Navigation – Plan du site

AccueilNuméros207Comptes rendusFlorence Hachez-Leroy, Menaces su...

Comptes rendus

Florence Hachez-Leroy, Menaces sur l’alimentation. Emballages, colorants et autres contaminants alimentaires, xixe-xxie siècle

Martin Bruegel
p. 244-246
Référence(s) :

Florence Hachez-Leroy, Menaces sur l’alimentation. Emballages, colorants et autres contaminants alimentaires, xixe-xxie siècle, préface de P. Fridenson, Tours, Presses universitaires François-Rabelais (« Tables des Hommes »), 2019, 288 p.

Texte intégral

  • 1 Denis Woronoff, Histoire de l’emballage en France du xviiie siècle à nos jours, Valenciennes, Press (...)
  • 2 Hans-Jürgen Teuteberg, « Die Rationalisierung der Warenverpackung durch das Eindringen der Kunststo (...)
  • 3 Mathias Nast, Die stummen Verkäufer. Lebensmittelverpackungen im Zeitalter der Konsumgesellschaft, (...)
  • 4 Gary Cross et Robert Proctor, Packaged Pleasures : How Technology and Marketing Revolutionized Desi (...)

1Dans la conclusion de Menaces sur l’alimentation, Florence Hachez-Leroy rappelle l’approche inédite de son projet : l’étude des emballages est marginale en histoire de l’alimentation. En effet, Denis Woronoff accorde dans ses travaux1 une place aux conditionnements alimentaires en rappelant leur fonction protectrice dans le transport et l’entrepôt, leur rôle de support d’identification avec l’introduction des marques au xixe siècle et leur concours à la valorisation des produits grâce aux affichages d’allégations de toutes sortes – médailles gagnées lors de foires, assertions nutritionnelles – pour dynamiser les ventes. Hans-Jürgen Teuteberg2 détaille l’évolution du matériel et insiste sur la rationalisation progressive des emballages (leur production, leurs usages) et leur contribution au confort d’utilisation des produits, notamment la mise au point des portions. L’arrivée massive des plastics dans les années 1950 représente un point de rupture dans la mesure où, comme l’écrit Mathias Nast3, leur quantité fait exploser le volume des déchets et finit par poser, bien plus précocement que l’on a tendance à penser, la question des externalités environnementales induites par la production, la gestion et l’évacuation des emballages. Leur emploi excessif tient à leur transformation en armes de séduction massives des consommateurs afin d’entretenir la surconsommation d’objets standardisés4.

2Toutes ces études attribuent à l’emballage une fonction essentielle dans l’économie capitaliste, mais aucune ne se penche sur les dangers qu’il fait courir aux aliments du fait de la migration de microparticules du contenant vers le contenu. Menaces sur l’alimentation offre un récit novateur parce qu’il englobe les manières dont le public s’est saisi de la question de l’effet des emballages sur l’innocuité des denrées alimentaires. Le livre évoque les discussions suscitées par, entre autres, la soudure des boîtes de conserve (saturnisme) au milieu du xixe siècle, l’utilisation de divers papiers usagés ayant une deuxième vie en tant qu’emballages à la Belle époque (souillures), la cellophane au milieu du xxe siècle (moisissures) et aujourd’hui les perturbateurs endocriniens.

3L’aluminium est le principal prisme à travers lequel Florence Hachez-Leroy observe les contaminants alimentaires. Son emploi va du contenant métallique aux composés de sel qui colorent les bonbons, blanchissent les farines, conservent les charcuteries et limitent l’agglutination des sels de cuisine. Ces derniers usages jettent des ponts vers les conservateurs et les colorants alimentaires – comme l’acide salicylique ou la fuchsine – qui soulèvent des enjeux similaires. L’auteure en esquisse l’histoire, notamment l’encadrement légal en France avant la Première Guerre mondiale et la régulation internationale avec l’invention de la « dose journalière admissible » (en anglais Acceptable Daily Intake) après la Deuxième Guerre mondiale. Depuis 1961, cette quantité exprime, selon les connaissances scientifiques du moment, l’innocuité sur le long terme d’un additif dont la consommation serait habituelle. Cependant, la notion de dose marque le passage d’une appréciation de la toxicité d’une substance, dont le principe de précaution suggérait jusqu’alors l’interdiction, à l’estimation hypothétique du risque que son absorption routinière mais limitée pose à la santé humaine ou animale.

4Trois controverses permettent à Florence Hachez-Leroy de mettre en évidence les débats entre scientifiques sur la toxicité de l’aluminium, le rôle des industries dans le financement de la recherche, la traduction des controverses dans l’espace public et les revirements des autorités politiques au gré des rapports de force entre, pour dire vite, champions d’intérêts économiques et défenseurs de la santé publique. Ainsi, l’introduction largement débattue de gamelles et bidons en aluminium dans l’armée française, dont les expérimentations améliorent les objets et tendent à confirmer la présomption de leur innocuité, s’avère un pas décisif dans la banalisation de ses usages civils vers la fin du xixe siècle. L’utilisation, dans la levure chimique, de sels d’aluminium comme additif visant à raffermir et blanchir le pain donne lieu à une polémique aux États-Unis entre 1870 et 1940 ; elle illustre comment même les différences les plus infimes entre scientifiques, rapportées dans la presse et relayées par un ensemble de groupes hétéroclites (secte religieuse, organisation anti-cancer, association pour une médecine alternative, personnalités idiosyncrasiques…), suscitent une perplexité que les lobbies industriels n’hésitent pas à exploiter pour justifier l’utilisation continue de l’aluminium. La dernière étude de cas concerne l’effet à long terme – et donc cumulatif – des ustensiles de cuisson ; elle récapitule, à partir d’une controverse britannique aux échos internationaux, les postures des acteurs depuis les médecins généralistes (qui font des hypothèses sur les pathologies récurrentes qu’ils observent parmi leur patientèle), les chercheurs de laboratoires (qui en évaluent les effets), les multiples groupes de pression et les autorités politiques et juridiques.

5Menaces sur l’alimentation présente les avantages et les inconvénients de son ambition encyclopédique. D’un côté, le livre touche à de nombreux enjeux soulevés par les emballages et additifs alimentaires. De l’autre côté, la visée globale ne réussit pas toujours à inscrire les événements dans leurs contextes respectifs et confère au récit un aspect plus descriptif qu’analytique. L’estimable volonté d’exhaustivité impartiale exacerbe l’impression d’une équivalence entre les arguments avancés par les intérêts économiques et ceux des défenseurs d’interventions visant à protéger l’ensemble du corps social contre les dangers des substances étrangères aux aliments naturels. On peut alors se poser la question de savoir si le récit ne lisse pas les tensions sociales. Est-ce que les sources permettraient d’analyser plus finement la lutte pour l’opinion qui précède l’élaboration des lois sanitaires ? Il serait, en effet, intéressant d’en apprendre davantage sur le doute à l’égard des connaissances scientifiques et de faire la part de ce qui relève, d’une part, du fonctionnement normal de la recherche et, de l’autre, de la divulgation d’informations dont le but est de saper l’assurance dans les bases du savoir. Ainsi, le travail de Florence Hachez-Leroy construit des ponts vers les études agnatologiques.

Haut de page

Notes

1 Denis Woronoff, Histoire de l’emballage en France du xviiie siècle à nos jours, Valenciennes, Presses universitaires de Valenciennes (« Transports et mobilités »), 2014.

2 Hans-Jürgen Teuteberg, « Die Rationalisierung der Warenverpackung durch das Eindringen der Kunststoffe », Vierteljahrschrift für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte, Beiheft 120b, 1995, p. 721-756.

3 Mathias Nast, Die stummen Verkäufer. Lebensmittelverpackungen im Zeitalter der Konsumgesellschaft, Bruxelles, Peter Lang Verlag (« Europäische Hochschulschriften »), 1997.

4 Gary Cross et Robert Proctor, Packaged Pleasures : How Technology and Marketing Revolutionized Desire, Chicago, University of Chicago Press, 2014.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Martin Bruegel, « Florence Hachez-Leroy, Menaces sur l’alimentation. Emballages, colorants et autres contaminants alimentaires, xixe-xxie siècle »Études rurales, 207 | 2021, 244-246.

Référence électronique

Martin Bruegel, « Florence Hachez-Leroy, Menaces sur l’alimentation. Emballages, colorants et autres contaminants alimentaires, xixe-xxie siècle »Études rurales [En ligne], 207 | 2021, mis en ligne le 01 septembre 2021, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/26350 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.26350

Haut de page

Auteur

Martin Bruegel

historien, Inrae, Centre Maurice Halbwachs (UMR 8097-CNRS/ENS/EHESS), Paris

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search