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Comptes rendus

Dorothée Dussy et Elsa Faugère (dir.), Apicultures au xxie siècle. Écologie versus business ?

Anne Both
p. 231-233
Référence(s) :

Dorothée Dussy et Elsa Faugère (dir.), Apicultures au xxie siècle. Écologie versus business ? Marseille, Éditions La Discussion (« Science, nature et environnement »), 2019, 196 p.

Texte intégral

1Présenter « les approches développées ces dix dernières années en sciences sociales sur l’apiculture » (p. 13), telle est l’ambition de cet ouvrage collectif dirigé par Dorothée Dussy du CNRS et Elsa Faugère de l'Inrae. Les deux anthropologues expliquent, dans leur introduction, que les contributions sont agencées selon un continuum s’étalant « entre deux bornes d’une polarité écologique versus business » (p. 13), problématique reprise dans le titre. Les onze chapitres, signés par une vingtaine d’auteurs, sont distribués entre quatre parties depuis « le métier et la filière apicole » (partie 1) jusqu’à « l’apiculture, recherche d’harmonie avec la nature ou suppôt du capitalisme moderne » (partie 4), en passant par « les relations entre mondes apicoles et agricoles autour des pesticides et de la pollinisation » (partie 2) et « les mondes apicoles et l’évolution des paysages » (partie 3).

2La première partie aborde successivement le syndicalisme agricole et la circulation des connaissances entre apiculteurs et biologistes. On apprend ainsi, dans le texte de Paul Fert, qu’étonnamment le taux élevé d’apiculteurs syndiqués en France n’est pas révélateur, bien au contraire, de l’implication de ses membres ni de leur influence, car les débats à l’intérieur de ce monde sont nombreux tandis que les associations et les ONG concurrencent les organisations professionnelles sur le terrain médiatique. Quant au second chapitre, écrit par les coordinatrices de l’ouvrage, il cherche « à comprendre pourquoi et comment certains apiculteurs sont convaincus, ou non, de changer leurs pratiques pour adopter des innovations biotechniques proposées par les biologistes » (p. 39) dans les territoires de la Provence et des Alpes françaises. Il s’agit en l’occurrence d’abandonner les traitements chimiques pour lutter contre les parasites, tel le varroa, et de pratiquer le retrait et le griffage du couvain. Il en ressort que le principal moteur de leur choix se loge, en fait, dans la subjectivité des apiculteurs.

3Dans la deuxième partie, est présentée une forme particulière de relation entre l’apiculture et l’agriculture. D’une part, Robin Mugnier s’intéresse aux colonies d’abeilles élevées essentiellement dans le but d’offrir des services de pollinisation (sans produire de miel), qu’il analyse à travers les pratiques des apiculteurs-pollinisateurs et des salariées d’une multinationale semencière de la région d’Angers. D’autre part, Antoine Police étudie la mise en place du conservatoire de l’abeille noire dans le Perche, au début des années 2010, grâce à l’initiative de l’Union apicole Ornaise et au soutien du Parc naturel régional du Perche.

4La partie suivante comporte, cette fois, quatre textes, dont les deux premiers sont consacrés aux ruchers. Celui de Sylvie Houte découle d’une recherche-action menée dans les Deux-Sèvres autour de l’installation de ruches sur des parcelles communales afin de sensibiliser les scolaires mais aussi tous les habitants du village à la biodiversité et de les impliquer dans un projet de territoire. L’autre, signé par Bertrand Schatz, Ameline Lehébel­Péron, Emeric Sulmont et Edmond Dounias, retrace les caractéristiques environnementales qui ont déterminé l’emplacement des ruchers-troncs dans les Cévennes au xixe siècle, période de l’âge d’or de cette apiculture traditionnelle. Les auteurs exposent, de manière assez convaincante, comment les apiculteurs ont façonné le paysage, en construisant des terrasses, en sélectionnant telle ou telle plante mellifère ou en créant un point d’eau. Dans le texte suivant, Anna Dupleix, Pascale Moity-Maïzi, Pauline Millet-Tréboux, Delphine Jullien et Bertrand Schatz s’intéressent, à partir d’une enquête exploratoire menée dans le Sud de la France, aux choix qu’opèrent les apiculteurs pour le bois de leurs ruches. Enfin, Benjamín Bathfield, Rémy Vandame et Michel Vaillant nous entraînent en Amérique centrale dans les coopératives caféières du territoire maya, qui bénéficient de la pollinisation des abeilles et exportent le miel, souvent produit à l’échelle familiale. On apprend que le Mexique est le troisième exportateur mondial de miel et que le niveau de mortalité des colonies d’abeilles y est bien inférieur à ceux relevés aux États-Unis ou en Europe, les régions caféicoles étant relativement épargnées par les pesticides. Les auteurs montrent que l’interaction entre le monde agricole et apicole constitue dans ce contexte un véritable modèle de développement agro­écologique durable.

5La dernière partie de cet ouvrage comporte trois textes abordant des sujets très divers. Dans le premier, Aladin Borioli s’aventure sur le terrain nouveau de l’agriculture numérique pour interroger l’incidence des ruches connectées dans les relations entre les hommes et les abeilles. La mise en place de capteurs permet désormais de déterminer le poids, les températures intérieures comme extérieures et le taux d’humidité de la ruche. Sur le terrain, en revanche, les apiculteurs ne semblent pas avoir changé leurs habitudes, le procédé, il faut le préciser, n’étant pas encore au point. Néanmoins, dans une logique prospective, l’auteur soulève les risques qui pourraient advenir et notamment celui du basculement vers une relation abeilles-machines et non plus abeilles-humain. Dans le texte d’Éric Guerin, il est question des enjeux de la conservation des abeilles mellifères autochtones au Cambodge, de plus en plus menacées par les chasseurs – dont les moins scrupuleux n’hésitent pas à prélever l’intégralité des nids – mais aussi par la déforestation ou la monoculture qui interviennent sur les ressources disponibles et compromettent, par conséquent, l’équilibre des populations d’abeilles. Quant au dernier chapitre de ce livre, Romain Simenel part d’une anecdote – la visite d’une dizaine d’apiculteurs étrangers invités au congrès international d’ethno-botanie, organisé à Montpellier en 2012 à l’initiative du projet Sentimiel – pour montrer que les apiculteurs « partagent une vision analogique du monde des abeilles [qui explique] qu’ils ont pu facilement communiquer et se comprendre à leur sujet » (p. 189), malgré la barrière linguistique, géographique et culturelle.

6Ce livre à l’évidence recouvre une pluralité de thématiques et de sujets : l’apiculture, les ruches, les apiculteurs ou encore les abeilles. Cette variété reflète celle des auteurs – anthropologues, politistes, formateur, consultant ou encore biologistes… – doctorants, chercheurs confirmés ou indépendant. Elle se retrouve aussi dans la nature même des textes au statut très variable : du chapitre scientifique académique aux conseils prescriptifs de la recherche-action en passant par le témoignage. Si la pluralité des regards et des cadres interprétatifs participent de la richesse et de l’originalité de cet ouvrage, elle aurait gagné à être mieux présentée, voire argumentée. Une attention plus poussée aux terrains étrangers – pourtant évoqués dans l’introduction – aurait par ailleurs permis de faire le lien avec les recherches menées dans d’autres pays sur ces thèmes. Mais le lecteur aurait surtout aimé connaître les intentions qui ont orienté ce projet éditorial ainsi que les critères retenus dans l’élaboration de l’ouvrage collectif. Car la grande hétérogénéité de ce livre nous laisse parfois sans les repères nécessaires pour naviguer « sur un continuum qui admet nuances, chevauchements et contradictions » (p. 14) entre les deux pôles du sous-titre – écologie versus business – alors qu’elle illustre incontestablement la complexité des mondes des apicultures.

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Pour citer cet article

Référence papier

Anne Both, « Dorothée Dussy et Elsa Faugère (dir.), Apicultures au xxie siècle. Écologie versus business ? »Études rurales, 206 | 2020, 231-233.

Référence électronique

Anne Both, « Dorothée Dussy et Elsa Faugère (dir.), Apicultures au xxie siècle. Écologie versus business ? »Études rurales [En ligne], 206 | 2020, mis en ligne le 01 décembre 2020, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/24947 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.24947

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