parmi les investisseurs capitalistes, un petit groupe de propriétaires se distingue par sa logique d’investissement immobilier : il exploite en effet son foncier agricole à très « bas régime » et le délègue entièrement à un manager. Son objectif est moins de produire sur ces parcelles que de les lotir, en contournant les régulations foncières et fiscales. Considérant les environs de Gundlupet comme stratégiquement placés au centre d’une zone touristique et facilement accessible par les voies rapides, ces propriétaires espèrent que la législation évoluera en faveur de la construction d’hôtels ou de homestays (logements chez l’habitant).

22Les spécificités de ces investisseurs allochtones n’influent pas seulement sur la gestion de leur terre. Leurs pratiques sociales sont aussi différentes. Lors d’un entretien, l’un d’eux a ainsi offert une bière à la première autrice de ce texte. Proposer de l’alcool (et de surcroit à une jeune fille) est un acte tout à fait exceptionnel dans les campagnes indiennes, a fortiori dans une région dominée par la communauté végétarienne des Lingayat où la consommation d’alcool est proscrite. Les contrastes culturels entre les propriétaires d’estate et les villageois se traduisent aussi par des parcelles clôturées, formant des domaines. Les estates ne font pas partie des villages, ni de leur fonctionnement. Les seuls liens sociaux que les propriétaires entretiennent avec les habitants de Berambadi sont avec leurs employés. Là encore, les estates diffèrent du reste de la zone d’étude, dans laquelle l’agriculture est principalement familiale, où les ménages entretiennent un réseau de connaissances et d’emploi qui structure socialement l’activité, avec notamment des liens de réciprocité et d’entraide. Il s’agit certes d’une pluralité de réseaux plus ou moins perméables les uns aux autres puisque la campagne de Berambadi est marquée par une ségrégation entre castes et communautés – mais les propriétaires d’estate ne sont intégrés dans aucun de ces réseaux.

Des bilans hydriques et d’emplois négatifs

23La plupart des estates sont caractérisés par des systèmes de culture intensifs : ils sont en production tout au long de l’année, y compris en saison sèche, avec une recherche de maximisation de la production agricole exigeante en eau et en intrants. L’agroforesterie est a priori gourmande en main-d’œuvre, ce qui ne peut qu’être positif dans ces campagnes indiennes en sous-emploi chronique. De plus, on peut se demander si les cultures sous ombre permettent de réaliser des économies d’eau par rapport aux systèmes utilisés dans beaucoup d’exploitations paysannes, qui font souvent du maraîchage ou du curcuma irrigué. Se pourrait-il que les estates ne soient pas des exploitations « rapaces » accapareuses de terre et d’eau, mais se révèlent créatrices d’emplois et bienfaitrices pour les ressources en eau souterraine ?

  • 8 Voir B. Hervieu et F. Purseigle, « Les fermes du monde : un kaléidoscope »…

24De fait, les estates des agriculteurs-patrons (« estates agricoles ») nécessitent plus d’heures de travail par hectare que les exploitations villageoises. En effet, si les assolements y sont identiques, notamment le maraîchage, très exigeant en travail manuel, la complantation de cocotiers exige un travail supplémentaire. La récolte et le décorticage des noix sont une tâche dangereuse réservée à une caste de Chikka Tippur, village extérieur à notre zone d’étude. L’entretien des cocotiers est ainsi la plupart du temps contractualisé, la gestion en revenant à des ouvriers « sous-traitants », qui ont un accès aux filières de valorisation aval (en revendant notamment au grand marché du copra de Tiptur, à 200 km) – des filières elles aussi très segmentées par communauté. Cet élément du système de production de l’estate correspond à une agriculture de firme « par délégation »8 et ne propose aucun travail aux ouvriers agricoles des villages voisins.

25Les autres estates, du type forestier avec investisseur, présentent un bilan clairement négatif en termes d’emplois par rapport aux exploitations majoritairement présentes dans la zone d’étude. L’horticulture qui y est réalisée (caféiers, manguiers, pamplemoussiers, citronniers…) requiert moins de travail que des cultures fréquemment semées et récoltées au cours d’une même année, puisqu’il s’agit d’arbres et d’arbustes vivaces nécessitant ponctuellement des travaux d’irrigation, d’entretien et de récolte – ces deux derniers étant le plus souvent annuels. Quant aux grands arbres donnant de l’ombre aux fruitiers, leur entretien est réduit au minimum (plantation, coupe) car ils bénéficient indirectement des soins apportés à la strate inférieure. L’apparition des estates forestiers s’est donc faite au détriment de l’emploi ouvrier agricole, et donc d’un revenu potentiel pour les habitants de la région.

  • 9 Voir R. G. Allen et al., Crop evapotranspiration. Guidelines for computing crop water requirements(...)
  • 10 Idem.
  • 11 Pour le détail de la méthode de calcul, voir le mémoire de stage de 2e année d’ingénieur R. Hooge, (...)

26Les besoins en eau (ou évapotranspiration maximale) des cultures, seules ou en association, dépendent de la durée de leur cycle, et du taux de couverture du sol par leurs organes transpirants (feuilles). La méthode FAO-569 permet d’estimer ces besoins en posant que l’évapotranspiration d’une culture (ETC) en conditions normales (sans stress hydrique) est égale à la somme, pour chaque jour de son cycle, de l’évapotranspiration de référence (ETo) multipliée par le coefficient cultural (kc). Nous avons estimé ces besoins pour les principaux systèmes de culture rencontrés à Berambadi (fig. 3), en utilisant soit les kc proposés par la FAO10 quand ils étaient disponibles, soit les estimations proposées par K. Sreelash et ses co-auteurs [2017] sur la base de mesures locales de surface foliaires11. Il est bien évident qu’il ne s’agit pas d’un bilan hydrique stricto sensu (le détail des processus hydrologiques n’est pas représenté, pas plus que les stress hydriques), mais la comparaison de cette demande avec la pluviométrie moyenne annuelle du site (800 mm), permet d’évaluer l’adéquation moyenne de l’offre à la demande. Ainsi, si la demande est en moyenne inférieure à la pluie, l’excédent de pluie peut permettre la recharge de la nappe, alors que si la demande est supérieure à la pluie moyenne, le système de culture n’est viable qu’avec des apports d’eau d’irrigation.

27Les résultats (fig. 3) montrent que pour les cultures pluviales comme le sorgho, le tournesol et le maïs, les besoins sont largement inférieurs à la pluviométrie moyenne. Même lorsqu’elles sont irriguées pour sécuriser les rendements (ce qui est parfois le cas pour le maïs), en particulier lors des années à pluies insuffisantes, ces cultures vont en moyenne contribuer de manière significative à la recharge de la nappe (bien qu’une partie de la pluie excédentaire puisse être perdue par ruissellement de surface). Ceci explique pourquoi, avant l’avènement des forages et des cultures gourmandes en eau, le niveau piézométrique de la nappe phréatique était très superficiel, ce qui permettait de maintenir un débit de base quasi permanent dans les rivières.

Fig. 3 : Besoins en eau annuels des principales cultures et des systèmes de cultures de la région.

Fig. 3 : Besoins en eau annuels des principales cultures et des systèmes de cultures de la région.

Estimation adaptée de la méthode FAO-56.

28En revanche, pour les cultures irriguées telles que le curcuma, les bananiers ou le maraîchage en général, la demande en eau représente près du double de l’offre climatique. Les systèmes pour lesquels la demande est la plus élevée sont les systèmes agroforestiers, optimisés pour intercepter au maximum l’énergie solaire, maximisant également la surface transpirante.

29Même si l'on tient compte du fait que l'évapotranspiration réelle est inférieure à l'évapotranspiration maximale (les cultures peuvent subir des périodes de stress hydrique, plus ou moins intenses et fréquentes, durant lesquelles leurs besoins ne sont pas satisfaits), ces systèmes restent strictement dépendants de l'irrigation, qui provient quasi exclusivement du pompage des nappes. Dans ce contexte d'aquifères de socle principalement alimentés par la recharge locale [Guihéneuf et al. 2014], ces systèmes vont induire de manière structurelle (sur le long terme) une réduction du stock d’eau souterraine disponible.   

30À l’échelle du terroir, les systèmes irrigués dont la demande est supérieure à l’offre climatique ne sont viables sur le long terme que s’ils sont entourés d’une surface suffisante de cultures pluviales. Certes, les estimations présentées ici ne tiennent pas compte des prélèvements réels des cultures, ni des autres processus conduisant à des pertes d’eau comme le ruissellement de surface : elles ne permettent pas d’estimer quelle proportion maximale de la surface irriguée serait « durable ». Mais c’est bien ce mécanisme qui explique la baisse tendancielle du niveau de la nappe observée depuis le développement spectaculaire des surfaces irriguées. La présence des estates contribue donc à la surexploitation de la ressource, car non seulement leur proportion de surface irriguée est supérieure à celle des autres exploitations, mais elles sont caractérisées par l’importance des systèmes agroforestiers.

  • 12 « The greatest challenge for agroforestry in dryland areas is to identify species combinations and (...)

31Cette conclusion est en accord avec le discours dominant dans les milieux académiques et militants à propos de la nocivité écologique de la plupart des grandes exploitations dans le monde. En revanche, elle contredit le discours dominant sur l’agroforesterie – alors qu’il s’agit bien là de systèmes agroforestiers, superposant pour la plupart un étage de cultures saisonnières à un étage de plantations arborées. Ce discours a coutume, au contraire, de souligner la durabilité de tels systèmes de cultures, en insistant sur la complémentarité des espèces, la reproduction facilitée de la fertilité, etc. [par exemple Torquebiau 2007]. En ce qui concerne l’eau, une bonne partie de la littérature sur l’agroforesterie souligne la très forte productivité de ces systèmes qui permettent de tirer parti de réserves hydriques souvent limitées. On insiste sur le fait que les plantes grâce à leurs racines de profondeurs différentes pompent l’eau sans se faire de concurrence et en maximisent l’extraction – bien plus qu’on évoque des systèmes qui seraient particulièrement économes en eau. Ce serait même tout le contraire12.

  • 13 Voir la fiche de l’association française de l’agroforesterie en ligne (<http://www.agroforesterie.fr/documents/fiches-thematiques/Fiche-eau-agroforesterie-AFAF.pdf>).

32À leur passif, les arbres se révèlent de véritables « machines à évaporer »13 pour reprendre la formule de l’Association française d’agroforesterie, à propos d’essences européennes (chêne, érable, saule). À leur actif, ils luttent contre le ruissellement, leurs racines facilitant la percolation, et ils peuvent créer un microclimat favorisant les précipitations. Mais ce dernier point semble peu pertinent pour notre terrain indien : le ruissellement est de toute façon limité, la percolation déjà accentuée par la proportion importante des sols sableux, et les estates ne représentent que 7 % de la surface cultivée, une emprise trop faible pour avoir un impact sur les pluies.

33Nos données semblent confirmer que l’agroforesterie telle qu’elle est pratiquée à Berambadi, en irrigué, n’est pas transposable partout en raison de ses besoins en eau très supérieurs à l’offre climatique. Seule une petite fraction du terroir peut la supporter parce que l’agriculture pluviale à l’échelle du bassin versant compense ce déficit. Ce constat est valable pour les cultures actuellement pratiquées à Berambadi. En revanche, pour un développement durable à venir, une réflexion pourrait être menée sur les espèces cultivées – certaines étant plus adaptées au climat et au sol de la région comme des variétés de cocotiers traditionnelles, des espèces d’arbres provenant de la forêt voisine sèche et décidue, qui n’épuisent pas la ressource en eau durant la saison sèche.

34Ce diagnostic biophysique est pessimiste. Notre diagnostic social l’est-il aussi ?

Accaparement des terres, accaparement des eaux

35Les estates, sauf exception, sont de grandes exploitations qui, par définition, bénéficient de plus de terres que les autres. On pourra parler d’accaparement foncier (land grabbing) si leur constitution a été plus ou moins forcée (par achats ou locations sous contrainte) et si elle nuit aux petites exploitations en créant une pénurie de terres.

36La question ne doit pas être posée que pour le foncier. Dans un tel milieu semi-aride, l’eau est un autre facteur limitant essentiel. Peut-on parler d’accaparement des eaux (water grabbing) [Mehta et al. 2012] ? Que se passe-t-il quand les aquifères, au lieu d’être gérés comme des biens communs, sont utilisés selon des logiques purement individuelles qui favorisent ceux qui ont les moyens de forer, et toujours plus profond ?

  • 14 Voir C. Fischer, 2016, Diagnostic agraire en Inde du sud semi-aride

37Les structures agraires étaient très inégalitaires avant même la création des estates. Certes, cette région de l’Inde est loin d’être celle où les écarts socio-économiques sont les plus criants. En effet, les réformes agraires au Karnataka ont pu supprimer les exploitations les plus vastes et extensives, et le climat relativement humide permet la viabilité des exploitations de plus de 2 hectares, même sans irrigation14. Or, la majorité de ces exploitations n’atteint pas cette superficie. Par ailleurs, les inégalités ne sont pas que foncières : les Dalits (ex-Intouchables), même s’ils ne sont pas forcément sans terre, n’ayant pas accès à d’autres ressources, sont exclus de certaines assemblées villageoises, et les clivages de caste demeurent très forts.

38La constitution d’estates n’a fait qu’aggraver les choses depuis les années 1980. On sait que, dans le sillage de la théorie de l’accumulation primitive de K. Marx, D. Harvey [op. cit.] a montré combien la mondialisation néolibérale est gourmande de ressources, ressources accumulées au profit d’une élite et aux dépens de ceux qui en étaient usufruitiers (comme les communaux) ou propriétaires (comme les petites exploitations agricoles). La constitution de très grandes exploitations est un exemple type d’« accumulation par dépossession », qu’elle soit permise par l’achat ou par l’expulsion forcée des anciens usagers de la terre [Harriss-White 2008].

  • 15 Les noms ont été modifiés.

39Nous manquons d’informations systématiques sur les modalités de constitution de tous nos estates. Quelques propriétaires ont accepté de fournir des données à propos de l’historique de leur exploitation, mais elles sont rares et incertaines. Ainsi la grande exploitation Totada15 (61 hectares) est-elle constituée de plus d’une dizaine de parcelles rachetées à d’anciens menuisiers-agriculteurs en lisière de la forêt. C’est, en partie, le cas aussi de l’estate de Bijoy (52 hectares). Ces achats sont anciens (40 ans environ). D’ailleurs, sur la plupart des autres parcelles les propriétaires ne connaissent pas l’histoire de leur terre, car trop de détenteurs se sont succédé avant eux. Nous avons en revanche constaté que les achats ont été faits aux dépens des surfaces en forêt et très certainement des « tribaux » autochtones (qui utilisaient ces terres défrichées sans titre de propriété).

40On ne sait guère ce que sont devenus les vendeurs : des ouvriers agricoles ou urbains, selon le schéma de la prolétarisation marxiste ? de petits entrepreneurs dans la ville voisine ? Nos enquêtes suggèrent plutôt qu’ils sont devenus propriétaires d’autres terres, rachetées ailleurs, souvent dans un autre village où ils avaient de la famille. Nous manquons de données pour conclure s’il y a eu « accaparement des terres » selon la définition donnée plus haut. Mais l’ancienneté des estates prouve que le mouvement s’est ralenti, voire arrêté : on ne note pas de nette progression de leur nombre ces dernières années. La pénurie de terres et l’inflation des prix du foncier dans la région (comme en Inde plus généralement) ne peuvent être imputées aux estates.

  • 16 En 2020 a eu lieu une profonde libéralisation de la loi par le Karnataka land reforms (Second amen (...)
  • 17 « according to the range of rainfall ».
  • 18 Un euro valait environ 80 roupies en 2018-2019.
  • 19 La dépréciation de la roupie comme la volonté de libéraliser le marché expliquent cette forte haus (...)

41En revanche, il est certain que la législation officielle est contournée. En Inde, le foncier est constitutionnellement un domaine de compétence des États fédérés, dans lequel ils légifèrent certes souvent selon des modèles définis à New Delhi. La dernière réforme agraire (Karnataka land reforms act) au Karnataka date de 1961, mais elle a été de multiples fois amendée16. Depuis 1974, une famille nucléaire de cinq personnes ne peut posséder plus de 10 acres (4 ha) bien irriguées, ou 54 acres (21,6 ha) de terres peu fertiles si la zone est peu pluvieuse (« en fonction des précipitations »)17. Les vergers (orchards) sont limités à ces 54 acres. Ne sont pas autorisées à détenir de la terre agricole les personnes ayant un revenu non agricole supérieur à 12 000 roupies18 par an (réévalué à 2,5 millions depuis 2016)19 et celles résidant à plus de 16 km de là, qui sont considérées comme « ne cultivant pas personnellement ». Nous avons pourtant vu que c’était le cas de certains propriétaires d’estates, les investisseurs capitalistes. Selon la loi, les sociétés (companies) ne peuvent pas non plus posséder de terres agricoles.

42En 1996, la législation a été libéralisée « pour permettre aux industries fondées sur l’aquaculture, la floriculture, l’horticulture mais aussi aux activités à domicile (housing industry), qui ont un gros potentiel pour attirer dans l’État les investissements extérieurs, d’obtenir les terres nécessaires à leur installation et leur expansion ». Ces activités peuvent désormais être pratiquées sur 20 acres de terre de « première classe » (irriguée) et jusqu’à 80 acres de troisième classe (sans irrigation). Même s’il est vraisemblable que les planteurs s’arrangent pour faire enregistrer leur exploitation sous cette dernière catégorie (elle n’est pas irriguée par canal public), on peut en déduire que les estates dépassant 80 acres sont dans une situation illégale. Les « plantations » ne sont cependant pas soumises aux plafonds fonciers. Comme le café est considéré comme une culture de « plantation », au contraire des cocotiers, Totada est sans doute dans la légalité.

Figure 4. Une exploitation unique fondée sur une propriété éclatée dans le village de Maddur (Karnataka, Inde).

Figure 4. Une exploitation unique fondée sur une propriété éclatée dans le village de Maddur (Karnataka, Inde).

Selon le cadastre, l'exploitation cerclée de rouge s'étend sur une superficie de 52 ha en rassemblant 15 parcelles de propriétaires différents.

Source : d’après le cadastre de Maddur, Revenue department services, Government of Karnataka (<https://landrecords.karnataka.gov.in/​>).

43Incidemment, on peut remarquer qu’une des fonctions de la numérisation du cadastre en Inde – une opération où le Karnataka a joué un rôle pionnier – n’est guère remplie : la lutte contre le contournement des plafonds à la propriété. Le cadastre est disponible en ligne et en libre accès : le site Bhoomi (« terre ») Land Records du Revenue Department donne même le nom du propriétaire correspondant au numéro de parcelle. Alors qu’en entretien l’exploitation de 52 ha cerclée de rouge (fig. 4) était déclarée comme sienne par notre interlocuteur, le cadastre révèle qu’elle a officiellement quinze propriétaires différents (dont l’État, pour la parcelle 43). En fait, il s’agit pour l’essentiel de prête-noms : des parents du propriétaire, ou encore une autre famille laissant l’usufruit de la terre selon des modalités que nous ignorons.

  • 20 Voir C. Upadhya, « Rural Real Estate: Agrarian Land as a Financial Asset », 6th NRAS Conference, G (...)

44Une autre fonction officielle de la numérisation du cadastre, la lutte contre la fraude fiscale semble, elle aussi, peu honorée. Sauf pour les plantations, l’agriculture n’est pas soumise à l’impôt sur le revenu en Inde. On peut comprendre alors les stratégies comme celle du propriétaire de l’estate P. L. Il s’agit de la plus petite de notre échantillon – d’une superficie de 3 acres (1,2 ha) – et cultivée seulement aux trois quarts. Le gérant de l’exploitation y fait pousser des manguiers et des groseilles à maquereau, mais aussi du sorgho, des haricots et du maïs. On est donc loin d’une exploitation intensive de l’estate. Ceci s’explique par le fait que le quart du terrain est occupé par un hôtel-restaurant ; on se trouve ici dans le cas de l’« investisseur capitaliste promoteur » de notre définition des estates. Le propriétaire est un Kéralais, qui a acheté les 3 acres à un paysan, y a creusé trois forages dont deux pour l’eau potable. Il a construit l’hôtel et ses trois chambres et a loué l’ensemble, pour dix ans, à un architecte d’intérieur vivant une partie de l’année à Pondichéry. Tout porte à croire que l’achat du terrain, en bordure de la route nationale, a une vocation davantage touristique qu’agricole et que les cultures représentent une stratégie d’optimisation fiscale pour déclarer le terrain comme agricole. On peut s’attendre à ce que progressivement, une partie des champs soit transformée en jardin d’agrément pour les touristes en famille, comme il y en a tant dans les pseudo farm houses des bords de route indiens, voire que l’hôtel soit agrandi. Une telle forme d’estate n’est guère dommageable pour les réserves d’eau, peu utilisées par son système de cultures, ni sans doute pour l’emploi local (le gérant recrute des villageois des environs). En revanche, elle est nocive pour le budget de l’État, puisqu’elle correspond à une niche fiscale. Cette forme est certes peu courante dans notre échantillon. Il reste qu’elle est un exemple de plus de cette « accumulation par financiarisation » étudiée par C. Upadhya20. La terre n’est pas seulement objet de marchandisation, dans le cadre d’un processus classique d’étalement urbain ou de développement de grandes exploitations, elle devient un bien financier, objet de spéculation.

45Il semble que Jean Poncet [op. cit.] ait été le premier à parler d’agriculture « minière » à propos des grandes exploitations de l’Algérie coloniale, dont les propriétaires pratiquaient une agriculture extensive très mécanisée pendant quelques années avant de partir une fois le sol épuisé. Un cas d’école, pour l’épuisement des nappes, est les firmes exportatrices de légumes installées sur le quasi-désert littoral péruvien [Marshall 2010 ; Kuper et Molle 2017]. On pourrait considérer que le terme est applicable ici aussi, vu le déficit hydrique entraîné par les estates. Leurs propriétaires ne risquent-ils pas de partir de la région, une fois les ressources en eau souterraine épuisées ?

46Le terme d’« agriculture minière » demeure cependant discutable pour plusieurs raisons. D’abord, les nappes ne sont pas fossiles. Un retour à l’agriculture pluviale, doublé de moussons pas trop mauvaises, changement climatique ou non, suffirait à les recharger en quelques années. Ensuite, les estates sont présentes depuis plus de trois décennies pour beaucoup d’entre elles – même si la rotation des propriétaires peut être relativement rapide et que l’on est loin de l’enracinement d’une véritable agriculture paysanne. Les manguiers produisent pendant trente-cinq ans au moins – voire plus selon l’état des sols… Enfin, certains propriétaires ont des pratiques relativement raisonnées de gestion de l’eau, comme Naryanjan, ancien chauffeur de taxi kéralais qui met du paillage sur ses gingembres pour économiser l’eau. Le surcoût n’est pas négligeable, même si les salaires de la main-d’œuvre en Inde sont bas (300 roupies par jour pour les hommes dans la région, souvent moitié moins pour les femmes).

  • 21 Zone d’abaissement du niveau de la nappe autour du point de pompage.

47Cependant le fait est là : alors que les ressources en eau souterraine devraient être considérées comme des biens communs, leur gestion ne correspond qu’à des intérêts privés qui mènent à leur assèchement. Les estates sont en partie coupables : on peut alors parler d’« accaparement de l’eau », car ils ont les moyens de forer de plus nombreux puits, et plus profonds, rendant ainsi la nappe inaccessible aux petits agriculteurs [Shah 2009]. Mais les exploitations paysannes, à leur échelle, suivent les mêmes logiques. Plutôt que de parler de « tragédie des communaux » en reprenant le célèbre article de Hardin [1968], il faudrait plutôt parler de « tragédie des non-communs » [Dardot et Laval 2014]. On n’est pas ici dans la situation de communaux villageois dont le pâturage collectif serait surutilisé depuis la disparition du berger communal et l’individualisation des pratiques. Il n’y a jamais eu d’âge d’or auquel on pourrait se référer pour reconstruire une action collective en matière de gestion de l’eau souterraine. Avant même l’arrivée des forages individuels à partir des années 1990, les systèmes d’irrigation existants n’ont jamais été considérés comme un bien commun dans ces villages : les retenues traditionnelles (tanks) bénéficiaient avant tout aux agriculteurs possédant des terres en aval. Par ailleurs, beaucoup de ces villages n’avaient pas d’étang ; les puits ouverts n’avaient qu’un cône de rabattement21 de rayon très limité, qui ne risquait pas d’empiéter sur celui du voisin [Shah 1993]. La nappe n’était alors pas considérée comme un bien commun. Lorsque les forages profonds ont été creusés, les modes de représentation de la nappe aquifère n’ont pas changé, même si le puits du paysan se trouve asséché par celui de son voisin. On comprend alors que les agriculteurs ne se rebellent guère contre les forages des estates. Ils ne le font pas plus face à celui de leur voisin. Trois raisons au moins expliquent cette attitude [Landy et al. op. cit.].

48D’abord, l’histoire des systèmes agraires est celle d’exploitations familiales précocement stabilisées. Certes, entraide et collaboration existent pour le travail agricole, mais il n’existe pas de structures collectives organisant l’intensification et la diversification, notamment pendant la révolution verte des années 1970. Si on procède à une analyse en économie institutionnelle [Ostrom 1990], on constate que n’est validé presque aucun des six critères requis pour permettre une action collective, depuis la circulation de l’information au village jusqu’à la non-existence d’alternatives.

49Ensuite, des facteurs socio-économiques freinent considérablement la concertation. Les agriculteurs peinent à considérer les eaux souterraines comme des ressources naturelles à protéger pour elles-mêmes. Leur position n’est pas environnementaliste : préserver les nappes, en faisant moins de cultures par an par exemple, induirait une perte de revenu non négligeable. Le discours du développement durable et des générations futures à ménager ne leur est guère audible, qui imposerait à leurs enfants les mêmes restrictions en les privant de l’accès aux nappes.

50Enfin, la dernière raison qui explique ce manque d’action collective est juridique. En Inde, l’eau souterraine appartient au propriétaire du sol, qui en fait ce qu’il veut. Inspirée de la common law britannique, cette législation d’origine coloniale ne favorise guère les communs Un modèle de loi a certes été voté en 2016 par New Delhi, qui propose un bouleversement complet des perspectives en parlant notamment de ressources communes (« common pool resource »), de fiducie publique (« public trust ») et d’intégration des eaux de surface et sous-terraines [cité par Cullet et al. 2017]. Mais quand le Karnataka votera-t-il une loi en ce sens ? En Inde, l’eau est constitutionnellement une compétence des États fédérés. Par ailleurs, comment cette loi sera-t-elle appliquée sur le terrain ?

Conclusion

51On peut comprendre que les estates ne cristallisent pas l’hostilité villageoise. Il ne s’agit pas d’agriculture minière ; elle ne détériore pas beaucoup plus l’environnement que les exploitations paysannes, qui épuisent elles aussi l’aquifère. Il ne s’agit pas non plus d’un processus de consolidation des exploitations comme en a connu l’Europe au xxe siècle, qui en augmenterait la superficie pour accroitre la productivité du travail.

52Il reste à prouver que la résilience des estates est supérieure à celle des exploitations paysannes, lesquelles n’ont pas disparu du paysage indien – bien au contraire – malgré les pronostics des économistes qu’ils soient marxistes ou libéraux [Dorin op. cit.]. Une estate peut faire faillite, son propriétaire vendre et investir ailleurs ; le petit paysan, lui, est condamné à s’endetter, à émigrer plus longtemps que prévu, sans pouvoir « fermer » son exploitation [van der Ploeg 2014]. Par ailleurs, l’absence d’emploi alternatif facilement accessible pour les villageois, en ville notamment, empêche un exode rural, et même un exode agricole au regard de la rareté des activités non agricoles dans les campagnes.

  • 22 Voir l’article de M. Rajshekhar, « Great rural land rush: 3 to 100-fold rise in farm land prices m (...)

53De toute façon, comme les agriculteurs tendent à accuser les pluies plutôt que les forages pour expliquer la baisse du niveau de la nappe [Aubriot 2011], ils n’ont guère de raison de s’en prendre aux estates. En outre, pour les villageois qui y travaillent, elles offrent un emploi qui leur évite de partir au Kérala. Concernant la terre, on entend des griefs contre les investisseurs, accusés de faire grimper outre mesure le prix du foncier, notamment le long des routes, particulièrement attractives [Denis et Marius-Gnanou 2011]. Mais on a vu que la plupart des estates ont été constituées il y a longtemps. Cette inflation n’est-elle pas un phénomène général commun à toute la région et même à presque toute l’Inde rurale22 ?

  • 23 Voir S. Janakarajan, « The Cauvery Water Dispute. Need for a Rethink », 2016, Economic and politic (...)

54En fait, les critiques portent sur d’autres sujets. Des villageois se plaignent des déprédations de la faune (éléphants, cochons sauvages…), particulièrement dense dans cette proximité du parc national de Bandipur. Or, les estates sont systématiquement closes, souvent ceintes de murs, alors que tous les paysans sont loin de disposer de clôtures électriques : cette fermeture repousse les animaux et les canalise vers les exploitations paysannes, qui doivent renoncer à certaines cultures trop attractives pour la faune, comme le bananier. Les critiques des villageois portent surtout sur le caractère « étranger » des investisseurs. De fait, il y a peu de réinvestissement sur place des profits des estates, les revenus partant à Bangalore, au Kérala, au Tamil Nadu… ou dans des entreprises basées dans les pays du Golfe. À ce constat économique s’ajoute un ressentiment politique : lors des conflits qui éclatent régulièrement entre Karnataka et Tamil Nadu à propos du partage du fleuve transfrontalier de la Kaveri23, des crispations peuvent surgir localement à l’encontre des Tamouls. L’épuisement de la ressource hydrique souterraine n’entraîne paradoxalement pas de conflit ouvert. Certes, ces émeutes anti-Tamouls représentent peut-être un substitut, plus ou moins inconscient, à des attaques qui pourraient être portées contre les investisseurs des estates, les revendications sur les eaux de surface de la Kaveri pouvant masquer des rancœurs portant sur les eaux souterraines. Mais le contexte national favorise l’acceptation des estates. L’agriculture indienne est une agriculture de l’émiettement : 80 % des exploitants doivent compter sur l’émigration temporaire ou un quelconque revenu complémentaire pour essayer de survivre. Même une gestion durable des maigres ressources locales ne peut rendre l’exploitation viable [Landy et Varrel op. cit.]. En outre, les pères ne souhaitent plus que leurs fils reprennent l’exploitation ; s’ils se sont saignés aux quatre veines pour qu’ils bénéficient d’une scolarité, ce n’est pas pour qu’ils labourent ! Le caractère structurel de la crise agraire de l’Inde s’est manifesté au cours de l’immense mouvement social qui a duré plus d’un an, en 2020-2021, pour refuser trois lois accentuant la libéralisation de l’agriculture. L’agriculture paysanne cantonne le plus souvent les exploitants dans la pauvreté, faisant ainsi le jeu des estates, presque paradoxalement.

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Notes

1 Voir le rapport, All India Report on agriculture census 2015-16, 2020, Department of agriculture, cooperation & farmers welfare, 2020 Ministry of Agriculture & Farmers welfare, New Delhi, p. 28 (<https://agcensus.nic.in/document/agcen1516/ac_1516_report_final-220221.pdf>).

2 Voir B. Hervieu et F. Purseigle, « Les fermes du monde : un kaléidoscope », 2012, Cahier Demeter, n o 13, p. 87-98.

3 Adaptation of irrigated agriculture to climate change (2017-2020), ANR-16-CE03-0006, financé par l’Agence nationale de recherche (<https://www6.inrae.fr/>). Le bassin versant de Berambadi est un des sites étudiés par le Système national d’observation M-Tropics (<https://mtropics.obs-mip.fr/>), une base de données climatiques, hydrologiques, géochimiques et écologiques. Il est soutenu par l’Université de Toulouse, l’Institut de recherche pour le développement et l’Institut national des sciences de l’univers du CNRS. Les auteurs remercient M. Sekhar (Indian Institute of science), J. Jacquet, A. Richard-Ferroudji, H. Guétat-Bernard (Institut français de Pondichéry), les assistants R. Avinash et S. Murthy, et tous les enquêtés pour leur patience.

4 « La grande exploitation : formes et contours dans un nouvel âge du capitalisme agricole et des rapports villes-campagnes », Journées rurales 2018, 26-28 sept., Nanterre (<https://calenda.org/441123>).

5 Voir B. Hervieu et F. Purseigle, « Les fermes du monde : un kaléidoscope »…

6 Voir C. Fischer, 2016, Diagnostic agraire en Inde du sud semi-aride. Vulnérabilité et adaptabilité face à l’épuisement des ressources en eau, projet Atcha, mémoire AgroParisTech, Paris, 2016.

7 Roma Hooge, co-autrice de ce texte, a passé deux mois et demi dans un village pour comparer les exploitations paysannes avec les estates de la région, à partir d’entretiens semi-directifs.

8 Voir B. Hervieu et F. Purseigle, « Les fermes du monde : un kaléidoscope »…

9 Voir R. G. Allen et al., Crop evapotranspiration. Guidelines for computing crop water requirements, Rome, Food and agriculture organization of the United nations (« FAO Irrigation and drainage paper 56 »), 1998.

10 Idem.

11 Pour le détail de la méthode de calcul, voir le mémoire de stage de 2e année d’ingénieur R. Hooge, Les Estates en Inde du Sud semi-aride (Karnataka), des systèmes de production agrofestiers irrigués capitalistes, 2018, AgroParisTech. 

12 « The greatest challenge for agroforestry in dryland areas is to identify species combinations and management systems which optimize the capture of scarce available water supplies » (« La plus grande difficulté pour l’agroforesterie en milieu sec est d’identifier les combinaisons d’espèces et les systèmes de gestion qui permettent d’optimiser la captation des rares ressources en eau disponibles ») [Ong et al. 2007 : 255]. Or, « optimiser », cela ne veut pas dire « économiser ».

13 Voir la fiche de l’association française de l’agroforesterie en ligne (<http://www.agroforesterie.fr/documents/fiches-thematiques/Fiche-eau-agroforesterie-AFAF.pdf>).

14 Voir C. Fischer, 2016, Diagnostic agraire en Inde du sud semi-aride

15 Les noms ont été modifiés.

16 En 2020 a eu lieu une profonde libéralisation de la loi par le Karnataka land reforms (Second amendment) Act : il permet à des non-agriculteurs d’acheter de la terre agricole et a relevé les plafonds fonciers à 43 ha. Au moment de notre recherche en 2018-2019, cette loi n’avait cependant pas été promulguée.

17 « according to the range of rainfall ».

18 Un euro valait environ 80 roupies en 2018-2019.

19 La dépréciation de la roupie comme la volonté de libéraliser le marché expliquent cette forte hausse du plafond.

20 Voir C. Upadhya, « Rural Real Estate: Agrarian Land as a Financial Asset », 6th NRAS Conference, Gandhinagar, 20-22 septembre 2018.

21 Zone d’abaissement du niveau de la nappe autour du point de pompage.

22 Voir l’article de M. Rajshekhar, « Great rural land rush: 3 to 100-fold rise in farm land prices may not bode well, Economic Times, 12 novembre 2013.

23 Voir S. Janakarajan, « The Cauvery Water Dispute. Need for a Rethink », 2016, Economic and political weekly, n o 51 (41), p. 10-15.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : Localisation de Gundlupet et de Berambadi (État du Karnataka).
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Titre Figure 2. Flux des migrants et des capitaux d’une région transfrontalière (Gundlupet, Inde).
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Titre Fig. 3 : Besoins en eau annuels des principales cultures et des systèmes de cultures de la région.
Légende Estimation adaptée de la méthode FAO-56.
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Titre Figure 4. Une exploitation unique fondée sur une propriété éclatée dans le village de Maddur (Karnataka, Inde).
Légende Selon le cadastre, l'exploitation cerclée de rouge s'étend sur une superficie de 52 ha en rassemblant 15 parcelles de propriétaires différents.
Crédits Source : d’après le cadastre de Maddur, Revenue department services, Government of Karnataka (<https://landrecords.karnataka.gov.in/​>).
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Pour citer cet article

Référence papier

Roma Hooge, Frédéric Landy, Camille Noûs et Laurent Ruiz, « Consolidation d’une paysannerie émiettée… »Études rurales, 209 | 2022, 162-185.

Référence électronique

Roma Hooge, Frédéric Landy, Camille Noûs et Laurent Ruiz, « Consolidation d’une paysannerie émiettée… »Études rurales [En ligne], 209 | 2022, mis en ligne le 01 janvier 2025, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/28942 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.28942

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Auteurs

Roma Hooge

agronome, AgroParisTech

Frédéric Landy

géographe, professeur, université Paris Nanterre/Laboratoire architecture, ville, urbanisme (UMR 7218), associé à l’Institut français de Pondichéry (Inde) et au Centre d’études de l’Inde et de l’Asie du Sud (UMR 8564), Paris

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    Paru dans Études rurales, 211 | 2023

Camille Noûs

collectif, Cogitamus

Laurent Ruiz

agro-hydrologue, Inrae, Indian Institute of Sciences, Bangalore (Inde)

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Droits d’auteur

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