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Comptes rendus

Svein Ege (dir.), Land tenure security. State-peasant relations in the Amhara highlands, Ethiopia

Mehdi Labzaé
p. 233-235
Référence(s) :

Svein Ege (dir.), Land tenure security. State-peasant relations in the Amhara highlands, Ethiopia, Rochester, James Currey, 2019, 207 p.

Texte intégral

  • 1 Ege, Svein, The promised land: The Amhara land redistribution of 1997, Trondheim, Norwegian Instit (...)
  • 2 Dessalegn Rahmato, The peasant and the state: studies in agrarian change in Ethiopia 1950s-2000s, (...)
  • 3 Teferi Abate Adem, Land, capital and labour in the social organization of farmers : A study of hou (...)
  • 4 Yeraswork Admassie, Twenty years to nowhere: property rights, land management and conservation in (...)

1Édité par l’historien et anthropologue norvégien Svein Ege, cet ouvrage est le fruit d’un travail d’équipe mené depuis une vingtaine d’années avec ses collègues Harald Aspen (auteur de trois chapitres) et Yigremew Adal. Ce dernier, ancien directeur adjoint de l’Institute of development research de l’Université d’Addis-Abeba et fin connaisseur des campagnes éthiopiennes, est décédé en 2011. Le livre lui est dédié. Que l’on soit clair : l’ouvrage ne porte pas sur l’accaparement foncier pour lequel l’Éthiopie a régulièrement occupé les gros titres de la presse mondiale durant la dernière décennie. Il s’agit ici d’une étude anthropologique circonscrite à quelques localités de la région Amhara, mais dont les observations au niveau micro permettent de tirer des conclusions plus larges sur la structuration des sociétés paysannes et leur rapport à l’État. L’ouvrage constitue un apport important aux études sur le foncier éthiopien, complétant les précédentes productions d’Ege1, les travaux de Dessalegn Rahmato2, Teferi Abate Adem3 ou Yeraswork Admassie4. C’est d’abord la rigueur méthodologique qui séduit. Contrairement à de nombreuses études, trop souvent menées à coups de rapides entretiens en campagne et de « focus group discussions », le responsable de la publication et son équipe travaillent en anthropologues. Ils privilégient les terrains longs et répétés dans le temps. Certaines localités sont ainsi suivies depuis près de trois décennies. Les pratiques foncières au fil des époques sont restituées à partir de cinq localités aux conditions écologiques et sociales différentes : des villages de hautes terres bien intégrés aux réseaux commerciaux et routiers, plus ou moins proches des villes, un village plutôt pauvre et longtemps marqué par le peu de différenciation sociale, des villages « médians ». L’ensemble – et en particulier les chapitres rédigés par S. Ege – est d’une honnêteté intellectuelle rare. L’auteur n’hésite pas à reconnaître les zones d’ombre, s’avouant parfois désorienté par les réponses parfois contradictoires que lui apportent les paysans avec lesquels il enquête. Toute personne familière de l’enquête au sein des paysanneries éthiopiennes reconnaîtra là certaines stratégies mises en avant par les enquêtés pour tenir le chercheur à distance. La seule imprécision du point de vue méthodologique concerne peut-être les « assistants » des anthropologues norvégiens, qui sont évoqués de manière allusive sans que l’on sache bien s’il s’agit là de paysans, d’étudiants ou d’anthropologues éthiopiens demeurant sur place (p. 89 ou p. 107-108).

2La méthode d’immersion au sein des communautés paysannes permet de restituer avec finesse les pratiques agricoles et les arrangements fonciers sur les hauts plateaux. Le titre de l’ouvrage reflète l’un des principaux débats dans lequel il s’inscrit, celui de « l’insécurité des tenures ». En effet, l’essentiel de la littérature institutionnelle comme académique sur le foncier éthiopien souligne l’insécurité foncière dont les paysans seraient victimes. La crainte de se voir déposséder de sa terre pousserait les paysans éthiopiens à ne pas investir davantage dans le travail agricole. On retrouve là un argument classique des théories néo-institutionnalistes des droits de propriété.

3Or, c’est bien cette idée d’insécurité foncière que S. Ege et ses collègues nuancent. En effet, malgré la pauvreté générale qui marque la région, les paysans de la région Amhara ne semblent pas ressentir autant d’insécurité foncière que les consultants le pensent. Avant la réforme agraire de 1975, les droits fonciers des paysans libres étaient au contraire conçus dans des termes assez sûrs. Après la réforme, l’idée d’incessantes redistributions foncières qui alimenteraient l’insécurité des tenures ne se vérifie pas en pratique (voir notamment le chap. 5, p. 80-97). L’ouvrage révèle comment nombre de travaux ont confondu plusieurs dynamiques, voyant des redistributions locales là où il n’y avait en fait qu’héritages et divisions de foyers pour cause de mariage (voir p. 42-46). S. Ege développe ainsi une lecture alternative des droits fonciers sur les hauts plateaux de la région Amhara : le principe de la part (dersha) qui implique que chaque membre d’un foyer a droit à une part de terre (voir chap. 3, p. 41-67). Il s’agit, là, d’un principe tacite, reconnu de fait par les institutions locales, qui gouvernait l’allocation de droits fonciers sous le Derg, mais aussi sous l’Ethiopian people’s revolutionary democratic front (EPRDF) dans certaines localités. En prenant en compte les pratiques qui en découlent et en revenant sur les sens pluriels de certains mots faisant référence à la répartition des tenures (shegesheg, kefefel, deledel, voir le chap. 4, p. 68-79), on comprend que l’insécurité n’est pas si prononcée qu’on le dit.

4Le chapitre 8 (p. 131-152) dénote par rapport au reste de l’ouvrage. Le propos s’y fait plus prescriptif : après avoir critiqué les diagnostics établis par l’essentiel de la littérature des praticiens du développement, l’anthropologue tente de décrire ce qui serait, sur la base de ses observations, une meilleure politique foncière. Il plaide alors pour un cocktail assez classique : clarifier les droits en faisant des paysans de vrais propriétaires (privatisation), autoriser les ventes de terres pour les paysans tout en posant des limites à l’achat pour empêcher une trop forte concentration, et reconnaître le versement de la taxe foncière comme preuve de l’effectivité des droits. S’il semble que le débat politique éthiopien soit actuellement polarisé sur d’autres enjeux, voilà quelques propositions pragmatiques qui pourront nourrir les débats lorsque la question foncière resurgira en haut de l’agenda politique national.

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Notes

1 Ege, Svein, The promised land: The Amhara land redistribution of 1997, Trondheim, Norwegian Institute of science and technology, 1997.

2 Dessalegn Rahmato, The peasant and the state: studies in agrarian change in Ethiopia 1950s-2000s, Addis Abeba, Addis Ababa University Press, 2009 ; The search for tenure security? Land policy and new initiatives in Ethiopia, Addis Abeba, Forum for social studies, 2004 ; « Land to investors : Large-scale land transfers in Ethiopia », Forum for social studies, 2011.

3 Teferi Abate Adem, Land, capital and labour in the social organization of farmers : A study of household dynamics in Southwestern Wollo, 1974-1993, Addis Abeba, Addis Ababa University, 1998.

4 Yeraswork Admassie, Twenty years to nowhere: property rights, land management and conservation in Ethiopia, Lawrenceville, Red Sea Press, 2000.

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Pour citer cet article

Référence papier

Mehdi Labzaé, « Svein Ege (dir.), Land tenure security. State-peasant relations in the Amhara highlands, Ethiopia »Études rurales, 206 | 2020, 233-235.

Référence électronique

Mehdi Labzaé, « Svein Ege (dir.), Land tenure security. State-peasant relations in the Amhara highlands, Ethiopia »Études rurales [En ligne], 206 | 2020, mis en ligne le 01 décembre 2020, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/24962 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.24962

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Auteur

Mehdi Labzaé

politiste, post-doctorant, Centre français des études éthiopiennes (UFR 3137), Addis-Abeba

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