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Comptes rendus

Thierry Paquot, L’Amérique verte. Portraits d’amoureux de la nature

Bruno Villalba
p. 162-164
Référence(s) :

Thierry Paquot, L’Amérique verte. Portraits d’amoureux de la nature, Paris, Terre urbaine, 2020, 200 p.

Texte intégral

  • 1 Voir Donald Worster, Les Pionniers de l’écologie, Paris, Le sang de la terre, 1992 ou Kirkpatrick (...)
  • 2 Par exemple, John Muir célèbre la beauté éternelle des paysages, tout en occultant la présence et (...)
  • 3 « Marsh a été victime d’une sorte de conspiration du silence planétaire » (p. 159).

1Le livre s’ouvre sur une description pathétique de la désinvolture des États-Uniens à l’égard de l’écologie, que l’on peut résumer sous la formule du Président Georges Bush : « le mode de vie des Américains n’est pas négociable ». La dernière campagne des élections présidentielles pourrait le laisser croire, tant la question de l’écologie a été absente. Le philosophe Thierry Paquot propose pourtant une autre lecture de cette relation, insistant sur la multiplicité des courants qui irriguent la société américaine et la nature. Ces courants émergent à la fin du xixe siècle1 et vont contribuer à doter les États-Unis d’un régime juridique à la fois précoce et important pour préserver ou conserver ses richesses naturelles. T. Paquot tente de comprendre les raisons de cette perte de « mémoire verte » (p. 15), cet oubli des « principaux auteurs ayant sensibilisé leurs contemporains, et les descendants, au respect de la nature […] Ralph Waldo Emmerson, Henry David Thoreau, Andrew Jackson Downing, George Perkins Marsh, John Muir, Aldo Leopold et bien d’autres » (p. 15). C’est cette Amérique verte, celle d’avant l’ère moderne du xxe siècle qu’il souhaite présenter, en insistant sur « l’impossible transmission d’un héritage sans testament » (p. 17), selon la formule de René Char. L’auteur entend donc exposer ces pensées solitaires, peu soucieuses de constituer un quelconque raisonnement fermé sur sa propre cohérence, de forger les bases d’une nouvelle philosophie… C’est alors au lecteur de faire un peu d’effort pour suivre les déambulations savantes et documentées de T. Paquot, à travers quatre chapitres poétiquement intitulés : « Le gang du Concord », « L’appel de la forêt », « L’oncle d’Écosse » et « La santé de la terre ». Ils sont complétés par deux textes : « Le Combat continue » et « Promenade bibliographique ». Chaque chapitre est ainsi une occasion de regrouper, selon les affinités de l’auteur, quelques figures de cette histoire littéraire. Ainsi, « Le gang du Concord », en hommage à Edward Abbey, permet de présenter les pensées de Ralph Waldo Emerson (la nature est le véhicule de la pensée), Margaret Fuller (seule femme du livre, féministe et environnementaliste) et Henry David Thoreau (l’introspection sensuelle avec la nature), trois promeneurs (plus ou moins) solitaires, « trois individualités d’une rare intensité » (p. 72). « L’Appel de la forêt », qui convoque Jack London, retrace le parcours d’Andrew Jackson Downing (l’expérience réflexive née de l’horticulture), Calvert Vaux et Frederick Law Olmsted (les faiseurs de paysage urbain), John Muir (préserver la naturalité de la nature), John Burroughs (naturaliste sensible du monde) et Gifford Pinchot (conserver et administrer), six « amoureux de la Terre » et plus particulièrement de la forêt. Le chapitre 3 est consacré à « L’oncle d’Écosse » – ce modèle exotique idéalisé de la réussite –, soit Patrick Geddes (l’inventeur des études urbaines, inspirateur du mouvement du retour à la nature et du bio-régionalisme). La « Santé de la terre » permet de présenter quatre personnalités qui ont œuvré à la prise de conscience des effets négatifs des activités humaines : George Perkins Marsh (une approche environnementale de la géographie), Aldo Leopold (le land ethic et son approche poétique de la nature et de l’existence), Nenton MacKaye (la préservation en acte des territoires sauvages) et Lewis Mumford (une connaissance environnementale de la société technicienne et urbaine). Tous, à leur manière, décrivent ce travail de mise en ordre de la nature, qui passe bien souvent par son éradication. Chaque chapitre est ainsi l’occasion de retracer le parcours biographique des écrivains, de contextualiser leur travail d’écriture – l’état du monde écologique et l’état du monde social2 –, d’esquisser des pistes d’explication sur les raisons de leur succès ou de leurs échecs3, de leur vivant ou posthumes. Il s’agit toujours de personnes hautes en couleur, aux verbes forts, non conformistes, dilettantes bien souvent, qui empruntent bien fréquemment des chemins de traverse.

2« Le combat continue » permet de comprendre la relation de T. Paquot avec ces auteurs, qui lui ont permis « d’expliciter son rapport à la Terre et à rendre intelligibles ces liens mystérieux qui se tissent entre les êtres vivants, dont l’humain » (p. 195-196). Il revient sur cet essaimage diffus de ces pensées, oubliées mais présentes par la lente modification qu’elles ont contribué à créer dans notre rapport au monde. Enfin, la « Promenade bibliographique » est une manière de constituer une forme de testament, permettant à la fois de présenter quelques ouvrages clés, quelques pistes pour une généalogie intellectuelle de cette transmission. Cela permet de revenir sur les sources qui ont inspiré chacun des chapitres, et de présenter plus amplement les contenus de certains textes et de saisir comment les pensées des auteurs-phares se sont diffusées. Mais il est vrai que la lecture continue devient vite assez fastidieuse…

3Grâce à ce livre, on découvre la diversité de ces courants littéraires, qui contribuent grandement à la compréhension d’une histoire intellectuelle et sociale de l’écologie outre-Atlantique. Il met ainsi en évidence les impressions communes partagées, comme l’émerveillement devant l’incroyable diversité du vivant, bien souvent procuré non pas par une vision éloignée, mais au contraire par une proximité quotidienne, résultant de la marche ou du travail dans la nature. Il montre aussi les inquiétudes partagées, comme celle générée par la vulnérabilité du vivant ou la difficulté de maintenir la beauté du monde. Il souligne aussi les divergences d’interprétation, comme l’opposition entre conservation et préservation notamment dans les pages consacrées à J. Muir et G. Pinchot pour saisir les visions antagonistes complexes (« pas si simple… » p. 115) de ces courants et les raisons du triomphe de la première. Il présente aussi les différentes filiations théoriques, notamment au regard de l’influence du discours chrétien.

  • 4 L’auteur de ces lignes doit confesser qu’il ne connaissait pas tous les écrivains présentés...

4La culture philosophique, littéraire, savante et populaire, dont fait preuve l’auteur pourrait rebuter le lecteur moins averti (notamment dans la partie « Promenade bibliographique ») 4. Mais T. Paquot est avant tout un conteur, qui sait mettre en scène, à travers une écriture soignée, précise, mais jamais jargonnante, ses impressions et ses connaissances, afin de permettre au lecteur de le suivre dans ses pérégrinations. Par exemple, lorsqu’il s’agit de préciser le sens du terme wilderness (p. 76-78), l’auteur mobilise à la fois les historiens, les romanciers ou les sociologues, afin de montrer la pluralité des approches, la complexité que ce terme recouvre dans les multiples formes relationnelles que les hommes élaborent avec l’espace « sauvage ». Il établit ainsi constamment des liens entre la présentation des connaissances et une histoire du rapport à la nature. On pourra s’étonner que tel ou tel auteur ne soit pas évoqué (comme Herman Melville ou Jack London) ; mais après tout, pourquoi ne pas déjà suivre avec plaisir les différents parcours présentés qui témoignent des préférences personnelles de T. Paquot, autant d’écrivains qui pratiquent « un militantisme généreux dans leurs intentions et sans dogmatisme » (p. 186) ?

  • 5 Voir Nathalie Blanc, et al., « Littérature & écologie : vers une écopoétique », Écologie et politi (...)

5D’un point de vue formel, on peut regretter que le sommaire final n’indique pas les noms des principaux auteurs cités dans chaque chapitre, ce qui faciliterait la recherche autour de tel ou tel pionnier. D’un point de vue théorique, il est dommage que l’auteur ne prenne pas davantage en compte les analyses de l’écopoétique, qui permettent de saisir la multiplicité des représentations de la nature et de la transmission de cette sensibilité5. Mais l’objet de ce livre n’est pas tant de contribuer à une spéculation théorique que de partager le récit de cette Amérique verte, afin que la transmission puisse se réaliser.

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Notes

1 Voir Donald Worster, Les Pionniers de l’écologie, Paris, Le sang de la terre, 1992 ou Kirkpatrick Sale, The green revolution. The American environmental movement, 1962-1992, New York, Hill and Wang, 1993.

2 Par exemple, John Muir célèbre la beauté éternelle des paysages, tout en occultant la présence et l’action des Amérindiens (p. 102-103).

3 « Marsh a été victime d’une sorte de conspiration du silence planétaire » (p. 159).

4 L’auteur de ces lignes doit confesser qu’il ne connaissait pas tous les écrivains présentés...

5 Voir Nathalie Blanc, et al., « Littérature & écologie : vers une écopoétique », Écologie et politique, 2008, no 36, p. 15-28.

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Pour citer cet article

Référence papier

Bruno Villalba, « Thierry Paquot, L’Amérique verte. Portraits d’amoureux de la nature »Études rurales, 208 | 2021, 162-164.

Référence électronique

Bruno Villalba, « Thierry Paquot, L’Amérique verte. Portraits d’amoureux de la nature »Études rurales [En ligne], 208 | 2021, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/27864 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.27864

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Auteur

Bruno Villalba

politiste, professeur, AgroParisTech, Laboratoire Printemps (UMR 8085), Paris

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