Xiaojia Hou, Negociating Socialism in Rural China. Mao, Peasants, and Local Cadres in Shanxi,1949-1953
Xiaojia Hou, Negociating Socialism in Rural China. Mao, Peasants, and Local Cadres in Shanxi,1949-1953, East Asia Program, Cornell University, Ithaca, New York, 2016, 275 p.
Texte intégral
1Dès les premières pages, Xiaojia Hou pointe l’essentiel des questions que pose le processus de collectivisation mené en Chine rurale au cours des années 1950, questions auxquelles cet ouvrage ambitionne de répondre. Ce processus, il faut le rappeler, fut mené à marche forcée. En décembre 1953 – peu de temps après la fin de la réforme agraire (1947-1951) dans des régions du sud de la Chine comme la province du Guangdong –, le nouveau parti au pouvoir décide que 35 000 coopératives dites de « producteurs agricoles » devront être créées d’ici à la fin de l’année 1954 et 800 000 en 1957. Quelques semaines plus tard, ces objectifs sont revus à la hausse : ce sont 600 000 coopératives qui sont soudain attendues en 1954 pour les labours du printemps. Dans le même temps, les coopératives qui existent sont encouragées à évoluer vers un stade dit « supérieur » : les terres cultivées y deviennent propriété de la coopérative, les revenus des foyers cessent d’être liés à la surface des terres apportées à la coopérative. Cette dernière devient, de fait, une ferme collective de type soviétique. Le mouvement s’intensifie encore en 1955 et, à la fin de l’année, 60 % des foyers ruraux ont rejoint des coopératives de différentes natures, un chiffre qui s’élève à 91 % en mai 1956.
2Or, comme le souligne l’auteur, il existe peu d’études (et celles qui existent sont très utilement présentées et commentées dans l’ouvrage) qui traitent des quelques années qui séparent la réforme agraire des premiers pas de la collectivisation. Il en existe encore moins, en Chine comme hors de Chine, qui reviennent de façon critique sur l’affirmation conventionnelle selon laquelle, jusqu’en 1955, les paysans chinois auraient soutenu le processus de collectivisation en dépit des excès qui se manifesteront, quelques années plus tard, et qui contribueront à la Grande famine de 1958-1961. Pareille affirmation est d’ailleurs inscrite dans la « Résolution sur certaines questions d’histoire de notre Parti depuis la fondation de la République populaire de Chine » qui proclame, en 1981, que les années 1949-1952 ont été une « bonne période », que le Parti a eu raison de lancer la création de coopératives agricoles en 1953 et que, jusqu’en 1955, les paysans soutenaient le mouvement.
3On l’aura deviné, l’ouvrage de Xiaojia Hou porte précisément sur les transformations entreprises dès la fin de la réforme agraire, en privilégiant les débats et les initiatives qui sont alors observés dans le Shanxi, province dont les dirigeants joueront un rôle déterminant dans le lancement du mouvement de collectivisation à l’échelle nationale. Il repose sur des documents provenant des archives de la province du Shanxi, des municipalités Jincheng et Changzhi et du district Wuxiang. Il repose aussi sur les « références internes », ces rapports confidentiels transmis par les quotidiens nationaux et locaux à des cercles de dirigeants aux contours variables, des documents dont les spécialistes s’accordent à reconnaître l’intérêt particulier pour comprendre les évolutions et les tâtonnements de la première moitié des années 1950. Il repose, enfin, sur des entretiens d’histoire orale menés, certes, par d’autres que l’auteur, mais qui sont ici rassemblés de manière systématique et qui renouvellent la compréhension des débats qui se déroulent alors au sein du Parti. Les entretiens réalisés avec Han Chunde, membre du comité provincial du Parti au Shanxi entre 1949 et 1953, méritent ici une mention spéciale tant ils soutiennent l’analyse menée tout au long de l’ouvrage.
4Le récit qui nous est proposé par l’auteur à partir de ces matériaux est inédit et remarquable. Il apporte une foison d’informations nouvelles mais aussi de pistes de réflexion. Il fait circuler le lecteur tout au long des différents échelons de l’administration de l’État et du Parti, soulignant à chaque fois la singularité des enjeux et des interprétations. Nous n’insisterons ici que sur quelques points abordés dans l’analyse.
5Après Tanaka Kyoko et Gao Wangling, Xiaojia Hou souligne combien la concentration des terres a été exagérée en Chine par le Parti communiste chinois à la veille de la réforme agraire. Ce point est important, car c’est au nom de la réforme agraire et de ses effets supposés que le mouvement de collectivisation sera lancé. Or nul ne sait encore à ce jour sur quelles sources Mao s’est appuyé pour déclarer qu’à la veille de la victoire communiste, 8 % des foyers paysans, composés de paysans riches et de propriétaires fonciers, possédaient 70 à 80 % des terres. Comme le montre Xiaojia Hou, le problème que rencontre alors la paysannerie chinoise est bien celui du manque de terres à cultiver plutôt que celui des inégalités sur le plan de la propriété. Dans la province du Shanxi, il n’existe ainsi pratiquement pas de paysans sans terre pendant les années 1940. Après la réforme agraire, menée dans cette région entre 1946 et 1948, la terre sera redistribuée à raison environ de 3,5 mu (équivalant d’un quinzième d’hectare) pour un foyer de « paysan moyen », de 3,3 mu pour un foyer de « paysan pauvre » et enfin de 3 mu pour un foyer de « propriétaire foncier » ou de « paysan riche », des chiffres qui, de fait, ne permettent pas la subsistance des foyers en l’absence d’autres activités, notamment artisanales ou commerciales. Ce qui explique en partie la difficile collecte des grains par l’État, une situation qui sera l’une des principales raisons du mouvement de collectivisation.
6Mais, comme le montre le deuxième chapitre de l’ouvrage, la décision de lancer plus tôt que prévu le mouvement de collectivisation dans les zones rurales est également indissociable des tensions qui s’expriment au sein du Parti juste après la proclamation de la République populaire de Chine, le 1er octobre 1949, entre cadres dirigeants des zones « blanches » (dominées par le Parti nationaliste jusqu’alors) et des zones « rouges » (les bases communistes implantées avant la victoire de 1949). De même que des conflits surgissent entre cadres locaux, originaires de la province ou de la ville concernée, et cadres venant de l’extérieur. Ces tensions et ces conflits, orientés notamment par les positions politiques que les uns et les autres revendiquent, se greffent alors sur les débats plus larges qui concernent l’avenir de la Chine, les développements respectifs de l’agriculture et de l’industrie, la politique de la Nouvelle Démocratie (sur le modèle de la NEP en URSS). De manière plus précise, l’opposition entre deux dirigeants chinois, Liu Shaoqi et Gao Gang, la façon dont ce dernier utilisera d’anciens écrits de Staline pour attaquer Liu Shaoqi sur des bases idéologiques et tirer parti des divergences entre Mao et Liu Shaoqi, font ici l’objet d’une analyse inédite. L’auteur offre des clés de compréhension nouvelles à l’adoption, fin 1951, de la « Résolution sur les groupes d’entraide mutuelle et les coopératives dans l’agriculture » qui énonce que les paysans chinois souhaitent à la fois travailler pour eux et de manière collective. Prenant modèle sur les expériences menées au Shanxi, cette résolution proclame également que des groupes d’entraide doivent être mis sur pied, qui seront appelés à se transformer en coopératives semi-avancées puis avancées.
7Les troisième et quatrième chapitres de l’ouvrage sont sans doute les plus novateurs. Le premier décrit comment, entre 1951 et 1952, sur la base de consignes qui demeurent floues – il faut augmenter la productivité et marcher vers le socialisme –, toutes sortes d’initiatives locales sont prises qui ne relèveront pas que des dirigeants provinciaux mais aussi des cadres paysans, pris dans des logiques et des enjeux contrastés. Des succès souvent peu crédibles sont mis en avant (une dizaine de coopératives modèles sont ainsi créées dans la province du Shanxi) ; des groupes d’entraide et des coopératives disparaissent aussi rapidement qu’ils sont constitués ; des fonctionnements très divers sont adoptés au sein des coopératives qui résistent. Le second montre comment le Parti reprendra en main une situation qui semble lui échapper en insistant soudain sur la dimension politique, idéologique, du processus de collectivisation. Celui-ci n’a pour seule visée d’augmenter la production de grains. Il doit être articulé au mouvement des « Trois anti », jusqu’alors cantonné aux villes chinoises, et qui dénonce la corruption, le gaspillage et le bureaucratisme au sein des instances du Parti et de l’État. Une fois encore, Xiaojia Hou révèle combien ce nouveau tournant demeure incompréhensible si l’on fait fi des débats et des factions qui existent au sein du Parti. L’économie privée est soudain bannie ; des « déviations » de toutes sortes tolérées en 1951 ne le sont plus en 1952. Les cadres villageois qui ne combattent pas de manière correcte pour l’avenir du socialisme – et donc pour le mouvement de collectivisation – deviennent les cibles du mouvement et cherchent à se protéger en augmentant les objectifs à atteindre. L’ouvrage décrit alors les procédés utilisés pour forcer les foyers paysans à rejoindre les coopératives, des procédés qui vont de l’interdiction faites aux foyers récalcitrants d’utiliser les ressources communes villageoises comme les puits et les moulins jusqu’à l’équivalence politique posée entre eux et les propriétaires fonciers. Il rapporte le recours croissant à la violence, l’augmentation du taux de suicides, la fréquence des abandons de terres, la famine qui surgit au cours du printemps 1953. Il s’ensuivra un mouvement de rectification au sein du Parti, soit une reconnaissance des excès politiques commis qui, comme en 1955 puis en 1957, frayera très vite la voie à une nouvelle campagne politique visant en réalité à renforcer le travail dit « d’organisation » de la paysannerie et donc la collectivisation.
8Tout au long de ces pages, l’auteur montre, exemples à l’appui, comment les rapports officiels sont sans cesse modifiés et manipulés par la hiérarchie administrative pour servir la cause ou les intérêts de groupes particuliers. Elle souligne comment le besoin de collecter des grains en quantité suffisante pour nourrir les villes mais aussi l’armée n’a cessé d’orienter le mouvement de collectivisation jusqu’à la crise du printemps 1953, symptôme des échecs du mouvement et qui conduira à l’adoption, en octobre de cette même année, du « système d’achat unifié » des grains, soit à la mise en place d’un monopole d’État sur la production agricole. Elle analyse enfin comment l’expérience soviétique a été mobilisée, réinterprétée, reconfigurée pour asseoir la légitimité des positions des uns et des autres, une expérience aujourd’hui oblitérée dans le récit officiel qui relie désormais les coopératives socialistes aux précédents qu’auraient constitués les coopératives créées en Chine pendant les années 1920 et 1930. À ce titre, cet ouvrage est d’autant plus précieux qu’il éclaire une histoire de la collectivisation chinoise non seulement encore peu connue, mais aujourd’hui enfouie sous une réécriture du passé.
Pour citer cet article
Référence papier
Isabelle Thireau, « Xiaojia Hou, Negociating Socialism in Rural China. Mao, Peasants, and Local Cadres in Shanxi,1949-1953 », Études rurales, 204 | 2019, 227-230.
Référence électronique
Isabelle Thireau, « Xiaojia Hou, Negociating Socialism in Rural China. Mao, Peasants, and Local Cadres in Shanxi,1949-1953 », Études rurales [En ligne], 204 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/17754 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.17754
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